voyage au Japon – suite lundi, 22 novembre 2010

Pour avoir le récit dans l'ordre du voyage au Japon il est conseillé de lire d'abord ici



20/11/2010 - arrivée à Fukuoka et dîner au restaurant Izumi, spécialiste de fugu


Nous quittons l'hôtel de Kyoto. Un taxi dont le chauffeur a, comme tous les autres, des gants blancs, se distingue par une casquette aussi décorée que celle d'un amiral. Il nous conduit à la gare de Kyoto qui est noire de monde. On parle souvent de la décroissance démographique du Japon. A voir le nombre de collégiens qui se pressent partout et en masse à la gare, on se dit qu'il y a encore des réserves dans ce pays. Le train à grande vitesse est extrêmement silencieux et équilibré. Une jeune femme nous offre des serviettes rafraîchissantes et passe toutes les dix minutes ramasser d'éventuels déchets ou papiers d'emballages. Peut-on imaginer cela en France ?


A Fukuoka, terminal du train, la foule est aussi immense. Un "jumbo taxi", car Tomo a prévu large pour nos bagages, nous attend avec une ponctualité très japonaise. Tomo a une faculté pour engager la conversation avec tous les chauffeurs que nous avons utilisés qui est assez remarquable. Il lui demande des précisions sur les programmes de combats de Sumo auxquels nous assisterons demain.


Nous arrivons à l'hôtel Grand Park Hyatt de Fukuoka qui est une ruche invraisemblable. Il faut dire que l'hôtel est accolé à un gigantesque centre commercial. Le contraste avec notre hôtel champêtre de Kyoto est saisissant. On retrouve dans cet hôtel l'accueil très international bien rodé. En fait, pas tant que ça. Car nos amis ont changé de chambre après avoir constaté que la leur était sale, et notre chambre n'a pas été préparée pour la nuit, comme cela se pratique normalement dans ce type d'hôtel.


Nous nous rendons à pied au restaurant Izumi, spécialiste du poisson Fugu, le poisson globe. Après avoir enlevé nos chaussures, nous sommes dirigés vers une petite salle carrée où une table basse pour quatre personnes nous attend. Sur un des côtés de la pièce, une pivoine et un panneau mural avec un geai posé sur un ginkgo. Evidemment, après la spectaculaire salle du restaurant Kitcho, celle-ci fait un peu chiche. Il eut fallu inverser l'ordre de visite à ces deux restaurants.


Le menu que nous allons prendre est une exploration du poisson Fugu. Nous commençons par une gelée de la peau du poisson au goût plus agréable que ce que j'imaginais. Ensuite, une immense assiette comporte des morceaux de peau depuis la surface jusqu'aux parties les plus profondes du derme et de fines tranches de la viande du poisson. C'est surtout sur cette chair que je vais me concentrer, en l'associant soit à du sel, ce qui révèle la vraie saveur du poisson, soit à une sauce au soja et aux herbes avec un peu de piment. Lorsque l'on mange avec cette herbe, c'est surtout elle que l'on ressent. Elle va nous accompagner tout au long du parcours, créant une certaine monotonie. Nous buvons une bière pression légère de bon goût qui sera complétée par un saké froid fort agréable.


C'est ensuite la laitance du Fugu qui nous est proposée. Je ne suis pas un grand amateur de laitance mais celle-ci est très comestible, dans des saveurs crémeuses. Nous poursuivons avec des morceaux de chair frits qui sont délicieux. On nous présente un saké à la laitance de Fugu. J'ai un peu de mal. Mais lorsqu'arrive le saké dans lequel trempent les deux nageoires latérales du Fugu, là, je cale. Viennent alors des morceaux de viande de Fugu marinées avec du tofu puis une assiette de légumes avec du riz en pâte ayant la consistance de la fondue savoyarde. Le final est un délicieux risotto de fugu. Le dessert est du kaki jeune, à la consistance ferme.


La maîtresse des lieux qui est venue plusieurs fois nous saluer nous fait visiter la cuisine. Dans un petit aquarium nagent deux petits fugus. Ce dîner centré sur le fugu, poisson qui peut être mortel, est une expérience qu'il fallait faire, car c'est un moment rare. Mais force est de reconnaître que la fadeur des chairs et la répétitivité de la sauce ne créent pas une immense émotion. L'important est de pouvoir dire comme les soldats napoléoniens : "j'y étais".


En rentrant, le centre commercial qui jouxte l'hôtel est envahi par des teenagers et des petits enfants, attirés par les lumières et les évocations de Noël. Ce pays est toujours en mouvement.


21/11/2010 - sumo et Hiramatsu


Le lendemain matin est consacré au repos. Car ce soir, nous allons au restaurant Hiramatsu Fukuoka, où nous boirons deux vins que j'ai apportés. Il faut être en pleine forme.


A 15h30, nous partons vers le lieu où se déroule l'un des six grands tournois annuels de sumo. Nous assisterons au huitième jour de cette compétition des meilleurs sumos qui dure deux semaines. Un événement de portée nationale s'est produit il y a deux jours. Le seul Yokozuna, le plus haut gradé dans la hiérarchie, du nom de Hakuho, a cassé une série de 63 combats gagnés à la suite, qui le rapprochait du record historique de 69 victoires successives établi il y a 72 ans. Ce lutteur fera le combat final de notre après-midi.


Lorsque Canal + retransmettait les combats de sumo il y a quelques années, je les regardais avec bonheur, car la dimension rituelle de ces combats de courte durée est fascinante. Aussi, quand avec Tomo et Akiko nous avons réglé les dates du voyage, les feuilles d'automne à Kyoto et les dates de la compétition à Fukuoka ont été déterminantes. Il fallait absolument que nous voyions ces combats "en vrai". C'est fait, et nous nageons dans le bonheur. Car l'atmosphère créée par une foule fervente, qui pique-nique sur place en famille y compris avec les tout-petits est quelque chose d'unique. Et voir les à-côtés des rites est d'un grand intérêt. C'est un intense moment de bonheur que nous venons de vivre.


Nous prenons un taxi qui nous conduit au restaurant Hiramatsu Fukuoka. Il est situé au 6ème étage d'un immeuble où rien n'indique qu'il y aurait un restaurant de cette qualité. A l'étage, les vitrines qui précèdent la porte d'entrée annoncent un luxe certain. Un magnum de Pétrus 1953, un magnum de Clos Sainte-Hune dans des vitrines, cela annonce du grand. Une fois la porte passée, on découvre une décoration art nouveau un peu lourdaude. Notre table est joliment installée, et la richesse raffinée de la vaisselle compense la lourdeur de l'art nouveau, "à la" Pierre Cardin.


Maniaque comme je suis, je mets la pression sur le sommelier qui a ouvert deux heures avant notre arrivée les vins que j'ai fait livrer il y a six jours. Le vin blanc est fermé d'un bouchon neutre, et quand je le sens, il est évident que le bouchon neutre laisse des traces. C'est en fait Tomo qui a demandé que mon vin soit rebouché.


Nous choisissons nos menus, puisqu'ici il n'y a pas de commande à la carte. Mais on peut modifier les plats du menu. Nous choisissons et mon choix est celui du menu dégustation, avec une entrée modifiée, ce qui donne ceci : amuse-bouche / foie gras de canard au chou frisé, jus de truffe / feuilleté de homard aux parfums de truffes, jus d'estragon / noisettes de chevreuil, sauce grand-veneur, pommes acidulées et gnocchis de marron à la vanille / tarte fine aux pommes, crème glacée à la cannelle. Disons-le tout de suite, ce fut un régal et un festival de justesse de sauces.


Lorsque le sommelier qui ne parle ni français ni anglais me sert le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1990, je sens que quelque chose ne va pas. Il y a le bouchon neutre qui a marqué le nez du vin, mais il y a aussi une acidité fâcheuse. Tout ceci est lié au fait que le vin est trop chaud. Dès qu'il est frappé et atteint sa température optimale, comme par miracle tout s'organise et le vin, dont le nez était agréable, trouve enfin sa vraie définition. Ce vin est riche équilibré, et avec la sauce à la truffe du foie gras, forme un accord diabolique. A ce stade, le plat est plus miraculeux que le vin. Sur le feuilleté de homard, la proportion s'inverse, et c'est le Corton-Charlemagne qui prend le dessus, aidé par la subtilité de l'estragon. Nous buvons un grand Corton-Charlemagne, fruité, goûteux, de grande richesse. Il faut savoir que la fenêtre d'excellence des températures de service possibles est extrêmement étroite.


