visite et déjeuner au domaine de la Romanée Contimercredi, 18 janvier 2012

De bon matin, il fait froid à Vosne-Romanée. Moins qu’hier où l’on avait atteint moins sept degrés. On est à moins quatre degrés. Je vais chercher mon frère à la gare de Beaune, car nous allons rendre visite à la Romanée Conti. Jean Audouze, mon frère, a été nommé par le Premier Ministre au poste de président de la Commission nationale pour l’éducation, la science et la culture de l’UNESCO. Il est l’une des personnes intéressées par le dossier de classement des climats de Bourgogne, décision hautement politique qui sera prise aux plus hauts niveaux de l’Etat et de l’UNESCO. C’est l’occasion d’une visite amicale.

Lorsque nous arrivons au siège du domaine, Jean-Charles Cuvelier me dit que les résultats d’analyse de la bouteille trouvée dans les gravats de l’abbaye de Saint-Vivant supposée du 18ème siècle ne sont pas encore connus et il m’informe que l’une des descendantes de la famille qui a possédé l’abbaye, ayant lu les articles de journaux, a apporté à Aubert de Villaine une autre bouteille qui dormait dans l’abbaye probablement aux mêmes époques. Mon cœur se met à battre plus fort et Jean-Charles me montre la bouteille au goulot très fin comme on en trouve dans des bouteilles d’avant 1850, et avec un fond plat irrégulier qui fait pencher la bouteille quand elle est debout. Cette bouteille me semble plus vieille que celle que nous avons ouverte il y a peu de mois.

Bernard Noblet nous emmène goûter en cave les 2010 du domaine. Je n’avais pas relu mes notes d’une précédente dégustation des 2010 du domaine, et je ne les relis pas en écrivant ce compte-rendu.

Le Corton Domaine de la Romanée Conti 2010 est un vin pris en fermage par le domaine. Il est sur trois climats qui sont vinifiés ensemble pour l’instant. C’est émouvant pour moi de goûter pour la première fois ce vin, bien jeune mais prometteur.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2010 se présente très fermé. Il faut dire qu’il fait très froid. Bernard nous dit qu’il n’a pas vérifié si ce jour est un jour fruit ou un jour fleur, car selon le cas, la dégustation sera plus ou moins réussie.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2010 a beaucoup plus de matière et est plus ouvert. Il est même plaisant.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2010 est romantique, très féminine et jolie.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2010 me plait énormément, car il superbe et a déjà toutes les caractéristiques d’un Richebourg du domaine. Cette lisibilité de son caractère me plait énormément.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2010 est le charme absolu. Elle est toute en séduction, alors que le Richebourg est en richesse et en structure. La Tâche et la Romanée Conti sont dans des fûts placés dans la partie nord de la cave, car cela convient mieux à leur vieillissement.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2010 m’interpelle, car je n’arrive pas à bien la comprendre. Elle est hyper fermée. C’est à ce moment qu’arrive Aubert de Villaine qui nous salue et nous dit qu’il y a dans la Romanée Conti de la violette qui est l’annonce du grand vin, et évoluera vers le pétale de rose. Lorsque Aubert le dit, je le constate, mais je n’arrive toujours pas à retrouver ce qui fait la vibration de la Romanée Conti. Mon frère est naturellement ému puisque c’est sa première expérience, mais je me sens frustré de ne pas retrouver le vin que j’aime. Il se pourrait que je sois dans une mauvaise disposition pour goûter ce vin, comme pourrait le prouver la suite. De plus, nous sommes dans un jour de basse pression où le vin encaisse la baisse des températures extérieures.

