146ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 24 mars 2011

Champagne Bollinger Grande Année rosé 1990



Champagne Salon 1985



Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996



Pétrus 1983



Château Ducru-Beaucaillou 1934



Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983



Volnay Santenots Lucien Chouet 1966



Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966



Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1966



Château Rieussec 1961



Château d'Yquem 1978


146ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 24 mars 2011

Le 146ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. Les vins ont reposé dans la cave du restaurant pendant une semaine et ont été redressés la veille. A 17 heures, la salle du restaurant bruisse de l'aspirateur, aussi est-ce un bon prétexte pour aller attendre que le ménage soit terminé dans le joli jardin où les jonquilles promettent le printemps.


Le Montrachet 1996 a un bouchon qui vient aisément. L'odeur du vin est riche et prometteuse. Pensant que le Pétrus 1983 est encore très jeune, je veux lever le bouchon au limonadier, mais c'est une erreur car il se brise en deux morceaux, le deuxième étant levé avec ma mèche miracle. En sentant le vin, je pense à la discussion que j'avais eue avec un amateur qui me disait que Pétrus 1983 est connu, dans les guides, pour être un Pétrus faible. Le velouté charmant de ce Pétrus, avec une trace de chocolat décelée par Vincent, le sommelier qui nous accompagnera ce soir, et une belle trace de truffe noire qui remplit mes narines donne tort aux guides, du moins à ce stade du premier nez. L'intérêt de mes dîners est justement de montrer que ce qu'on appelle les petites années sont nettement meilleures que ce qui est proclamé par des gourous qui ont tendance à extrémiser les écarts entre les millésimes.


En extirpant le bouchon de la Romanée Saint-Vivant 1983, très serré dans le goulot, l'éclosion du parfum me donne un large sourire. J'imagine tout-à-fait le voleur de coffres forts, au moment où le dernier clic libère les gonds. J'ai un peu de cette joie intime qui signifie : "encore un qui est réussi". Car toute l'imagerie du Domaine de la Romanée Conti cachée dans mon cerveau se libère instantanément. Et je suis bien. Je suis extrêmement étonné de la qualité absolue du bouchon du Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966. Car ce bouchon est parfait, souple, idéal. Félicitations à l'acheteur chez Jaboulet de ces bouchons de qualité. L'odeur du vin est plus rustique que celle du bourguignon, mais elle est sacrément charmeuse. Nous verrons. Le Volnay 1966 au niveau bas a un nez de terre et de poussière, avec un bouchon très sec et noir dans sa partie haute. Attendons de voir ce que ce vin simple nous dira.


Le bouchon du Ducru-Beaucaillou 1934 vient en mille miettes. Rien ne veut sortir. Donc j'extirpe et j'extirpe. Les miettes remplissent une assiette. Et j'ai l'explication en promenant mon doigt dans le goulot : il y a un resserrement du verre en haut du goulot qui doit être de près de quatre millimètres pour le rayon. Ce qui veut dire que le diamètre du bas du bouchon doit se resserrer de près d'un centimètre pour pouvoir sortir. Comme c'est impossible, il vient en lambeaux. L'odeur du vin est prometteuse, souhaitons-lui de tenir. Elle évoque la truffe, le café et les bois noirs.


Les deux sauternes sont insolemment parfaits, le Rieussec, moins tonitruant, me semblant plus subtil que l'Yquem. Un beau match en perspective. Est-ce lié ou ne l'est-ce pas, mais je trouve que la couleur du Château Chalon 1966 s'est troublée au moment où j'ai libéré le bouchon. L'odeur première est comme une bouffée de tabac, qui disparaît tout de suite et lentement, les effluves que j'aime de ces vins que je révère font comme la belle au bois dormant, une bise à mes rêves.


Il est temps de mettre les vins au frais, car il fait chaud dans la pièce. Je sens une dernière fois les vins. Tous entament le lent travail de l'oxygénation lente. Curieusement, c'est le Montrachet qui s'est refermé, comme s'il voulait se cacher. Attendons ce soir.


Christian Le Squer vient me saluer, et nous discutons du rouget que j'ai voulu absolument associer au Pétrus. Christian a prévu une eau acidulée poivrée avec le rouget, mais je ne la sens pas. Je demande une tapenade à côté de la chair pure du rouget. Christian est d'accord. Je suis ravi.


Patrick Simiand, directeur du restaurant, avait prévu que le foie gras serait servi en même temps et à côté de l'anguille. Il me semble préférable de les servir en décalé. Tout me semble au point. Je m'habille de frais. Les premiers convives arrivent. Hélas, la gent masculine fait mentir toutes les lois sur la parité, car aucune beauté féminine ne viendra illuminer notre table. Deux seulement des dix convives sont des nouveaux. La finance, les services et les activités intellectuelles ou culturelles forment notre panel.


Le menu composé par Christian Le Squer est : Nougatine chocolatée de foie gras / Anguille pomme verte / Lamelles de Saint-Jacques marinées à cru, écume de mer / Rouget snacké, tapenade / Grillade de Pigeon aux fleurs de navets, jus de riquette / Semoule d'agneau au parfum d'olives / Vieux Comté / Raviole de Fruits Exotiques.


Le foie gras est quelque chose d'assez surréaliste : il commence par un goût de foie gras confortable, puis le chocolat s'installe et pousse le foie gras hors de la place qu'il avait prise, et enfin le poivre règle le compte des deux saveurs précédentes en les chassant. Ce parcours en bouche est étonnant. Et le Champagne Bollinger Grande Année rosé 1990 met de l'ordre dans toutes ces composantes, assurant la cohérence du plat, ce dont on peut lui être reconnaissant. C'est un bon champagne, mais j'aurais tendance à dire que ce n'est qu'un bon champagne. Il ne crée pas l'émotion que l'on pourrait attendre d'une année de grande qualité. Il est bon, il coordonne le plat. Mais il ne va pas au-delà.


En revanche, le Champagne Salon 1985 nous fait grimper de dix étages. Car tout en lui est subtil, complexe et romantique. Ce champagne n'a pas d'âge. Sa couleur est claire, sa bulle est percutante, et son goût est follement jeune. Mais il est merveilleusement assemblé, et nous transporte d'aise par sa complexité. Il est difficile d'imaginer champagne plus brillant que celui-ci. La portion d'anguille est un peu chiche et c'est dommage, car l'accord créé par l'acidité de la pomme verte avec le Salon est un des plus raffinés de ce repas.