Nous n'avons pas cet embarras avec la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 qui affiche une perfection inaltérable. Tout en lui est parfait et indestructible. Nous pourrions organiser des tremblements de terre et des tsunamis, ce vin resterait égal à lui-même : parfait. Son parfum est envahissant, riche et capiteux. En bouche, on sait qu'on a touché le jackpot, le vin qui jongle avec les 100 points Parker les doigts dans le nez. Rien dans ce vin n'est autre que de la perfection. Sur le plat de chevreuil, il faut absolument simplifier pour le vin, et seule la noisette de chevreuil convient. Comme il reste du vin, un peu de fromage me permet de goûter la lie, qui, contrairement à des milliers d'expériences contraires, affadit un peu le vin.


Il ne fait pas de doute qu'Hiramatsu a trouvé la martingale en ce qui concerne les sauces. Nous sommes dans un pur ravissement culinaire. Les vins ont brillé et malgré le fait que ce sont les miens, je dirais que la cuisine a brillé plus que les vins, pourtant au sommet de leur art.


C'est une magnifique expérience que nous plaçons au dessus de notre dîner au restaurant de Joël Robuchon, malgré une dextérité nettement plus grande du côté du trois étoiles. Hiramatsu sait viser juste. Autant le lui reconnaître.


22/11/2010 - retour à Tokyo et restaurant de tempuras


Il nous faut une nouvelle fois faire nos valises car nous repartons à Tokyo, cette fois en avion. Tomo et Akiko nous ont réservé des places en première classe, ce qui est une attention charmante. Le service de Japan Air Lines est souriant et attentif. Ce qui frappe dans les deux aéroports de Fukuoka et de Tokyo, c'est la propreté immaculée des lieux. Je ne peux m'empêcher de penser à l'époque où, dans mon entreprise il y a plus de vingt ans, nous avons lancé la démarche vers la qualité totale. Il n'y a pas de qualité totale sans propreté totale, et nous avons réalisé des prouesses qui eussent été inimaginables quelques années auparavant. La propreté totale, la politesse et la gentillesse sont des conditions du succès. Et l'on se dit que l'entreprise France ferait bien de se réveiller sur ce sujet. Accepter la saleté de notre pays, les tags et les impolitesses sont des symptômes imparables de notre déclin.


Par ailleurs au Japon, tout est fait pour résoudre les problèmes de circulation par l'investissement. Et la fluidité profite à l'efficacité des entreprises. Il n'y a qu'à Paris que l'on fait tout pour bloquer le système de circulation. Il faudra bien un jour que la France, au lieu de pérorer, épouse son siècle.


Nous retrouvons l'hôtel Park Hyatt de Tokyo au service efficace qui contraste avec celui mal dirigé du Grand Park Hyatt de Fukuoka. La journée est consacrée au repos et à 18h30, nous partons pour le restaurant Kondo, spécialiste des tempuras, et doté de deux étoiles Michelin. Il est situé au neuvième étage d'un immeuble, dans un quartier chic et animé.


Il y a plusieurs salles et nous entrons dans une salle où dix places sur un comptoir entourent le lieu de confection des tempuras. Deux jeunes cuisiniers sont face à nous. L'un fait les découpes et préparations d'aliments et l'autre gère les cuissons.


Le premier découpe des langoustines vivantes, et la tête continue de bouger ses petites pattes longtemps après avoir été séparée de la queue. Aussi quand nous commençons le premier service de deux têtes de langoustines à croquer, on ne peut que se souvenir qu'elles bougeaient encore il y a deux minutes. Tous les plats étant en tempura, je ne le citerai pas à chaque fois. Les têtes de langoustines sont délicieusement croquantes. Ce sont ensuite deux services de queues de langoustines, l'une que l'on prend avec du sel et l'autre avec une sauce au soja agrémenté d'autres saveurs. J'ai rapidement abandonné cette sauce pour capter la pureté des mets en tempura. Mon repas s'est fait surtout avec une bière pression et une bière bouteille plus corsée. De temps à autre, j'ai lapé un petit bol de saké.


Le service suivant est une asperge verte bien croquante. Puis une châtaigne, des oursins enveloppés dans une feuille verte délicieuse, plat que j'ai considéré comme un enchantement, comme les queues de langoustines. Nous poursuivons avec le chapeau d'un champignon assez sombre, avec un poisson qui ressemble à un lieu, des fruits de ginkgo qui mettent en valeur le saké peu agréable à mon goût, une huître, un légume qui ressemble à un artichaut albinos, un imposant ormeau, et nous finissons par une patate douce qui a été cuite entière, puis partagée en quatre pour nous.


Pour comparer avec les tempuras de ma femme, j'ai demandé qu'on me prépare un oignon. Il n'est pas préparé en rondelles mais entier. Le goût est d'une précision extrême. Le repas se finit sur une assiette de mangues.


Il faudrait filmer les gens qui mangent, car nombreux sont ceux qui mangent trop chaud, se brûlent la bouche et se contorsionnent en levant leur main pour cacher leur bouche ouverte comme un "o".


Cette expérience de tempuras de haute qualité est unique. Quelques saveurs sont remarquables. Donnerait-on en France deux étoiles à un restaurant qui fait s'asseoir les convives le long d'un comptoir sur des tabourets, la question mérite d'être posée.


23/11 - musée et hélicoptère


Le lendemain est jour férié au Japon et c'est drôle de noter que Tomo et Akiko ne savent pas très bien pourquoi ce jour est férié. Il faut choisir des activités où il n'y aura pas de foules immenses. Tomo lance l'idée de survoler Tokyo en hélicoptère. Quelle idée excitante ! Mais il y du vent et de la pluie, aussi d'heure en heure nous devons appeler pour savoir si les vols seront autorisés. Comme cela paraît peu probable nous décidons d'aller visiter le musée Nezu, où une exposition démarre aujourd'hui de peintures des 15 ème, 16 ème et 17 ème siècles de scènes de la vie quotidienne de personnages célèbres mais aussi de simple villageois. Nous arrivons devant une petite bâtisse très joliment architecturée. Les peintures de la vie quotidienne sont un témoignage unique des mœurs de ces périodes. Il y a des scènes de chasse, de pêche, de vie familiale, de célébrations. Il y a aussi des épisodes de la vie de nobles personnes, de courtisane célèbres, des scènes de musique et de danse. Toutes ces évocations sont faites sur des paravents peints ou des rouleaux de papiers. Il y a aussi des peintures sur soie.


Dans les acquis permanents du musée il y a des bronzes chinois absolument magnifiques des 11ème et 12ème siècles avant Jésus-Christ et une collection d'objets du 16ème siècle, destinés aux cérémonies du thé de fin d'année. Nous poursuivons par la visite du jardin qui est d'une rare délicatesse. On chemine sur d'étroits sentiers qui donnent l'impression d'être dans une forêt profonde. Plusieurs petites bâtisses en bois peuvent être réservées pour le cérémonial du thé à la japonaise. Nous voyons plusieurs d'entre elles occupées par des femmes en kimonos qui pénètrent dans la maison en passant à travers une minuscule ouverture. Cette visite est particulièrement enrichissante. Nous hésitons sur ce que nous allons faire ensuite quand arrive un appel téléphonique : la voie des airs est libre.


Nous nous précipitons au Mori Building City Air Services. De jolies hôtesses nous accueillent. Nous suivons de longs couloirs pour aller à la salle d'attente, et au croisement de deux couloirs il y a une marche à franchir ou une petite pente permet aux chaises roulantes de monter. Une des hôtesses se penche presque jusqu'au sol pour indiquer de faire attention à la marche.


