Un autre Clos Saint-Denis au restaurant Guy Savoyvendredi, 7 décembre 2012

Il se confirmera une fois de plus que je ne sais jamais dire non. Lorsque Bipin Desai est arrivé à Paris, il m’appelle pour confirmer notre dîner au Bristol, la veille du dîner de vignerons, et il me dit : "je dois déjeuner demain au restaurant Guy Savoy. Mon convive m’a fait faux bond. Voulez-vous venir ?". Contre toute raison, j’ai dit oui. Vive la déraison !

Arrivé en avance, j’étudie la carte des vins. Il y a quelques belles niches, mais le fond de cave est dans un Himalaya tarifaire. Un vin qui se vendait 600 francs en primeurs il y a dix ans se trouve à 5.600 €. Même Serguei Bubka n’aurait jamais demandé que l’on mette la barre à une telle hauteur. Il est vrai que j’ai choisi le pire exemple. Bipin arrive et il prend les choses en main sans me demander. Il décide même du menu.

Ce sera : saumon figé sur glace, consommé brûlant, perles de citron / colors of caviar / soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / bar en écailles grillées aux épices douces.

Caroline Frey participera au dîner ce soir aussi Bipin commande un Champagne Billecart-Salmon Grande Cuvée Brut 1996. Le champagne a une extrême personnalité et une longueur remarquable. Très typé, profond, il est remarquable en tout point. C’est une belle découverte pour moi, car je ne suis pas très familier des champagnes de cette maison. Il y a un fumé racé, un peu comme cemlui que l’on trouve dans Substance de Selosse.

L’amuse-buche est un bouillon chaud très frais en bouche avec ce que je crois reconnaître comme de la citronnelle et du citron vert. Sous une tasse yin et yang, car elle a toujours une moitié retournée, il y a une petite bouchée dont le fond de betterave rouge est d’une rare délicatesse.

Un chef qui s’appelle Solivérès mais n’est pas parent avec le chef du Taillevent vient préparer devant nous le saumon cru. Il est gelé sur glace, ce qui cuit la face qui est au contact, on ajoute des ingrédients dont des perles de citron rose et des carrés de cerfeuil, et l’on couvre le tout d’un bouillon chaud. Ce plat est d’une créativité extrême, d’inspiration japonisante. Le champagne est un bon compagnon de ce plat. J’essaie avec le rouge et, à condition de savoir y faire, des ricochets gustatifs se créent entre le plat et le vin.

Le décor est planté : Guy Savoy, c’est de la création pure.

Le vin que Bipin a choisi sur la suggestion provocatrice de Sylvain, c’est le Clos Saint-Denis domaine Dujac 1998. Provocatrice, car Sylvain pense que le 1996 que nous avons bu hier n’est pas parfait, alors que le 1998 le serait. Voilà le thème d’un beau match. Vite, il faut vérifier.

Lorsque le vin est servi, on sent que le vin servi par Marco dégageait des arômes infiniment plus puissants que celui servi par Sylvain. Sylvain ouvre à l’espagnolette alors que Marco ouvrait au grand air. La puissance olfactive était hier. La suggestion est aujourd’hui. C’est fou ce que les deux parfums ont en commun.

En bouche le 1998 est plus rond, plus consensuel que le 1996, plus gourmand aussi. Mais il a moins de tension et de longueur. Alors, que dire ? Ce sont deux styles différents. Pour le plaisir pur et immédiat, c’est le 1998 qui gagne. Sur la personnalité et la profondeur, c’est le 1996 qui gagne. Il y en a pour tous les goûts.

Bipin s’étonne que le "colors of caviar" me soit inconnu. C’est peut-être la barrière tarifaire qui n’est pas la même pour lui et pour moi. Le plat est délicieux et le caviar prend une longueur extraordinaire avec son sabayon au caviar. La mâche est un régal et le caviar a une longueur en bouche irréelle.

Le champagne n’est pas le meilleur ami de ce plat. C’est un Dom Pérignon qu’il faudrait pour le dompter.

La soupe d’artichaut, plat emblématique, est superbe. Le Dujac réagit à la perfection, surtout avec la brioche. Le bar est délicieux mais la vanille est un peu trop prononcée pour s’acoquiner avec le champagne ou le vin.

Que dire de ce repas ? D’abord que c’est un excès de folie quand on sait ce qui nous attend ce soir. Ensuite que Guy Savoy est le chef le plus créatif de tout Paris. Que ceci ne me fâche pas avec ses pairs, car je suis dans l’enthousiasme. Le service est de haute précision, Sylvain a été à nos côtés avec talent. J’ai été fou d’accepter ce déjeuner. Mais que je suis heureux !

le chef montre la préparation du saumon à une table voisine