Le nez du Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, c'est les trompettes de la renommée. Une bouffée de puissance et de complexité. Les Saint-Jacques sont présentées de façon remarquable, avec une belle subtilité, qui met en évidence l'insolente sérénité du montrachet conquérant. Cette bombe d'arômes plus divers les uns que les autres où la minéralité et le fruité joyeux dominent est un vrai bonheur. L'accord serein et délicat est un des plus beaux.


Pétrus 1983, c'est Clark Gable dans Autant en Emporte le Vent. La séduction exsude de tous les pores de la peau. Le vin a un nez velouté, tout en douceur comme un coussin profond. En bouche, il est subtil, délicat, mais avec une force de proposition affirmée. Cette année n'a pas la noblesse des 1989 et 1990 pour Pétrus, mais ce vin est grand, sans aucun doute possible. Je suis fier de "mon" accord, puisque je l'ai suscité, car le mariage Pétrus et rouget est diabolique. Il y a une résonance particulière, et le poisson donne de la "râpe" au vin. L'accord avec la tapenade donne de la truffe au vin.


Vincent qui a fait un service remarquable veut servir le Château Ducru-Beaucaillou 1934 en même temps que le Pétrus, mais ce serait de l'assassinat. Aussi est-il servi en deuxième lever de rideau. Une acidité très présente trahit un vin fatigué. Je suis content car l'un des nouveaux convives, amoureux des vins anciens, a pris le soin de "lire" le message du vin derrière l'acidité et a senti ce qu'il y avait d'authentiquement 1934 dans ce Ducru. C'est une belle évocation mais un vin fatigué. Il a bien réagi à la tapenade.


Lorsque mon nez se rapproche du verre qui m'est servi de Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983, c'est bien la première fois que des sels me feraient m'évanouir. Car ce vin, d'une année cataloguée elle aussi dans les petites, est diabolique de perversité. Capable d'une absence totale d'objectivité, je suis au bord du climax rien qu'en sentant ce vin. Quel grand vin ! Je me pâme. Le pigeon est d'une rare audace avec cette sauce verte d'une salade qui est la cousine montagnarde de la roquette. En tant que tel, le plat est passionnant. Avec le vin, cela devient très intellectuel. Le vin de la Romanée Conti est assez clairet. En bouche, la salinité du domaine s'expose avec évidence, comme si l'on suçait un galet frotté de sel. Le vin est merveilleux. Comme pour les bordeaux, j'ai fait servir avec un décalage le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966. Et contrairement à ce qui venait de se passer, le Volnay se place remarquablement bien et dans un moment fulgurant, il a délivré un message de roses rares, qui fut un pur ravissement. Ce flash instantané de roses pures m'a ému.


Un ami très cher, brillant amateur, est d'une dureté extrême envers le plat qui évoque le couscous. Et c'est vrai que le plat, sans viande pure et uniquement avec des farces, a du mal à trouver sa place dans ce repas. Mais je suis beaucoup moins critique que mon ami. Car la résonance s'est quand même faite avec le Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966 beaucoup plus raffiné que ce qu'on attendrait. C'est un vin simple et joyeux, jouant sa partition un ton au dessus de ce qu'il devrait. Ce vin naturellement plaisant nous a conquis.


Le comté de 36 mois est magnifique car il ne fait pas trop affiné. Le Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1966 crée un de ces accords dont on ne se lasse pas. Mais c'est du vin que je me suis un peu lassé, car il a joué "en dedans" de ce qu'il pourrait donner.


Alors que le programme prévoyait que l'on finisse sur l'Yquem, en goûtant les deux sauternes il m'apparaît qu'il faut commencer par l'Yquem et attendre avant de boire le Rieussec, dont les propriétaires, dans le passé, étaient les grands parents de l'un des convives.


Le dessert, alors que j'ai toujours peur des sorbets pour la préservation du palais, est idéal pour le Château d'Yquem 1978. C'est un Yquem plein et joyeux, mais comme pour le Bollinger de début de repas, je trouve qu'il ne joue pas au niveau qui est le sien. Et je pense qu'il faut aujourd'hui oublier d'ouvrir ce millésime qui connaîtra une vocation tardive. Je le vois bien suivre un parcours comme celui du Filhot 1935 maintes fois mis dans mes dîners, qui est éblouissant depuis qu'il a dépassé ses 60 ans.


Le plus jeune sauternes ne peut pas voler la vedette au Château Rieussec 1961 diabolique de séduction et d'un raffinement rare. L'Yquem est encore un jeune non encore décoffré, alors que le Rieussec est un Vert Galant. Tout en lui est élégance, avec des mangues, des fruits exotiques pleins son panier.


Le repas s'est passé dans les rires et nous avons le plus souvent été éblouis par la pertinence des accords. Il est temps de voter et ce n'est pas si simple. Nous sommes dix à voter pour cinq vins préférés.


Sur les onze vins, neuf ont eu des votes, ce qui me plait toujours, et je suis heureux que les fantassins, le Volnay ait eu quatre votes et le Chateauneuf-du-Pape ait eu trois votes. Encore un autre sujet de satisfaction, cinq vins ont eu des votes de premier, ce qui est assez extraordinaire et montre à quel point les préférences des convives sont liées à des multitudes de critères différents. Cela relativise les jugements péremptoires de gourous qui voudraient nous dire "la" vérité des vins. Le Rieussec a eu quatre votes de premier, le Salon et le Montrachet deux votes de premier, la Romanée Saint Vivant et le Volnay (eh oui !) ayant un vote de premier.


J'ai proclamé un peu vite les résultats en plaçant en tête le Rieussec aux quatre places de premier, alors que le Pétrus, qui n'a pas eu de place de premier a eu cinq places de second et trois places de troisième, seul vin à figurer dans les dix feuilles de votes.


Le classement du consensus serait : 1 - Pétrus 1983, 2 - Château Rieussec 1961, 3 - Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, 4 - Champagne Salon 1985, 5 - Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983.


Mon vote est : 1 - Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Pétrus 1983, 3 - Château Rieussec 1961, 4 - Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, 5 - Champagne Salon 1985.


Nous avons exploré de nombreuses régions de France avec des vins de grand prestige mais aussi des fantassins qui ont tenu leur place crânement. Le plus bel accord, pour mon goût, est celui de Pétrus et du rouget, qui est, on me le pardonnera, ma petite coquetterie. Les Saint-Jacques avec le Montrachet ont formé un accord très naturel alors que l'accord anguille et Salon est totalement excitant. La riquette avec la Romanée Saint-Vivant fait partie de ces audaces qu'il faut tenter.