Nous attendons pendant une heure en regardant des films pris d'hélicoptères de plusieurs pays du monde. On nous offre une coupe de Champagne Boizel qui ne laissera pas une trace indélébile dans ma mémoire et notre tour vient enfin. Dans le fameux croisement l'hôtesse s'est courbée à nouveau, cette fois-ci par politesse, et quand on veut lui rendre sa politesse, on tourne le dos à la marche, puisque la regarder détourne l'attention. Je manque trébucher en ratant la marche. Nous continuons à marcher et pour indiquer à quel point la position de l'hôtesse était stupide puisqu'elle détourne l'attention de l'obstacle, je tourne mon bras pour montrer l'endroit et je cogne la pauvre hôtesse d'un direct du gauche à la Tyson, au moment où elle courait pour nous rejoindre. Elle est presque groggy et tout le monde éclate de rire de ma double maladresse. Je gratifierai au retour cette charmante hôtesse d'un baiser sur le front pour me faire pardonner de l'avoir si fortement heurtée.


Nous montons sur le toit de l'immeuble où un large cercle orange sur fond vert est dessiné. Loin dans le ciel une lumière sur un point noir annonce l'arrivée de l'hélicoptère. Nous prenons place dans l'hélicoptère pour environ 30 minutes d'un double tour circulaire de la ville. Par un hasard horaire intéressant, le premier tour sera fait de jour et le deuxième de nuit. J'ai mitraillé le ciel avec mon appareil photo. Cette ville immense offre des perspectives extrêmement variées. C'est une visite qu'il fallait absolument faire.


Les hôtesses nous attendaient avec de larges sourires. C'est alors que j'ai donné le baiser sur le front qui a fait rire tout le monde. En rentrant à l'hôtel, nous avions le sentiment d'avoir passé des moments merveilleux, au musée et au dessus de la ville.


23/11 - dîner au restaurant Kozue de l'hôtel Park Hyatt avec de grands vins


A 19h30, nous descendons au 40ème étage de l'hôtel Park Hyatt au restaurant Kozue. Si j'ai bien compris, Kozue veut dire branche, comme celle de l'arbre de Judée dont le mauve irradie le dessus de notre table. La décoration d'un restaurant d'hôtel est toujours assez conventionnelle, mais ici, ce sont les éclairages qui vont la rendre extrêmement chaleureuse. La cuisine traditionnelle japonaise va accompagner deux vins apportés par Tomo.


Le premier est un Chevalier Montrachet Grand Cru Domaine d'Auvenay Lalou Bize-Leroy 1998. Le bouchon est tellement long que le directeur de salle a du mal à l'extirper. Le vin a un nez assez extraordinaire, marqué par le fumé et par la profondeur. La bouteille a le numéro 386 sur 582 bouteilles faites.


L'entrée consiste en plusieurs éléments dont du maquereau fumé avec du riz, une petite pâtisserie assez sucrée, un carré d'œufs de poissons pressés, une châtaigne, une pâte d'œufs de bonite accompagnant une poutargue et un petit tronçon d'asperge. C'est surtout avec la poutargue et les œufs de poisson que le Chevalier Montrachet va révéler sa structure. Le vin est surtout fumé. Il est profond, d'une rare densité, mais il manque un peu d'étoffe. Des algues marines iodées à la limite du possible arrivent à faire vibrer le vin délicieux.


Les sashimis qui suivent sont extraordinaires, et le vin brille comme jamais. Il y a du thon cru, une langoustine crue qui étonne par son caractère sucré, du turbot cru et une algue pressée que je ne toucherai pas car elle paraît assez violente. C'est avec le turbot magistral que le vin blanc prend un essor unique, fondé sur la profondeur de sa trame qui répond à celle du turbot, alors que le thon plus gras excite beaucoup moins le vin.


Comme il reste du vin blanc, je demande un peu de riz juste cuit. Ce riz très pur avec la sauce de soja tire des dernières gouttes du vin blanc son chant le plus beau.


Nous allons maintenant passer au "shabu-shabu" qui consiste à tremper de fines tranches crues de bœuf Wagyu dans une soupe où des champignons puis des légumes vont conditionner le goût. On trempe en faisant des allers et retours qui font shabu-shabu. Sur ce plat, nous buvons un Bonnes Mares Grand cru Domaine Georges Roumier 2001. Le nez de ce vin est impressionnant de présence. En bouche, le vin est fin, subtil comme les meilleurs bourgognes, mais il fait un peu "osseux", manquant un peu de rondeur et d'étoffe. Mais, nul besoin de le dire, c'est un très grand vin. Les tranches de Wagyu, roses quand elles sont crues, foncent avec le passage dans la soupe bouillante. Elles prennent un goût de noix prononcé qui met en valeur ce vin rouge de première grandeur. L'accord est saisissant de pertinence.


Nous faisons une pause avec quelques légumes cuits dans la soupe et une nouvelle assiette de Wagyu apparaît sur la table. Je finirai le vin avec des tranches de Wagyu posées sur une nouvelle coupe de riz. Ce moment est unique.


Une tranche de melon vert avec une glace à la vanille mettent un point final à un dîner qui nous a éblouis. Jamais dans un restaurant d'hôtel nous n'attendrions un service d'une telle qualité, avec des produits aussi exceptionnels. Comme nous y avons ajouté des vins rares, il est normal que nous ayons été conquis. Ce repas est l'un des quatre plus grands de notre séjour.


24/11 - journée repos à Tokyo et dîner à l'hôtel Park Hyatt


Le lendemain fut rude. Car cela fait dix jours que nous festoyons, aussi le gras de la viande de Wagyu n'a pas été apprécié par mon organisme. Pendant que les femmes font du shopping, je reste dans mes quartiers, n'échappant que pour un massage Shiatsu très tonique.


Nous nous retrouvons tous les quatre pour le dernier dîner au 52ème et dernier étage de l'hôtel Park Hyatt. La salle est sombre, ce qui garantit l'intimité et haute de plafond, sans doute de plus de six mètres, ce qui permet aux fumeurs de ne pas s'expatrier. C'est la même chanteuse que celle du bar où nous avions siroté un whisky le premier jour qui égrène ses chansons. Compte tenu de l'acoustique du lieu, ce qui est bon pour le bar ne l'est pas pour le restaurant. Le vin blanc que j'ai prévu n'a pas été mis au frais. Je mets une pression extrême sur toute l'équipe, mais l'oriental sait résister à la pression de l'occidental. Entre le moment où j'ai demandé que l'on mette instantanément mon vin dans un seau à glace et le moment où ce fut fait, mille civilisations sumériennes auraient eu le temps de se succéder. Le Corton Charlemagne J.F. Coche-Dury 2003 que l'on me fait goûter, même horriblement chaud (horriblement veut dire : un peu, mais je suis en plein stress), est d'une insolente perfection. Nous commandons à la carte aussi aurons-nous des plats différents. Mon repas est : pan seard Sanriku scallops, chorizo, roasted peppers, tomatoes, chick peas / Kobe beef selection / Vanilla ice cream.


Le vin blanc est une pure merveille. Il a la puissance et la légèreté, la force et l'élégance. C'est extrêmement rare de voir un vin qui combine aussi bien le passage en force avec un discours courtois. Il va sans dire que ce vin sera, dans notre voyage japonais, le premier et de loin. Ce vin est l'image de la perfection faite de sensibilité. Il est divin sur les coquilles Saint-Jacques et s'adapte très bien au chorizo fort épicé. Le vin ayant trouvé sa température est impérial et l'expression qui lui conviendrait le mieux est : main de fer dans un gant de velours, tant il sait combiner puissance et finesse. Un tel vin est stratosphérique, et nous le placerons au dessus de la Mouline 1990 que nous avions classée première jusqu'alors.


Pour l'instant magique du bœuf de Kobe, qui est une entrecôte, Tomo l'a pris en tartare, malheureusement trop épicé, et je l'ai pris grillé. L'accord de la viande grillée, au goût de noisette, avec le Corton Charlemagne, est à s'évanouir de plaisir. C'est encore mieux qu'avec la coquille Saint-Jacques.


