279ème repas au restaurant Pages jeudi, 30 novembre 2023

Un Mexicain qui me suit sur Instagram m'a demandé d'organiser un de mes repas pour un petit groupe de quatre et il me donne un budget pour ce repas. Il demande aussi que son groupe participe à l'Académie des Vins Anciens. Il est prévu aussi que son groupe vienne assister à l'ouverture des vins à 10h30 avant le déjeuner au restaurant Pages que j'apprécie pour son adaptabilité à l'organisation de tels repas. Ce repas sera le 279ème de mes repas.

A 10h30 nous sommes présents tous les cinq. Je souhaite commencer par ouvrir La Tâche 1986 qui doit profiter du temps le plus long d'oxygénation lente. Le bouchon est extrêmement serré et j'ai de grandes difficultés à le tirer. Commencer de cette façon n'est sans doute pas très brillant pour impressionner mes convives car j'arriverai à tirer le bouchon seulement après l'avoir cassé en deux au milieu. J'aurais bien aimé le garder entier car il est beau. Le parfum est encore timide mais prometteur.

J'ouvre ensuite l'Hermitage blanc Chave 1993 et je suis face au même problème de bouchon trop serré, mais je m'en tire beaucoup mieux. Le nez est lui aussi timide mais moins que La Tâche. Il promet un beau résultat.

Le Chambertin 1990 a un bouchon qui vient entier sans problème et la délicatesse de son parfum annonce de belles choses.

L'Yquem 1944 a une bouteille magnifique, avec un niveau parfait. La couleur est d'un acajou presque noir en haut de bouteille et des reflets plus dorés en bas de bouteille du fait que la lumière traverse le verre du fond. Le bouchon est d'une qualité parfaite et le parfum est une explosion de fragrances séduisantes.

J'ajoute au programme convenu un Château l'Etoile Vin Jaune 1982 au parfum très fort d'un bel alcool car j'ai envie d'associer des blancs très différents.

Mes nouveaux amis qui avaient lu mes aventures attendaient que je propose, après la séance d'ouverture, d'aller au restaurant 116 pour boire une bière et sucer des édamamés. Ce que nous faisons, dans une ambiance de belle complicité. Cette étape au restaurant 116 fait partie du rite de mes repas au restaurant Pages.

Avant que mes convives n'arrivent, j'avais mis au point le menu avec le chef Ken et le pâtissier. L'idée du menu est de petits amuse-bouches, puis : filets de rouget crus / lieu jaune sauce umami / raviole de homard / veau avec une sauce au vin / wagyu et sa gaufre / saint-nectaire / dessert à la châtaigne.

J'ouvre le Champagne Dom Pérignon 1982 et un joli pschitt accompagne la sortie du bouchon. Le Champagne est magnifique, cohérent et c'est en fin de bouche qu'un joli fruit apparaît. J'adore le millésime 1982 et cette bouteille est d'une qualité particulière.

Pour le poisson cru, nous aurons le champagne et le Château l'Etoile Vin Jaune JH Vandelle 1982 de la même année. Le vin jaune est fort et superbe. Je trouve que l'accord avec le poisson est plus excitant avec le vin jaune même si le champagne est beaucoup plus subtil.

Le poisson est accompagné de l'Hermitage Blanc Jean-Louis Chave 1993. Sa fraîcheur à la longueur éternelle m'impressionne énormément. L'accord avec la sauce umami est divin. C'est un instant de pur bonheur.

La raviole de homard est à l'aise avec le champagne et le vin du Jura. La juxtaposition des trois vins, de Champagne, du Jura et du Rhône est idéale pour voyager dans toutes les gammes de goûts.

Le Chambertin Rossignol Trapet 1990 a une forte parenté avec le Chambertin Trapet 1990 que j'adore. Ils sont vraiment cousins. L'accord avec le veau discret est subtil. Ce chambertin exprime la sensibilité des vins de Bourgogne. Et nous allons connaître les mêmes sensations en faisant suivre ce vin par La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 que celles que nous avons eues avec les gagnants d'un championnat européen de dégustation à l'aveugle : le chambertin est si riche et si percutant qu'il domine, dans le cœur de mes amis, la subtilité du vin de la Romanée Conti.

J'aime beaucoup La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 au goût mêlant raffinement et puissance. Comme il y a une semaine je mets le vin de la Romanée Conti devant le chambertin et mes convives le mettent derrière.

Le wagyu, gras mais pas trop, est un compagnon idéal pour La Tâche.

Le Château d'Yquem 1944 est un vin d'une grâce infinie. Sa couleur annonce des goûts de marron, qui convergent vers le délicieux dessert aux châtaignes. C'est un régal raffiné.

La pertinence des accords a impressionné mes nouveaux amis mexicains.

Nous votons et c'est assez invraisemblable que nous ayons quatre gagnants mis en place de numéro un, alors que nous ne sommes que cinq. C'est le chambertin qui a deux votes de premier, ceux qui ont un vote de premier sont le Dom Pérignon, l'Hermitage blanc et l'Yquem. J'ai mis l'Hermitage en premier car la sensation de fraîcheur m'a impressionné fortement. Mes amis ont été étonné que nos votes puissent être aussi distincts.

Le vote global serait : 1 - Chambertin Rossignol Trapet 1990, 2 - Champagne Dom Pérignon 1982, 3 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986, 4 - Château d'Yquem 1944, 5 - Hermitage Blanc Jean-Louis Chave 1993, 6 - Château L'Etoile Vin Jaune JH Vandelle 1982.

Mon vote est : 1 - Hermitage Blanc Jean-Louis Chave 1993, 2 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986, 3 - Chambertin Rossignol Trapet 1990, 4 - Château d'Yquem 1944, 5 - Champagne Dom Pérignon 1982.

Dans deux jours je vais revoir ces nouveaux amis à l'académie des vins anciens. Ce sera une toute autre expérience.

Dîner pour les vainqueurs d’un concours européen de dégustation à l’aveugle vendredi, 24 novembre 2023

Une habitude avait été créée il y a quelques années de proposer à des étudiants de grandes écoles de participer à l'Académie des Vins Anciens en bénéficiant d'un tarif préférentiel. Plusieurs étudiants de diverses écoles, HEC, Normale Sup et autres, en avaient profité. J'avais revu certains étudiants lors de dîners privés et j'ai appris qu'ils avaient formé un groupe qui participait aux compétitions ouvertes aux grandes écoles européennes de dégustation de vins à l'aveugle.

J'avais dit à ces candidats : si vous gagnez la compétition, j'ouvrirai pour vous de belles bouteilles. Il se trouve qu'ils ont gagné. Je n'ai pas vu le diplôme, je fais confiance.

Nous avons échangé des messages pour mettre au point le programme des vins. L'un des lauréats a proposé un restaurant que je ne connais pas, le restaurant Passionné, fondé il y a un an. Le personnel est prévenu que je viendrai vers 17 heures ouvrir les vins.

Lorsque je me présente, l'accueil est sympathique. On sent le personnel très intéressé et concerné par notre dîner.

J'ouvre les vins. Le serveur ou sommelier qui accompagne mon travail vient avec plusieurs carafes et je lui dis que je ne les utiliserai pas. Pendant l'ouverture, je me fais expliquer les plats conçus par le chef Satoshi Horiuchi et je fais modifier l'ordre de service, j'ajoute un plat et certains ingrédients seront évités, comme la vanille ou la vinaigrette. Cela se fait dans un climat ouvert.

Le Montrachet Caves Nicolas 1928 a un verre très clair qui permet de voir que le vin est trouble. Le nez n'est pas parfait mais il faut attendre avant de juger. Le Kébir Rosé Frédéric Lung probable 1947 a un nez qui me rappelle de beaux souvenirs. Un sourire illumine mon visage.

Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 a un parfum qui promet du bonheur et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1963 promet de la grandeur.

J'ouvre maintenant le vin parmi les trois que j'ai apportés qui est le cadeau symbolique pour mes amis gagnants du concours : le Cru de Coÿ Enclave Yquem Sauternes 1923. Il a cent ans tout juste et il a vécu dans le berceau d'Yquem. Il y a un fort symbole dans ce cadeau. Son parfum est d'une justesse parfaite.

L'ami qui a apporté son vin, le Château Siran Margaux 1929 est un héritier des propriétaires. La bouteille a été reconditionnée au château en 2002. On sent que le parfum est plus jeune que celui d'un 1929, même si le vin est authentiquement de 1929.

