292ème dîner au restaurant Maison Rostand vendredi, 20 décembre 2024

Le fils d'un ami et ami lui-même m'a rendu d'importants services. Il est amateur de vins. Pour le remercier de tout ce qu'il m'apporte je lui ai proposé de faire un dîner à la façon de mes dîners. Il viendra avec un ami, amateur de vins lui aussi, qui est associé dans sa société.

Nous ne serons que trois mais j'ai voulu que ce dîner soit comme un de mes dîners 'officiels'. Il sera donc le 292ème de mes dîners.

Le restaurant Maison Rostand a été fermé pendant sept mois pour des travaux importants. Il me tardait de faire un dîner avec le chef Nicolas Beaumann. Il m'a demandé de lui fournir la liste des vins afin qu'il réfléchisse à un menu pour mes vins.

J'arrive un peu avant 16 heures au restaurant et je fais la connaissance de Frédéric, le nouveau directeur qui a travaillé dans un nombre important de restaurants dont Joël Robuchon aussi bien chez Jamin que rue Poincaré. Je salue Perle, son assistante.

La décoration a complètement changé la disposition et la décoration. Il y a beaucoup plus de logique dans l'espace de cuisine. L'impression est favorable.

Jérémie, le sommelier que j'apprécie beaucoup est un des seuls anciens avec un serveur souriant et le chef bien sûr. Il arrive au restaurant alors que j'ai presque fini toutes les ouvertures des vins, qui ne m'ont pas posé de problème. Seul le Dom Pérignon 1966 me montre un bouchon fortement rétréci et qui a noirci, comme celui du Dom Pérignon 1980 que j'ai ouvert récemment. Cette prestigieuse maison de champagne devrait sans doute étudier ce phénomène, car il pourrait limiter la longévité des champagnes.

En discutant avec Jérémie, je lui demande de prévoir un champagne d'ouverture pour préparer le palais avant l'entrée en piste du champagne de 1966 qui est d'un autre monde que celui des jeunes champagnes.

Quand Nicolas Beaumann arrive, nous discutons du menu. Ayant vu en cuisine des cuisiniers travailler des rougets, je demande que l'on fasse un plat simple de rouget pour le Pétrus, car cette association est sacrée pour moi. Pour l'autre vin rouge Nicolas propose un chevreuil, ce qui est opportun. Après les amuse-bouches nous aurons des coquilles Saint-Jacques puis du homard. Le dessert sera à base de pommes et j'ai demandé des financiers pour accompagner le Rhum final.

Tout est sur les rails. Il me reste beaucoup de temps aussi j'observe cette fourmilière ou plutôt cette ruche où une armée de cuisiniers accomplit les préparations avec un soin attentif.

Les deux amis arrivent et Jérémie nous sert un Champagne Jacques Selosse Initial dégorgé en 2022. Il est très ouvert, aux belles complexités et grandes subtilités. C'est un grand champagne et les amuse-bouches sont très pertinents, exposant des saveurs très différentes du salé au sucré.

L'un des amuse-bouches est doté d'une sauce très crémée au riz et d'une épice forte que je n'ai pas mémorisée. La sauce appelle le Champagne Dom Pérignon 1966 dont le premier abord est magique. On sent que dans l'ascenseur des saveurs, ce vin nous fait grimper de mille étages. On entre dans le monde fascinant des champagnes anciens où tout est cohérent, infiniment complexe et charmant. Mes convives sont subjugués par ces complexités que l'on ne trouve pas chez les champagnes jeunes, même s'ils sont grands.

Le menu conçu par le chef Nicolas Beaumann est : coquilles Saint-Jacques de Grandcamp cotisées à la truffe noire, beurre blanc au cresson / homard bleu confit, céleri et jus de la presse / rouget au naturel, artichauts rôtis, jus des arêtes au vin de syrah / chevreuil, le dos maturé, fritté aux '5 saveurs', butternut confit à la sauge, airelles et sauce poivrade / la pomme rubinette caramélisée, crème au jasmin, sorbet au vinaigre de cidre / financiers.

Les coquilles Saint-Jacques sont superbes et forment un bel accord avec le Champagne Dom Pérignon 1966. Mais l'accord est très linéaire du fait du cresson et de la truffe alors que l'accord avec la sauce du riz était beaucoup plus latéral et large. Le champagne est d'un accomplissement parfait. Il est comme un soleil qui rayonne. On est sur une planète de saveurs infinies. Le homard est absolument délicieux et riche ce qui convient à merveille au Montrachet Robert Gibourg 1992 à la couleur encore très claire, au parfum joyeux et à la longueur enrichissante. Ce n'est pas un Montrachet pesant. Il est fluide et aérien. Il est comme un accomplissement. Il convient de souligner que l'accord du plat et du vin est fusionnel, d'une continuité linéaire parfaite. On ne sait plus séparer ces deux complices, le plat et le vin. Le Pétrus 1977 est d'une année dite faible. Le parfum du vin est d'une élégance extrême et d'une largeur infinie. En bouche, il ne montre aucune puissance, mais une subtilité infinie. Il est gracieux et charmant. C'est un Prince charmant. Et l'accord avec le rouget est impérial. Mes amis sont un peu sonnés. Car lisant mes comptes-rendus ils s'imaginent que mes recherches d'accords sont intéressantes. Mais à ce point, ça les subjugue. Du moins, c'est ce que je crois voir. Le Pétrus dans cet état et à cet âge, si subtil, si élégant est un très grand Pétrus. Qui l'eût dit ? J'avais le souvenir d'une réussite identique. Les yeux de mes amis s'arrondissent quand ils voient apparaître la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998. Ce qui est intéressant, c'est que le parcours en bouche de ce vin suit une trajectoire assez semblable à celle du Pétrus. C'est un vin très long, très subtil, qui ne joue en aucun cas sur la puissance mais sur la fluidité élégante. Il y ajoute un charme certain. Le chevreuil est un plat excellent mais lorsque j'en ai parlé ensuite avec Nicolas il nous est apparu qu'une viande plus calme comme du veau eût été un compagnon plus adapté à cette belle Romanée car elle est encore jeune. C'est un vin encore en devenir, qui nous laisse entrevoir combien il serait immense avec trente ans de plus, mais est déjà doté de telles qualités qu'il est adorable et fou de plaisir. Le Château d'Yquem 2001 est d'une année mythique. La première fois que je l'ai bu, j'ai eu un choc physique, celui que j'ai parfois, face à un vin parfait. Ce 2001 que nous buvons en demi-bouteille est promis à un avenir légendaire. Là, il est tout simplement parfait, riche, gourmand et en même temps salin et frais. Le dessert à la pomme est idéal, alors que le sorbet ne convient pas. Mais qui s'en soucie. Je suis venu avec le Black Head Rum West Indies Rum maison Cazenove à Bordeaux # 19ème siècle que j'ai déjà servi dans des dîners récents. Il est noir dans le verre et son parfum laisse à penser que son passage en barriques a dû durer de nombreuses décennies. Je l'adore et les financiers sont idéaux pour calmer la puissance de ce rhum riche et imposant. Si l'on respecte le protocole de mes dîners, il faut voter et je demande que nous votions pour nos quatre préférés. Le vote combinant nos trois votes est : 1 - Dom Pérignon 1966, 2 – Pétrus 1977, 3 – Romanée Saint-Vivant 1998, 4 – Montrachet 1992. Alors que nos trois votes sont différents, mon vote est strictement le même que celui du consensus : 1 - Dom Pérignon 1966, 2 – Pétrus 1977, 3 – Romanée Saint-Vivant 1998, 4 – Montrachet 1992. C'est un plaisir de faire des dîners chez Maison Rostang, car le chef Nicolas Beaumann connaît bien mes désirs, qui ne font pas barrage à son talent. Jérémie est un sommelier tonique et souriant qui prend un grand plaisir à accompagner nos aventures. J'ai versé un verre de chaque vin pour que Jérémie le partage avec certains membres de l'équipe. Je crois que mon désir de faire plaisir a atteint son but. J'avais choisi des vins qui représentent l'excellence dans chaque région. Mes amis me maudiront bientôt, car tel le serpent parlant à Eve, j'ai inoculé le désir qu'ils remontent d'un cran leurs budgets d'achats.

Bulletins du 2ème semestre 2024, du numéro 1029 à 1042 mercredi, 18 décembre 2024

 

Bulletins du 2ème semestre 2024, du numéro 1029 à 1042.

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(bulletin WD N° 1042 241219)    Le bulletin 1042 raconte : déjeuner avec ma fille aîné, 289ème dîner au restaurant Marsan Hélène Darroze pour 21 convives et déjeuner avec ma fille cadette et des vins à risques.