Tomo a apporté une Romanée-Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2001. Le nez est élégant, et représente élégamment les vins du domaine. Mais en bouche le vin est serré, coincé, avec une légère astringence qui donne un goût de vieux bois combiné à de la minéralité. Bien sûr, il y a la vibration que nous aimons des vins du domaine, mais ce n'est pas ça. Nous avons un vin au beau nez, agréable témoignage du domaine, mais qui est trop timide et coincé pour nous plaire. Des pommes frites lui conviennent mais la messe est dite.


Ce repas marqué par une viande de Kobe d'une extrême qualité, fondante, grasse, au goût de noisette et d'amande, mais surtout par un Corton Charlemagne diabolique, probablement l'un des meilleurs qu'il m'ait été donné de boire, et Dieu sait que j'en ai bus, est dans noter voyage le moins original des repas. La viande de Kobe, d'une grâce unique, ne suffit pas à peser dans la balance.


Demain nous partons en France après un merveilleux voyage, fait de mille découvertes. Un petit pincement au cœur apparaît forcément lorsqu'on sait que grâce à l'amitié d'amateurs japonais, nous avons pu vivre des moments inoubliables.

141ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 11 novembre 2010

ajouté : Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, en mémoire de Bernard de Nonancourt, récemment décédé



Champagne Charles Heidsieck 1955 (prévu, mais enlevé du fait de défections d'inscrits)


Champagne Krug 1988 (prévu, mais enlevé du fait de défections d'inscrits)



"Y" d'Yquem 1988



Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987



Château Cheval Blanc 1955



Château Palmer 1959



Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961



La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982



Château Guiraud Sauternes 1971 (prévu, mais enlevé du fait de défections d'inscrits)



Château Filhot 1935


141ème dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mercredi, 10 novembre 2010

Le 141ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. Nicolas, le fidèle sommelier qui a déjà servi le vin de neuf de mes dîners faits en ce lieu, observe une fois de plus cette opération et vient sentir les vins. Les parfums des deux bordeaux rouges sont capiteux et profonds, celui du Palmer 1959 étant plus riche que celui du Cheval Blanc 1955. Le souci vient de La Tâche 1982. Quand j'ai fait les photos des vins en cave, le vin me paraissait clairet. Je me suis demandé s'il y avait un début de dépigmentation mais il n'en était rien. La bouteille me paraissant convenable, elle avait été conservée au sein du groupe de vins. Lorsque je la prends en mains sous la lumière beaucoup plus crue que celle d'une cave, le liquide ressemble plus à un jus de grenadine qu'à un vin. J'ouvre le bouchon, plus fatigué qu'il ne le devrait dans sa partie haute, mais très convenable dans sa partie basse. Le nez du vin n'est pas très expressif mais pas désagréable. Je verse un peu dans un verre et la couleur est manifestement trop claire. Au goût, le vin n'est pas à rejeter, mais il n'exprime rien. Pour moi la cause est entendue, le vin est mort. Le Filhot 1935 a un parfum miraculeux.


La liste des vins a été prévue pour une table de dix personnes, comme à l'accoutumée. La date ayant été mal choisie puis que nous sommes la veille d'un jour férié, nous ne serons que huit. Parmi les inscrits il y a un couple d'amis marocains dont la femme a demandé que mon épouse assiste au dîner pour qu'elles puissent deviser sur des sujets dont le vin n'est pas l'épicentre. Or ma femme ne boit pas. Nous ne serons que sept buveurs. Bernard de Nonancourt étant décédé une semaine avant ce repas, j'avais jugé opportun que nous rendions un hommage à sa mémoire en début de repas, aussi ai-je ajouté un champagne Laurent Perrier au programme. Sept buveurs et onze vins, c'est un peu trop. Je décide donc de ne pas ouvrir le Guiraud 1971. Dix vins pour sept, c'est encore beaucoup. Mais nous avons un jour férié à suivre pour nous reposer.


Toutes les bouteilles sont ouvertes, sauf les champagnes, et c'est alors que je reçois un appel téléphonique. L'amie marocaine est bloquée à l'aéroport car dans la zone internationale elle s'est fait voler son passeport. Par ailleurs son mari qui est à Paris s'est alité car il ne se sent pas bien. Les coups de fil s'échangent, la volonté de venir est là, mais au fil des heures une évidence s'imposera : ils ne viendront pas.


Reprenons donc notre équation : huit personnes dont sept buveurs moins deux, cela fait une table de six dont cinq buveurs. Dix vins pour cinq, cela commence à ressembler à un combat inégal. Un ami français vivant en Australie, fidèle de mes dîners, étant venu me rendre visite au restaurant de Patrick Pignol, je lui demande s'il peut se libérer pour participer au dîner. Il a réservé dans un autre restaurant pour retrouver deux amis. Il semble difficile de modifier son programme.


La variable d'ajustement, ce sont les champagnes qui ne sont pas ouverts. N'ayant aucune envie de supprimer l'hommage que je veux rendre à Bernard de Nonancourt, ce sont les deux autres champagnes qui seront sur la touche. Nous sommes donc dans la formation suivante : cinq buveurs et huit vins. Courage !


Sur les six présents il y a trois nouveaux. Quand j'annonce la très certaine mort de la Tâche 1982, la tristesse se lit sur les visages. Nous sommes prêts à passer à table. Nous prenons l'apéritif sur le Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, dont le prénom est celui d'une des filles du regretté président de Laurent Perrier. Le champagne lui-même rend hommage à ce grand personnage du monde du vin, car c'est certainement le meilleur que je n'aie jamais bu de cette cuvée. Bernard aurait été heureux de savoir que nous l'avons adoré, avec sa magnifique couleur d'un rose pur, sa bulle active et élégante et un goût de plus en plus cohérent, riche et profond. Patrick Pignol qui a bu une coupe avec nous décide de nous préparer, après avoir recueilli notre avis, une émulsion d'oursins dans une coquille d'œuf. Le mariage est pertinent et nous ravit.


Patrick Pignol prépare toujours ses menus au dernier moment, en fonction des achats qu'il fait à Rungis, à une heure où tout le monde dort. Voici le menu qu'il a composé : Crevettes poêlées minute / Moules et girolles de Sologne / Encornets farcis et senteurs de Speck / Foie Gras poêlé / Perdreau rôti en cocotte / Fromages / Clémentines rôties.


Le "Y" d'Yquem 1988 a une couleur de belle jeunesse, sans le moindre signe d'un début de brunissement. Le nez est très riche, évoquant les grains de raisin d'Yquem que l'on presse. En bouche le vin est plein, opulent, joyeux, avec une légère sucrosité malgré sa belle rigueur. Son final est très prononcé. Le deuxième amuse-bouche, dans lequel j'ai le souvenir d'une purée de céleri, ne vibre pas avec le vin, alors que l'accord avec les crevettes est saisissant. Ce sera le plus bel accord du repas. Il montre à quel point une cuisine exacte amplifie le message d'un vin. Cet "Y" d'une belle année est porté, par cet accord, à son plus haut niveau.


Le Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987 a un nez d'une minéralité impressionnante. Il sent la pierre à fusil à cinq pas. Alors que le "Y" avait des rondeurs appétissantes, le Chevalier Montrachet, d'une puissance étonnante pour son année, est d'une rigueur d'ascète. C'est la droiture sans fioritures ! Le plat de moules est délicieux mais le mariage mets et vin ne crée aucune vibration. Les très bons encornets s'accordent mieux au vin, sans toutefois le dérider. Si sa puissance m'a étonné, sa sévérité l'a laissé "droit dans ses bottes", peu accueillant aux plats proposés.


