Repas au restaurant de l’hôtel Meuricelundi, 5 janvier 2004

Dans les ors et les marbres de la salle du restaurant de l’hôtel Meurice, on sent que le temps s’est arrêté. C’est le luxe. Le Figaroscope, quand il juge les restaurants, s’amuse avec talent à faire de l’humour sur le convive avec qui l’on partagerait le repas. Choix ludique.

Ici, cela s’impose, c’est avec l’impératrice Sissi qu’il faudrait déjeuner. Bel espace entre les tables, service très attentionné. C’est comme la musique dans les grands magasins qui assoupit votre volonté et vous pousse à acheter l’inutile, vous vous sentez tellement bien que toute résistance s’estompe. Seule la carte des vins vous réveille avec des prix destinés à vous donner le tournis. Si peu de temps après les fêtes je décide de prendre de l’eau – cela tombe bien – mais le sommelier me fait goûter un très intelligent vin de Savoie au nez très minéral, qui arrive à donner à la fois du fruit, du minéral, et même du gras. Beau vin d’une région qu’on explore peu : Roussette de Savoie « Marestel » de Jean Perrier 2002.

Une pré-entrée à base de coquilles Saint-Jacques est délicieuse. Cuisson idéale et jus intelligent lui aussi. L’entrée en bouillabaisse froide servie dans des coques d’oursins avec des langues d’oursins en pâtisserie est un joli exercice de style qui trouve son point culminant dans les saveurs si fortes de l’oursin. J’ai trouvé ce plat un peu froid, ce qui anesthésie certaines saveurs. On sent un peu trop la gelée. Malgré cette impression qui n’altère pas le plaisir, grande subtilité dans la réalisation.

Le bouillon de pigeon au foie gras et truffe est un moment de légende. Il y a des plats qui lorsqu’ils sont parfaits provoquent chez moi comme un frisson : je touche le paradis gustatif. Ce bouillon en fait partie, car il forme avec les cubes de foie gras des accords invraisemblables de plénitude. Merveille. La chair du pigeon présenté entier est fondante. La sauce est divine et la petite galette de Comté et truffe est juste grasse comme il faut. J’ai adoré le pigeon d’Eric Fréchon. Je succombe aussi à celui-ci. C’est si bon qu’on verrait même un troisième service, comme une signature. Le sommelier m’apporta un Mercurey 1er cru « Champs Martin » de Bruno Lorenzon 2001. Très adapté au pigeon, j’aime son ascétisme, cette trame authentique de Bourgogne. Mais il fait l’amour comme un jeune collégien : à peine apparu, tout de suite disparu. On garde alors l’image d’un vin « nature » fort agréable, qui fait du bien.

Le dessert à la mandarine confite est délicieux. L’exemple type du dessert qui n’accepte aucun vin tant les saveurs sont typées. Seul un alcool comme une mandarine ou un Grand Marnier saurait envelopper le plat.

Au café, des fines lamelles de chocolat sont envoûtantes. Dernière traîtrise de David, sommelier si sympathique : une Chartreuse anniversaire, assemblage de vieilles et grandes années. Nettement meilleure que les VEP, cette Chartreuse évoque les inimitables ancêtres de cette liqueur aux plaisirs infinis. Tous ceux qui pensent qu’un alcool en bouteille ne bouge plus devraient comparer une Chartreuse récente, même VEP avec une Chartreuse d’un siècle. L’écart est saisissant et justifie les hauteurs des prix des vieilles Chartreuses et Tarragone par exemple.

Magnifique repas de grand talent. Le tamtam médiatique qui avait accompagné l’arrivée de Yannick Alleno au Meurice sonnait juste. Ce chef brillant crée une cuisine du bien vivre et de bonheur dont on parlera souvent.