(bulletin WD N° 1041 241212)    Le bulletin 1041 raconte : déjeuner au restaurant Pages et sublime 288ème repas au restaurant Plénitude Arnaud Donckele.

(bulletin WD N° 1040 241203)   Le bulletin 1040 raconte : déjeuner au restaurant Pages avec une Romanée Conti 1945 et deux autres Romanée Conti, déjeuner chez des amis du sud et déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur.

(bulletin WD N° 1039 241119)    Le bulletin 1039 raconte : 286ème dîner au restaurant Pages et déjeuner de famille à mon domicile.

(bulletin WD N° 1038 241108)    Le bulletin 1038 raconte : dîner avec mon fils avec des vins qui ne pourraient pas figurer dans mes dîners, autre dîner avec de grand vins et déjeuner au restaurant Marsan Hélène Darroze pour préparer un futur dîner pour 20 personnes.

(bulletin WD N° 1037 241022)    Le bulletin 1037 raconte : 285ème dîner au restaurant Astrance, dîner au restaurant A.M. Alexandre Mazzia à Marseille.

(bulletin WD N° 1036 241009)    Le bulletin 1036 raconte : dernier dîner des trois mois dans le sud, déjeuner au restaurant Astrance et 284ème de mes dîners au restaurant Pages, original puisque nous ne sommes que trois.

(bulletin WD N° 1035 240925)    Le bulletin 1035 raconte : déjeuner du 15 août compté comme 283ème repas, un Penfolds Grange, un dîner avec des amis et un dîner avec un nouveau vigneron du sud avec des vins de Curnonsky.

(bulletin WD N° 1034 240913)    Le bulletin 1034 raconte : plusieurs dîners dans un restaurant de plage où je peux apporter mes vins, plusieurs repas de famille et déjeuner chez des amis.

(bulletin WD N° 1033 240905)    Le bulletin 1033 raconte : de nombreux repas dans le sud, à la maison ou au restaurant, avec de grands vins.

(bulletin WD N° 1032 240830)    Le bulletin 1032 raconte : déjeuner au restaurant de l’hôtel Lilou à Hyères, dîner à l’hôtel Restaurant de Lauzun au prieuré Saint-Jean de Bébian et dégustation de 27 millésimes du Mas de Daumas Gassac rouge avec la famille Guibert et des experts de tous pays.

(bulletin WD N° 1031 240716) Le bulletin 1031 raconte : dîner irréel à l’Oustau de Baumanière où nous avons bu 5 vins du 18ème siècle, 9 vins du 19ème siècle, 11 vins du 20ème siècle et un vin du 21ème siècle. Un repas d’anthologie, le plus incroyable de ma vie.

(bulletin WD N° 1030 240709)    Le bulletin 1030 raconte : 40ème édition de l’Académie des Vins Anciens au restaurant Macéo : 37 convives et 54 vins.

(bulletin WD N° 1029 240702)    Le bulletin 1029 raconte : dîner au restaurant « au bourguignon du Marais », 282ème déjeuner à l'Appartement de Moët Hennessy à Paris et déjeuner au restaurant l'Assiette Champenoise d'Arnaud Lallement.

 

291ème dîner au restaurant Astrance vendredi, 13 décembre 2024

Le 291ème dîner se tient au restaurant Astrance dans le joli salon du premier étage où la table a la forme idéale d'une ellipse. Il y a une semaine Pascal Barbot a bâti avec Christophe Rohat, Lucas le sommelier et moi le menu qui est conçu pour mes vins. Nous nous connaissons depuis si longtemps avec Pascal que la ligne vertébrale du menu est vite tracée.

J'arrive un peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Pour les deux très vieux bordeaux, de 90 et 106 ans, les goulots ne sont pas cylindriques mais ont des boursouflures en haut du goulot. L'extraction des bouchons me demande beaucoup d'efforts. A ma grande surprise cela continue avec les deux bourgognes beaucoup plus jeunes de 48 ans. Le parfum du vin de 1918 est si exceptionnel que je demande à Lucas de mettre un bouchon de verre et de descendre le vin en cave, pour ne pas perdre ce parfum merveilleux.

Tous les parfums sont prometteurs. Le seul qui peut être sujet à question est le parfum du Montrachet.

Un ami fidèle est venu me rejoindre et offre un Champagne Louise Brison Pinot Noir de la Côte des Bar 2014 très amer car ultra brut, qui est peut-être plaisant, mais trop difficile pour mon palais.

Nous sommes dix dont cinq sont des habitués et cinq sont des nouveaux, dont un américain qui vit à Denver, venu hier par avion et qui repart demain matin. Ce dîner est le seul motif de son voyage.

Le menu composé par Pascal Barbot est ainsi libellé : jambon ibérique Pata Negra et feuilleté / brioche toastée / foie gras mi-cuit et mélasse de pomme / carpaccio de coquille Saint-Jacques, truffe noire et huile de noisette / émincé de bar de ligne, riz koshihikari et beurre blanc sauce soja / gros rouget 'vapeur de laurier', sauce beurre rouge / râble de lièvre doré, oignons doux des Cévennes / compotée de lièvre façon sénateur Couteaux / stilton au naturel / mangue et zestes d'agrumes / madeleines financiers à la rose.

Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959 est le champagne de bienvenue avec les amuse-bouches. Il n'a pas de bulle mais le pétillant est racé. C'est un champagne cohérent, rond, équilibré de grand plaisir. Les champagnes anciens de ce type sont charmants et goûteux. Le finale est long et superbe.

Le Champagne Salon Le Mesnil 1988 est totalement différent. Il est puissant, fort et conquérant mais en même temps, sa palette gustative est large et entraînante. C'est un Salon de grande maturité, très convaincant. La truffe puissante et de qualité excite bien ce champagne noble.

Le Château Laville Haut Brion 1969 a un parfum incroyable d'une puissance extrême et très séduisant. Le vin est riche, droit, cinglant comme un fouet. Le riz est extraordinaire de légèreté et de douceur et s'accorde bien à ce grand blanc. Ce qui est incroyable c'est que si l'on disait que ce vin est de 2005, on pourrait l'accepter. Sa jeunesse est étonnante.

Le Montrachet Morin Père &Fils 1990 n'a pas la puissance qu'il pourrait avoir. Il est agréable et doux, mais le vin de Graves est beaucoup plus excitant sur le plat de bar délicieux. Le montrachet obtiendra quand même un vote de premier.

Qui imaginerait que deux bordeaux canoniques créeraient avec le rouget un accord aussi extraordinaire ? Le Château Grand La Lagune 1934 est un vin très élégant et de grande personnalité. Très équilibré et goûteux, il est parfait pour le plat. On lui donnerait quarante ans seulement.

Mais à côté de lui il y a un vin miraculeux. Le Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918 a un parfum persistant de fruits rouges. Quelle beauté que ce parfum ! Je suis subjugué par la fraîcheur de ce vin délicat et racé, de grande complexité. Un bonheur. Je suis le seul à l'avoir mis premier, plus impressionné que d'autres par la justesse vibrante d'un vin de 106 ans.

Les deux bourgognes vont accompagner le râble de lièvre et le compoté de lièvre. L'Echézeaux Domaine Dujac 1976 est d'une grande jeunesse et d'une très belle expression épanouie et sereine. Il est le plus adapté au râble.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976 est divin avec le compoté de lièvre, plus puissant et plus intense, ce qui convient à ce subtil vin de la Romanée Conti, au nez expressif et salin et au finale aussi salin. Un grand vin de la Romanée Conti qui sera le vainqueur dans les votes.

Les deux bourgognes sont brillants, le Dujac dans la sérénité et la droiture et le vin de la Romanée Conti dans la grâce et le velours, avec l'accent terrien typique des vins du domaine.

Il y a des années que je n'avais pas expliqué comment manger le stilton et boire un sauternes. C'est avec plaisir que j'ai dit à nouveau « mâchez, mâchez, mâchez » pour que la salive qui se forme en bouche permette la douceur de l'accord.

Le Château Climens Barsac 1966 est un vin féminin d'une délicatesse extrême. Il est tout velours.

Le Château de Fargues Sauternes 1985 est beaucoup plus guerrier et solide, d'une grande affirmation. C'est le Climens qui profite le mieux de la douceur de la mangue.

J'ai apporté deux alcools dont j'avais ouvert les bouteilles lors de précédents dîners. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° a gardé sa vivacité de cow boy Texan. Il est un appel à fumer un cigare de la Havane. La Fine de Mouton de la cave de Philippe de Rothschild est plus complexe et plus noble mais moins sensuel que le Bourbon. Le financier à la rose est agréable pour les deux alcools. Peut-être plus avec le Bourbon.