Sur le foie gras poêlé aux haricots blancs, nous allons boire deux icônes du vin bordelais. Les couleurs sont belles, celle du Château Cheval Blanc 1955 étant la plus foncée. Le nez du Château Palmer 1959 est le plus charmeur. En bouche, la séduction du Palmer entraîne l'adhésion des convives, alors que je suis absolument enthousiasmé par la profondeur de trame du Cheval Blanc. Elle est même particulièrement impressionnante. Il est assez probable que ma jubilation à boire le 1955 aura influencé les votes en fin de repas, alors que tout le monde a apprécié le Palmer 1959 pour sa vivacité charmeuse, vin épanoui à la jeunesse folle. J'ai tellement insisté sur la richesse profonde de la trame du Cheval Blanc 1955, vin d'une richesse incroyable devenu intemporel tant il est parfait, que ma préférence est devenue contagieuse. Le foie gras n'ajoute rien à la performance des bordeaux. Les deux vins très différents ont une caractéristique commune, c'est d'avoir atteint un niveau d'équilibre indestructible qui rend impossible de leur donner un âge. Le 1955 confirme son statut au plus haut niveau de la hiérarchie des Saint-Emilion. Le Palmer, par son charme et son élégance, a tout d'un grand margaux, l'un des Palmer les plus réussis.


Nombreux sont ceux qui pensent que les bourgognes n'auront pas la partie belle après ce feu d'artifice de saveurs inégalables. Mais je connais par cœur le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 qui n'a jamais failli à sa mission de conquérir les cœurs. Son nez est déjà un brevet de perfection. Son charme est redoutable et la bouche le confirme. C'est un bourgogne serein, équilibré, tranquille, très sûr de son effet. J'adore ce vin. Le perdreau est brutal tant il est faisandé. Il pourrait se concevoir, mais il est trop violent pour ce vin. Un rejet se produit entre le vin et lui. Nicolas nous sert maintenant La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982. Qui pourrait croire qu'il s'agit du vin que j'ai annoncé mort ? Sa couleur s'est foncée. Son nez a gagné en pureté, même s'il est très discret et en bouche, on retrouve des caractéristiques habituelles des vins de la Romanée Conti, la rose et le sel. Un convive, tellement heureux que le vin ne soit pas ce que j'avais dit, le classera premier de son vote, ce qui est manifestement excessif, mais nous sommes loin du désastre annoncé. Le vin peut se boire mais ne peut pas cacher qu'il n'est pas ce qu'il devrait être. C'est le soldat marathonien épuisé qui peu avant de s'évanouir a la force de réciter des bribes du message pour lequel il avait couru.


Une tomme, un reblochon et un saint-nectaire sont de bons compagnons des dernières gouttes des deux bourgognes.


Le Château Filhot 1935 est d'une couleur particulièrement jeune. Le nez est généreux, puissant, de fruits jaunes plus que d'agrumes. En bouche, c'est la solidité absolue du beau sauternes. Là aussi, voici un vin dont l'accomplissement et l'équilibre signifient qu'il n'a pas d'âge, devenu intemporel comme les beaux vins qui l'ont précédé. L'accord se trouve plus sur le soufflé que sur la clémentine un peu sucrée.


Il est temps de passer aux votes et nous ne sommes que cinq à voter. Deux vins figurent dans les votes de tous les votants, le Cheval Blanc 1955 et le Chambertin 1961. Trois ont eu des votes de premier, les deux qui viennent d'être cités et La Tâche 1982 (eh oui !). Tous les vins et le champagne figurent dans au moins un vote, sauf le Chevalier Montrachet 1987.


Le vote du consensus est : 1 - Château Cheval Blanc 1955, 2 - Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 - "Y" d'Yquem 1988, 4 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982, presque à égalité avec Château Filhot 1935.


Mon vote est : 1 - Château Cheval Blanc 1955, 2 - Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 - Château Filhot 1935, 4 - "Y" d'Yquem 1988.


L'un des participants venant de Marseille a rencontré sur place un ami qu'il n'avait pas vu depuis dix ans. Il s'est déplacé en fin de repas à sa table où l'on m'a fait boire un vin blanc jeune à la simplicité déroutante après ces grands vins.


J'ai préféré la première partie du repas à la seconde qui a apporté peu de vibrations aux vins. Dans une ambiance familiale toujours aussi chaleureuse et attentionnée, malgré les changements de casting, nous avons passé une excellente soirée marquée par quelques vins quasi "éternels".

dîners de vins anciens en Suisse mardi, 19 octobre 2010

Philippe Rochat organise en Suisse des dîners de vins anciens. Il a la gentillesse de se référer à mes dîners.


Il est donc de bonne manière que je signale ce qu'il fait.


Voici le lien de l’invitation pour le second de ses dîners : romanduvin.ch/index.php?IDtheme=20&IDcat1visible=1&langue=F">https://www.romanduvin.ch/index.php?IDtheme=20&IDcat1visible=1&langue=F


soirée chez des amis – photos samedi, 16 octobre 2010

Champagne Clos d'Ambonnay Krug 1995




Château Pétrus Ricard et Doutreloux négociants à Bordeaux 1948 (on remarque la cire verte)



Bonnes Mares collection du docteur Barolet, Henri de Villamont négociant éleveur 1933



On remarque le niveau bas du 1933



Les bouchons, celui du 1933 est très noir



Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1/2 bt 2000



Vosne Romanée Henri Jayer 1972



Les coquilles Saint-Jacques et Tomo aux fourneaux



Foie gras et pièce de bœuf à la truffe blanche



La couleur merveilleuse du Pétrus 1948



La glace à la truffe blanche et Hibiki 30 ans d'âge, whisky Suntory japonais



Clos d’Ambonnay Krug 1995 et Pétrus 1948 vendredi, 15 octobre 2010

Tomo est cet ami japonais avec lequel nous avons ouvert deux Romanée-Conti, une 1996 et une 1986 lors d'un reportage filmé suivi d'un déjeuner mémorable au Grand Véfour. Tomo et son épouse vont cornaquer un voyage que nous ferons à quatre à Tokyo, Kyoto et Fukuoka dans un mois.


Tomo nous invite à dîner chez lui pour préparer le programme de nos festivités au Japon. Sans savoir ce qui se passerait, je lui dis qu'il me ferait plaisir d'apporter une bouteille à ce dîner. Tomo me propose de choisir des vins que j'aimerais goûter chez lui, et dans la liste il y a le Clos d'Ambonnay Krug 1995. Cette bouteille est aujourd'hui, et de loin, le champagne le plus cher à sa sortie de cave. S'agit-il d'un coup de marketing ou d'une réelle perle, il est tentant de le vérifier. J'indique donc mon désir de boire ce vin.


Mon désir étant accepté, il me semble indispensable d'apporter quelque chose de rare. Et mon choix porte sur un Château Pétrus 1948 Ricard et Doutreloux négociants à Bordeaux. La mention "château" n'est pas de moi, elle figure sur l'étiquette qui n'a rien à voir avec les mises du domaine. La bouteille est coiffée d'une cire verte, le verre est teinté d'orange brun. Voilà une curiosité à découvrir ensemble.


A 17 heures, nous nous présentons au domicile de Tomo. Je porte un lourd bouquet de fleurs d'automne composé avec l'aide d'un fleuriste qui m'a suggéré les tendances qui plaisent à un couple de japonais vivant en France. Le bouquet plait. Le fleuriste a eu raison. Les roses odoriférantes d'automne ont touché le cœur d'Akiko.


L'ouverture des vins m'attend. Le Pétrus 1948 a un nez tellement extraordinaire que je remets son bouchon pour fermer le goulot et garder intacts les parfums voluptueusement truffés de ce vin. Le Bonnes Mares Collection du docteur Barolet 1933 a une couleur clairette qui fait soupçonner qu'une partie du pigment est tombée dans la lie. Le nez est incertain. Il est trop tôt pour savoir ce que ce vin va devenir. Dans la foulée, j'ouvrirais bien un Vosne Romanée Henri Jayer 1972, mais Tomo m'arrête, car nous ne sommes que deux à boire.


Nous allons au salon pour étudier le programme du voyage, et Tomo nous sert le Champagne Clos d'Ambonnay Krug 1995. Ce vin est un blanc de noirs aussi les évocations du Bollinger Vieilles Vignes Françaises (VVF) abondent car ce champagne rare est aussi un blanc de noirs. Le champagne est riche, très intellectuel, comme les VVF. Il y a une belle acidité, un fruit jaune délicat, mais on s'interroge : où est l'énigme, où est l'émotion ? Car nous buvons un champagne scolairement parfait, mais qui ne dégage aucune étincelle de génie. Je demande à Tomo si un peu de nourriture pourrait l'exciter. Il revient avec un saucisson truffé qui n'est pas exactement ce qui réveillerait cet éphèbe endormi. Pendant ce temps notre programme japonais s'affine. Tomo qui cuisine ce soir va préparer les coquilles Saint-Jacques. Il manque un blanc. Nous hésitons entre les nombreux vins alléchants qu'il me propose. Nous retenons un Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1/2 bouteille 2000. Nous le goûtons avant son entrée en scène, et il y a plus d'émotion dans ce vin que dans l'Ambonnay.