Nous nous rendons maintenant dans la petite cave voûtée où se passent les dégustations de vins en bouteilles, après les vins en fûts. Bernard Noblet nous a quittés aussi sommes-nous trois, mon frère, Aubert et moi. Aubert n’a pas le même talent que Bernard pour brouiller les pistes et susciter des réponses fausses, aussi le jeu de la découverte à l’aveugle est-il moins accentué.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1997 a un nez superbe et très épanoui. Il a un peu de raisin de Corinthe, et je le trouve plus puissant que l’image que j’ai de son millésime. Il est déjà prêt à boire.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1990 est remarquable. C’est du velours. Il est féminin et d’un équilibre total. Les raisins sont mûrs et le final est très gourmand.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961 dont nous ne savons pas encore de quel vin et de quelle année il s’agit a un nez magnifique et pleinement bourguignon, avec une légère amertume et la promesse de son côté salin. Le vin est floral. Il y a grande persistance, une belle fraîcheur, de la légèreté et de la douceur. Je pressens la rose et le salin, mais je dois dire que je suis un peu frustré, même en apprenant qu’il s’agit de la Romanée Conti 1961.

Le Bâtard Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2006 est très charpenté, très opulent, charnu et il étonne par l’impression de sucrosité liée à un botrytis très prégnant. La parcelle de Bâtard fait deux ouvrées, l’ouvrée représentant 428 m², ce qui fait une très petite parcelle.

Nous remontons à l’air libre en emportant les bouteilles sauf la 1997, et nous allons faire une petite dinette dans la grande salle de l’ancien siège de la Romanée Conti. De la cochonnaille, deux fromages et des mandarines nous attendent. C’est frugal, mais c’est l’esprit du domaine et je l’accepte bien volontiers, d’autant plus que c’est ainsi que je fus reçu la première fois à la Romanée Conti.

A table, avec le pâté en croûte le Bâtard redevient le vin sec qu’il devrait être. Il est superbe et racé, très complexe. Etonnamment, on ne ressent plus aucune trace du botrytis.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1990 a un nez raffiné. En bouche, il est très fruité et large. Le côté chatoyant est très surprenant. Il est beau, épanoui, brillant. Le plus spectaculaire est la largeur de ce vin. Il est très bourguignon avec une belle râpe et une fraîcheur mentholée.

En sentant la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961, on sait que l’on change de planète. Si certaines caractéristiques sont superlatives, d’autres me dérangent. La longueur est infinie, mais le vin est indéfinissable. Je commence par trouver du fumé, des grains de raisins presque brûlés. Un boisé et le côté brûlé donnent au vin une force de goût hors norme. Mais il n’est pas gourmand et n’a pas la délicatesse habituelle. Je me demande si ce n’est pas moi qui ne suis pas d’humeur à vibrer avec la Romanée Conti.

Et tout à coup, le salin apparaît. Le vin commence à s’assembler et le fruit se découvre enfin. Sa transformation est incroyable et enfin, je me trouve devant une Romanée Conti. Puis le fruit s’estompe au profit de la rose, ce qui est très plaisant. Et le vin évolue vers ses caractéristiques du début, avec ces raisins brûlés et cette amertume.

Alors que je suppose qu’il est rare que l’on questionne le mythe du domaine, je m’ouvre à Aubert de Villaine de mon impression de probable mauvaise performance de cette bouteille de Romanée Conti. Aubert me confirme que lui aussi est un peu gêné par cette évolution du vin qu’il n’avait pas ressentie avec la précédente 1961 bue il y a quelques mois. L’explication est sans doute à chercher dans les conditions de la dégustation et dans l’état du bouchon.

Dans ma musette, j’ai le fond du Muscat Mas d’Eu mis en bouteille en 1889 que j’avais ouvert lors des rencontres Henri Jayer. Il y en a suffisamment pour faire quatre verres où le liquide regorge de lie en petites plaques fines. Le vin est sublime et je montre à mon frère comme il va bien avec les mandarines. Ce vin est un régal, apprécié par Aubert et Jean-Charles.

Celui-ci, en démon tentateur, propose un Marc de Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1978, mis en bouteille en 1994. Je pense n’avoir jamais bu un marc aussi brillant que celui-ci. Il est génial.

Aubert de Villaine conduit mon frère pour une visite éclair des vignes de La Tâche et de la Romanée Conti pendant que je vais récupérer à mon hôtel les vins qui m’ont été offerts aussi bien par les vignerons de Chateauneuf-du-Pape que par ceux de Bourgogne.

En repartant à Paris après cinq jours de folie, je retiens surtout la générosité de vignerons dont l’amitié est certainement le plus grand des cadeaux.