C'est le moment des votes. Nous sommes dix à voter, mais le sommelier Lucas ayant fait un travail remarquable, pour la première fois nous avons ajouté son vote aux dix autres. Neuf des dix vins ont eu au moins deux votes ce qui est appréciable mais ce qui l'est encore plus est que sept vins sur dix ont eu un vote de premier. C'est exceptionnel.

Deux vins ont obtenu trois votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976 et le Château Laville Haut Brion 1969 et cinq autres ont eu un vote de premier, le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959, le Montrachet Morin Père &Fils 1990, le Château Grand La Lagune 1934, le Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918 et le Château Climens Barsac 1966.

Le vote de la table est : 1 - Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976, 2 - Château Laville Haut Brion 1969, 3 - Echézeaux Domaine Dujac 1976, 4 - Champagne Salon Le Mesnil 1988, 5 - Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918, 6 - Château Grand La Lagune 1934.

Mon vote est : 1 - Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918, 2 - Château Laville Haut Brion 1969, 3 - Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976, 4 - Echézeaux Domaine Dujac 1976, 5 - Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959.

Pascal Barbot a réussi à créer des accords merveilleux avec les vins dont le plus grand et le plus inattendu est celui du rouget vapeur de laurier avec les deux bordeaux vénérables, suivi – à mon goût – par l'accord du compoté de lièvre avec le Grands Echézeaux.

Lucas a fait un service des vins parfait. Pascal était souvent présent auprès de nous pour commenter les plats. Il a été chaudement applaudi.

Par l'ambiance amicale qui a régné toute la soirée, ce 291ème dîner est un des plus chaleureux de mes dîners.

Dégustation des 2021 du domaine de la Romanée Conti mercredi, 11 décembre 2024

Comme chaque année la société Grains Nobles reçoit des amateurs pour goûter un millésime récent. Cette dégustation est présentée par Aubert de Villaine depuis le début et cette année Bertrand de Villaine qui gère le domaine depuis 2022 accompagne Aubert. Michel Bettane et Bernard Burtschy sont présents et feront des commentaires.

Le rythme de la dégustation est géré par Pascal Marquet, gérant de Grains Nobles et l'on regrettera cette année qu'il n'y ait pas comme d'habitude, des étudiants qui apportent les verres à chacun. Le service a été lent et comme j'étais parmi les plus tard servis, j'entendais des commentaires sur un vin que je n'avais toujours pas. Cela n'a pas empêché malgré tout une belle dégustation du millésime 2021.

Aubert de Villaine évoque l'année 2021. L'hiver fut clément et les travaux d'hiver se sont faits facilement. Le début d'année était marqué par du « confort » jusqu'à ce qu'arrivent les journées des 5, 6 et 7 avril avec de la gelée. Ce furent trois nuits de combat car le gel a détruit une bonne partie de la récolte. Ces nuits ont été marquées de terribles et incroyables luttes.

Le printemps fut pluvieux mais assez chaud et les maladies se sont développées, surtout l'oïdium. Le temps s'est amélioré et la pousse était de grande vigueur. On n'arrivait pas à suivre cette vigueur.

L'été a été meilleur et début septembre les choses se sont améliorées. Le 23 septembre a marqué le début des vendanges qui se sont déroulées avec du beau temps permanent. Face à une telle situation on se demandait quoi faire. Aubert nous propose de le vérifier en goûtant. Les récoltes ont été très inférieures aux moyennes.

Le Corton Grand Cru Prince Florent de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2001 a une couleur clairette, d'un léger violet, d'un mordoré délicat. Le vin a un joli parfum, d'un nez délicat.

L'attaque est gourmande, et il y a de l'astringence dans le final. Le vin est un peu serré. Le vin est élégant et subtil, mais j'ai un peu de mal avec son côté serré. Il faudra du temps pour qu'il s'épanouisse, mais il deviendra grand. C'est assez curieux de voir qu'il est à la fois serré et gourmand. Il y a plus de vin de jeunes vignes, car les vieilles vignes ont été plus attaquées par le gel. Plus le temps passe et plus le vin devient aérien.

Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2021. A l'œil le vin a plus de couleur framboise que le précédent. Le nez est intense et percutant. L'attaque est douce et pleine de charme. Le final est gourmand. Il a une belle mâche. J'aime son élégance. Il est très intéressant et j'adore son côté sauvage. J'aime le côté 'blessé' que l'on ressent dans ce vin. Il est émouvant. Il y a une fraîcheur végétale en fin de bouche.

Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2021. Les couleurs sont proches entre les vins, les plus grands crus étant plus sombres, aussi je ne les commente plus.

Le nez est puissant et je ressens une verdeur végétale. Le nez est intense.

En bouche, l'attaque est généreuse et gourmande. On sent le grand vin, très prometteur. La finale est vigoureuse. Ce vin deviendra grand et subtil. J'ai beaucoup de plaisir à le boire et je ressens sa belle pureté.

Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2021. Le nez très végétal est encore fermé. La bouche est riche. C'est un vin noble, qui combine gourmandise et retenue car il est noble. Le final est riche et rêche du fait de la vendange entière. Il est conquérant et fonceur. Alors que le Grands-Echézeaux est très agréable à boire, celui-ci est une bombe à retardement. Malgré sa vivacité, il est difficile pour l'instant car il est austère.

Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2021. Le nez est très végétal. L'attaque est élégante et légère mais elle masque ce vin qui en milieu de bouche est puissant et conquérant. Il y a beaucoup de promesses car il est grand et puissant mais il n'est pas encore réellement prêt à boire. Il a des petites notes poivrées. Il faut attendre car il sera grand.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2021 a un nez délicat, soyeux et charmant. L'attaque est soyeuse et tellement séduisante. Le final est plus rêche, moins joyeux. Le vin ne joue pas sur la puissance. Il joue sur le charme de La Tâche. Il est gourmand car riche. Avec le temps il devient de plus en plus séduisant. Je ressens les notes de roses de ce vin très charmeur.

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2021. C'est le seul nez qui a un tel fruit rouge si délicat. Le nez est élégant et plein de charme. Ce parfum est unique.

Le vin est soyeux, magique, élégant et tellement agréable. C'est le seul vin où l'on ne sent pas la force de la rafle. C'est un vin de méditation, d'élégance et de douceur. Il est magique.

Michel Bettane dit qu'il a un « corps parfumé ». Il est velouté, aérien, tout en douceur. Quel plaisir. J'ai dit aux participants mon sentiment que cette année pour la Romanée Conti est celle où l'écart entre la Romanée Conti et les autres vins du domaine est le plus grand. Ce vin est totalement magique.

Le Corton-Charlemagne Domaine de la Romanée Conti 2021 a un nez étonnamment accueillant, superbe, riche et puissant. Le vin est gourmand et immédiatement buvable. Le final est un peu discret mais c'est un grand vin. Il est agréable à boire, très sec mais charmant. Il ne joue pas sur la puissance. Il a une très belle longueur. C'est un vin profond très agréable, plus riche quand il est plus aéré.

Contrairement aux vins rouges, ce ne serait pas un crime de le boire à table maintenant !

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2021. Sa couleur est très claire. Le nez est d'une intensité incroyable. Il est profond, noble, immense mais aussi en retenue. Ce parfum est magique.

En bouche, l'attaque est très rude, complexe. Ce vin puissant est déjà génial. C'est vin immense qu'on pourrait considérer comme totalement accompli. Il combine fraîcheur et grandeur. Il n'a pas encore l'opulence qu'il aura, mais sera grand. Il n'y a pas la moindre trace de botrytis. Ce vin n'est que du bonheur, avec une persistance extrême.

Michel Bettane a vanté la qualité des raisins, qui ne cesse de s'améliorer depuis des décennies.

Il est clair que deux vins émergent de tout ce brillant aréopage de vins d'exception. Ce sont la sublime Romanée Conti et le Montrachet. Les quantités produites sont tellement faibles que bienheureux seront ceux qui les boiront.

Selon la tradition quelques personnes sont retenues à dîner au restaurant de Grains Nobles qui comme la Romanée Conti a une qualité de cuisine qui ne cesse de s'améliorer. Aubert et Bertrand de Villaine, Michel Bettane et Bernard Burtschy sont les invités de marque et Pascal Marquet a invité un vigneron d'Uruguay qui présente ses vins et ses procédures.

Si je m'imagine vigneron, raconter mes méthodes devant le plus grand vigneron du monde et devant le plus grand connaisseur du vin au monde, je resterais muet ! Ce jeune vigneron nous a fait goûter des vins très intéressants et bien faits. Un autre convive a apporté des vins italiens eux aussi bien faits dont un Barolo Sandrone Le Vigne 2004 très gourmand et vif et un vin blanc Mario Schiopetto bianco 2004 avec une curieuse mention sur l'étiquette : « échantillon qui ne peut être vendu ». Vin très agréable aussi et d'une grande profondeur et puissance.