Nous passons à table et les coquilles Saint-Jacques sur un lit de légumes en dés avec une sauce au Xérès sont délicieuses. Le riesling est serein. Ce n'est pas une grande année, mais il est si bien fait que le plaisir est au rendez-vous. C'est sa finesse de trame combinant le citronné délicat et les fruits blancs qui est remarquable.


Sur le foie gras poêlé au potimarron, le Bonnes Mares collection du docteur Barolet, Henri de Villamont négociant éleveur 1933 n'arrive pas à survivre. Comme tous les mourants il aura de temps à autre des signes de vie. Mais le vin est mort, et c'est sans appel. Aussi le Vosne Romanée Henri Jayer 1972 apparaît au bon moment, porteur d'un message authentiquement bourguignon. Ce n'est pas un grand cru, c'est un "Villages", mais il a la patte d'un grand. L'année 1972 a fait des vins subtils. Celui-ci est dans le lot. Je le préfèrerais volontiers à l'Echézeaux Leroy 1972 bu il y a moins de deux jours.


Tomo a cuit une pièce de bœuf aux pommes de terre, dont la sauce est faite avec les vins les plus rares, Echézeaux ou chambertins. Les tranches fines de truffe blanche recouvrent le plat, explosant leurs saveurs dans nos narines. Le Château Pétrus Ricard et Doutreloux négociants à Bordeaux 1948 épouse la truffe blanche, même si sa structure olfactive est faite de truffe noire. L'accord avec le plat est naturel et convaincant. La couleur du vin est noire, avec un rouge sang qui n'a pas la moindre trace de vieillissement, et ce vin en bouche conduit au paradis. Si les marins ont l'habitude de faire des phrases, celle qui me vient immédiatement à l'esprit est que ce vin synthétise tous les Pétrus que j'ai bus. Il a la perfection des Pétrus anciens et la fougue des jeunes Pétrus, avec une truffe noire qui sert de colonne vertébrale. A cet instant d'émotion, il m'apparait évident que ce Pétrus mérite le 100/100 Parker, car il atteint la plénitude absolue de Pétrus. Tomo vibre autant que moi. Nous savons que nous goûtons un vin exceptionnel, la définition absolue de Pétrus. Alors, il est tentant de prolonger l'instant, ce que je fais.


Tomo nous présente un Mont d'Or et c'est l'occasion de revisiter deux vins. L'accord avec le Vosne Romanée 1972 se trouve très bien. Avec le champagne 1995, l'accord est très joli. Le champagne n'arrive pas à se départir de son acidité. On trouve des fruits jaunes et une structure très ciselée. Mais jamais nous n'aurons l'étincelle d'émotion qui nous aurait permis de l'aimer.


Les dernières gouttes du Pétrus sont versées dans mon verre, et s'il fallait une preuve de l'existence de Dieu, elle serait dans ce verre. Le nez est parfait, sans âge, le vin est riche, ciselé, et je succombe à son charme. Une densité comme celle-là n'existe pas.


Une glace à la truffe blanche me permet de finir le champagne dont le charme existe. Tomo me tente et je succombe à une Fine de Bourgogne Domaine Georges de Voguë puis à un Hibiki 30 ans d'âge, whisky Suntory japonais qui a des accents de rhum. Le coup de grâce est donné par le cognac Paradis, véritable perle du cognac.


Notre programme de voyage se précise. Le Clos d'Ambonnay n'a pas atteint notre cible. Mais le Pétrus 1948 d'une mise de négociant bordelais s'est montré l'un des plus brillants Pétrus de ma vie. Tomo a cuisiné comme un vrai chef des produits de grande qualité. Tout cela présage un beau voyage au Japon.

dîner de jeunes amateurs – photos jeudi, 14 octobre 2010

Château Mouton-Rothschild 1967


champagne Dom Pérignon 1996




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Bourgogne Hautes Côtes de Nuits blanc mis en bouteille par DRC à F. 21700 de 2007



Clos Vougeot Grand Cru Le Maupertui Anne & François Gros 1994



Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000



Echézeaux Leroy négociants 1972



Vosne Romanée les Suchots domaine Prieuré Roch 2001



Vosne Romanée premier cru les Gaudichots domaine Forey P&F 1999



Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969



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La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992



Vin Jaune Château Chalon Maison Dejean de Saint-Marcel, Marcel Poux concessionnaire 1949



Champagne Pommery & Gréno Brut 1964



photos de groupe



les plats




dîner de jeunes amateurs avec deux La Tâche mercredi, 13 octobre 2010

C'est par un forum que je suis entré en relation avec un groupe de jeunes amateurs. Ils avaient envie de découvrir La Tâche et se sont regroupés pour en acheter une. Nicolas, mon correspondant au sein de ce groupe me demande des conseils sur le millésime à acheter. Il s'adresse au domaine de la Romanée Conti qui lui donne accès à une 1991. Nicolas me propose de venir goûter cette bouteille objet de leurs désirs, avec l'idée que ma connaissance de ce vin ajouterait à leur désir de l'aborder dans de bonnes conditions.


On ne me demande aucun apport de vin mais il me paraît convenable de venir avec des vins dont une La Tâche que je choisis pour ne pas porter ombrage à la leur. Je choisis 1992. Les bouteilles sont apportées quelques jours à l'avance au restaurant l'Ardoise.


Le jour du dîner, un ami qui range ma cave me signale trois bouteilles de Mouton 1967 en danger de mort, dont deux ont perdu leur bouchon, tombé dans le liquide et une à la capsule trouée qui présage une fin prochaine, même si le bouchon est encore en place. L'urgence m'incite à apporter ces bouteilles à ce dîner.


A 17 heures, je commence l'ouverture de toutes les bouteilles en présence de quelques membres du groupe. Les odeurs sont prometteuses. Pour les Mouton, c'est la loterie. Je décapsule les deux aux bouchons tombés. La première paraît intacte et la seconde torréfiée. Nous pourrons boire ce vin en apéritif. J'offre la troisième au bouchon encore en place à Nicolas.


Nous allons faire une petite promenade dans les jardins des Tuileries où des sculptures assez hideuses se cachent sous les arbres. Il fait froid après des jours de canicule aussi écourtons-nous cette escapade champêtre.


La mauvaise bouteille du Château Mouton-Rothschild 1967 est expédiée rapidement. Sans être marqué d'un défaut définitif, le vin est suffisamment torréfié et dévié pour n'offrir aucun plaisir Il n'en est pas de même de l'autre, au nez absolument sans défaut, et porteur d'un charme certain. En bouche, ce vin offre à celui qui le goûte la possibilité de l'aimer ou de ne pas l'aimer. Si on s'arrête à de petits défauts, on ne l'aimera pas. Si on retient le fond de son message, on l'aimera. Et le vin récompensera les optimistes, car dès qu'apparaissent des chipolatas, tout s'assemble dans ce vin vraiment charmant.


J'ai suggéré des huîtres Gillardeau pour accompagner le champagne Dom Pérignon 1996. Ce champagne est plein de grâce. Seul, il décline de jolies notes florales, de fleurs blanches. Sa bulle est forte. Les huîtres le minéralisent. Il perd un peu de fleurs, gagne en iode, mais surtout prend une longueur spectaculaire. C'est un très grand champagne.