Les deux champagnes sont ouverts au dernier moment car je ne voulais pas les ouvrir avant l'arrivée de leur apporteur.

Les bouteilles étant ouvertes, j'ai le temps de me rendre au siège de la Banque J.P. Morgan où le cognac Hennessy va faire goûter des cognacs d'exception en présence du Maître Assembleur Renaud Fillioux de Gironde. Je bavarde avec plusieurs personnes invitées en grignotant des petits canapés sympathiques et en buvant un champagne du groupe Moët Hennessy. Devant repartir assez vite, je demande à Renaud de me faire goûter un seul cognac avant le début de la dégustation. C'est un Cognac Richard Hennessy qui m'est tendu. Quel grand cognac. Il ne peut se boire que religieusement.

Je reviens vite au restaurant Passionné. Le menu du repas est : Le menu : amuse-bouches: saint Jacques, crabe, tourteau et betterave / saint Jacques dans sa coque, ormeaux avec aubergine / déclinaison autour du champignon, comme un café gourmand / lieu jaune / ris de veau et crevettes / canard / lièvre à la royale / Tatin / cannelés exotiques. Parmi les deux champagnes Pol Roger Demi-Sec nous commençons par le Champagne Pol Roger Extra Cuvée de Réserve Demi-Sec années 50. C'est la mauvaise pioche car en voulant le plus sec des deux, nous nous sommes méfiés de la notation « goût français », mais le plus dosé est l'extra cuvée de réserve. Le champagne en soi est follement intéressant, mais il le serait plus sur le dessert que sur les entrées. La coquille Saint-Jacques crue n'est pas à l'aise avec lui aussi nous précipitons le service des blancs. Le Montrachet Caves Nicolas 1928 a un nez incertain que l'un d'entre nous trouve bouchonné. Je lui suggère de passer outre ce sentiment, car en milieu de bouche le vin est extrêmement agréable. Il est riche et puissant, et en laissant de côté le très léger défaut de nez, on se régale.

Le Kébir Rosé Frédéric Lung probable 1947 est un vin absolument plaisant aux goûts exotiques. Les ormeaux sont magnifiquement réussis et trouvent un écho avec le vin algérien. Les ormeaux pourraient cohabiter avec un vin rouge et l'essai avec le Château Siran Margaux 1929 est concluant. Ce vin de Bordeaux est frais avec des accents jeunes. Il est riche et cohérent. Je le trouve accompli comme un 1929 doit l'être.

J'avais vanté les qualités du Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 que j'avais massivement acheté il y a une quarantaine d'années. Damoy était le nom d'une chaîne de magasins et peu de gens s'intéressaient à un chambertin doté d'un tel nom. Quelle erreur, car ce vin que j'ai mis souvent dans mes dîners finissait presque chaque fois en premier ou en second des votes des convives. Alors après tant de compliments, mes jeunes amis étaient curieux.

Sur le ris de veau, bonheur absolu, car ce chambertin est d'un accomplissement total. Il a des notes salines qui suggèrent un peu celles des vins de la Romanée Conti. Il est riche, droit, serein. Une merveille et mes amis comprennent mon amour pour ce vin. Ils sont conquis.

Pour beaucoup, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1963 est le premier vin du domaine de la Romanée Conti qu'ils découvrent. Et ils ont une immense chance car cette Tâche est exceptionnelle. Par un hasard de l'histoire, il y a le même nombre de vins mis en bouteilles pour les millésimes 1963 et 1966. Comme la donnée du nombre de bouteilles produites est la seule permettant une identification je pourrais choisir 1963 ou 1966, mais le caractère gracieux et délicat de ce vin subtil me suggère de le dater en 1963. La rose et le sel sont présents avec grâce et raffinement. C'est une Tâche qui ne joue pas sur sa puissance mais sur son élégance. Un immense vin, idéal pour le lièvre à la royale que j'ai préféré à celui du Train Bleu beaucoup plus gibier. Celui-ci, plus doux mais très goûteux, est idéal pour le vin. Du bonheur.

Le Cru de Coÿ Enclave Yquem Sauternes 1923 est un sauternes d'une grande délicatesse. Il est subtil et délicieux mais il n'a pas le coffre des vins d'Yquem. Ce qui est intéressant c'est qu'il a atteint un équilibre qui le rend sans âge. A l'aveugle, personne ne s'aventurerait à lui donner cent ans. C'est un vin d'un bel équilibre. J'avais demandé pour ce vin une Tarte Tatin, mais j'ai trouvé qu'elle ne faisait pas Tatin et n'apportait pas sa douceur appuyée au vin. Boire ce vin centenaire est un grand moment.

Le Champagne Pol Roger Grand Vin Goût Français Demi-Sec années 50 est absolument charmant. On regrette qu'il n'ait pas été en tête de repas, car il est beaucoup plus sec que le premier que nous avons bu. Dommage car ce champagne raffiné est très grand.

Il y a quelques mois quelqu'un a remis au restaurant L'Ecru de France un petit flacon à mon intention. On peut lire sur le verre : Pure Single Rum Renaissance Distillery Isle of Formose Single Cask. Je ne sais pas du tout qui me l'a adressé et s'il lit cet article, qu'il me contacte pour que je le remercie. Nous buvons ce rhum comme point final de notre repas, mais ce breuvage m'évoque beaucoup plus un excellent Bourbon qu'un rhum. Agréable à boire, large d'épaules, mais très peu rhum.

Que dire de ce repas ? Mes amis sont charmants, ils ont l'avenir devant eux et ils aiment le vin ce qui est un atout de plus. Je suis heureux de leur avoir fait découvrir deux bourgognes dans leur plus belle expression. Le restaurant a été très réactif, dans une ambiance de belle coopération. Les apports de mes amis ont été généreux. Les ormeaux et le lièvre à la royale m'ont séduit.