Nous avons eu mille raisons de nous réjouir, dans une ambiance chaleureuse et souriante. Le service du restaurant Ledoyen est parfait. On s'y sent bien. Ce fut un grand dîner.

some pictures of my cellar vendredi, 11 mars 2011

The empty bottles of Yquem were organised by my son. I prefer when it is stored in a random way



he put together the Haut-Brion, but I prefer the inorganic storage which follows



There is a specific room for empty bottles. there is a 6L Lafite 90, a 6L Margaux 85, a 6L La Tâche 88



I made a "chapel" for the Cros Parantoux Henri Jayer



I made a "chapel" for Romanée Conti with in the middle a magnum of 45



I kept also the corks !



A big row of magnums of champagne



some full bottles standing : a collection of wines of Cyprus of the first half of the 19th century




Another view of empty bottles



At the beginning, the empty bottles were stored in a row like on this picture. But now I have much too many !

éblouissant déjeuner à l’Arpège jeudi, 3 mars 2011

J'avais devant moi une semaine sans repas. Ouf ! Le mercredi, Tomo m'appelle : "êtes-vous libre à déjeuner jeudi ?". Je le suis. Je demande ce que Tomo prévoit et lorsqu'il me dit que c'est pour déjeuner au restaurant Arpège, je suis "forcément" libre. Nous devons être trois et comme Tomo me dit qu'il va apporter trois vins, il est inutile que j'en rajoute.


Etant un peu en avance, j'ai le temps de regarder la carte des vins où les prix ne manquent pas d'oxygène. Tomo arrive avec ses trois vins. Il commence à faire soif. Comme le vin blanc pourrait être liquoreux, je demande à Gaylord de nous servir un des deux rouges, mais il précise que le vin en vendanges tardives s'est assagi et peut débuter le repas.


Nous buvons un Riesling Clos Sainte Hune Vendanges Tardives 1989 qui titre 14° qui s'est assagi et peut effectivement être un point de départ. Sa flexibilité pour les premiers pas du repas est assez spectaculaire. Etant habitués aux caprices créatifs du chef, nous décidons de nous laisser bercer. Lançons la gondole et laissons le gondolier nous chanter un "o sole moi" gustatif. Ce fut un parcours inouï dans le jardin créatif d'Alain Passard. Au moment de quitter la gondole, nous avions quinze plats au compteur. Une pure folie, à la sauce d'un vrai génie.


Nous commençons par trois petites barquettes avec des saveurs légumières. Quand on annonce trois préparations, mon cerveau ne capte pas les informations, aussi est-ce en aveugle que je déguste ces délicieux amuse-bouche. L'un des trois a du miel et provoque un accord vibrant avec le Clos Saint Hune que je trouve un peu plus évolué qu'il ne devrait l'être. Il est doré, au nez délicat, et sa bouche est agréable, fraîche, sans trace de sucre. Un vrai délice.


Le plat suivant est "l'œuf parfait à la truffe noire, Parmiggiano reggiano", et contre toute attente, puisque l'œuf n'est pas un ami des vins, l'accord est probablement le plus génial de ce repas. Il y a dans l'œuf un fumé de feu de cheminée qui capte les saveurs carrées du riesling langoureux.


A une table voisine, un couple s'installe et une jeune femme d'une invraisemblable beauté est en biais sur ma gauche. Cette situation me rappelle les nombreuses remontrances de mon épouse lorsqu'une jolie femme est assise à une table voisine. La question "es-tu toujours là ?" fuse souvent. J'imagine volontiers que Tomo qui me fait face a dû se demander pourquoi je le regardais de biais. Lorsque j'ai entendu que l'on parlait russe à cette table, je me suis dit que le caviar n'est pas le seul produit de luxe de ce merveilleux pays.


Le sushi de légumes au bœuf séché est d'une grande originalité. Ça japonise, mais ça traditionnalise aussi. Et le Sainte-Hune aime ça. Nous constatons la flexibilité de ce vin. Vient ensuite un carpaccio de coquilles Saint-Jacques et radis "Green Meat' au thé vert matcha. Sur ce plat, on sent que le chef crée sans penser au vin. Le radis est ferme et amer, et c'est avec la coquille seule, ointe de thé vert, que l'accord est possible sans réveiller le vin.


Nous commençons à goûter les fines ravioles de canard au beurre noisette avec le vin blanc, un riesling éblouissant de flexibilité, mais il apparaît très vite qu'il faut aller vers le vin rouge.


Le Vosne Romanée Les Beaux Monts domaine Leroy 1998 me frappe instantanément par deux aspects. D'une part il est incroyablement velouté et soyeux et de l'autre, il est beaucoup plus évolué que son âge. On me dirait 1978, je ne refuserais pas l'idée. Nous avons envie de goûter l'autre rouge, mais nous avions vu que Gaylord faisait la grimace quand il l'a ouvert. Le Vosne Romanée Les Beaumonts domaine Charles Noëllat 1983 a hélas un nez lourdement imprégné de bouchon, et même si en bouche il est acceptable, sa signature sèche interdit qu'on s'y intéresse. Tomo nous avait annoncé que les deux vins sont de la même appellation. L'analyse orthographique montre que les beaux monts ne sont pas les mêmes pour les deux.


Comme il faut bien deux vins rouges pour suivre le parcours culinaire, je choisis sur la carte un Chambolle Musigny "les Amoureuses" Domaine Comte Georges de Vogüé 2001. Il n'y a pas plus dissemblables que les deux rouges qui restent en lice. Le Vosne est dans le velours. Le Chambolle est dans la folle acné de l'impubère. Il est jeune, tout boutonneux, mais il promet beaucoup. Et selon les plats, il saura tenir sa place de jeune fou délicieux. Sur la raviole, c'est le velouté du Vosne qui tient la rampe.


Le sabayon fumé velouté de topinambour et cacahuètes est un exercice de style charmant. Aucun des vins ne s'émeut. La salade de poulpe à la vanille, en revanche, est capable d'exciter le Chambolle, si l'on met de côté la betterave rouge, repoussoir de tous les vins.


Le soufflé de pommes de terre au corail de homard est un plat transcendantal. Voilà de la cuisine de génie et les deux vins rouges y trouvent leur compte, surtout le Chambolle.


Qui parierait un kopeck - disons un rouble en pensant à la beauté de la table voisine - sur un accord possible d'encornets et cochon, grillés au consommé radis et pomme, avec les vins rouges. Eh bien, changeons de manuel, car c'est le consommé absolument génial qui va tirer des deux vins rouges des accents de génie. C'est du grand art, sans doute involontaire, puisque le chef crée sans penser au vin, mais j'ai trouvé dans ce consommé un excitant des vins de première grandeur.


