Repas de rêve au restaurant Arpègejeudi, 12 septembre 2013

Des amis me proposent de les rejoindre pour déjeuner au restaurant Arpège. Ils annoncent des bouteilles de haut niveau qui m’interdisent de refuser ce repas si par hasard j’en avais l’intention. Ma réponse à leurs apports est Latour 1914.

J’arrive vers 11h pour ouvrir ma bouteille mais aussi celles des amis. Les parfums sont extrêmement engageants. Celui du Margaux 1928 en demi-bouteille est irréellement bon. Je mets au point le menu avec un des amis arrivé en avance et avec l’équipe très motivée du restaurant.

N’ayant pas eu de menu, voici ce que j’ai retenu de la multitude de plats : petits amuse-bouche délicats en fines barquettes /fines lamelles de tomates multicolores à l’huile / pomme de terre bretonne avec une lourde sauce aux champignons et d’autres saveurs / carpaccio de poisson, bar, je crois / gratin d’oignons au parmesan / saint-pierre à la feuille de laurier et tétragone / céleri en forme de risotto / grouse / couscous de légumes / ris de veau / ravioles potagères et bouillon végétal / tomme / millefeuille « caprice d’enfant » à la mirabelle et à la dragée écrasée.

Ce repas est d’une qualité irréprochable. Le plat le plus enthousiasmant, c’est le couscous de légumes, plat emblématique d’Alain Passard. Ensuite, la grouse est exceptionnelle, suivie du gratin d’oignons et du millefeuille. Tous les plats sont bons, cohérents, talentueux.

Le Champagne Krug 1979 a une couleur très ambrée. La bulle est fine, minuscule et très active. En bouche, ce champagne est d’un rare plaisir. Il est expressif, confortable, charmeur. On sent le miel, le croissant tout chaud. Tout est charme en ce grand champagne.

Le Puligny-Montrachet Les Enseignères domaine Coche-Dury 1996, s’il est puissant, n’est pas envahissant. Car il s’est bien assemblé, devenant cohérent. C’est un vin qui dépasse le meilleur niveau des Puligny-Montrachet. L’huile des tomates permet de créer un bel accord, alors qu’il était improbable sur le papier.

Ce qui est fascinant avec le Château Laville Haut-Brion 1962, c’est qu’il est impossible de lui donner un âge. Alors que le Krug 1979 fait son âge, voire un poil plus, ce vin est intemporel. Sa couleur est d’un jaune citron. Son parfum est frais. En bouche, il est d’une précision extrême, de cette précision que l’on rencontre avec les meilleurs rieslings comme le Clos Sainte Hune de Trimbach. L’accord avec le saint-pierre est parfait. Ce vin est au sommet de son art, racé, noble, percutant.

Le Château Margaux 1/2 bt 1928 est fascinant. Son parfum est d’une force incroyable. Sa couleur est d’un rouge sang de pleine jeunesse. Le vin remplit la bouche de sa plénitude. Il est grand, à peine torréfié. Il est convaincant. C’est un très grand vin. J’avais ouvert ce même vin au Garance et Gérard Besson ne voulait pas croire qu’il soit possible qu’une demi-bouteille de 1928 puisse donner tant de jeunesse épanouie. Nous sommes dans la même configuration.

Le Château Latour 1914 a une couleur un peu trouble et donnant des signes d’âge. Le parfum est discret mais précis. En bouche, le vin montre une petite acidité lorsqu’on le boit sans plat. Avec la grouse, il devient follement gastronomique, perd ses signes d’âge et devient un vrai Latour, noble et distingué, même s’il n’a pas le caractère conquérant que Latour peut avoir. J’en ai offert un verre à Alain Passard qui l’a partagé autour de lui, pour autant de bonnes surprises.

Le charme sensuel des bourgognes se retrouve dans le Corton Grancey du Château Corton Grancey 1928. Il a quelques signes de torréfaction et de fatigue, mais c’est le charme qui triomphe sur le ris de veau. Notre ami coréen vivant à Singapour, qui préfère les bordeaux qu’il comprend mieux a vu ses convictions renforcées par une meilleure performance des bordeaux, mais le Corton Grancey, même incomplet, déclamait des complexités qui ne laissaient pas indifférent.

J’avais appelé à la raison en demandant qu’on n’ouvre qu’un seul sauternes, mais ma voix n’a pas pesé lourd. Nous avons donc pu comparer deux sauternes éblouissants. Le Château Lafaurie Peyraguey 1947 est d’un or glorieux, un peu plus foncé que l’autre. Son attaque est puissante avec un alcool affirmé et la cohérence du message est percutante. Ce qui me frappe, c’est la fraîcheur gracile de l’attaque, qui cohabite avec la puissance envahissante du Lafaurie.

Le Château Rayne-Vigneau 1947 a la même cohérence et le même accomplissement. Mais il a un peu plus de profondeur et de complexité. Il joue en douceur avec une efficacité redoutable. Les deux sauternes sont exceptionnels et selon les gorgées, on va aimer celui que l’on vient de boire. Les deux évoquent la mangue et les fruits jaunes dorés.

Nous avons bu des vins d’une grande qualité. Nous n’avons pas voté et ce serait bien difficile. Si je me risque, voici ce que serait mon classement : 1 – Château Margaux 1/2 bt 1928, 2 – Château Rayne-Vigneau 1947, 3 – Château Laville Haut-Brion 1962, 4 – Champagne Krug 1979.
Mais
si l’on me proposait un classement différent, je ne le refuserais pas, tant les vins furent tous de grande classe. Car chacun des quatre que je retiens est au sommet de son art.

Le repas fut un grand moment de gastronomie. On sent que l’équipe d’Alain Passard est tonique et motivée par ce grand chef chaleureux. Mes amis sont si fous qu’ils échafaudent d’autres moments de folie. J’ai bien peur de ne pas résister à leurs chants de sirènes et de les suivre dans cette jolie folie.

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