dîner au Bristol avec un grand Clos Saint-Denisvendredi, 7 décembre 2012

Bipin Desai, grand collectionneur américain fait son voyage traditionnel en France autour de Thanksgiving. Je suis en charge pour la douzième année consécutive d’organiser un dîner avec des vignerons amis. A peine arrivé de son avion, Bipin me rejoint pour un dîner à deux au restaurant de l’hôtel Bristol. Le restaurant gastronomique s’appelle Epicure et a pris ses quartiers non pas d’hiver mais de toutes saisons dans ce qui était naguère la salle à manger d’été. Notre table est tournée vers le jardin avec une vue sur l’imposant sapin de Noël dont on se demande comment il a pu arriver dans cette cour fermée, tant sa hauteur est impressionnante. Malgré la cheminée et d’amusants canapés profonds, on est loin de la classe de la salle lambrissée de la salle à manger d’hiver.

Etant arrivé en avance, Marco Pelletier, chef sommelier m’offre un verre de Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2004. C’est fou comme l’année 2004 est confortable. Il ajoute des petits amuse-bouche d’une dextérité extrême et d’un goût qui donne envie d’applaudir le talent du chef. Le champagne est riche, goûteux, crémeux à souhait. On en boirait sans s’arrêter tant il appelle la gourmandise, et, comme dirait Pierre-Emmanuel Taittinger, l’amour, mais pour ce dîner, ce n’est pas au programme.

Choisir dans la carte des vins extrêmement complète du Bristol est un exercice difficile pour deux raisons : elle est copieuse, donc longue à appréhender et par ailleurs on cherche en vain de bonnes pioches, tant les prix sont élevés. Nous avons partagé avec Bipin la note de restaurant, aussi quand il a proposé le vin rouge, j’ai acquiescé, mais jamais je n’aurais pris ce vin à ce prix si j’avais été seul décideur. Par chance il est exceptionnel.

Le menu que j’ai choisi est : châtaignes de mer en coque, langues et écume d’oursin, fine brouillade d’œuf de poule / demi-portion de macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / lièvre à la royale, ravioles de topinambour, céleri et châtaignes au raifort.

Disons-le tout de suite, celui qui a illuminé ce repas, c’est Marco Pelletier. Il nous a conseillés, a expliqué les vins d’une manière qui est celle d’un très grand sommelier. Il nous connaît tous les deux aussi sommes-nous en terrain de connaissance. Il a été remarquable. Pour l’oursin, j’ai suggéré un champagne de Diebolt-Vallois puis l’idée m’est venue de prendre un vin de Philippe Foreau. L’idée a plu a Marco qui a proposé un Vouvray sec Clos Naudin Foreau 2010. L’oursin est goûteux et le vouvray, même sec a suffisamment de douceur pour répondre à la douceur sucrée de l’oursin. Le vin est charmeur, très complexe dans ses arpèges de saveurs. Il y a des fruits blancs, une acidité d’une justesse rare. Ce n’est pas un vin encore abouti, mais c’est exactement ce qui convient aussi bien à l’oursin qu’à la brouillade.

Le vin suivant est le Clos Saint-Denis domaine Dujac 1996. Servi dans des verres aux pentes très recourbées vers le centre, le vin exhale des parfums à se damner. Qui pourrait résister à une telle tentation. C’est d’abord un bouquet de fleurs que l’on jette à mes narines. C’est ensuite un tombereau de fruits mûrs et une élégance qui me prend comme au lasso. Ce parfum est diabolique et vraiment, je pense que certains sommeliers ont l’art d’apporter un vin dans un état de perfection que je me sentirais bien incapable de trouver. La bouche est moins tonitruante que le nez. Le vin est grand, avec un équilibre entre les jolis fruits frais, l’acidité, les tannins et avec une élégance extrême. Ne cherchons pas le passage en force, car tout ici est en séduction. Avec le macaroni, l’accord est une évidence. On pourrait imaginer que ce vin sans biscotos subirait en se soumettant au choc du lièvre, mais pas du tout. Il s’adapte et ne perd rien de son message. Bipin a commandé un fromage et un dessert. Je ne l’ai pas suivi, car demain est autre jour.

La cuisine est de grande dextérité. J’ai choisi le lièvre à la royale car j’avais le souvenir qu’Eric Fréchon faisait l’un des tout meilleurs de Paris. Je n’ai pas retrouvé l’étincelle de génie de la dernière expérience, même si c’est très bon. Il faudrait que l’on m’explique si c’est ce que l’on apprend en école hôtelière, mais je remarque de plus en plus souvent qu’à partir du début du troisième tiers du repas, les serveurs sont aux abonnés absents. Un serveur est capable de traverser quinze fois la salle sans jamais remarquer ce qui s’y passe et si une table a un besoin. J’ai éprouvé cela au Meurice, au Lasserre et ici ce soir, mais pas que là. Un convive ferait comme dans un match de foot la traversée de la salle tout nu, il est à peu près sûr que les dix serveurs présents ne remarqueraient rien. Et ce ne sont pas les trois seuls restaurants dans ce cas. Il y a une sorte de trou noir au moment du dessert, comme si le client n’avait plus besoin de rien, ce qui rend inutile de regarder autour de soi. Cette remarque est à la marge, car le héros du jour, c’est Marco Pelletier, d’une justesse de conseils absolument remarquable.