Le plat suivant est un homard des îles Chausey au corail, pommes de terre fumées, qui est absolument divin. Il se suffit à lui-même tant il est délicat. La sauce crémée est remarquable. C'est ainsi que l'on prend conscience de ce que c'est qu'être un chef trois étoiles.


Vient ensuite une Robe des champs multicolores, "Arlequin", et fine semoule à l'huile d'argan. C'est paradoxalement la semoule qui excite le Chambolle. Comme il fait soif, tant la perspective de la fin du voyage paraît reculée, je commande un Champagne Krug 1998. L'hésitation de Tomo me pousse à dire que j'offrirai ce champagne car je ne veux pas provoquer de regrets.


Avec le saint-pierre grillé entier et Lime, avec une crème de carottes fumées au feu de bois, le champagne se montre plus généreux que ce que j'aurais imaginé. Il a une maturité que je ne lui connaissais pas. Le poisson est délicieux et charmant. La pintade aux choux cuite à l'étouffée est accompagnée de choucroute qui s'harmonise bien au Krug.


L'accumulation des bouteilles et des verres, puisque je forme un rempart de mon corps pour qu'aucun verre ne quitte la table fait de nous la risée des charmantes serveuses de ce restaurant. L'une d'entre elles vient découper de fines lamelles d'un Comté millésimé 2007 et d'un salers de belle taille qui se marient divinement au champagne à la bulle forte qui profite bien d'avoir été décanté.


Un millefeuille aussi long qu'un TGV trônant sur une table, il est exclu que nous ne prenions pas le train en marche. Il est tout simplement divin. Des marrons chauds, choux à la crème de marron, chantilly et raifort mettent une touche finale à notre excès.


Alain Passard est un créatif. Il nous a emmenés "à l'aveugle" dans un parcours dont nous ne savions rien. J'adore quand la gondole serpente ainsi sur des saveurs osées. Il est clair que plus de la moitié des plats n'acceptent pas de vins. Il suffit que les autres sachent vibrer pour que le plaisir soit total. Le service est aérien, jeune et enjoué. Alain est un homme chaleureux. Quand nous avons constaté sur nos additions que le repas avait été offert par lui, que dire de plus, sinon merci ?

déjeuner au restaurant Michel Rostang avec des surprises vendredi, 25 février 2011

Plus ça va, plus j'adore l'imprévu. Et il faut bien convenir que le vin est un vecteur d'imprévu. J'invite à déjeuner un ami au restaurant Michel Rostang. Etant en avance, j'ai le temps de regarder la très riche carte des vins où il y a bien sûr des icônes directement intouchables, mais aussi de beaux vins accessibles. Je choisis un Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006.


Le vin m'est servi par le très compétent sommelier et je dois à la vérité de dire que si je buvais le vin à l'aveugle, je dirais "intéressant", ce qui signifie : "bon alors, où est-il, le message de ce vin?". L'image qui me vient est celle des fantasmatiques mannequins qui présentent les sous-vêtements de Victoria's Secret. Sous un anorak de ski, leur charme est moins évident. Le Clos de Bèze, pour le moment, c'est ça.


Mon ami arrive, peu après que quatre américains se sont assis à la table voisine. Les petits amuse-bouche sont délicats et réveillent le chambertin. A la table voisine je vois comment l'américain qui me tourne le dos commente les vins avec le sommelier, et je me dis : "voilà une table où l'on aime le vin". Quand arrivent à leur table un Montrachet domaine Ramonet 1999 ainsi qu'un Chassagne Montrachet dont je ne reconnais pas le domaine à cette distance, mon impression se confirme.


L'entrée est une terrine de joue de bœuf tout à fait sympathique mais qui ne sait pas émouvoir le vin de Bourgogne. L'américain, appelons-le Murray, se tourne vers moi et dit : "oh, Armand Rousseau, ça c'est un grand vin". Comme dans une pièce de théâtre dont on connaît les répliques, je lui dis : "Montrachet Ramonet, ce n'est pas mal non plus". Et, sans attendre la prochaine réplique, je lui dis : "je vous ferai porter un verre du Chambertin". La réponse, telle qu'elle est écrite dans le livret est : "si vous voulez goûter le Montrachet, ce sera un plaisir de vous en faire porter aussi". Le français étant facétieux, la suite du dialogue est : "si je vous l'ai proposé, c'est aussi pour susciter cette réciprocité".


Lorsque Murray se lève pour regarder le millésime de l'Armand Rousseau, il me glisse : "vous savez, j'ouvre toutes mes bouteilles avec votre méthode". Je ne suis pas sûr qu'il m'ait spontanément reconnu. Un bon maître d'hôtel, ça sert aussi à ça.


Notre plat de résistance arrive, une poitrine de porc à la sauce réduite, qui propulse le chambertin à des hauteurs insoupçonnées. L'accord est divin, et le vin d'une rare subtilité, d'une couleur rose framboise, d'un parfum délicat, devient un chambertin de première grandeur, traduisant le talent de la vinification d'Eric Rousseau. C'est un bonheur. Il est serein, affirmé, élégant et subtil. On sent qu'il est encore une fleur en bouton, mais il est joliment ingambe. Sa subtilité est confondante et j'adore le style Armand Rousseau.


J'apostrophe Murray, lui disant qu'il est absolument indispensable qu'il goûte une portion de mon plat sur le verre que je lui ai fait porter. Je demande au talentueux et sympathique maître d'hôtel qu'on fasse une petite portion de ce plat pour Murray. Mais la cuisine considère ce porc comme un atome, au sens grec du terme qui veut dire : insécable. C'est donc un plat entier qui arrive devant Murray, alors que son menu a été calibré pour les blancs.


Pendant ce temps, j'essaie le Montrachet domaine Ramonet 1999 sur la poitrine de porc, et l'accord est aussi brillant, même si le plat appelle plutôt le chambertin. Le vin blanc est magistral, riche, moins sans doute que le Montrachet du domaine de la Romanée Conti de la même année, mais il est franchement épanoui et grand. Il diffère du chambertin qui est encore un jeunet impubère. Le Ramonet est déjà un adulte en pleine possession de ses moyens. Le seul qualificatif qui lui convient est : grand.


Murray goûte le chambertin et constate à quel point la poitrine de porc donne une dimension extrême au vin. A la table des quatre américains, arrive un Hermitage Les Bessards Delas 1999. Et, par une reconstitution d'un sympathique D-day, deux verres de l'Hermitage sont parachutés sur notre table. Le vin est comme un quadrupède qui aurait une patte en l'air. Il est intéressant, juteux, mais il manque objectivement d'équilibre.


Le soufflé au chocolat amer est trop lourd pour accompagner des vins, aussi l'écartons-nous. Mon ami s'éclipse assez vite, voyant l'aimantation que représente la table des américains pour moi.