J'avais apporté avec moi un Château Gazin Pomerol 1959 que j'avais choisi pour son niveau dans le goulot. Quelle ne fut pas ma surprise en ouvrant la bouteille avant la dégustation des vins de la Romanée Conti, que de lire sur le bouchon : rebouché en 1998. Au moment de le boire, un léger goût de bouchon est apparu et il est évident pour moi que ce goût de bouchon est apparu au rebouchage et non à la mise en bouteille initiale. Cela me conforte dans l'idée qu'il ne faut jamais acheter de vins rebouchonnés, mais hélas aucune mention n'existait sur la bouteille.

Je n'avais pas pu assister à la dégustation Romanée Conti de l'année dernière. Il ne faut surtout pas que je rate celle de l'an prochain avec les vins sublimes de 2022, mais pour l'instant, je me réjouis d'avoir participé à cette dégustation de légende.

Déjeuner avec des vins à risque lundi, 18 novembre 2024

Les fêtes de fin d'année approchent. Je cherche au hasard des vins pour les réveillons. Ma fille cadette venant déjeuner demain, deux bouteilles prestigieuses qui me semblent incertaines devraient convenir à ce repas.

Le programme est : petits biscuits au parmesan, pâté de tête / coquelets et purée de pommes de terre / époisses et mont-d'or / flan.

Dès dix heures du matin j'ouvre le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 au niveau à 15 centimètres du bouchon. Je tire doucement un bouchon tout noir et la première odeur est horrible, essentiellement de terre poussiéreuse. Immédiatement je pense que 99,9 % des amateurs de vins déclareraient la mort du vin et l'écarteraient. Ma vision du vin ancien est que l'on doit toujours donner sa chance au vin car si l'on pense déclarer la mort, autant le faire quatre heures plus tard. A ce stade, je ne peux pas garantir un retour à la vie, mais j'ai déjà rencontré des résurrections de vins ayant les mêmes défauts de parfums.

A titre de sécurité, j'ouvre une demi-bouteille de Château Lafite-Rothschild 1969 que j'ai bu plusieurs fois avec bonheur.

J'ouvre ensuite le Champagne Dom Pérignon 1959 à l'étiquette abîmée et au bouchon qui a dû souffrir. 1959 est une grande année pour ce champagne et fort curieusement je ne reçois jamais d'offres de ce millésime. Il n'est pas question de le voir s'abîmer encore, il faut le boire maintenant, d'autant qu'il a perdu une dizaine de centimètres. Je veux tourner la petite rondelle de fil d'acier qui, en tournant, permettrait de dégager la coiffe du bouchon, et elle me reste dans les doigts. Les fils d'acier se déchirent. Quand je veux lever le bouchon il se brise et le bas du bouchon nécessite un tirebouchon. L'odeur est assez fatiguée, mais aucun défaut n'apparaît. Il n'y a pas de pschitt.

L'avenir est incertain mais il faut espérer des retours à la vie.

Ma fille arrive avec son fils et je verse le Champagne Dom Pérignon 1959 qui n'a pas de bulle, qui a une jolie couleur dorée joyeuse et qui a une odeur très discrète, peu expressive. Dès la première gorgée, je sais que le champagne est grand. Il n'a aucun défaut. Mais la surprise vient maintenant. Sur le pâté de tête, je me rends compte que le champagne est superbe et gourmand, mais en plus, qu'il me semble être très au-dessus des champagnes de cette période. Il est immense, royal, impérial. Quelle surprise !

Le plus grand Dom Pérignon que j'ai bu est le 1929 de ma cave que j'ai partagé avec Richard Geoffroy. Je serais prêt à penser que ce 1959 vient juste après le 1929, car il explose de joie et de complexité. Je n'en reviens pas.

Les coquelets sont servis et nous commençons par le Château Lafite demi-bouteille 1969. Il est agréable, conforme à ce que doit être un Lafite, très plaisant et confirme ce que j'attendais.

Le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 montre un parfum fascinant et joyeux. Toutes les mauvaises odeurs ont disparu, remplacées par des senteurs de petits fruits rouges étonnants. La couleur est d'un rouge marqué d'un peu de terre comme des vieilles Romanée Conti, mais couleur plaisante. En bouche, ce sont les petits fruits rouges qui dominent et le vin est absolument superbe. J'ai beau raconter des dizaines et des dizaines de fois des retours à la vie de vins blessés, je reste quand même fasciné qu'un vin qu'il faudrait jeter puisse se montrer aussi glorieux et sans le moindre défaut.

Sur l'époisses, le vin de Drouhin devient absolument immense. Le fromage le propulse.

Le flan permet au champagne de continuer de briller.

Il est à noter que le soir, j'ai goûté à nouveau les deux vins. Le champagne a perdu de sa splendeur, il s'est éteint, alors que le Clos de la Roche est toujours aussi brillant. C'est donc le vainqueur inattendu de cette belle journée.

289ème dîner au restaurant Marsan Hélène Darroze samedi, 16 novembre 2024

Le 289ème dîner se tient au restaurant Marsan Hélène Darroze. Un ami m'avait demandé en 2019 de faire un repas pour une vingtaine de ses amis. Nous avions choisi le restaurant Marsan Darroze qui a une table qui permet d'accueillir une vingtaine de personnes. Ce fut le 240ème dîner. Il y a quelque temps, il m'a demandé de faire un dîner similaire pour des relations de travail.

J'ai contacté il y a un mois le restaurant pour étudier la cuisine et mettre au point un menu qui correspondrait aux vins que j'ai prévus. J'ai déjeuné sur place et rencontré l'équipe du restaurant qui est totalement différente de celle de 2019. Je ne connaissais ni le directeur, le chef de cuisine, la pâtissière, ni le sommelier.

Nous avions travaillé avec un bel esprit de coopération et voici le menu conçu par le chef Paul Genthon et toute son équipe, dont j'ai raccourci un peu le texte : gougères nature : gressins aux anchois de Cantabrie, purée d'artichaut / Taloa, comme au pays basque, sashimi de la pêche du jour, herbes fraiches et fleur de sel épicée / le champignon crème, carpaccio au foie gras de canard, crème de noix fraîches, émulsion de vin jaune / homard bleu aux épices tandoori, mousseline de carottes, réduction de poivre à la coriandre / pigeon fermier à la goutte de sage, flambée au capucin, pomme de terre fondante, toasts aux abats, jus intense / Comté de 18 mois / granité de pamplemousse rose / mangue en tatin / financier à la rose.

J'arrive peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Il y a 17 bouteilles dont un jéroboam, deux magnums et 14 bouteilles. Beaucoup de bouchons ont été difficiles à retirer et j'ai eu quelques fois recours à l'aide d'Avishek Bhugaloo, le chef sommelier ou de Nicolas l'un des sommeliers qui gère la belle exposition de bouteilles dans la salle où nous allons dîner. Le Jéroboam de Veuve Clicquot a un bouchon très serré qu'il a fallu tirer avec de grands efforts. Il n'a pas été explosif. Il n'y a eu aucun vin qui pose question, les plus beaux parfums étant ceux des sauternes, du Grands Echézeaux et du Chablis. Les sept vins qui avaient chacun deux bouteilles ont offert des parfums différents. Parmi les vins que j'avais prévu il y avait un Château Olivier blanc 1949. Les deux bouteilles ont des couleurs extrêmement différentes. Par précaution j'ai décidé de ne pas les ouvrir et de remplacer ce vin pas deux Chablis 1976 aux couleurs parfaites.

J'ai été fatigué par cette opération et j'ai cherché à me reposer avant l'arrivée des convives. Nous sommes 21 avec une absence de parité car seulement deux femmes sont à notre table.

Le Jéroboam du Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 a un très joli parfum subtil et engageant. En bouche, il est large et expressif. C'est un beau champagne qui demandera sans doute vingt ans pour devenir éblouissant car il est d'une grande année. Il est grand maintenant mais la sagesse serait d'attendre. J'ai en tête un sublime magnum de Veuve Clicquot 1947 absolument magique. Ce 2008 a la capacité d'atteindre ce niveau. Il faut attendre. Les gressins aux anchois excitent bien ce champagne.

Après la présentation habituelle des « règles » pour profiter au mieux de mes dîners, nous passons à table et le Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est servi. Quel contraste entre les deux champagnes. Le Veuve Clicquot est le saint-cyrien qui va défiler au 14 juillet alors que l'Enchanteleur est le sous-préfet au champ, gourmand et jouisseur. Ce solide champagne, c'est la joie de vivre. On a tendance à le préférer car il a du charme, mais le délicieux Taloa très expressif donne à La Grande Dame une énergie beaucoup plus vive.