Ce grand moment d'amitié avec des jeunes prometteurs est très important pour moi.
Après mon compte-rendu il est intéressant de voir les comptes rendus des participants. C’est très intéressant de voir ces approches différentes. Compte-rendu d’un des convives : (1)         Pol Roger demi-sec, années 1950 : la robe est claire, brillante et orangée. L’on dirait un sauternes de vingt ans tant la couleur est sirupeuse. Le premier nez est opulent, encore sur les fruits jaunes et la mangue. C’est très surprenant, avec encore un peu de brioché qui donne de la jeunesse. Le nez s’arrondit sur la cire, le menthol : mon ami à ma gauche me dira que cela fait penser aux salons nouvel-empire. Je ne peux qu’y souscrire. La bouche est surprenante. Une légère bulle soutient le vin et lui donne de l’ampleur. La longueur est immense, avec un sucre épais et massif. On peut hésiter entre 100 et 200 grammes de sucre résiduel. Je m’attendais avec la mention « demi-sec » à moins, mais avec l’âge le sucre est suffisamment patiné pour que le vin ouvre le bal sans heurter les suivants. Il me rappellera un cidre de glace fait par Antoine Marois et dégusté il y a quelques semaines. Un merveilleux vin. (2)         Le montrachet est d’une robe jaune léger. Elle est intemporelle. Le nez est initialement fatigué, avec un voile liégeux. Si l’on passe outre, on a un bouquet tout à fait terrien. Les notes de fruits secs sont belles et légères, la truffe blanche est opulente. La vraie magie opère en bouche. Le vin n’a pas la moindre trace de bouchon et la structure est proprement magistrale. On croirait une cathédrale. La rétro-olfaction est une définition extrêmement précise de la morille, cette précision est magique. Le vin est puissant, ample, il se déploie de façon concentrique puis ramène à l’essentiel par une acidité salvatrice. C’est un vin de méditation qui se marie merveilleusement avec la Saint-Jacques. C’est un vin merveilleux par ce qu’il donne, si on accepte cette légère imperfection du nez. (3)         Le Kebir rosé années 1940 est tout l’inverse. C’est une perfection au nez, avec des notes de fleurs enivrantes. On a toute l’opulence de la datte. Le vin semble intemporel. La bouche est puissante et alcooleuse, mais je lui trouve de légers écarts. C’est trop crayeux, trop huîtré. Je retrouve cela sur certains vieux vins blancs ou rosés, et je ne pense pas que cela provienne du terroir. La nourriture lui fait le plus grand bien, notamment l’ormeaux qui réalise avec ce vin un mariage d’amour. (4)         Le Siran 1929 a été reconditionné au domaine il y a moins de dix ans. Le nez est éclatant, c’est un cigare et des notes de fumées merveilleuses. Le vin est précis et net en bouche, avec une puissance de l’alcool et des fruits compotés que l’on n’imaginerait. (5)         Le chambertin clos de Bèze 1961 de Pierre Damoy arrive, et l’on pourrait croire à un miracle. Le vin est d’une puissance sans commune mesure. Dès le nez dans le verre, impossible de s’en sortir. On sent la figue rôtie, une très légère olive noire, de la fumée… A l’aveugle, qui dirait que ce vin n’a pas 20 ans ? La bouche est stratosphérique, il est difficile de pouvoir lui trouver une comparaison dans mon parcours. Elle est tannique, d’une longueur interminable. Le vin est puissant, terrien, il impose son monde. Quelques rires nerveux caractérisent l’atmosphère de la table. C’est ça un grand cru de bourgogne. Quel vin. (6)         La Tache 1963 domaine de la Romanée Conti. Après de tels propos dithyrambiques sur Clos de Bèze, vous allez me dire que je vais faire encore au-dessus avec la Tache. C’est plus nuancé, mais je n’arriverai pas à mettre un de ces deux vins au-dessus de l’autre. La Tache joue sur un autre registre. Le nez est merveilleux sur la rose, des fruits noirs très légers, de la cannelle. C’est incroyablement frais, un parfum subtil. La bouche est tout le contraire du Chambertin, elle n’impose rien, elle est aérienne. Elle passe d’une senteur à une autre, des fruits aux épices, de la fumée au sel. La Tache est un vin qui n’a plus de chair, c’est un pur esprit. Et ca le rend magnifique. (7)         Clos de Coÿe 1923 enclave d’Yquem est surnaturel, car on ne peut pas lui donner d’âge. On y trouve de la mandarine, du citron vert, une fraicheur et un exotisme d’une grande exubérance. Le nez est aussi dominé par des notes de plastique brulé, de noix de coco grillée, de torréfaction puissante. Je suis persuadé que ce vin a séjourné longtemps dans un fut très neuf, car ces notes sont puissantes. En bouche, la mache est immense, le sucre est massif avec une acidité mordante qui étend longuement le vin. (8)         Pol Roger années 1950 « goût français » a du mal à passer avec Coÿe, car nous l’attendions extrêmement sucré, encore plus que le premier champagne et le clos de Coÿe. C’est l’inverse qui se produit, il est moins sucré et plus fatigué que le premier champagne. Compte-rendu d’un autre participant Bonjour à tous, je tiens tout d’abord à vous dire un grand merci pour ce dîner dantesque et dont je me souviendrai longtemps. Puisse le vin continuer à nous rassembler à l’avenir comme il le fait avec tant de complicité. Mon classement est le suivant : -Chambertin 1961 -La Tâche 1963 -Montrachet 1928 -Cru de Cöy 1923 -Château Siran 1929 -Le premier Pol Roger années 1950 -Kébir Rosé 1950 -Le dernier Pol Roger « goût français » années 1950 Je mets le Chambertin juste au-dessus de La Tâche en raison du choc ressenti au moment de plonger mon nez dans le verre. C’était une expérience sensorielle rare, un tremblement de terre après les premiers vins qui étaient alors déjà excellents. Surtout après le Siran. En goûtant ce dernier, c’est un peu comme si j’avais eu en moi la preuve que l’univers est immense et que nous ne sommes qu’un point infime perdu dans sa totalité ; mais le Chambertin m’est apparu comme l’infini, il m’a montré que l’univers était en fait au-delà de notre conception des distances. La couleur cuivre sublime attire instantanément le regard avant de révéler des arômes de viande rôtie et de poivre chaud, de ceps et de truffes noires. La bouche était d’un velours soyeux et ample, avec une sensation poivrée sur la langue que je n’avais jamais ressentie. J’avais en bouche un vrai vin épicé. Un vin très viril, inoubliable. La Tâche était au même niveau, soyons francs, mais il venait après un titan, ce qui a réduit la distance de surprise dans la dégustation entre les vins. Le Chambertin avait en plus l’avantage de correspondre davantage à mes goûts personnels. La Tâche était plus subtile, plus aérien, magistral de longueur et de fraîcheur en bouche. Chambertin est un Delacroix, La Tâche un Chagall. Deux conceptions de la noblesse et de l’excellence. Le nez de roses surannées est unique en son genre, enivrant et profond. Le gros sel est d’une fraîcheur impressionnante. En bouche, la structure était celle d’une cathédrale : long et tout en oraison. En effet, le vin rebondissait sur la langue, montait vers le palais pour redescendre dans un va-et-vient incontrôlable, joyeux : divin. Au moment de goûter le Montrachet, j’ai eu peur à cause des effluves de bouchon qui s’en dégageaient. Mes craintes furent vites dissipées à mesure que le vin s’ouvrait dans le verre. Car j’avais devant moi un vin presque centenaire d’une fraicheur désaltérante. L’acidité du vin soutenait et amplifiait des arômes de vieille poire et de tabac blond. Le côté suranné offrait à la dégustation une profondeur mystérieuse et insaisissable. L’accord avec les ormeaux l’aura rendu incontournable pour ce classement. Le cru de Cöy est quant à lui au rang des vins éternels. Sa robe or-cuivre avec des reflets rouges était d’une beauté incomparable. S’il eût pu en acheter, Sardanapale aurait bu de ce vin à son image : un vin opulent, d’une richesse démesurée. Plonger le nez dans ce verre, c’est se perdre dans des plaisirs exotiques violents, mélange ahurissant de fruits et d’encens, d’épices et de sucre. En bouche, je fus agréablement surpris par un taux de sucre maitrisé, équilibré par une acidité qui n’a pas pris une ride. Est-il vraiment nécessaire que je fasse l’éloge de sa longueur en bouche ? L’homme n’a pas encore inventé l’outil capable de la mesurer. Château Siran est le vin qui m’a séduit au premier nez. Le goûter m’en fit tomber amoureux. D’une élégance aristocratique, sa robe pourpre fut confectionnée par une maison de haute couture et lui rend la beauté de ses vingt ans. On ne se lasse pas de son bouquet de pivoines et de fruits rouges mûrs. C’est un vin divinement féminin, digne de Margaux. La bouche est suave, caressante. On reste sur un mélange de cerise confite, de vanille et de cardamome. Et moi qui pensait que le Bordeaux serait plus dominateur que le Bourgogne ! Le Siran fait la révérence tandis que le Chambertin jette ses armes sur la table. On peut dire qu’un dîner commence bien lorsqu’il s’ouvre sur un Pol Roger demi-sec années 1950. Davantage demi que sec, le vin se love entre les papilles et vient chatouiller le palais. C’est doux, c’est frais, d’un gras fin et gourmand à la fois. Je prenais plaisir à remuer régulièrement mon verre tout au long du repas car s’en dégageaient des arômes nostalgiques de boiseries anciennes. Un vin joyeux et mélancolique à la fois :  la classe à la française. Boire un Kebir c’est remettre un képi. Le temps d’un repas, hors du temps. La sensation incroyable de boire un vin produit à Alger dans les années 1950 est difficile à décrire. On s’attend à tout, sauf à ça. Le nez est expressif, un subtil mélange de groseille et de cumin. La bouche est chaude, on sent tout de suite la tenue du vin : stricte, d’une grande dignité. C’est un rosé dans toute sa splendeur : ni blanc, ni rouge, il ne prend pas parti. C’est le vin à part de la sélection, étonnant, fascinant, indépendant. Le Pol Roger « goût français » m’a finalement semblé plus fermé par rapport aux autres. Mais il faut reconnaitre qu’être servi en dernier après cette ascension de l’Olympe est un rôle ingrat. Mon attention quelque peu distraite en cette fin de repas n’y est aussi probablement pas étrangère. Le vin était néanmoins très agréable, gourmand, beurré. D’un beurre vieilli, affiné. La bouche ne ment pas et vient clore en beauté ce dîner spectaculaire. Je tiens à saluer le travail du chef Horiuchi et toute l’équipe du Passionné pour l’organisation de ce cette expérience inoubliable. L’intelligence est une question de goût. Commentaire d’un autre participant Merci encore pour ce moment merveilleux. Les mets étaient délicieux, les vins spectaculaires et la compagnie de grande qualité. Je me souviendrai toujours de ce lièvre à la royale avec la Tache 63. Voici mon classement qui reflète avant tout mes goûts, car tous les vins étaient excellents.
  1. La Tâche (Pour sa complexité au nez et sa douceur en bouche)
  2. Chambertin (Pour sa puissance et ses épices)
  3. Siran (Pour son fruit et son côté féminin)
  4. Montrachet (Pour son acidité et son intemporalité)
  5. Pol Roger demi-sec (Pour son équilibre et son côté gourmand)
  6. Cru de Coy (Pour ses notes de noix et sa couler cuivrée)
  7. Kébir Rosé (Pour son nez majestueux et sa jeunesse)
  8. Pol Roger goût français (Celui que j'ai le moins apprécié car je le trouvais vieux au nez et pas très équilibré en bouche)
Gauthier, merci encore pour l'organisation. Le restaurant était clairement à la hauteur et ce fut une belle découverte. François, merci de nous avoir fait découvrir ces trésors !