Le Bourgogne Hautes Côtes de Nuits blanc mis en bouteille par DRC à F. 21700 de 2007 est d'une belle jeunesse. Mais il est vraiment simple. Il va s'ouvrir dans le verre mais gardera un message assez peu complexe. Les langoustines cuites dans des petits pots de terre pour escargots sont absolument délicieuses, ignorées de la carte et réservées pour ce groupe. Pour avancer, car le programme est grand, je suggère que le premier rouge se boive sur ce plat parfumé. Le Clos Vougeot Grand Cru Le Maupertui Anne & François Gros 1994 est servi trop chaud, aussi décidons-nous que les autres rouges seront immergés quelques minutes avant leur service dans un seau d'eau fraîche sans glace. La chaleur du vin fait ressortir l'alcool mais nous sentons un beau fruité qui accompagne très bien les langoustines, les avis étant partagés sur la pertinence de l'accord. Je trouve que le vin y trouve de la longueur.


L'Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000 tire le plus grand profit d'avoir été rafraîchi. Son fruit est exemplaire. Ce vin est riche, bien fait et il me plait tout particulièrement. Il est suivi par un Echézeaux Leroy négociants 1972 dont la salinité exprime tout le charme des grands bourgognes anciens. Lequel préférer des deux ? C'est quasiment impossible de le dire même si certains s'y hasardent, car le Rouget est dans le fruit le plus pur et le plus beau et le Leroy, qui ne gagnera plus rien à vieillir plus, est à une forme aboutie de sa maturité, peut-être un peu schématique. Beaucoup dans notre groupe l'adorent.


Nous recevons une terrine de volaille et pommes de terre qui accompagne bien les vins. Le suivant est un Vosne Romanée les Suchots domaine Prieuré Roch 2001. Ce vin sans concession est controversé. Il est totalement original donnant un caractère salin de vin très ancien à un jeunot. Décoiffant, surprenant, il fait parler. J'avoue que j'aime assez cette forme originale, mais ce 2001 cherche vraiment trop à ne pas plaire. L'ami qui l'a apporté le défend bec et ongles, et je le comprends.


Le Vosne Romanée premier cru les Gaudichots domaine Forey P&F 1999 est d'une force certaine. On le sent d'une belle race et d'un bel épanouissement. Mais il n'a pas dégagé une émotion extrême, à mon palais. A l'inverse, le Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969 que j'ai apporté nous transporte à des hauteurs extrêmes. Un des membres du groupe comprend pourquoi j'aime les vins anciens, car ce vin de 1969 combine la richesse d'un fruit encore présent avec la présence saline d'un vin ancien. C'est une expression aboutie du pinot noir qui est appréciée par tous.


Arrive le grand moment de la soirée, le service simultané de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992. Nous aurions voulu deux Tâche les plus dissemblables que nous puissions trouver, jamais nous n'aurions réussi comme ce soir. Car la 1991 est d'un fruit insolent de jeunesse, avec une framboise qui explose dans le verre avant même que l'on puisse y porter ses lèvres, et le 1992 est dans l'expression saline du vin évolué, d'une finesse exemplaire. Au nez, c'est le 1992 qui est le gagnant. En bouche, la richesse gouleyante du fruit du 1991 est conquérante, faisant gagner ce vin, même si la finesse de structure est du côté du 1992. Nous buvons ces deux vins emblématiques avec bonheur, mais nous nous rendons compte que c'est le 1969 pour la majorité ou le 1972 pour d'autres qui captent nos suffrages. Les deux La Tâche sont belles, mais des vins plus canailles sont plus convaincants. Comment une seule année de différence peut conduire à cet écart d'évolution ? le plus rempli dans la bouteille est le 1992, qui est donc resté intact. Le 1991 a grandi pendant 19 ans au domaine sans le quitter, ce qui explique sa maturation lente. L'approche des deux est plus enrichissante que si nous n'en avions goûté qu'un.


Pour beaucoup, le Vin Jaune Château Chalon Maison Dejean de Saint-Marcel, Marcel Poux concessionnaire 1949 est le premier vin jaune vieux qu'ils goûtent. Comme ils s'extasient, je ne vais pas leur voler leur plaisir, mais ce vin très agréable d'une grande fraîcheur n'a pas toute la force qu'il devrait avoir. Il est bon, mais ce n'est pas un Château Chalon comme 1949 sait les faire. Il est quand même suffisamment bon pour que nous l'ayons asséché sous des rires joyeux.


J'ai pris force précautions pour que ces jeunes amateurs qui n'ont jamais bu de vieux champagnes acceptent et comprennent le Champagne Pommery & Gréno Brut 1964. Je retire le bouchon qui laisse échapper une belle salve de gaz embrumé. La couleur du champagne est irréellement belle. Pas l'ombre d'une trace d'ambre. La bulle est visible et court vite. Le nez est splendide et ce champagne en bouche est parfait. Il a très peu de signes d'âge, complet, citronné et fort de fruits confits. Il a aussi de la brioche. Il est grand et je crois que je tiens là le vin de la soirée.


Nous taquinons un ami qui voulait absolument que nous goûtions un vin de glace canadien pétillant de 2003, et franchement, l'humeur n'y était pas.


Ces jeunes sont des passionnés qui se sont connus sur un forum. Ils viennent d'horizons très différents et évitent les sujets qui fâchent. Comme ils boivent de bons vins, les disputes ne portent que sur l'appréciation des vins, lancées dans une atmosphère de sourire. Je suis heureux de les avoir accompagnés dans leur première ascension de La Tâche, en ayant ajouté un deuxième sommet avec l'année 1992. Nous avons parlé vin. Tous sont de sincères amateurs. J'ai passé une excellente soirée.


S'il faut faire un quarté, le mien sera : 1 - Champagne Pommery & Gréno Brut 1964, 2 - Vosne Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969, 3 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1991, 4 - Echézeaux grand cru Emmanuel Rouget 2000.

140ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 7 octobre 2010

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971



(par comparaison, voici le look de René Lalou ajourd'hui )



Champagne Dom Pérignon 1964



Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2001



Pétrus 1976



Château Mouton-Rothschild magnum 1990



Château Haut-Brion 1982



Château Latour 1982 (je n'ai pas enlevé le papier)



La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 (non annoncé sur le programme - ce sera une surprise !)



Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 (je n'ai pas enlevé le papier)



Jurançon Clos Prat # 1959



Château d'Yquem 1966



140ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 7 octobre 2010

Le 140ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Lorsque j'arrive au restaurant, par une chaude journée ensoleillée de début octobre, le lieu ressemble à une ruche bourdonnante, car le déjeuner s'est tenu dans le jardin et le dîner se tiendra en salle. Daniel, fidèle sommelier rompu à mes dîners apporte les bouteilles d'abord pour la photo de groupe des vins de ce soir, puis pour leur ouverture.


Le nez du Haut-Brion 1982 me donne une occasion qui n'a jamais été aussi nette de sentir le cuir. Sa densité olfactive est extrême. Son bouchon vient facilement car il adhérait peu au goulot, le liquide étant remonté haut, alors que celui du Latour 1982 est difficile à extirper tant il est serré. Le nez du Latour est salin. Le bouchon du magnum de Mouton 1990 est d'une magnifique qualité. Il est très serré dans le goulot. Le nez est de fruits rouges. Le bouchon du Pétrus 1976 est parfait et le vin a un nez de truffe. Le bouchon de La Tâche 1983 est tellement serré que je n'arrive pas à le tirer avec la mèche longue que j'utilise habituellement. Il me faut le limonadier qui fait surgir un bouchon qui double presque de volume lorsqu'il est libéré. Le nez salin est très prometteur.


J'avais annoncé un Jurançon autour de 1959 en l'absence d'indication de millésime. Le bouchon me permet de lire 1957. Le nez d'écorce d'orange est discret mais subtil. L'Yquem 1966 a un nez éblouissant, tonitruant de fruits bruns confits. Je fais sentir le vin au chef Alain Pégouret qui accepte de modifier le dessert prévu au profit de mangues tiédies.


Tout le monde est à l'heure et l'apéritif se prend dans le jardin car il fait encore assez chaud. Arrive alors un incident qui est le premier du genre sur tant de dîners : l'un des convives, arrivé le premier et avec qui j'avais à peine commencé de parler m'annonce un événement majeur qui le conduit à s'éclipser, ce qu'il fait sans que j'aie le temps de formuler la moindre phrase. Philippe Bourguignon, le célèbre directeur du restaurant fait au plus vite dresser la table pour neuf couverts au lieu de dix. J'avais rajouté un vin au programme déjà copieux. Nous ne manquerons pas de quoi boire.