Le Chablis Grand Cru Vaudésir la Valadière 1976 à la belle couleur de blé doré me plait instantanément. Je me dis souvent qu'on ne boit pas assez de chablis car ils sont très expressifs et vifs, sans aucune lourdeur. Et les champignons se marient divinement avec le chablis puissant.

Mais le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 n'est pas en reste avec le plat charmant. Il est tout en douceur subtile. Récemment nous avions partagé un Montrachet du même producteur et de la même année et on retrouve ce charme subtil et enjôleur, très rond. Les deux blancs cohabitent très bien ensemble face au plat.

Beaucoup de convives sont surpris que le homard soit associé avec un vin rouge. J'avais senti à l'ouverture le nez parfait de l'Ausone et le mot qui convient au Magnum Château Ausone 1970, c'est le mot 'parfait'. Le vin a tout le charme truffé du saint-émilion et il est d'un équilibre saisissant. On sent que ce vin noble a atteint le sommet de ses subtilités. Le homard est parfaitement exécuté.

Le pigeon va accueillir deux vins très différents qui vont accumuler 15 votes de premier sur les 21 possibles. 70% des votes de premier sont pour ces deux seuls vins.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 a tout pour me séduire car il a l'âme de la Romanée Conti. Il peut surprendre certains convives car il est canaille après l'Ausone, qui était très premier de la classe. Il a des teints de terre et des saveurs de sel, mais surtout il se comporte comme souvent, le vin expressif qui ne veut pas convaincre. Il est hors des sentiers conventionnels et c'est ce que j'adore.

A côté de lui l'Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, c'est la France tranquille. Il est solide, construit, clair et facile à comprendre mais d'une richesse de style qui convainc tout le monde. Je sens autour de moi un très grand étonnement : comment un vin de 1949, qui a 75 ans, peut-il être aussi vivace, épanoui et joyeux. C'est la magie des vins anciens. L'accord avec le pigeon très bien traité est total.

A l'ouverture des vins j'avais trouvé que les deux bouteilles du Clos Du Bourg Vouvray Moelleux 1959 manquaient un peu d'énergie mais en fait le comté a créé un accord absolument divin qui a donné au Vouvray une énergie supplémentaire. Son moelleux délicat est très séduisant.

J'aurais sans doute dû mettre le Filhot avant le Suduiraut, car le Château Suduiraut Sauternes 1959 est d'une puissance extrême. Il est riche, puissant et envahit aussi bien le nez que le palais par sa force de séduction. Le millésime 1959 est très grand en Sauternes. Le pamplemousse rose est idéal et frais mais le granité froid a tendance à anesthésier l'accord.

Le Château Filhot 1928 est d'une année mythique. On ressent que ce vin est beaucoup moins puissant que 1959 mais sa subtilité gracieuse s'exprime bien avec une tarte Tatin à la mangue réussie.

J'ai apporté une surprise pour cet aimable groupe. C'est une grande bouteille de plus d'un litre d'un Black Head Rum de la maison Cazenove à Bordeaux qui est un West Indies Rum. L'étiquette a un écusson central avec le dessin de la tête d'un jeune noir aux yeux exorbités. On imagine volontiers qu'une telle étiquette serait impossible aujourd'hui aussi bien par le nom ou par l'image. Je l'ai montré à toute la table promettant de le servir après les votes, ce qui devait encourager à voter vite.

Recueillir le classement de 21 personnes n'est pas chose simple, mais tout le monde s'est prêté à cet exercice sans problème. Cinq vins ont eu l'honneur d'être nommés premiers, l'Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949 bénéficiant de dix votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 recevant 5 votes de premier, l'Ausone 1970 trois votes, le champagne Henriot 1996 deux votes de premier et le chablis 1976 un vote de premier. Tous les vins ont eu au moins un vote sauf le Veuve Clicquot mais cela est compréhensible, car c'est le vin de bienvenue, qui est souvent oublié en fin de repas.

Le classement de l'ensemble de la table est : 1 - Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 2 - Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 3 - Magnum Château Ausone 1970, 4 - Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996, 5 - Château Suduiraut Sauternes 1959, 6 - Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990.

Mon classement est : 1 - Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 2 - Magnum Château Ausone 1970, 3 - Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 4 - Chablis Vaudésir la Valadière 1976, 5 - Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996.

J'ai servi moi-même les verres à ceux qui voulaient boire ce rhum. Il est d'une couleur très foncée et sa puissance est étonnante. Il fait certainement plus de 50°. On n'est pas du tout dans le charme et la rondeur d'un rhum mais plutôt dans la puissance d'un alcool très boisé un peu torréfié. Je l'adore absolument car sa vivacité est attachante. Un bonheur qui m'émeut de la part d'une bouteille rare.

Il est difficile de le dater mais je pense, ayant vu le bouchon noirci dans sa partie basse, qu'il est probablement de la décennie des années 30 ou peut-être des années 40. Ayant versé le rhum, des gouttes coulaient sur ma main. J'ai dû laver mes mains au moins trois fois et le parfum restait intense sur ma main.

L'ami qui a invité ce groupe a un talent pour animer que j'avais déjà constaté au précédent dîner qui fait que l'ambiance est joyeuse, amicale et fort agréable. Il avait même prévu que les convives changent de place deux fois en cours de repas ce qui a animé encore plus les conversations.

Le chef Paul Genthon et la pâtissière Juliette Le Floc'h ont réalisé des plats qui ont accompagné idéalement les vins servis par Avishek Bhugaloo et son équipe. Le directeur Dimitri Auriant a coordonné tout le déroulement avec pertinence. Ce fut un dîner parfait dans une belle ambiance. On ne demande qu'à recommencer.

288ème repas au restaurant Plénitude Arnaud Donckele samedi, 9 novembre 2024

Le 288ème repas se tient au restaurant Plénitude Arnaud Donckele. C'est un déjeuner pour lequel la salle est privatisée et dont la table s'appelle François Audouze, car elle a été créée selon mes suggestions. Elle est ovale ce qui permet que tout le monde se voie, sans que la distance entre convives soit trop grande. Nous sommes douze dont cinq qui viennent pour la première fois. Le contingent féminin est faible par le nombre qui est 'un', mais fort par la présence de mon amie américaine qui a participé à environ vingt-cinq repas.

Je commence l'ouverture des vins avec Chloé, sommelière qui assiste Emmanuel Cadieu le brillant chef sommelier. J'ai invité à ce repas Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie française et ancien chef de cuisine de l'Elysée, qui aura travaillé pour quatre présidents. Il me rejoint à la cérémonie d'ouverture des vins.

Il y a pour ce repas des vins des années 1880, 1904, 1911, 1924, 1924, 1929, 1936, 1950, 1961, 1966, 1971, 1990, 1990. Il y a huit vins de plus de 70 ans dont 5 vins d'un siècle ou plus. Le risque existe que des bouteilles soient difficiles et la plus risquée me semble être le Pichon Baron 1904 au niveau à mi- épaule. Je commence par ouvrir La Tâche 1950 au bouchon noir et dont le haut de bouchon, avant que je ne le nettoie, est couvert d'une poussière noire qui sent la terre. Heureusement cette odeur n'existe pas pour le vin. Le Chambertin 1929 a un parfum que j'adore, représentatif de cette glorieuse année. Le parfum du Château Margaux 1924 en magnum est extrêmement convainquant. J'adore les odeurs des deux blancs et je suis fasciné par le parfum du 1904, qui offre une odeur de fruits rouges que l'on n'imaginerait pas. Les parfums les plus forts sont ceux du Vin blanc d'Arlay et du Maury si riche.

Les vins étant ouverts nous avons le temps de parler avec Arnaud Donckele et Guillaume Gomez et c'est fort agréable.

Il y a presque un mois j'avais travaillé avec Arnaud Donckele, Alexandre Larvoir le directeur du restaurant et le chef cuisinier du restaurant pour bâtir le menu. C'est pour moi enthousiasmant de confronter mes idées avec le génie de ce grand chef. Nous avons fait un programme qui semble passionnant.

Le menu créé par Arnaud Donckele est ainsi libellé : gourmandises de bienvenue (dont une huître) / homard – tourteau – corail pour sauce à manger « langue de chat » / partition maraîchère pour vinaigrette « patidou » / rouget – boulangère – genièvre pour soupe de roche « tanin des failles rocheuses » / lièvre – céleri – baie rose pour jus « bois tison » / Gnocchi – Alba – Crocus pour Poulette « d'Y » / Flave Equinoxe nuances de mangue à pomme pour sauce pectinée « bruine d'endocarpe » / Financier de François Audouze.

J'aime cette présentation où le mot « pour » est systématiquement utilisé pour montrer que les ingrédients sont au service de la sauce, qui est le cœur du plat. Si le financier porte mon nom c'est parce que je l'ai souvent proposé comme point final d'un repas. Il est à la rose.