Avant même son départ je m'installe à la table des quatre et je fais ouvrir un Chateauneuf-du-Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 1999. Pour la petite histoire, ayant découvert grâce à un forum un petit film sur Henri Bonneau, j'ai eu la curiosité d'acheter ce vin chez un caviste. Ayant acheté une caisse de douze de ce vin que je ne connais pas, dans cette cuvée et dans cette année, l'occasion fait le larron. Nous trinquons, les quatre américains et moi, et ce vin me conquiert immédiatement. Quel pouvoir de séduction ! J'ai gagné sur deux tableaux : j'ai fait plaisir à ces mordus de vins, et j'ai vérifié qu'en achetant chat en poche, j'avais fait une bonne pioche. Le vin a un équilibre joyeux redoutable. C'est un vin de séduction au charme naturel.


Nous bavardons et bavardons. Le sommelier nous dit au revoir. L'après-midi est largement entamé quand nous nous quittons avec la promesse de nous revoir.


Il n'y a que le vin pour créer de telles amitiés spontanées. La cuisine de Michel Rostang est solide et extrêmement précise. Les plats sont remarquables. Michel n'était pas là mais Caroline sa fille est venue me saluer. Voilà un bien beau repas, riche d'imprévu.

144ème dîner de wine-dinners – les vins mardi, 22 février 2011

Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982



Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943



Château Laville Haut-Brion blanc 1943



Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000



Château Palmer margaux 1959 (le millésime est très difficile à lire mais c'est bien 1959)



Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918 (on note la fraîcheur de la capsule)



La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 (de retour de Sainte Hélène !!!! )






Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990



Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964



Château d'Yquem 1967


144ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent mardi, 22 février 2011

Le 144ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Les bouteilles sont remontées de la cave de Taillevent après avoir été mises debout la veille. Je commence les ouvertures à 17 heures. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 a un bouchon extrêmement serré qui demande une force herculéenne pour l'extirper. L'odeur est puissante et d'une jeunesse folle. Le soufre et le pétrole envahissent le nez. Le vin devrait être une bombe d'arômes. Le Laville Haut-Brion 1943 a une couleur un peu gris vert. Je n'avais pas remarqué un détail qui compte : le verre de la bouteille est bleu, comme pour les années de guerre, par manque de plomb. Et ceci explique la couleur du vin. Le bouchon est magnifique et sort entier. Le parfum est riche et les arômes d'agrumes abondent. Il semble d'une grande subtilité. C'est un vin riche au nez.


Le Palmer 1959 a un beau bouchon. Le nez est impérial, fidèle à la réputation du margaux. Le haut du bouchon du Haut-Brion 1918 est poussiéreux et sent la terre. Le bouchon se brise en trois morceaux mais tout se lève avec mes outils miraculeux. Alors que je suis seul dans la belle salle qui va abriter notre dîner, voilà que je me mets à parler. "Ça c'est sublime" sort instantanément de mes poumons, car le parfum du vin est quasi irréel. Il est tout en fruits rouges subtils.


Les bouchons des deux bourgognes sont parfaits, celui de La Tâche 1986 étant d'un diamètre plus grand. Il n'y a rien de plus dissemblable que les fragrances de ces deux vins. La Tâche 1986 est toute en subtilité gracile et gracieuse. Alors que le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 est tout en muscles, ce qui n'exclut pas le raffinement.


Les bouchons des deux sauternes sont sans histoire car il s'agit de jeunots, et à mon étonnement, il y a une grande similitude entre les nez du Rayne-Vigneau 1964 et de l'Yquem 1967. Le plus vieux est un peu plus simple, mais les deux jouent sur des registres très proches, dans les mêmes gammes d'arômes, ce qui va me pousser à les faire servir ensemble, très probablement.


Alain Solivérès souriant vient me présenter Matthieu Bijou, le nouveau pâtissier, dont j'avais appris l'arrivée par la presse. Il est jeune mais déjà très affirmé et me présente les mignardises qui pourraient accompagner les liquoreux. Il revient sans cesse me faire goûter de nouveaux essais. Tout semble en ordre. Il me reste à attendre mes amis.


Dans la salle de l'étage que je considère comme la plus belle de Paris, nous sommes onze dont neuf buveurs, car deux jolies femmes ne boivent pas. C'est un diner d'habitués puisque seules deux personnes n'avaient jamais participé à l'un de ces dîners.


Le menu créé par Alain Solivérès est : Huîtres Ecailles d’Argent en gelée d’eau de mer / Epeautre du pays de Sault en risotto au homard / Suprême de volaille de Bresse rôti, salsifis truffés / Pigeon de Racan en chausson feuilleté, fois gras et chou / Mignon de Veau du Limousin, légumes d’hiver caramélisés à la truffe noire / Duo de roquefort, marmelade d’orange / Pomme fondante et saveurs confites. Ce repas classique n'exclut pas les audaces d'un chef au registre solide et rassurant. C'est exactement ce qui convient à des vins de première grandeur.


Le Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982 est d'un bel or clair qui est signe de jeunesse. La bulle est très active et le vin montre à la fois des signes de grande jeunesse mais aussi de maturité. Il est épanoui, assis, avec des notes de fruits compotés mais c'est aussi un champagne de soif, car il glisse allégrement en bouche. Prévu pour l'apéritif, il accueille de goûteuses gougères et sera puissamment fouetté par l'huître à l'iode envahissant.


Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943 et d'un ambre rosé, et je précise que le champagne n'est pas rosé. La première gorgée a une légère trace poussiéreuse qui s'estompe très vite, et le champagne à l'exacte température développe la complexité de ses arômes dans les fruits rouges et roses. L'huître est tellement typée qu'on pourrait craindre un rejet du champagne, mais en fait, quand le palais s'habitue, l'huître, qui convient mieux au Bollinger au premier abord, élargit et étoffe le 1943 par une compensation que je n'aurais pas imaginée.


Le Château Laville Haut-Brion blanc 1943 est l'un des deux blancs associés à l'épeautre. C'est lui qui profite le plus de l'association avec la sauce réduite du plat. Une des convives, experte en vins, soupçonne que j'ai placé le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 pour mettre en valeur le 1943, tant le bourguignon est d'une jeunesse folle, débridée, aux parfums brutaux de son âge mais à la bouche policée et joyeuse, car il respire la rondeur. Le Laville est parfait, et c'est un régal sur le plat, l'accord étant un des plus beaux du repas. Son or est brillant et épanoui, formant dans le verre un contraste saisissant avec la couleur du vin dans la bouteille bleue. Son parfum est raffiné, et en bouche, son élégance est éclatante, faisant dire à certains que ce Laville surpasse beaucoup de Haut-Brion blancs. Nous sentons tous l'importance de cette rencontre avec un vin de 67 ans.