Nous sommes neuf dont ma fille et mon gendre invités par un couple d'amis, une dynamique sommelière, un ami de longue date du temps de ma vie industrielle venu avec un collègue et ami, un célèbre animateur de relations publiques dans le monde du vin et de gastronomie et moi. Il y a quatre nouveaux participants.


Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 est d'une couleur ambrée légèrement grise. La bulle est presque éteinte mais le pétillant est présent. Le nez évoque une discrète tisane de fruits bruns, parfum très raffiné, et en bouche ce sont des fruits jaunes et bruns délicats qui enchantent le palais. Ce champagne est un Fregoli car il va changer de saveurs tout au long de sa dégustation. C'est sa délicatesse qui le caractérise le mieux. Il se boit sur des allumettes au parmesan et des beignets de merlan à la sauce tartare.


Nous quittons le jardin qui aurait pu accueillir notre dîner malgré le léger fraîchissement et nous passons à table. Le menu créé par Alain Pégouret est ainsi conçu : Coquilles Saint Jacques marinées au curry / Tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / Selle et carré d’agneau de Lozère rôtis en persillade, fleurs de courgettes farcies d’une mousseline aux girolles, une pointe d’oseille / Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Perdreau aux cèpes / Filet de Chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Macaron à la poire / Mangue tiédie.


Le Champagne Dom Pérignon 1964 est d'un ambre plus doré que celui du Mumm. Son nez est plus intense, et en bouche, il est tout ce qu'était le Mumm mais en plus voluptueux et généreux. C'est un immense champagne. Mon amour pour ces champagnes anciens est sans limite. Avec la coquille Saint-Jacques sucrée-salée, le champagne trouve une longueur infinie. C'est un régal fait de jolis fruits, comme trempés dans un sauternes.


Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, après deux champagnes kaléidoscopiques, est totalement rassurant. C'est un vin "pullman". Car on s'installe avec lui dans un canapé profond, on le déguste sans histoire tant son goût est rassurant. C'est un vin blanc élégant, fruité, de plaisir, très jeune encore. Il accompagne le plat qui est sans doute le meilleur du repas avec la joue. La cuisson du turbot est parfaite et le plat est d'une cohérence absolue. Le Guide Michelin serait bienvenu de s'en apercevoir.


Sur l'agneau nous avons deux vins dont un magnum. Nous ne manquerons de rien. Le Château Mouton-Rothschild magnum 1990 a un nez assez simple, mais profond. En bouche, s'il est un peu monocorde, je trouve qu'il délivre un message beaucoup plus profond que ce que j'attendais. Les tannins sont présents et bien dosés. C'est un vin de grand plaisir qu'une des participantes gratifiera d'une place de premier. A côté le Pétrus 1976 est d'une richesse et d'une complexité plus marquées. C'est un vrai vin de plaisir, avec une belle noblesse. Ce vin combine force, profondeur et souplesse. Le bois est présent, la truffe est sensible, la longueur est remarquable. C'est un vin de grand plaisir.


Mais notre intérêt se tourne vers un couple diabolique, mis en valeur par un plat magistral. Le nez du Château Haut-Brion 1982 fait une OPA sur le risotto. Car le parfum du Haut-Brion devient truffe blanche, alors que le parfum du Château Latour 1982 reste totalement indifférent au tsunami odorant du tubercule. Le nez du Latour est d'une subtilité rare. Si le Haut-Brion s'accouple avec le risotto, le Latour conte des madrigaux charmants à la moelle délicieuse, le gras mettant en valeur sa finesse. Le Haut-Brion est droit dans sa définition historique, avec une densité de trame unique, et le Latour est d'une finesse et d'une élégance spectaculaires. A cet instant, je sens qu'une majorité de la table penche vers le Haut-Brion. Je trouve le Latour absolument sublime, une expression exceptionnelle de la pureté d'un bordeaux de 28 ans. Il tutoie les sommets du vin de Bordeaux, et sera dans vingt ans une icône indéboulonnable. Le fameux 100/100 Parker est déjà pour lui. La joue de veau est un délice majeur qui met en valeur les deux vins.


Depuis quelque temps, j'ajoute des vins aux dîners, parce que ça me fait plaisir, sans que je le considère comme une obligation. Ce dîner comportant un nombre significatif de vins dits "vins d'étiquettes", j'ai voulu ajouter une icône bourguignonne, ce qui a fort enchanté mes hôtes. Avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 on tourne une page de la beauté du vin. Pour le Domaine, l'année 1983 n'est pas considérée comme une grande année, et cette Tâche a tout pour contredire les archives. Car ce vin est magistral. Salin, il évoque la rose au nez et en bouche de la plus persuasive des façons. Qu'on est bien avec ce vin clairet, rose, follement bourguignon, à l'extrême longueur. C'est un vin d'une belle sensualité. Comme cela arrive souvent, ce vin allume des tas de petites lumières dans mon cerveau, rappelant les meilleurs souvenirs que j'ai eus avec les vins du domaine de la Romanée Conti, avec son sel, sa rose, et toutes ces amertumes contrôlées, signes de pureté de ces vins mythiques.


Arrive maintenant un vin gratifié d'un 100/100 par Parker, qui fait partie, pour moi, des plus grandes réussites des vins que j'appelle jeunes. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 est un monument. Ce vin est en train d'évoluer. C'est la première fois que je le trouve si bourguignon. Car il a moins la pétulance du fruit et joue plus sur l'élégance saline. C'est un vin dont je ne cache pas mon amour, qui prendra un jour un statut de légende. Il est généreux, ample, vivant, et diffuse du bonheur. Le chevreuil est goûteux et se marie merveilleusement bien.


Il y a toujours un ou deux fantassins dans ces dîners, aussi est-ce le rôle du Jurançon Clos Prat 1957 que j'avais annoncé proche de 1959, et daté précisément par son bouchon. Sa couleur est très belle, d'un orange pur ensoleillé. Le nez est discret et ce vin très pur joue dans une discrétion qui n'exclut pas la personnalité. Le macaron est diaboliquement bon et l'accord se trouve, le plat dominant le vin mais l'acceptant.


Patrick Lair, tel un Vatel contrit, vient confesser qu'il n'y a pas de mangue et que le dessert sera à la pêche. Va pour la pêche. Le Château d'Yquem 1966 à la couleur divine d'abricot et d'acajou a un nez à se damner. En bouche il est soleil, riche, profond, merveilleux Yquem en pleine possession de ses moyens, avec un final en fanfare. Ce qui est à noter, c'est que l'Yquem ne range pas le Jurançon au rang des accessoires. Il avait sa place dans ce repas.


Nous sommes neuf à voter. Seuls deux vins n'ont pas de vote, le Chevalier-Montrachet et le Jurançon. La Tâche obtient sept votes. Les vins qui ont eu des places de premier sont La Mouline avec quatre votes de premier, La Tâche et Latour avec deux votes de premier et le Mouton avec un vote de premier.


Impressionné par les quatre votes de premier de la Mouline, c'est lui que j'ai annoncé champion or en faisant un calcul au lieu d'une estimation, les quatre votes de second pour La Tâche, alors que la Mouline n'en a pas eu, conduisent au vote du consensus suivant : 1 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 3 - Château Latour 1982, 4 - Château Haut-Brion 1982.


Mon vote est : 1 - Château Latour 1982, 2 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 - Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 4 - Château d'Yquem 1966.


Il y avait ce soir des vins de renom en nombre plus élevé que d'habitude. Aux sourires de joie des convives, on s'aperçoit que l'on s'habitue très bien au statut de "buveur d'étiquettes". Le service du restaurant Laurent est toujours d'une efficacité remarquable. Daniel a été attentif au service des vins réalisant comme d'habitude un sans faute. La cuisine d'Alain Pégouret nous a offert deux plats du niveau de trois étoiles. Le restaurant Laurent est une des grandes tables parisiennes.