Je présente les règles des repas aux cinq nouveaux mais aussi aux habitués pendant que l'on boit le Champagne Dom Ruinart 1990. Il est riche et brillant, tout en gloire car il est d'une année mythique pour Dom Ruinart. Il est associé avec le Champagne Krug Vintage 1966 pour les amuse-bouches. L'huître est à se damner avec le Krug, si noble et profond. Il représente l'aristocratie du champagne, d'une noblesse exemplaire. Les deux champagnes sont très différents, l'un pour son charme plaisant et l'autre pour sa perfection incomparable car 1966 est le sommet du champagne.

Le homard est d'un raffinement absolu. Le Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves 1971 est un vin percutant, pointu, vif et noble. A côté, le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 est d'une douceur et d'un charme inouï. Il est comme une gondole de Venise qui glisse doucement dans le gosier. Comme pour les champagnes, les deux blancs sont résolument différents et c'est ce qui rend l'expérience du mariage mets et vins si excitante.

La partition maraîchère accueille les deux vins centenaires. Le Magnum Château Margaux 1924 est tout simplement sublime. Il aura une victoire cinglante de six votes de premier. Ce vin est la définition absolue du bordeaux parfait, avec un équilibre impressionnant et une vivacité marquante.

A côté de lui j'avais choisi le Château Grand Saint Lambert Cru Bourgeois Supérieur 1924 (cave du Chapon Fin à Bordeaux) pour lui faire compagnie. Bien évidemment il y a un écart important de noblesse et d'émotion, mais ce vin lui aussi n'a pas d'âge et aurait été la vedette d'un repas où le Margaux n'aurait pas été présent. J'ai aimé de lui laisser l'opportunité de figurer dans un grand repas.

Le rouget est l'ami des pomerols. Aussi le plat est fait pour le Château Nénin Pomerol 1961, vin en pleine maturité triomphante montrant un goût de truffe noire du plus bel effet. Étonnamment ce vin n'aura pas de vote alors qu'il est grand, ce qui montre la richesse de la compétition.

J'ai personnellement un faible pour ce Château Pichon Baron de Longueville 1904 que j'ai bu plusieurs fois et qui a offert un vin fruité que l'on n'attendrait jamais d'un vin de 120 ans. Il a su être présent ce qui me fait plaisir.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950 a tout d'un grand vin de la Romanée Conti. Une couleur terreuse, un nez et un goût de sel et cette subtilité logue et persistante, d'un vin qui ne veut pas flatter. Il est grand, mais ayant le souvenir de l'Echézeaux 1967 bu hier, je pressentais que La Tâche ne pourrait pas surpasser l'Echézeaux parfait.

Le lièvre combine puissance et légèreté avec des accents intenses. Le Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929 en aime certaines vivacités et La Tâche d'autres. Je ressens la plénitude absolue de ce vin liée à l'immensité du millésime. On est bien avec les vins de 1929.

L'envie était grande d'essayer le Maury domaine de Volontat 1880 sur le lièvre et c'est une excellente idée car ce vin d'une richesse infinie au goût concentré comme une liqueur est d'un charme extrême. Je connais le tonnelet qui avait gardé ce vin. La part des anges était telle qu'elle avait gardé une concentration folle de cet élixir que j'adore. Le nez fait penser à celui des liqueurs de goudron. Le Maury a accompagné le dessert par la suite.

Dès qu'on m'a servi le Vin Blanc Vieux d'Arlay Jean Bourdy 1911 j'ai eu un choc comme celui que je ressens face à un vin parfait. Et l'émotion s'en prend à mon âme. Alors qu'il y a des vins grandioses dans ce repas, je serai le seul à le classer premier du fait de ce choc de pureté et d'absolue perfection. L'apparition de ce choc ne se commande pas.

Le Château Suduiraut Sauternes 1936 est d'un équilibre qui lui donne une puissance que l'on attendrait d'un 1937, la grande année de sa décennie en Sauternes. Il n'a pas la splendeur du Suduiraut 1928 qui est le plus beau sauternes 1928 que j'aie eu la chance de boire, mais il est au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C'est un sauternes riche et puissant, compagnon idéal du dessert aux fruits délicats.

Le classement des vins est toujours un exercice difficile. Sur les 13 vins, seulement trois vins n'ont pas eu de votes, ce qui signifie que dix vins sont dans les cinq premiers d'au moins un convive. Six vins ont eu le privilège d'être votés premiers, six fois pour le Château Margaux 1924, deux fois pour le Krug 1966 et une fois pour quatre vins : Laville Haut-Brion 1971, Bâtard Montrachet 1990, La Tâche 1950 et le Vin Blanc Vieux d'Arlay 1911.

Le classement de l'ensemble de la table est : 1 - Magnum Château Margaux 1924, 2 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950, 3 - Champagne Krug Vintage 1966, 4 - Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990, 5 - Vin Blanc Vieux d'Arlay Jean Bourdy 1911, 6 - Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves white 1971.

Mon classement est : 1 - Vin Blanc Vieux d'Arlay Jean Bourdy 1911, 2 - Magnum Château Margaux 1924, 3 - Champagne Krug Vintage 1966, 4 - Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929, 5 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950.

L'accord le plus sublime est celui des légumes à la vinaigrette avec les deux bordeaux de 1924. Qui aurait osé un tel accord ? Ce fut un coup de génie. Le Gnocchi à la truffe blanche avec le Vin Blanc d'Arlay m'a enthousiasmé, mais on peut dire que tout fut d'un génie extraordinaire car nos papilles ont été entraînées dans un tourbillon de merveilles gustatives. Nos palais faisaient un voyage comme dans la grande roue de Londres ou de Singapour.

La brigade de service composée d'hommes et de femmes impeccablement habillés et attentifs a fait un travail parfait qui rend hommage à la gastronomie, les femmes étant belles et remarquablement maquillées. Emmanuel Cadieu a fait un service du vin idéal.

En début de repas Arnaud Donckele était venu louer le travail que nous avions fait en commun, au point de dire que ce repas a été fait par François Donckele, mêlant nos deux noms. C'est infiniment gentil mais le talent d'Arnaud est le grand responsable de ce beau repas.

Nous sommes allés dans le fumoir pour goûter de beaux cigares apportés par les uns et les autres. J'avais apporté des cubains de la période Davidoff. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° m'avait tellement plu par sa couleur de mangue dans ma cave que je l'avais choisi. Il s'est montré gourmand et idéal pour que nous continuions de bavarder, encore impressionnés par ce repas parfait.

déjeuner au restaurant Pages samedi, 9 novembre 2024

Un ami de longue date me propose de déjeuner au restaurant Epicure de l'hôtel Bristol car cela fait des années que nous ne sommes pas vus puisqu'il vivait en Australie. Par ailleurs l'américaine qui est la plus fidèle de mes dîners vient d'arriver à Paris, et participera demain au déjeuner au restaurant Plénitude. Elle me demande quand nous pourrions nous voir. Je lui propose de se joindre à nous.

Jonathan demande à Epicure s'ils pratiquent un droit de bouchon. Le prix qu'ils indiquent est tellement ridiculement haut que je lui suggère d'annuler sa réservation. Nous irons donc déjeuner au restaurant Pages. Nous serons quatre, car j'ai demandé à ma femme de se joindre à notre petit groupe car l'américaine est une amie.

Jonathan a apporté un Krug Clos du Mesnil 2008. J'ai apporté un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 et un Château Chalon Bouvret 1959 que j'ouvre en arrivant. Le bouchon du 1967 est illisible et le parfum subtil est engageant. Le parfum du Château Chalon est tonitruant et conquérant. Une bombe de saveur.

Je fais le menu avec le chef Ken : carpaccio de wagyu / pagre cru / turbot / wagyu ou lièvre à la royale ou les deux / dessert.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 2008 a un parfum délicat qui est assez réservé. En bouche, je suis très agréablement surpris de sa largeur et de sa convivialité, alors que le champagne est jeune. Avec les deux entrées de viande et poisson crus, le champagne est brillant, vif et profond. Mais c'est en fait dans vingt ans que ce champagne donnera ses plus belles complexités, car ce champagne gagne en vieillissant, le millésime 1979, le premier de tous, étant le plus exceptionnel.

L'Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 me fait tomber en pâmoison. Et je souris. Depuis des années je participe à la présentation des vins du domaine de la Romanée Conti et l'Echézeaux est servi en premier, considéré comme le petit débutant qui doit ouvrir le spectacle. Or cet Echézeaux est absolument étonnant, d'un niveau très supérieur à ce qu'il devrait offrir. Il est délicat, raffiné, et je le considère l'égal d'une Romanée Saint-Vivant qui serait parfaite.