Déjeuner avec des amateurs belges mardi, 14 novembre 2023

Il y a plusieurs mois, j'avais déjeuné avec deux jeunes belges amateurs de vins qui avaient proposé de partager de belles bouteilles. L'ambiance amicale de ce déjeuner a donné envie de « remettre le couvert ». Les amis belges sont passés de deux à quatre et le déjeuner se tiendra au restaurant Pages. Il était convenu de se retrouver à 11 heures pour l'ouverture des vins, mais comme je suis arrivé plus tôt, j'ai eu le temps d'ouvrir le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1969.

Le niveau est un peu bas, la capsule est intacte et en enfonçant le tirebouchon, je sens que le bouchon est très serré. Une fois de plus je constate qu'un bouchon très serré ne signifie pas étanchéité. Des bouteilles perdent souvent plus de volume avec des bouchons très serrés qu'avec des bouchons peu serrés ou qui menacent de tomber dans le liquide.

Le bouchon est dur comme du bois sec et sur 80% de la longueur on le voit sec et portant des signes de moisissure, mais heureusement le bas du bouchon est de belle qualité. Et je suis aux anges en sentant ce breuvage qui me semble divin. Mes amis auront le même sourire en le sentant.

Je poursuis avec les vins des amis belges. Le Château Grillet 1979 a un nez de bouchon. Nous verrons. Tous les bouchons viennent entiers et sans problème. Le parfum du Château Lafite 1954 est enthousiasmant et plus riche que ce que j'attendrais de cette année et le parfum de l'Ausone 1937 est glorieux. Celui du Clos de Tart 1953 est beaucoup plus discret et on attendra son éveil.

Je croyais le Château Lafue 1928 reconditionné, un Sainte-Croix du Mont, mais non. Il est étonnamment clairet et annonce un liquoreux devenant sec.

Nous sommes très heureux qu'à part le Grillet, tous les vins n'offrent que de belles promesses. J'ouvre alors le Krug Private Cuvée années 60 au niveau très haut. Le bouchon est d'une qualité exceptionnelle et le nez n'annonce que du bonheur.

Il me semble que l'on devrait commencer par un champagne « de début » avant 'd'attaquer' le Krug, afin de se faire le palais. Pierre-Alexandre nous vante les mérites d'un Champagne Marteaux Guillaume Cuvée Esprit Terroir 2016 dégorgé en 2022 fait des trois cépages, non dosé. Il a raison de l'avoir recommandé car ce champagne n'a pas la dureté des non dosés et se montre même joliment gastronomique. Une belle surprise.

J'avais mis au point le menu avec le chef Ken qui sera : mini-barquette de tartare de bœuf et verdure / poisson cru à l'huile / raviole de homard / cabillaud sauce au vin / canard de Challans et endives / wagyu en deux services et gaufres / tarte Tatin.

Le Champagne Krug Private Cuvée années 60 est d'une rare noblesse. Tout en lui est parfait, au goût idéal. J'avais acheté un lot de ce champagne qui se montre chaque fois idéal. Avec le poisson cru, l'accord est magique.

Le Château Grillet 1979 est marqué par un nez de bouchon, mais le milieu de bouche est absolument sain, sans trace de bouchon, qui ne réapparaît que dans le finale. Je me concentre sur le goût du milieu de bouche et le vin me plait beaucoup, très adapté à la raviole de homard. Il est à noter que le nez de bouchon aura complètement disparu environ trente minutes plus tard.

Le Château Lafite-Rothschild 1954 a un parfum irréellement séduisant. Il est raffiné. En bouche je retrouve les marqueurs de Lafite, le charbon comestible et la truffe. Sa densité me surprend car je n'attendrais pas une telle richesse pour un 1954. Avec le cabillaud, l'accord est divin.

Il y a bien longtemps, j'avais profité des 'reliques' de cave du restaurant Laurent comptant beaucoup de bordeaux de 1937. Les prix étaient bas car les risques étaient grands. J'ai donc gardé de 1937 l'image d'un millésime incertain, alors que c'est probablement la cave du Laurent qui ne permettait pas un vieillissement de longue durée. J'appréhendais le Château Ausone 1937 avec précaution mais le nez à l'ouverture m'avait rassuré. Servi maintenant, c'est un empereur, c'est César toisant Vercingétorix. Le canard est un compagnon idéal de ce riche et grandiose saint-émilion.

Un des amis demande lequel nous préférons des deux bordeaux et nous sommes tous du même avis : même si l'Ausone est un puissant guerrier, notre cœur balance du côté du subtil et émouvant Lafite.

Le Clos de Tart 1953 pourrait être jugé plaisant, mais je ne reconnais aucune caractéristique d'un Clos de Tart. C'est un bon bourgogne mais qui n'a pas la prestance que devrait avoir ce vin si subtil et rare. Le wagyu l'aide bien mais le cœur n'y est pas.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1969 est une merveille dans un état parfait. Il a les marqueurs des vins de la Romanée Conti, la rose et le sel, riches à l'extrême. J'entre en pamoison. Pour mon goût, ce vin est la perfection de la Romanée Conti. Et le wagyu apporte du gras qui fait éclore la rose.

Le Château Lafue Sainte-Croix du Mont 1928 m'avait surpris par sa couleur très claire annonçant sans doute un liquoreux devenu sec. Il montre en fait un très bel équilibre au doucereux délicat. Combien d'amateurs connaisseurs de vins ne diraient pas Sauternes en buvant ce Lafue à l'aveugle ? Le plaisir de ces appellations de vins doux du bordelais est total. La tarte Tatin revisitée par le chef pâtissier est superbe et met en valeur le liquoreux.

La cuisine du chef Ken a été absolument pertinente et a ébloui mes nouveaux amis, les plus originaux des accords étant avec le poisson cru et avec le cabillaud. Mais le canard avec l'Ausone et le wagyu avec le Richebourg ont été des accords puissants.

Il est temps de voter. Je pensais que le Richebourg serait le gagnant, mais la subtilité délicate du Lafite a impressionné mes convives qui lui ont donné trois places de premier contre deux places pour le Richebourg.

Le vote du consensus est : 1 - Château Lafite-Rothschild 1954, 2 - Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 - Champagne Krug Private Cuvée années 60, 4 - Château Ausone 1937, 5 - Château Lafue Sainte-Croix du Mont 1928, 6 - Clos de Tart 1953.

Mon vote est : 1 - Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1969, 2 - Champagne Krug Private Cuvée années 60, 3 - Château Lafite-Rothschild 1954, 4 - Château Ausone 1937, 5 - Château Grillet 1979.

Je suis ravi que mes jeunes amis trouvent normal d'apporter un Ausone 1937 dans un repas partagé. Cela prouve que la reconnaissance des vins anciens a vraiment progressé dans le monde du vin. Et cela m'encourage à continuer à faire la promotion et le partage des vins anciens, si porteurs de plaisirs et de moments mémorables.

Une fois de plus Pages a réalisé un menu idéal pour les vins. La complicité que j'ai avec l'équipe de Pages a eu une récompense. Nous leur faisons goûter les vins du repas, ce qui les fait entrer dans ce monde merveilleux.

Dîner du premier jour avec mon fils mardi, 7 novembre 2023

Mon fils est venu de Miami chez moi, nous avons grignoté à l'heure du déjeuner. Il est temps de penser au dîner où ma femme a prévu des pieds de porcs et où j'ai ajouté du Wagyu. Il y aura aussi quelques fromages.