Si l'association des deux blancs se justifiait, puisqu'aucun ne faisait de l'ombre à l'autre, le Château Palmer Margaux 1959 impérial et glorieux va mettre un peu d'ombre à un vin qui sait se défendre, le Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918. Ce qui frappe d'emblée, c'est la couleur des deux vins. Le Palmer est d'un rouge sang d'une rare pureté, et le Haut-Brion est d'un rouge plus noir, plus concentré. Aucun des deux vins n'a la moindre trace de tuilé. Au nez, ma préférence va au Haut-Brion, qui a conservé la fraîcheur de fruits rouges et noirs. En bouche, le Palmer est parfait, sans le moindre défaut, plein d'un équilibre exceptionnel. Il est à fois juteux et racé. Sa profondeur de trame est un modèle. La question s'est souvent posée : est-ce 1959 ou 1961 qui est le meilleur des Palmer ? Il y a vingt ans, je répondais 1959 et une confrontation des deux millésimes faite à l'académie des vins anciens a donné l'avantage au 1961. Cette bouteille va faire pencher le balancier vers 1959, sauf preuve contraire à provoquer très vite.


Le Haut-Brion 1918 serait adoré s'il ne cohabitait pas avec le Palmer. Car on accepterait sans hésiter sa trame parfaite, son goût truffé, sa profondeur, s'il n'avait à ses côtés un vin qui chante plus fort que lui. J'ai adoré ce vin car il est rare aujourd'hui d'avoir des témoignages de cette année de fin de guerre aussi brillants que celui-ci, car nul ne pourrait trouver le moindre défaut à ce beau Haut-Brion de 92 ans.


La volaille est copieuse, trop copieuse même, et son accord le plus pertinent est avec les vins blancs précédents, pour ceux qui avaient eu la prévoyance d'en garder. Pour les bordeaux rouges, l'accord n'est que poli.


La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 a un nez d'un raffinement extrême. Ce parfum me fait fondre de bonheur, car il allume toutes les lampes qui évoquent le domaine que je chéris tant. On sent le sel que j'aime dans les vins du domaine. Le pigeon est parfait pour tirer tous les accents subtils de ce vin raffiné, séducteur, qui cumule les œillades, les petits coups d'éventail et les mouchoirs parfumés pour mieux nous attirer. Je me régale avec ce vin très représentatif d'un domaine de la Romanée Conti qui séduit, ce qui n'est pas toujours le cas, quand la rigueur académique prend le dessus.


J'avais expliqué à mes amis que j'ai déjà bu tous les vins de ce dîner, sauf un, celui qui va venir. C'est dans ce millésime que je ne l'ai pas bu, je n'en ai qu'un seul exemplaire, celui-ci. J'en attends énormément, et je leur fais part de mon inquiétude créée par le fait que l'odeur de La Tâche était plus excitante à l'ouverture.


On me sert en premier un verre du Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990. Comme je suis incapable de maquiller mes sentiments, toute la table voit éclore un large sourire sur mon visage : ce vin est parfait. Au nez je le voyais très différent de La Tâche, mais en bouche, je retrouve des notes salines très proches. Cela peut paraître lancinant de lire que je trouve tant de vins parfaits, mais il faut convenir que ce soir, le tir groupé est assez exceptionnel. Et ce chambertin est absolument parfait. Il est même réconfortant, tant on a du plaisir à savoir le lire. Quel beau vin, serein, joyeux, pertinent. Je suis aux anges devant un tel équilibre serein qui pianote ses charmes à chaque instant. Le mignon de veau est divin et exactement ciblé pour le chambertin, mais nous avons été tellement gâtés par des quantités gargantuesques, que nous sommes prêts à rendre l'âme.


On me fait goûter les deux liquoreux, et contrairement à l'idée esquissée il y a sept heures, ils seront servis décalés, car le second pourrait faire de l'ombre au premier. Le Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964 est riche et joyeux. Son or est acajou clair, son nez est puissant et il apprécie la marmelade d'orange qui accompagne deux roqueforts. Ce vin rassurant et juteux est sans histoire, naturellement agréable.


Le dessert conçu par Matthieu Bijou est idéal pour le Château d’Yquem 1967. Tout le monde attendait cet Yquem dont la réputation est prestigieuse. Il est grand, au parfum plein, à l'or idéalement bronzé. Il est beaucoup plus subtil que le précédent, mais, est-ce la fatigue due à l'heure tardive, je n'ai pas l'émotion que ce sauternes magistral devrait créer. C'est un grand Yquem un peu scolaire. Il est bien, mais ce soir, pas dans mon Panthéon.


Les mignardises mises au point avant le repas sont d'une grande justesse. Le macaron à la vanille de Tahiti que Matthieu a tenu à ajouter va beaucoup mieux avec le cognac tentateur de Taillevent qu'avec l'Yquem.


Il est l'heure de voter et sur les dix vins, huit figurent sur au moins trois feuilles de votes. Trois vins seulement ont eu des votes de premier. Le Château Palmer Margaux 1959 quatre fois, le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 aussi quatre fois, et le Château Haut-Brion Graves 1918 une fois.


Le classement du consensus serait : 1 - Château Palmer Margaux 1959, 2 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 3 - Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 4 - Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 5 - Château d’Yquem 1967.


Mon classement est : 1 - Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 2 - Château Palmer Margaux 1959, 3 - Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 4 - Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 5 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986.


Le fait marquant de ce repas, c'est le niveau qualitatif des vins. Non seulement aucun ne fut faible ou fatigué, mais en plus on ne pourrait dire d'aucun qu'il eût pu être d'une meilleure présentation. Ajoutons à cela une cuisine sereine et pertinente. Le service est d'une extrême qualité et sait être présent quand il le faut comme le montre cette anecdote : un ami affirme que tout collectionneur de vins doit avoir cassé au moins une fois une bouteille de valeur. Il raconte son anecdote et je lui signale que c'est une bouteille cassée de Margaux 1900 qui fait la couverture de mon livre. Cet ami proche n'avait jamais vu mon livre. Quelques minutes plus tard, l'un des serveurs apporte à notre table une photocopie de la couverture du livre. On savait que Taillevent a le meilleur service du monde. En voici une preuve de plus, sans oublier les performances de Jean-Claude, Diane, sommelière attentionnée, et toute l'équipe.