Ce vin m'émeut au plus haut point car ses finesses progressent en bouche sans trouver de fin. C'est un régal sans limite. Alors bien sûr, il est tentant de le boire avec le turbot cuit nature, et c'est parfait. Nous sommes deux à manger le wagyu et deux à profiter du lièvre à la royale. Ayant eu ce lièvre hier j'ai pris le wagyu. L'accord est parfait et toute l'âme de la Romanée Conti se montre en ce vin, sel, finesse, longueur terrienne infinie.

Un Comté est prévu pour le Château Chalon Bouvret 1959. Quelle déception ! Alors que le parfum est explosif, le vin est plat, réservé, sans l'énergie que l'on aimerait. Quel dommage. Bien sûr il se boit mais il manque d'âme.

Le subtil dessert de Lucas est accompagné par le Krug toujours aussi élégant.

Le classement sera facile : 1 – Echézeaux 1967, 2 – Clos du Mesnil 2008, 3 – Château Chalon 1959. De nombreux souvenirs communs ont ensoleillé ce repas où l'équipe de cuisine a fait des prouesses.

Déjeuner avec trois Romanée Conti mercredi, 23 octobre 2024

Il y a quelques mois, un de mes fournisseurs de vins m'a proposé une Romanée Conti 1945. Il y avait plusieurs photos montrant un niveau bas. Ce fournisseur a l'esprit d'un torero, toujours prêt à des batailles et la pugnacité d'un taureau de combat. Ce qui prêche en sa faveur, c'est que j'ai acheté une bouteille qu'il avait mis en vente aux enchères il y a quelques années, un jéroboam de Romanée Conti 1961, que personne n'avait acheté tant il était peu fringant. Je l'avais acheté et il s'est révélé brillant dans un dîner que j'ai organisé.

La question immédiate qui vient face à un tel mythe est évidente : faux ou pas faux ? La parcelle de la Romanée Conti avait gardé ses vignes préphylloxériques et en 1945, les vignes avaient 200 ans et étaient si fatiguées qu'il a été décidé de les arracher pour les remplacer par des jeunes vignes. La production de 1945 ne fut que de 600 bouteilles alors que d'habitude elle était de 4000 à 7000 bouteilles et comme il n'y a pas eu de vin de la Romanée Conti pour 1946 jusqu'en 1950, la Romanée Conti 1945 est devenu un symbole et un mythe.

Tous les amateurs de vin ont en tête le prix qu'a obtenu une Romanée Conti 1945 provenant de la cave de famille Drouhin qui vendait ce vin, prix qui est le plus élevé pour une bouteille de vin.

Les images que j'ai vues ne me semblaient pas correspondre à un vin falsifié et le niveau était bas. Mais quelque chose m'a poussé à aller plus loin. Le fournisseur voulait absolument boire le vin. Il sacrifierait la moitié de son revenu pour boire le vin. A mon sens, il ne ferait pas cela s'il n'avait pas confiance dans le vin.

Les discussions ont été difficiles, avec des joutes qui ressemblaient à des combats de coqs. Cinq ou six fois, j'ai dit : stop, terminé, ciao... et un jour nous sommes arrivés à une entente. Comme dans un poker, on calcule son risque. J'ai calculé et accepté le risque d'un vin qui serait mort ou faux.

J'ai réservé une table au restaurant Pages parce qu'ils sauront cuisiner pour les vins. Chacun de nous deux apporterait un autre vin.

Je suis arrivé à 9 h 30 au restaurant Pages. Nous devions nous rencontrer à 9 h45 mais Guillaume m'a envoyé un message me disant qu'il serait en retard, à 10 h 15.

J'ai décidé d'ouvrir la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955. J'avais pris cette bouteille pour avoir une référence pour la Romanée Conti 1945 car les deux ont des niveaux bas et pour une autre raison. Curieusement, les Romanée Conti de nouvelles vignes, de 1951 à 1955, présentent une complexité inattendue. Et cette complexité n'est pas loin de celles des vins préphylloxériques. C'est très curieux, et Aubert de Villaine pense que les racines qui n'ont pas été débarrassées du sol ont eu une influence sur les nouvelles pousses.

J'ai ouvert la Romanée Conti 1955 et l'odeur était si intensément mauvaise, boue et terre, que je n'étais pas sûr qu'elle perdrait ses vilaines senteurs en un temps court.

Guillaume est arrivé et j'ai ouvert la Romanée Conti 1945. Le liège noir et gras donnait une indication : impossible que ce vin soit faux. C'est un liège typique et laid, comme on en trouve du Domaine de La Romanée Conti durant les décennies 40, 50, 60 et 70.

L'odeur n'est pas parfaite mais j'espère que toutes les mauvaises odeurs pourront disparaître. Et les défauts sont typiquement conformes aux défauts que j'avais senti en ouvrant les vieux vins du Domaine de La Romanée Conti.

La Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1929 a été apporté par Guillaume et c'est une Vandermeulen. C'est un grand négociant en vin de Belgique qui avait le privilège de pouvoir embouteiller les vins reçus en barriques. Il a vendu de grands vins et beaucoup de faux vins. Je suis attentif en ouvrant et l'odeur ne correspond pas à ce que j'attendais. Les odeurs laiteuses ne sont pas normales. Le retour à la vie est prévisible et je n'ai pas d'opinion sur le fait qu'il s'agisse d'un faux ou non.

Après avoir ouvert les trois Romanée Conti, nous avons décidé de marcher dans Paris et de revenir au restaurant à 13 heures. Par chance le soleil est radieux.

Notre déjeuner commence à 13 heures après l'ouverture des vins de 9 h45 à 11 heures.

Le menu que j'ai suggéré au chef Ken, comme nous ne buvons que trois Romanée Conti et rien d'autre est : carpaccio de filet de bœuf / bœuf de Normandie / deux services successifs de Wagyu / lièvre à la royale / financiers.

Je pensais que l'odeur de la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955 aurait du mal à se rétablir, mais elle s'est complètement reconstituée, redevenant absolument parfaite, marquée par le sel. En bouche c'est un pur rêve. La couleur est typique pour les vieilles Romanée Conti : terre brune, qui avec les vins du domaine n'est pas une caractéristique négative. Le goût est magique, archétypal de la Romanée Conti. Je suis si heureux. C'est une merveille. Probablement la meilleure Romanée Conti que j'ai bue de la période 1951 à 1975. Il faut noter que 70% des amateurs de vin auraient jeté ce vin à cause de l'odeur désagréable à l'ouverture.

Comme je le dis très souvent, ma méthode d'ouverture fait des miracles et ce n'est pas pour essayer de faire le fanfaron. Je suis tellement content de la typicité parfaite de ce vin. J'ai offert un verre pour que Ken et son équipe puissent s'en imprégner.

Pour la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 j'avais pensé que l'odeur imprécise avec des défauts disparaîtrait mais en fait, quelques défauts d'odeur sont restés. Je pensais : aïe aïe aïe. Mon désir allait-il être gâché ?

Mais comme les surprises arrivent toujours avec le vin, le goût n'a absolument aucun défaut. C'est curieux. La couleur du vin est lourde et le goût du vin est dense et lourd, ce qui est typique des vins préphylloxériques. Et puis la complexité, la fraîcheur et la longueur impérissable sont apparues.

Deux secondes de ma vie ont été l'éternité. J'ai mangé une bouchée de Wagyu et quand j'ai bu le 1945, toute l'histoire de l'univers était dans mon verre. Un moment de bonheur stratosphérique. Romanée Conti 1945 est faite pour Wagyu et vice versa. Ce fut le choc d'un instant. La grandeur de la viande grasse fait exploser la générosité du vin.

Puis je me suis demandé, est-ce une grande Romanée Conti ? Pour mon goût, je préfère la 1955. Mais pour la légende, ce vin est la légende. Et je me souviendrai toujours de la force du préphylloxérique, de l'incroyable longueur et de la complexité.

C'est un moment totalement précieux dans ma vie.

J'avais déjà bu la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 il y a 25 ans. J'avais aimé mais je n'avais pas les connaissances que j'ai aujourd'hui, qui me permettent d'avoir une meilleure perspective.

C'est maintenant le tour de la Romanée Conti 1929 Vandermeulen. Quand on l'a ouverte, l'odeur de la 1929 était désagréable. Certains aspects laiteux s'atténuent au déjeuner, mais je suis toujours agacé par ces odeurs.

La question vraie ou fausse était toujours dans mon esprit, en raison de la réputation de Vandermeulen qui avait vendu de grands vins mais aussi des contrefaçons. Mais une sensation est apparue avec le lièvre à la royale, comme l'éclair de magie pour la 1945.

La combinaison était si intense que le 1929 a révélé des marqueurs de la Romanée Conti.

Je n'ai pas été impressionné par cette 1929 parce que j'ai bu tellement de bourgognes de 1929 qui étaient meilleurs, mais j'ai eu un instant un flash non éloigné de celui que j'ai eu pour la Romanée Conti 1945.