Vers 16 heures j'ouvre une bouteille de Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1927 que j'ai achetée car le niveau bas entraînait un prix attractif. Le vendeur en qui j'ai une grande confiance avait soulevé la capsule et avait pu lire 1927. Quand j'ai voulu vérifier la date, le bouchon était devenu illisible car un peu de moisissure était apparue, sans incidence sur le bas de bouchon.

La bouteille au cul profond rend plausible la période, ainsi que l'étiquette qui était utilisée dans les années 20. J'enlève le bouchon et le parfum est poussiéreux et d'une platitude décourageante. L'espoir d'un retour à la vie est extrêmement faible.

Aussi, à titre de secours, j'ouvre un Clos de Vougeot Château de La Tour Morin Père & Fils 1957. Le niveau est beau et le parfum est très engageant, d'une belle délicatesse.

J'ouvre aussi un Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 au magnifique bouchon, au parfum prometteur.

Au moment du dîner nous commençons par le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937. La couleur est foncée mais belle et le vin est agréable à boire. L'acidité est bien dosée et du fruit apparaît en fin de bouche. Il montre son âge mais on le boit bien.

La question était de savoir par quel vin commencer. Comme les pieds de porc passent avant le Wagyu, nous commencerons par le Clos de Vougeot Château de La Tour Morin Père & Fils 1957. Son parfum est très expressif et joyeux. Même si le vin manque un peu de corps, il est très agréable à boire avec un goût très franc et précis. Une expression très élégante.

Il est à noter que la sauce des pieds de porc s'entend bien avec le champagne.

C'est sur le Wagyu que va se présenter le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1927. Le parfum est timide, mais acceptable et le goût est discret. Le gras du Wagyu est idéal pour ressusciter ce vin. Progressivement, on voit apparaître des marqueurs des vins du domaine. Il est subtil et complexe. Bien sûr, il est fatigué, mais le gras de la viande le rend beaucoup plus large. C'est de toute façon émouvant de chercher à recevoir le message d'un vin de 96 ans.

Mon fils m'a fait remarquer que les trois vins du dîner étaient de 1937, 1957 et 1927. Une symphonie improvisée en '7'.

l'année du Grands Echézeaux est impossible à lire les deux repas

Déjeuner d’anniversaire samedi, 21 octobre 2023

Ma fille vient déjeuner à la maison avec son compagnon et ses deux enfants. L'apéritif se fera avec une tarte aux oignons et le plat du repas sera poulet et gratin de pommes de terre.

Je propose à ma fille de boire soit un Salon 2006 soit un Ayala 1964. Elle irait volontiers vers le plus jeune mais elle préfère me laisser choisir. J'ai envie d'essayer l'Ayala.

Le Champagne Ayala 1964 a un bouchon qui se brise à la torsion et même s'il n'y a pas de pschitt, lorsque je verse le champagne dans les verres, la bulle est extrêmement active.

La couleur est très claire pour un champagne de cet âge. Cet Ayala se caractériserait volontiers par deux mots : jeunesse et cohérence. Car sa vivacité est extrêmement plaisante et sa rondeur est magnifiquement construite. Les oignons légèrement sucrés s'allient parfaitement au champagne.

Si ma fille avait des réserves pour un champagne de presque soixante ans, ces réserves tombent car le plaisir est là et l'âge ne se sent pas du tout. Je savais que les Ayala de cette époque sont grands. En voici une belle preuve.

J'ai ouvert aux aurores le Corton Renardes Michel Gaunoux 1974. Le choix de cette année est directement lié au fait que nous célébrons l'anniversaire de ma fille qui est de ce millésime. Mais il y a une autre raison. Lorsque ma fille était petite, j'avais acheté des vins de son année de naissance en me disant qu'on les boirait pour ses 18 ans. Je n'imaginais pas plus loin ! Et j'avais remarqué à quel point le 1974 de Michel Gaunoux était une spectaculaire réussite.

Ce qui fait que lorsque je me rends aux présentations des vins récents des domaines familiaux de Bourgogne, la plus belle présentation de vins qui soit, je ne manquais pas de dire aux Gaunoux présents : « vos 1974 sont de pures merveilles ». Ils riaient de mon insistance.

Et le miracle des 1974 se poursuit aujourd'hui. Ce Corton est très salin, mais d'un sel très différent de celui des vins de la Romanée Conti. Le sel est ici plus pénétrant et moins vagabond qu'à la Romanée Conti.

Le Corton Renardes est grand, épanoui et une fois de plus, voici un vin qui n'a pas d'âge. Il a atteint une sérénité idéale.

Il faudrait dire et redire que le poulet de qualité est un compagnon idéal des grands vins car il a l'intelligence de s'effacer pour laisser éclore parfums et subtilités.

Le dessert habituel des anniversaires est une reine de Saba, couronne où sont plantées les bougies qui, au fil du temps deviennent moins nombreuses que les années fêtées.

Deux vins superbes pour une célébration débordant d'affection.

277th meal at Restaurant Pages mercredi, 11 octobre 2023

I interact quite often with wine lovers who express themselves on Instagram. One day one of them living in Singapore told me that he was coming to France with friends, invited to events in Champagne. He would like me to organize a meal for five people and point out wine trails that he would like to explore. Among my suggestions, he chose Lafite 1961, Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992 and a Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970.

During another discussion he said he had been disappointed by a Dom Pérignon 1952 and I told him that if he came to see me, I would make him drink a 1952 which I considered excellent. Gang tells me that he and his friends will bring a Cristal Roederer 1988 and a magnum of Krug Grande Cuvée with a cream label, which is more than thirty years old.

The scene is set and I suggest that we meet at the Pages restaurant.

I now need to find my wines in the cellar. The Champagne Dom Pérignon 1952 has a beautiful presentation and through the glass I sense a beautiful champagne. The Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992 comes directly from the Domaine, but when I shared this wine a few years ago, brought by Anne-Claude Leflaive, it had shown at the tasting TCA (trichhloroanisole), which is characterized by a taste of cap. This pushes me to add wines to my program.

I have four Château Lafite-Rothschild 1961, one of which in my main cellar has a low level (even though it says high level in my inventory). I look for the other three in another cellar, but I can't find them. I decided to add a Château Ausone 1929 which seems to me to have a good presentation.

Furthermore, I chose one of the three Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970 that I own. It will be the one with the best level. It has no label but is clearly identified by the very explicit cap.

For good measure, I added a 1972 La Tâche, low grade but good looking.

I had to provide four wines. There will be six, to cover any eventuality.

On the appointed day, I arrive shortly before 10:30 a.m. at the Pages restaurant to open my wines. I ask Chef Ken what dishes are planned and we start sketching out the menu. Two of my guests arrive to attend the opening of the wines. By a pleasant coincidence I manage to remove all the corks whole, which greatly impresses them.

The nose of the Lafite 1961 is a little weak but gives great hope. That of Ausone 1929 is frankly closed. The nose of the 1992 Chevalier Montrachet looks glorious. The scent of La Tâche 1972 is not very engaging and many wine lovers would put it aside. On the contrary, that of Richebourg 1970 looks brilliant.

A few changes are being made with Chef Ken to take odors into account. We have an hour and a half left before the other guests arrive. According to tradition we will have a beer at 116, the neighboring restaurant while nibbling on edamame. Everything is ready for what will be the 277th of my meals.

The other guests arrive at 12:30 p.m. Among them a woman from London, who is a big influencer in the wine world and reminds me that we met at a dinner I organized at the 67 Pall Mall club in London.

I asked Chef Ken, given the abundance of champagne, to prepare raw fish and Wagyu carpaccio. We start with a Champagne Cristal Roederer 1988 which made a nice spritz at the opening. The color is light for a champagne of this age. Instantly, I am struck by the brilliance of this infinitely complex champagne. What happiness. What delights me is that this champagne is anything but conventional. He explores flavors off the beaten track. He calls out and I really like it.

The wines that make up Champagne Krug Grande Cuvée crème magnum label are around forty years old. This is the second contribution of my new friends after the Cristal Roederer. It's a magnificent champagne but I also know it by heart, it transports me less than the Cristal Roederer. But its grandeur will mark the meal.

I asked Pierre-Alexandre to serve at the same time the Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1992 from an exceptional year. Instantly, the first sip is like fireworks. My mouth explodes with happiness because the wine is full, complete, accomplished, coherent, perfect. It brings a rare joy of living. And it is wise to drink it at the same time as champagnes because the pleasures are added.