Le dernier point à signaler, c'est l'ambiance joyeuse et souriante d'un groupe de passionnés qui se retrouveront bien vite à cette table ou à l'une des autres belles tables de Paris.

repas au Laurent – photos jeudi, 17 février 2011

Les vins du dîner



Les deux champagnes de début



Champagne Mumm Cordon rouge 1979



Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945




Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70



Château Latour 1971



Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945



Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 (on note la couleur du verre de la bouteille)



Champagne Dom Ruinart rosé 1988



Les bouchons. On remarque la différence entre le bouchon du Latour et de la Romanée, alors qu'une seule année les sépare


On voit sur la photo de droite la graisse que j'ai remontée à la curette, le long du goulot, par les traces que j'ai laissée sur la coupe




Les plats du dîner (on note la truffe abondante)





Les verres et les bouteilles vides



Notre sympathique groupe en fin de repas


repas d’amateurs au restaurant Laurent jeudi, 17 février 2011

Des amateurs écrivant sur un forum de vin ont souhaité partager des vins avec Jean-Philippe et moi. Pourquoi pas ? Le vin, c'est le partage et la convivialité. Pour que l'expérience soit aussi un plaisir, elle aura lieu au restaurant Laurent, car ici, on sait que c'est une équipe qui gagne.


Pour les vins que j'ai annoncés, Philippe Bourguignon a prévu le menu suivant : amuse-bouches / toast melba aux truffes noires / Coquilles Saint-Jacques poêlées, lard fondant et blettes au jus / Carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, rognon poêlé en persillade, pommes soufflées « Laurent » / « Fregola Sarda » truffée / Caille dorée en cocotte, rôtie aux abats, côtes de céleri mitonnées aux olives noires / Crème légère de pamplemousses roses litchis dans une cristalline / Café, mignardises et chocolats.


J'arrive peu après 17h30 au restaurant pour ouvrir les vins. Il n'y en a que trois, car nous avons fait la part belle aux champagnes avec ces amoureux des champagnes. Le Latour 1971 a un bouchon magnifique, plein et souple qui vient d'une seule pièce. Le nez est prometteur. Je sens que nous allons nous régaler. Le bouchon du Larcis Ducasse 1945 sort un peu trop facilement, alors que le niveau du vin dans la bouteille est excellent. Comme dans les carottages des géologues, on voit nettement trois parties. Le tiers du haut est très sec, poussiéreux, rétréci. Le petit tiers du centre est d'un bouchon normal, souple. Le grand tiers du bas est noir et gras. Le vin ne sent pas bon. Il faut laisser du temps au temps, et se garder de tout diagnostic.


La bouteille de la Romanée Saint Vivant 1972 est verte comme les bouteilles de guerre. Le haut du bouchon, sous la capsule, sent la terre, comme cela arrive avec les bouteilles du Domaine de la Romanée Conti. Le bouchon se brise en plusieurs morceaux en montant, mais sort entier, à part un morceau collé à la paroi, que je lève avec une curette. Le bouchon est en deux parties. Le haut est plutôt sec. Le bas est incroyablement noir et gras, et tout le goulot est gras et noir. Il me faut longuement nettoyer ce goulot très sale. L'odeur est terreuse et colle au vin. Sera-t-il encore malade quand ce sera son tour ? L'évolution semble rapide. Attendons.


Un des convives arrive, et après trois quarts d'heure de discussions, il fait soif. Nous commandons un Champagne Krug Grande Cuvée en demi-bouteille qui joue comme un appeau car les autres convives arrivent et peuvent trinquer avec nous sur ce joli champagne au goût beurré et laiteux, très précis et noble.


Nous prenons à l'apéritif le Champagne Mumm Cordon rouge 1979, dans le joli salon rond qui sert d'antichambre au restaurant. Le champagne est d'un jaune encore pâle. La bulle est belle et fine. Le nez est marqué pour moi par une poussière certaine, mais ce sont sans doute les premières gouttes au contact du goulot qui entraînent de petites particules laissées par le bouchon. En bouche, on ne sent aucun défaut et nous sommes même surpris de la précision du champagne, d'une belle acidité. Il est très équilibré, droit, de belle tension et sur un akra d'agneau aux épices douces, il se place très bien. C'est agréable de constater que Mumm Cordon Rouge puisse atteindre ce niveau.


Nous passons à table et nous commençons par le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945. J'avais encensé ce champagne ouvert lors d'un dîner au château d'Yquem. Sera-t-il aussi bon ? Le bouchon est sorti entier et il sent bon. Dès qu'on me sert le premier verre, je sais que c'est gagné. La couleur est d'un bel ambre doré, la bulle est invisible. Le nez est noble, doucereux. En bouche, c'est un festival de complexité. Il va changer tout au long de sa dégustation, s'épanouir, et changer en permanence de complexité. Pour qui aime les champagnes anciens, c'est la réalisation d'un rêve, car 1945 est une année de parfaite réussite. Les fruits sont jaunes et orangés, la bulle absente n'empêche pas le pétillant. L'accord avec les toasts à la truffe abondante est un accord de mise en valeur, mais sans réelle interpénétration entre le plat et le champagne.


Le Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70 dont l'étiquette de commercialisation est celle qui fut en vigueur de 1978 à 1982 a un bouchon très droit, déjà complètement chevillé, de belle qualité. Comme il reste encore du 1945 dans nos verres, nous pouvons nous livrer à un exercice intéressant : le Krug, d'un jaune ambré et doré aussi prononcé que le 1945, à la bulle forte et envahissante, lorsqu'il est bu sur la coquille Saint-Jacques et lorsqu'il est suivi du Moët, met en valeur le Moët d'une façon spectaculaire. Et l'on constate ainsi que la complexité du 1945 dépasse celle du Krug. Ce champagne à la bulle puissante est un beau champagne évolué et ancien, qui s'écarte un peu de l'ADN de Krug. Il est extrêmement riche et plaisant, mais n'a pas la flamboyante imagination du Moët & Chandon, champagne d'immense talent.


L'apporteur du Château Latour 1971 nous raconte les conditions d'acquisition de cette bouteille et on peut le féliciter d'avoir fait une aussi bonne pioche, car ce Latour est tout simplement parfait. Quand je bois ce vin, je suis au paradis. Et nul n'est besoin de disséquer ce breuvage, car il a tout pour lui. Il est merveilleusement velouté, soyeux, équilibré et riche, au final inextinguible, et aussi bien le carré d'agneau que les pommes soufflées lui vont comme un gant. Ce vin est d'un plaisir incommensurable. Vaut-il 100 points Parker ? Je ne le crois pas, mais il est à un rare niveau de perfection, confirmant la pertinence de son millésime.