Nous avons terminé ce voyage irréel avec de délicieux financiers crées par Lucas le pâtissier du restaurant Pages.

Si je veux résumer ce déjeuner, en termes de perfection, la 1955 est la parfaite Romanée Conti, mais en termes d'émotion, la 1945 est l'émotion de ma vie.

La Romanée Conti 1945 est une légende absolue. Nous avons eu son émotion. Cinq heures plus tard, je souriais encore.

Le lendemain j'ai téléphoné à Pierre-Alexandre, le directeur de Pages pour le féliciter. Il m'a dit : c'était tellement émouvant de vous voir si heureux. C'était une aventure unique.

286ème dîner au restaurant Pages jeudi, 17 octobre 2024

Le 286ème dîner se tient au restaurant Pages. Des amateurs américains de l'Idaho avaient participé au 240ème dîner et viennent de se marier hier en France, dans la Loire. Accompagnés d'amis de l'Idaho, ils m'avaient demandé d'organiser pour leur groupe de cinq un dîner qui se tiendrait le lendemain du mariage. Je leur ai proposé de compléter la table avec d'autres convives pour avoir un programme de vins beaucoup plus large. Nous serons donc dix ce soir avec une parité parfaite Idaho / France. Il y aura autour de la table un vigneron de la Napa Valley, des commerçants du monde du vin et des amateurs éclairés.

Un peu avant 16 heures je commence l'ouverture des vins. Je serai rejoint plus tard par un ami commerçant en vins et journaliste et par un journaliste. Nous aurons ainsi le temps d'échanger sur le vin et mes dîners.

Alors que le Domaine de Chevalier 1952 a un niveau mi-épaule et le Clos Fourtet 1960 a un niveau superbe, c'est le 1952 qui offre le plus beau parfum, le saint-émilion ayant un nez poussiéreux qui pourrait ne pas se dissiper. Le Clos de Vougeot 1961 a un beau bouchon et un parfum idéal.

Je bataille avec le bouchon du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 dont le sommet est couvert d'une pâte graisseuse et se retire en morceaux gras et noirs. Mes mains sont toutes noires. Fort heureusement le parfum est salin et typique des vins du domaine.

Le Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949 a un bouchon parfait et des senteurs riches de garrigue. Les trois liquoreux de 1929 ont des bouchons qui ne posent pas de problème et des parfums riches très différents. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 offre un gentil pschitt qui signe une belle jeunesse et le Moët & Chandon Brut Impérial 1964 a un bouchon qui se brise puisque le bas du bouchon ne veut pas suivre la torsion du haut du bouchon. Il s'annonce impérial comme son nom.

Les convives sont tous à l'heure. Le menu a été conçu lors d'une conversation téléphonique entre Pierre-Alexandre le directeur, Ken le chef et moi. Nous nous connaissons si bien que ce fut facile. Un point d'interrogation existait sur le lièvre à la royale puisque Ken n'était pas sûr de pouvoir le faire à temps. Fort heureusement ce plat mythique sera servi ce soir.

Le menu est ainsi libellé : amuse-bouche : carotte, brocolis, jambon / anguille fumée, amanite des Césars / carpaccio de poisson blanc / noix de Saint-Jacques poêlées / daurade royale poêlée, sauce vin rouge / pigeon rôti, sauce salmis, pommes des terres poêlées / lièvre à la royale / tarte Tatin / chocolat.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 est d'une belle couleur claire et la bulle est encore présente. Ce champagne est vif et tranchant, prenant de la largeur avec le jambon ibérique. Sa noblesse est certaine. C'est le vin phare de la maison Mumm dans un millésime qui n'a pas la renommée qu'il devrait avoir. C'est le 21ème que je bois tant j'ai de sympathie pour ce grand Mumm.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 est une belle surprise pour beaucoup tant il est joyeux et généreux. Il est même fruité et si la bulle n'est plus visible, le pétillant est entraînant. C'est un champagne gourmand. Alors que Dom Pérignon est d'une hiérarchie supérieure j'ai parfois plus de plaisir franc avec les Brut Impérial anciens qu'avec les Dom Pérignon des mêmes années.

Je suis un peu gêné par l'Y d'Yquem Graves blanc 1979 qui a un léger goût de bouchon, qui ne rebute aucun des convives. Ce vin a des traces de botrytis comme très souvent pour les Y. Il est ensoleillé. A l'inverse le Château Laville Haut Brion blanc 1978 est strict et tranchant, d'un caractère guerrier. Le Laville est le compagnon du carpaccio de poisson alors que l'Y est confortable avec les noix de Saint-Jacques. Les deux blancs de Bordeaux ont des styles différents et sont excellents.

Le Clos Fourtet Saint-Emilion 1960 n'a plus aucun défaut olfactif mais je ne le trouve pas aussi brillant qu'il pourrait l'être. On est loin du sublime 1947 qui fait partie de l'élite des bordeaux de 1947. En revanche le Domaine de Chevalier Léognan 1952 dont je n'étais pas sûr, du fait de son niveau, est riche et bien construit. Avec la daurade, il forme un très bel accord. Ce Chevalier est une agréable redécouverte.

Le Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 est pour mon goût une gigantesque surprise. Il représente le bourgogne archétypal mais surtout il est absolument parfait, d'une construction idéale. C'est le bourgogne tel qu'on le rêverait. Alors que je chéris les vins du domaine de la Romanée Conti, c'est ce vin que je mettrai premier dans mon vote tant il est grand. L'accord avec le pigeon est classique mais si efficace.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 a une couleur un peu terreuse, mais il a tous les marqueurs des vins du domaines, le sel et la rose auxquels s'ajoute un style parcheminé. Le millésime 1956 était faible et s'est révélé quelques années plus tard. Il y a des complexités impressionnantes. Il convaincra mes convives.

Le Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, c'est l'ami de toujours, celui en qui on a une confiance totale. Il est tellement solide, construit et rassurant. Il est fait pour le lièvre à la royale dont il calme les ardeurs. Le vin est long, riche et d'un charme enthousiasmant.

J'ai voulu mettre dans ce repas trois liquoreux d'une année mythique, très différents. Le Château du Peyrat 1er cru Capian Langoiran 1929 est un Premières Côtes de Bordeaux qui m'avait surpris par la richesse de son parfum. Il n'a pas la puissance des sauternes mais sa vivacité est supérieure à ce que j'attendais.

Château Fihot est généralement un sauternes plus doux et discret qu'Yquem aussi suis-je surpris par l'intensité de ce Château Filhot Sauternes 1929. Quel vin riche et complexe. Un miracle de plaisir sur une tarte Tatin gourmande faite par Lucas, le pâtissier du restaurant.

Le Banyuls Grand Cru SIVIR 1929 a été embouteillé en l'an 2000. Il s'agit d'un Banyuls de coopérative qui a passé 71 ans en fût de chêne. Le parfum est d'une densité incroyable et malgré cela, le vin paraît plus léger et frais que ce que suggère sa pesanteur alcoolique.

Je suis content que l'on ait exploré ces trois liquoreux d'un même millésime. Chacun offre une grâce particulière que seuls les liquoreux anciens peuvent donner. J'aurais été tenté d'essayer le lièvre à la royale avec le Banyuls, mais mon assiette était vide. C'eût été plus original que le classique chocolat.

Mes convives ont été impressionnés par la cuisine épurée, simplifiée mais si efficace du chef Ken et de son équipe. Cette pureté et cette précision mettent en valeur les vins idéalement.

Les votes sont extrêmement intéressants. Les 12 vins présents ont tous reçu au moins un vote d'un des convives, ce qui est gratifiant pour mes vins. Encore plus plaisant est le fait que six vins ont été nommés premiers : le Richebourg trois fois, le Clos de Vougeot et le Moët deux fois et le Châteauneuf du Pape, le Domaine de Chevalier et le Laville Haut-Brion chacun une fois premier.

Le vote de l'ensemble de la table est : 1 - Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 2 ex-aequo - Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961 et Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 4 - Château Filhot Sauternes 1929, 5 - Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964, 6 - Domaine de Chevalier Léognan 1952.

Mon classement est : 1 - Clos de Vougeot Bouchard Père & Fils 1961, 2 - Château Filhot Sauternes 1929, 3 - Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956, 4 - Châteauneuf du Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 5 - Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964.

J'ai gardé la plus belle surprise pour la fin de ce récit. Les cinq américains me suivent sur Instagram. On voit peu de photos de moi mais quand je suis pris en photo c'est souvent au restaurant et on me voit avec un pullover qui a la couleur bleu foncé qui est celle des mots que l'on voit ci-dessus. Les trois hommes sont venus au dîner avec des pullovers de cette couleur bleue. Quelle gentillesse folle !