For the Wagyu, I serve Champagne Dom Pérignon 1952. I am faced with pure perfection and I would be ready to lock myself in a bubble of happiness, as with the few wines which have paralyzed me like the Hermitage La Chapelle 1961 or Montrachet Bouchard 1865. Because I am facing a perfect wine. And the delicious herbs that accompany Wagyu give a masterful excitement to this ideal champagne.

The lobster is accompanied by the brilliant Chevalier Montrachet.

For fish, we have the two Bordeaux. Château Lafite-Rothschild 1961, which had a low level, has been reconstituted and no fault can be found. It has a very rich truffle taste and is a great Bordeaux, just like my friends wanted.

I had high expectations from the Château Ausone 1929, which had a very beautiful appearance, but if it has the breadth of the 1929 wines, I found it less energetic than I hoped.

The two Romanée Conti wines appear on delicious veal. The Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970, with its beautiful level and beautiful color, is in full possession of its means. It is rich, full, broad and solid but it also has a delicate charm. It drinks well, with a nice length finish.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1972 does not have a perfect color and it is not at the level it should be, but it is in the spirit of Romanée Conti and I think that if I were drinking this wine with Aubert de Villaine , we would find the graceful subtleties of Romanée Conti behind the veil which stifles its qualities. A Saint-Nectaire excites La Tâche in a good way.

The pastry chef has made a delicate dessert with a nutty flavor that allows the Krug Grande Cuvée to remind us how refined it is.

We vote. Six of us chose our five favorites from eight wines. Three wines will have first votes, the Dom Pérignon 1952 has three first votes, the Chevalier Montrachet 1992 has two and the Krug Grande Cuvée has one.

The consensus vote is: 1 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992, 2 – Dom Pérignon 1952, 3 – Krug Grande Cuvée magnum cream label, 4 – Richebourg Domaone de la Romanée Conti 1970, 5 – Château Lafite-Rothschild 1961.

My vote is: 1 – Dom Pérignon 1952, 2 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992, 3 – Cristal Roederer 1988, 4 – Richebourg DRC 1970, 5 – Château Lafite-Rothschild 1961.

The atmosphere at this meal was exceptional. Even though we are from very different parts of the world, we chatted as if we had been friends forever. The cuisine was perfect and the service excellent, Naoko, wife of chef Teshi, the owner of the restaurant, brought her smile and her attention to perfection. Pierre-Alexandre did a perfect wine service. The entire kitchen team prepared dishes with great precision. It is therefore without hesitation that I class this dinner as the 277th, a great moment of sharing.

277ème repas au restaurant Pages mercredi, 11 octobre 2023

J'échange assez souvent avec des amoureux du vin qui s'expriment sur Instagram. Un jour l'un d'entre eux habitant Singapour me dit qu'il vient en France avec des amis, invité à des événements en Champagne. Il aimerait que j'organise un repas pour cinq personnes et indique des pistes de vins qu'il aimerait explorer. Parmi mes propositions, il choisit Lafite 1961, Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992 et un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970.

Lors d'une autre discussion il avait dit avoir été déçu par un Dom Pérignon 1952 et je lui avais répondu que s'il venait me voir, je lui ferais boire un 1952 que j'estime excellent. Gang m'annonce que ses amis et lui apporteront un Cristal Roederer 1988 et un magnum de Krug Grande Cuvée à étiquette crème, qui a plus de trente ans.

Le décor est planté et je propose que nous nous retrouvions au restaurant Pages.

Il me faut maintenant trouver mes vins en cave. Le Champagne Dom Pérignon 1952 est d'une belle présentation et à travers le verre je pressens un beau champagne. Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992 vient directement du Domaine, mais quand j'ai partagé ce vin il y a quelques années, apporté par Anne-Claude Leflaive, il avait montré à la dégustation du TCA (trichhloroanisole), qui se caractérise par un goût de bouchon. Ceci me pousse à rajouter des vins à mon programme.

J'ai quatre Château Lafite-Rothschild 1961 dont un dans ma cave principale a un niveau bas (alors qu'il est écrit niveau haut dans mon inventaire). Je cherche les trois autres dans une autre cave, mais je ne réussis pas à les trouver. J'ai décidé d'ajouter un Château Ausone 1929 qui me semble avoir une bonne présentation.

Par ailleurs, j'ai choisi l'un des trois Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970 que je possède. Ce sera celui qui a le meilleur niveau. Il n'a pas d'étiquette mais est clairement identifié par le bouchon très explicite.

Pour faire bonne mesure, j'ai ajouté une La Tâche 1972, de faible niveau mais de belle apparence.

Je devais fournir quatre vins. Il y en aura six, pour parer à toute éventualité.

Le jour dit, j'arrive peu avant 10h30 au restaurant Pages pour ouvrir mes vins. Je demande au chef Ken les plats qui sont prévus et nous commençons à esquisser le menu. Deux de mes convives arrivent pour assister à l'ouverture des vins. Par un hasard agréable j'arrive à extirper tous les bouchons entiers ce qui les impressionne fortement.

Le nez du Lafite 1961 est un peu faible mais laisse un bel espoir. Celui de l'Ausone 1929 est franchement fermé. Le nez du Chevalier Montrachet 1992 s'annonce glorieux. Le parfum de La Tâche 1972 n'est pas très engageant et beaucoup d'amateurs le mettraient de côté. Au contraire celui du Richebourg 1970 s'annonce brillant.

Quelques changements se font avec le chef Ken pour tenir compte des odeurs. Il nous reste une heure trente avant que les autres convives n'arrivent. Selon la tradition nous allons boire une bière au 116, le restaurant voisin en grignotant des édamamés. Tout est prêt pour ce qui sera le 277ème de mes repas.

Les autres convives arrivent à 12h30. Parmi eux une femme de Londres, qui est une grande influenceuse dans le monde du vin et me rappelle que nous nous sommes rencontrés lors d'un dîner que j'ai organisé au club 67 Pall Mall de Londres.

J'ai demandé au chef Ken, devant l'abondance des champagnes, de préparer un poisson cru et du Wagyu en carpaccio. Nous commençons par un Champagne Cristal Roederer 1988 qui a fait un joli pschitt à l'ouverture. La couleur est claire pour un champagne de cet âge. Instantanément, je suis frappé par le brio de ce champagne aux complexités infinies. Quel bonheur. Ce qui me ravit c'est que ce champagne est tout sauf conventionnel. Il explore des saveurs hors des sentiers battus. Il interpelle et ça me plait énormément.

Les vins qui composent le Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème magnum ont autour de quarante ans. C'est après le Cristal Roederer le deuxième apport de mes nouveaux amis. C'est un champagne magnifique mais je le connais par cœur aussi, il me transporte moins que le Cristal Roederer. Mais sa grandeur va marquer le repas.

J'ai demandé à Pierre-Alexandre de servir en même temps le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1992 d'une année exceptionnelle. Instantanément, la première gorgée est comme un feu d'artifice. Ma bouche explose de bonheur car le vin est plein, complet, abouti, cohérent, parfait. Il apporte une joie de vivre rare. Et c'est judicieux de le boire en même temps que les champagnes car les plaisirs s'ajoutent.

Pour le Wagyu, je fais servir le Champagne Dom Pérignon 1952. Je suis en face de la perfection pure et je serais prêt à m'enfermer dans une bulle de bonheur, comme avec les quelques vins qui m'ont tétanisé comme l'Hermitage La Chapelle 1961 ou le Montrachet Bouchard 1865. Car je suis en face d'un vin parfait. Et les délicieuses herbes fines qui accompagnent le Wagyu donnent une excitation magistrale à ce champagne idéal.

Le homard est accompagné par le brillantissime Chevalier Montrachet.

Pour le poisson, nous avons les deux Bordeaux. Le Château Lafite-Rothschild 1961 qui avait un niveau bas s'est reconstitué et on ne lui trouve aucun défaut. Il a un goût de truffe très riche et c'est un grand bordeaux, comme mes amis le souhaitaient.

J'attendais beaucoup du Château Ausone 1929 d'un très bel aspect, mais s'il a la largeur des vins de 1929, je le trouve moins énergique que ce que j'espérais.

Sur un veau délicieux apparaissent les deux vins de la Romanée Conti. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1970 au beau niveau et à la belle couleur est en pleine possession de ses moyens. Il est riche, plein, large et solide mais il a aussi un charme délicat. Il se boit bien, avec un finale d'une belle longueur.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1972 n'a pas une couleur parfaite et il n'est pas au niveau qu'il devrait avoir, mais « il raconte » la Romanée Conti et je pense que si je buvais ce vin avec Aubert de Villaine, nous lui trouverions les subtilités gracieuses de la Romanée Conti derrière le voile qui étouffe ses qualités. Un saint-nectaire excite La Tâche dans le bon sens.

