Pommard André Morey 1928mardi, 29 mai 2012

Préparer une séance de l’académie des vins anciens n’est pas une mince affaire. Nous en sommes à 46 vins dont 19 de ma cave. J’ai toujours envie d’en rajouter. Je me promène dans ma cave à la recherche de bouteilles supplémentaires. Mon œil est attiré par une bouteille au faible niveau. Il s’agit d’un Pommard André Morey 1928. Le bouchon tient à peine et s’est en partie décollé du verre. Le vin vit probablement ses derniers instants. Il n’est pas question de le laisser mourir. Je décide de le rapporter chez moi pour le boire ce soir.

Il fait chaud, le vin est secoué dans la voiture et j’arrive à l’heure du dîner. Tout est réuni pour que l’exercice soit difficile. Le bouchon est enfoncé et je gratte au couteau une poussière grasse. Il faut faire attention de ne pas pousser le bouchon avec la pointe du tirebouchon. Le bouchon se lève. Il est gras et disgracieux. L’intérieur du col est gras et je le nettoie avec mes doigts qui deviennent noirs de graisse. Je sens le vin, m’attendant au pire et, oh surprise, l’odeur est plaisante, évoquant des fruits rouges et noirs frais.

Je verse du vin dans un verre et une peur nouvelle apparaît, car la couleur n’est pas engageante, très foncée. Elle s’améliorera par la suite. L’odeur du vin dans le grand verre à bourgogne est plaisante. Elle donne une impression de charge alcoolique que l’on ne retrouve pas au goût. En bouche je suis surpris, car le vin est plein de charme. Il y a des petits fruits comme des cerises, mais le plus étonnant est l’impression de fraîcheur que donne le vin. Il est vraiment vivant, et c’est sa fraîcheur qui me subjugue, une fraîcheur presque mentholée, sous-tendue par son acidité.

Ce plaisir dure quelques minutes, puis l’acidité prend le dessus, alors que le nez reste galant. Je m’attends à une extinction progressive, mais à ma surprise, du velouté apparaît, qui rend l’acidité plus acceptable. J’imagine alors que le vin pourrait profiter de l’aération. J’attends une heure avant de reprendre la dégustation. Entretemps, le vin a décidé de mourir, le parfum ayant viré vers l’animal, et l’acidité ayant pris le dessus, avec l’apparition d’un vilain goût métallique qui existait mais n’était pas encore apparu. On veut croire aux miracles, mais on ne peut pas lutter contre l’inéluctable.

Comme dirait Sylvie Vartan, « je ne suis pas tout à fait abandonné » par ce vin, car j’ai eu « deux minutes trente cinq de bonheur ».