Qui dirait qu'avec le Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945 nous allons encore plus loin ? La couleur est d'un rouge du plus beau rubis, d'une jeunesse extrême. Le nez est la pure définition du saint-émilion parfait et aucune trace d'imperfection ne subsiste. Et en bouche ce vin n'est que plaisir. Il est en féminin ce que Latour est en masculin. Son charme est infini. J'avais envie d'apporter deux 1945 pour montrer les ressources extrêmes de cette année. Je ne m'attendais pas à ce que ce Larcis-Ducasse se montre aussi brillant. Un grand vin de grande mâche, plein et très saint-émilion. Un pur bonheur.


Ayant raconté les odeurs affreuses de la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 à Jean-Philippe, il a bien peur de ce qui va se passer avec le vin qu'il a apporté, d'autant que le bouchon posé sur table a une odeur insupportable. Alors ? Dès que je sens le premier verre qui m'est versé, c'est un large sourire qui barre mon visage : tous les défauts olfactifs ont disparu. C'est la magie de l'oxygénation lente, docteur miracle de tant de vins. Pour les trois convives que je ne connaissais pas il y a quatre heures, c'est leur première incursion dans le monde de la Romanée Conti, et ils ont la chance de démarrer par un vin qui représente toute la subtilité du domaine. La couleur est plus pâle que celle des bordeaux, le nez est d'un charme sans pareil, le charme du pinot noir. En bouche, le vin est tout en subtilité avec les belles notes salines que j'adore. Joliment fruité et délicat, ce vin au charme fou est envoûtant. Sur les cailles, c'est un bonheur.


Le Champagne Dom Ruinart rosé 1988 est un joli champagne rosé, très classique, élégant, mais qui ne m'entraîne pas dans le rêve que m'ont apporté les autres vins.


Nous ne votons pas formellement, parce que l'heure est tardive. C'est assez délicat pour moi de mettre en premiers mes deux vins, mais je crois qu'ils le méritent. Aussi mon vote sera : 1 - Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945, 2 - Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945, 3 - Château Latour 1971, 4 - Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70 ex aequo avec la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972.


La cuisine d'Alain Pégouret est rassurante, avec des saveurs qui embellissent les vins. Les trois jeunes convives, jeunes parce qu'ils sont à peine sinon point encore trentenaires, sont de vrais amoureux de vins, la seule femme de notre table ayant autant de passion que les autres.


C'est amusant de constater que lorsque des contacts virtuels sur un forum se transforment en contacts réels, la passion commune crée instantanément des liens forts. Ce fut une belle soirée d'amateurs enthousiastes et compétents. Les vins furent tous grands et de haut niveau. Ce dîner fait partie des moments qui comptent.

dîner à l’Abbaye des Vaulx de Cernay vendredi, 11 février 2011

C'est grâce à Jean-Philippe, le "cooking doctor" souvent évoqué dans mes écrits que j'ai fait la connaissance d'un amateur de vins à la culture vinique assez exceptionnelle. C'est lui qui pour ses cinquante ans avait réuni quelques amis autour de grands vins, dont une Romanée Conti 1981 superbe. Nous nous sommes rencontrés peut-être une quinzaine de fois, mais j'ai chaque fois l'impression, quand nous dégustons des vins ensemble, que nous sommes des amis de toujours. Luc se marie et le dîner se tient à l'Abbaye des Vaulx de Cernay. L'immense ensemble de bâtiments cisterciens est d'une beauté à couper le souffle. Dans une grande salle voûtée aux enfilades d'arches gothiques en nombre quasi infini, nous sommes près de 200 à célébrer en toute amitié les futurs époux.


L'apéritif se prend avec le champagne de l'association "Les Hôtels Particuliers" dont les propriétaires du lieu font partie. C'est un champagne Delamotte non millésimé fort agréable lorsqu'il est frais, car la grande salle est surchauffée. Je retrouve de grands amateurs de vins avec lesquels j'ai bu de belles bouteilles. Notre table est plus qu'éclectique, ce qui permet des échanges riches.


Le menu est : foie gras de canard au caramel de noisettes, gelée d'agrumes, pain fusette, salade d'herbes / filet de bar poêlé, croustillant de légumes, sauce saté / selle d'agneau rôtie, polenta crémeuse aux tomates séchées, jus à l'ail doux / fromages affinés / l'Automnal (mousse marron et caramel, pommes caramélisées, éclats de nougatine aux noix) et le Suspens (mousse chocolat noir, crémeux chocolat, gelée de fruits exotiques, biscuit chocolat et noisette).


Dans un lieu consacré aux réceptions en tous genres, on ne s'attendrait pas à une telle qualité de cuisine. Le bar est excellent, l'agneau goûteux. Tout est copieux et bon. Le Vouvray demi-sec Domaine La Navire 1989 est assez étrange, montrant des signes d'évolution plus marqués que son âge, légèrement ambré. Enigmatique, avec un léger aspect fumé il se marie très bien au foie gras.


Le Sancerre Cuvée Edmond Vieilles Vignes Domaine La Moussière Alphonse Mellot 1997 m'est d'abord versé dans le verre de Vouvray, ce qui donne un goût étrange. Lorsque le vin est servi pur, je suis encore troublé par la confusion, aussi mon appréciation n'est pas pertinente.


Le Château Cheval Blanc 1985 est servi aux quelques tables où Luc a regroupé ses amis amateurs de vins. Quel cadeau ! Le nez est superbe. On sent la richesse, la complexité, l'exubérance, la force. Instantanément, on s'installe au plus haut niveau. La bouche est belle, mais je dois dire moins impressionnante que le nez quand on boit le vin seul. C'est avec la selle d'agneau rôtie magnifiquement exécutée que le vin prend son envol. Il a tout : charme, élégance, complexité, précision, des aspects de truffes, de réglisse, d'anis. Sa longueur est grande et élégante. Sa densité est superbe. C'est une des plus grandes réussites de sa décennie. Un vin pour lequel on ne se pose pas la question de savoir s'il mérite sa place dans la hiérarchie des vins de Bordeaux, car il est au sommet.


Le Sancerre revient avec les fromages et là il n'y a plus de doute : c'est bien un Sancerre, agréable, juteux et joyeux, bon compagnon de fromages crémeux. Le Champagne Alfred de Rothschild rosé 1981 est très agréable, plutôt strict, et ce qui me plaît, c'est justement qu'il ne cherche pas à plaire. Il cultive des énigmes que j'aime déchiffrer et accompagne avec bonheurs les beaux desserts.


Notre ami nous a traités de façon royale pour son mariage où l'émotion et l'amitié avaient une belle part.