Le pâtissier a fait un dessert délicat au goût de noix qui permet au Krug Grande Cuvée de nous rappeler à quel point il est raffiné.

Nous votons. Nous sommes six à désigner nos cinq préférés de huit vins. Trois vins auront des votes de premier, le Dom Pérignon 1952 a trois votes de premier, le Chevalier Montrachet 1992 en a deux et le Krug Grande Cuvée en a un.

Le vote du consensus est : 1 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992, 2 – Dom Pérignon 1952, 3 – Krug Grande Cuvée magnum étiquette crème, 4 – Richebourg Domaone de la Romanée Conti 1970, 5 – Château Lafite-Rothschild 1961.

Mon vote est : 1 – Dom Pérignon 1952, 2 - Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1992, 3 – Cristal Roederer 1988, 4 – Richebourg DRC 1970, 5 - Château Lafite-Rothschild 1961.

L'ambiance de ce repas a été exceptionnelle. Alors que nous sommes de régions du monde très différentes, nous avons bavardé comme si nous étions amis depuis toujours. La cuisine a été parfaite et le service excellent, Naoko, femme de chef Teshi, le propriétaire du restaurant, a apporté son sourire et son souci de perfection. Pierre-Alexandre a fait un service du vin parfait. Toute l'équipe de cuisine a fait des plats d'une grande justesse. C'est donc sans hésiter que je classe ce dîner comme le 277ème, un grand moment de partage.

Déjeuner de récompense d’une énigme sur Instagram mercredi, 20 septembre 2023

De temps à autre, j'aime poser des énigmes sur mon compte Instagram. La dernière est venue d'une bouteille de Lafite-Rothschild 1981 que l'on a bue dans un repas que j'ai raconté dans un précédent bulletin. La bouteille était enveloppée dans un fin papier rose fané, collé aussi bien au verre qu'à l'étiquette. Il était impossible de lire l'année et si j'avais tiré sur le papier, l'étiquette serait venue avec le papier rendant le millésime illisible. J'ai photographié la bouteille de dos, aucun élément ne permettant d'identifier et j'ai demandé sur Instagram que l'on trouve le vin et l'année. Le gagnant partagerait un grand vin avec moi.

Il y a eu un gagnant qui m'a expliqué que le papier rose est celui de Lafite et que grâce à la hauteur de la surépaisseur du goulot, qu'on pouvait deviner, il avait pu dire que le vin était de 1982 plus ou moins un an. J'étais content que l'énigme ait un gagnant. Matic vit en Slovénie. Il est architecte et passionné de vin.

Parallèlement, Adrien, un français vivant à Singapour s'était inscrit à un dîner que j'ai été obligé d'annuler. Imaginant qu'il avait pris un billet d'avion pour venir au dîner, sans poser de question je lui ai proposé de se joindre au déjeuner que je peux appeler « Enigma », et qu'il serait mon invité.

Nous serons donc trois à déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur. J'arrive à dix heures pour ouvrir mes vins ainsi que le vin d'Adrien, un Haut-Brion 1986.

Le champagne Salon 1997 est ouvert par Aurélien, le sommelier devenu aussi directeur de salle, parce que je n'ai pas assez de force pour l'extirper. Le Haut-Brion 1986 a un bouchon de belle qualité. Le parfum est prometteur, mais le vin devra s'élargir.

Le Château Lafite-Rothschild 1962 est le vin que j'ai choisi pour le gagnant de l'énigme, accompagné d'autres vins. Le bouchon vient entier, de belle qualité, et le parfum délicat promet d'être grand.

J'ai aussi apporté l'Echézeaux de la Romanée Conti que nous avions partagé hier au restaurant Pages que je cache pour en faire la surprise. Et le Tokaji Escenzia 1988 reste dans ma musette et n'apparaîtra que si le déjeuner s'y prête.

Ayant fini ma tâche, je me promène par un matin ensoleillé autour de l'Ile Saint-Louis et autour de Notre Dame. Il y a beaucoup de touristes et de parisiens de l'île. Mon Dieu que Paris est joli quand les rues sont propres et les piétons charmants. J'ai habité l'île quand j'étais jeune marié et j'ai retrouvé des émotions d'un Paris calme et serein.

Matic et Adrien arrivent. Ils sont tous deux de 1990. Des gamins !

Nous trinquons au Champagne Salon 1997 qui est de belle noblesse mais n'est pas glorieux. C'est parce qu'il a besoin d'être associé à des mets. Avec les rillettes il prend de l'envol. Il deviendra spectaculaire lorsqu'il sera associé à une bouillabaisse, dont la sauce propulse le Salon à des hauteurs infinies. Quel grand champagne de gastronomie, mon préféré parmi les jeunes Salon.

Pour le homard, nous buvons le Château Haut-Brion 1986. Ce vin est riche puissant, solide comme un rugbyman, élégant, et explosant de truffe. Là aussi, c'est avec la bisque légère mais insistante que le vin devient superbe.

Le plat de viande de bœuf maturé est exactement comme je l'aime, précis, droit, lisible. Alain Pégouret connaît mes goûts puisque nous avons fait ensemble plus d'une quarantaine de dîners. C'est à ce moment que je sers l'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti dont il restait la moitié de la bouteille. Et j'ai demandé à chacun de manger une pomme de terre soufflée couverte de sel, ce qui s'impose pour la Romanée Conti. Quelle immense surprise pour moi, car ce vin qui avait hier un bas niveau et montrait sa fatigue est aujourd'hui entraînant et émouvant. Il est à dix étages au-dessus de l'émotion de la veille. Et cela m'a donné l'idée et l'envie, pour les vins de la Romanée Conti qui ont perdu du volume, de les ouvrir la veille et non pas quatre heures avant. Mes convives sont aux anges, et ils ressentent bien à quel point ce vin dégage quelque chose d'immatériel, comme lorsqu'on entre dans une cathédrale.

Le Château Lafite-Rothschild 1962 se résumerait par deux mots : charme et distinction. Mais c'est surtout le charme que l'on ressent. C'est un grand vin qui n'a pas la puissance du Haut-Brion 1986 mais qui est plus complet, raffiné et élégant. L'accord avec la sauce lourde est idéal.

Quatre fromages vont accompagner chacun l'un des vins. Les conversations sont si agréables que nous prenons le temps de choisir un dessert au chocolat qui accompagne le Tokaji Escenzia Aszu 1988 envoûtant, séduisant et léger par rapport à d'autres Tokaji, qui est marqué de la même différence qu'un Sauternes qui a « mangé » son sucre a avec un Sauternes au fort botrytis.

Nous avons voté pour nos trois préférés et dans l'ordre Matic a mis : Echézeaux, Lafite et Haut-Brion, Adrien a choisi : Lafite, Echézeaux, Haut-Brion et j'ai classé : Lafite, Haut-Brion et Echézeaux. C'est particulièrement intéressant que ces deux jeunes amateurs aient mis premier ou second l'Echézeaux que beaucoup d'autres amateurs inattentifs auraient éliminé en le trouvant au premier contact impossible à boire et auraient peut-être, hélas, vidés dans l'évier.

Nous avons beaucoup parlé. Ils étaient émus de goûter les vins de ce repas. Ce fut un grand moment de partage causé par une énigme. Du vrai bonheur.

Déjeuner aux vins disparates mardi, 19 septembre 2023

Ce déjeuner au restaurant Pages a pris des tours et des détours. Ce devait être un déjeuner d'amis offert par Stanislas, mais quand j'ai proposé un vin il me fut répondu comme dans la publicité : « pas assez cher mon fils ». Et on me fit savoir qu'il y avait du 'beau monde'. Titillé par cette incertitude j'ai pensé qu'il fallait taper fort et j'ai choisi un Haut-Brion rouge 1947 au niveau quasiment dans le goulot. Et comme je venais d'acquérir des vins de la Romanée Conti dont certains avaient des bas niveaux, je me suis dit que l'occasion était bonne pour ouvrir une des bouteilles, un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969 au niveau bas, sans garantie de résultat.

Je viens à 10 heures au restaurant Pages pour ouvrir mes vins. Le Haut-Brion 1947 a un nez qui promet un épanouissement progressif et positif. L'Echézeaux 1969 a une couleur qui paraît terreuse et le nez n'est pas engageant. Il paraît fatigué. Le vin s'améliorerait-il, je ne saurais le dire.

Je vais voir Stanislas à l'Appartement Moët Hennessy et nous nous rendons ensemble chez Pages. J'apprends qu'il y aura un français qui a fait fortune dans les télécommunications, un espagnol d'une banque mondialement connue, en relation d'affaire avec un chinois immensément riche qui possède six vignobles essentiellement bordelais, venu avec un collaborateur, une collaboratrice qui fera traductrice et un ami de Singapour qui possède plusieurs hôtels et est aussi membre du gouvernement de Singapour. Il y a aussi un indien qui vit à mi-temps au Japon et en France et qui a assisté à mes dîners et mon ami Tomo.

Les vins arrivent en désordre et tard ce qui rend quasiment impossible de faire un menu cohérent puisqu'il est déjà fait sans connaître les vins, et rend difficile de faire un ordre de service des vins qui soit pertinent. Vogue la galère, nous ferons au mieux.

Pour les amuse-bouches nous commençons avec un Magnum de Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 2007 agréable et salin. Un bon point de départ.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995 fait un saut gustatif impressionnant car ce champagne est dans une phase d'accomplissement absolu. Son parfum est pénétrant et le champagne est merveilleusement équilibré. Il accompagne un carpaccio de Wagyu et c'est magnifique.

Pour le homard accompagné de fenouil, nous buvons un Montrachet Domaine Comtes Lafon 2012. Le vin est magnifique, équilibré, plein et frais, mais le homard trop froid à la sauce trop acide ne rend pas service au vin, au contraire. Mais le chef Ken ne peut pas être tenu pour responsable car il ne connaissait aucun des vins.

Nous poursuivons avec un filet de morue doté d'une sauce aux légumes verts. Je connais cette sauce et je sais qu'elle ira avec un vin rouge. Nous avons un Vosne-Romanée La Colombière Domaine du Comte Liger-Belair 2016 et je dis au richissime chinois que l'on nomme Dragon d'essayer ce vin avec la sauce seule. Il se trouve qu'il me suit sur Instagram et ma suggestion, qu'il vérifie, le comble d'aise.

Le veau aux giroles et à la sauce lourde me fait penser que c'est peut-être le moment de faire servir l'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969. La couleur terreuse n'est pas une bonne nouvelle. Le vin est buvable mais fortement fatigué. Je dis à tous qu'il est mort, mais qu'il mérite qu'on essaie de le boire à cause de la sauce. Pour moi, le vin s'accorde avec la sauce typée qui le réveille. Mais je n'insiste pas, car deux vins vont apparaître.

Le Chapelle Chambertin Domaine Cécile Tremblay 2017 est un vin très expressif, mais l'Echézeaux 'du Dessus' Domaine Cécile Tremblay 2017 est absolument sublime. Quelle structure, quelle largeur et quelle plénitude ! Alors que c'est un vin très jeune, il est porteur d'une grandeur hors du commun.

Nous goûtons ensuite le Château Monlot Saint-Emilion Grand Cru 2017 qui est la propriété de Dragon. Ce vin jeune sera à juger avec quelques années de plus.

Pour le délicieux Wagyu nous avons deux vins. Le Château Haut-Brion 1947 a un nez noble et riche et en bouche il est très grand. Mais je ne le trouve pas au sommet de ce qu'il devrait être. A côté de lui, le Château Latour 1990 montre une belle jeunesse rafraîchissante et un épanouissement certain, mais comme pour le Haut-Brion, je ne trouve pas que le vin est à son sommet.

C'est alors que je goûte l'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969 et je sursaute. Le vin n'est plus du tout le même. Il commence à devenir vraiment expressif et même si le vin est fatigué, il a vraiment le message du domaine. Tomo est de cet avis. Une remontée aussi rapide est surprenante.

Le fromage convient aux deux bordeaux et pour le dessert nous revenons au Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995 peut-être moins cinglant qu'au début, mais d'une qualité extrême.

Je n'ai pas demandé que l'on vote pour ne pas couper les conversations animées. Mon vote serait : 1 - l'Echézeaux 'du Dessus' Domaine Cécile Tremblay 2017, 2 - Château Haut-Brion 1947, 3 - Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995, 4 - Montrachet Domaine Comtes Lafon 2012, 5 - Château Latour 1990, 6 - Vosne-Romanée La Colombière Domaine du Comte Liger-Belair 2016 et 7 - l'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969.

Mon voisin de table était sceptique que je donne la place de second au Haut-Brion. Or il se trouvait que j'avais versé dans un verre le fond de la bouteille à la lie quasiment inexistante. Je lui ai versé la moitié de mon verre et il a pu constater que le vin du fond de bouteille transcendait ce qu'il avait pu boire auparavant de cette belle bouteille.

Il convient de noter l'engagement de Pierre-Alexandre et des serveurs qui se sont occupés des vins. Naoko, la femme du chef Teshi, toujours attentive, a accompagné notre repas de tous ses soins.

Le déjeuner fut un peu brouillon puisque l'on ne connaissait pas les apports de chacun, mais les discussions passionnantes ont fait de ce repas un grand moment, promettant des retrouvailles avec plusieurs convives.

mon apport :

Dernier dîner dans la maison du sud lundi, 11 septembre 2023

C'est le dernier dîner qui se tiendra avec des amis dans la maison du sud où j'ai résidé pendant trois mois. Un ami à qui j'avais conseillé d'acheter en salles de ventes des lots disparates à bas prix, car on a parfois de bonnes surprises, m'annonce qu'il viendra à ce dîner avec six demi-bouteilles de vins de Bordeaux que l'on essaiera par curiosité.

Avec ma femme nous avons prévu pour l'apéritif du foie gras décongelé et une caillette et pour plat principal un Parmentier de canard. De nombreux fromages suivront, puis des desserts individuels aux goûts très différents.

J'ai ouvert le Champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle que je situe dans les années 70 une heure avant le repas. Sous la cape, le pourtour du goulot est assez sale, d'un liquide noir et gras que j'essuie. Le bouchon vient entier, net et propre accompagné d'un sympathique pschitt. Le nez est encore fermé.

Au moment où je sers le champagne, le nez est beaucoup plus affirmé, la couleur est d'un or clair et la bulle fine est présente. La première gorgée est un choc. Comme un coup de massue. Je suis fortement touché par la perfection et la force de ce champagne extraordinaire. C'est une bombe de fruits. A chaque gorgée je me dis : « mon Dieu qu'il est grand » et je pense que c'est le plus grand champagne que nous avons bu de tout l'été. Un bonheur infini. Avec le foie gras aérien l'accord est fusionnel, alors que la caillette très forte raccourcit le champagne.

La caillette donne envie de goûter les apports de mon ami. Il y a six demi-bouteilles qui ont été ouvertes il y a trois heures. Les vins sont chauds, ce qui gêne le palais. Nous ne goûterons que trois vins sur les six, car j'ai prévu un autre vin rouge.

Le Château Léoville-Poyferré 1994 est franc, droit, sympathique à boire. Le Château Lynch-Bages 1995 est un peu plus épanoui et convient le mieux avec la caillette.

C'est à table que nous goûtons le Château Lestage Listrac 1995 qui trouve un accord charmant avec le joyeux Parmentier de canard. Ce Listrac est une belle surprise.

J'ai envie que le Vosne-Romanée Les Chaumes Méo-Camuzet 2002 soit servi maintenant avec un époisses. J'ouvre la bouteille au dernier moment pour que nous suivions l'éclosion du vin. L'époisses n'est pas très mûr mais l'accord est divin. Le fromage propulse le vin qui devient de plus en plus puissant.

Gracile, fragile, raffiné lors des premières gorgées, il s'affirme progressivement. Ce vin subtil est un pur bonheur. Avec un munster, l'accord est possible mais moins pertinent que celui créé par l'époisses.

Les gâteaux individuels ont des goûts différents. Ceux au citron meringué conviennent au champagne Grand Siècle alors qu'un dessert aux copeaux de noisettes et un Paris-Brest s'allient avec un vieux Mas Amiel Maury sans étiquette que je situerais volontiers dans les années 70.

Les discussions sur l'avenir de notre pays, particulièrement préoccupant, nous ont fait converser jusque très tard dans la nuit.