Dîner d’amis américains au Carré des Feuillants mercredi, 27 mars 2002

Nous nous sommes revus quelques jours plus tard au Carré des Feuillants. Est-ce l’effet « Guy Savoy », mais j’ai trouvé qu’il y avait du trois étoiles dans le Carré de ce soir là. Des plats qui sont de vraies œuvres d’art, et des saveurs raffinées et rassurantes. Un champagne Pol Roger Winston Churchill 1986. Grand champagne, avec un début de madérisation que j’adore, un peu dosé à mon goût. Un Meursault les Genévrières Michelot 1992 avait ce nez caractéristique des Meursault : brutal, métallique, minéral. Un bon Meursault. Le Pommard Rugiens Battoult Rieusset 1964 n’avait pas le moindre défaut. Impossible de lui donner un âge, ou de dire quand il commencera à en montrer un. Grand vin très généreux et de belle longueur. J’ai toujours une petite hésitation à acheter des Bourgognes rouges des années après 1961 et avant 1980 (pour fixer les idées). Ce Pommard 1964 a prouvé qu’il y a des vins qui se tiennent merveilleusement sur cette période. Le magique repas s’est terminé sur un Anjou 1928 « Maison Prunier ». C’est sans doute un simple Anjou choisi par le restaurant Prunier du temps de sa splendeur (nous devons être nombreux à souhaiter son retour en gloire, comme nous avons attendu avec patience pour Ledoyen). Belle couleur ambrée légèrement orangée. Un goût très aérien, voire faiblement aqueux. Mais un tel plaisir sur un dessert aux agrumes. Deux grands dîners partagés avec des amateurs esthètes.

Dîner d’amis au restaurant Maxence mardi, 26 mars 2002

Une fois de plus Jean-Luc Barré, associé de cœur de wine-dinners, a pris l’initiative d’un de ces grands dîners d’amis où les vins les plus fous ravissent nos palais. David van Laer – eh oui, encore lui – a été d’une inventivité rare, et d’un grand talent : toast au foie gras et truffe italienne, morilles rôties, huile d’olive et parmesan, « minute » de Saint Pierre à la vanille, poivre de Penja, volaille poire et truffes, Parmentier de queue de boeuf, fromages, feuillantine de gariguette, réduction de balsamique. Un festival.
Un Champagne Crémant blanc de blanc de Bichat non millésimé vers 1959 avait ce délicieux madérisé qui prolonge la longueur. Mais un Champagne Eugène Cliquot 1945 avait une telle distinction et une telle subtilité qu’il confirmait combien 1945 est grand en champagne. Ces champagnes gagnent en longueur et se démarquent des jeunes champagnes, même les plus nobles.
Beaune du Château blanc Bouchard Père & Fils non millésimé estimé à 1947. C’est un de mes blancs préférés, à cause de ce coté délicatement fumé. Un Meursault Louis Latour 1959 avait ce nez si caractéristique de Meursault. Odeur que j’avais trouvée dans des Coche-Dury plus jeunes, et donc plus attaquants au nez. Goût fort agréable, mais largement distancé par un fabuleux Corton Charlemagne Louis Latour 1959. Une précision dans la perfection. A comparer avec les grands Montrachet, même s’il y a un peu moins de puissance. Quelle belle expression du Bourgogne blanc le plus pur ! Là aussi un exemple d’équilibre comme a pu l’être le Lafite 86 récent, à faire goûter dans les écoles d’oenologie !!
L’année 1943 produit des vins variables, car il y a d’immenses réussites et aussi de belles fatigues ! Le Canon Saint-Emilion 1943 et le Calon-Ségur 1943 servis ensemble étaient de vraies leçons de jeunesse. Couleur, odeur, saveur : tout était jeune, fringant. Difficile de choisir entre les deux. Mais pourquoi choisir, car arrivaient deux merveilles de 47. Un Clos des Jacobins 1947 a été jugé trop flatteur par certains. Trop clin d’œil. Je l’ai personnellement bien aimé pour ce coté chaleureux très « algérien », si vous voyez ce que je veux dire. Puis, recueillement total : Clos Fourtet 1947, un vin de perfection. Nous l’avions déjà bu avec Jean-Luc lors d’une dégustation des 1947. Ce fut la surprise la plus mémorable. J’avais le souvenir que Cheval Blanc était la vedette incontestée, Clos Fourtet étant sa dauphine. Jean-Luc avait le souvenir qu’ils étaient à égalité. Qu’importe car ce nouveau Clos Fourtet 1947 fut une pure merveille. A ce stade d’évolution, et à ce niveau, toutes les composantes du vin se rejoignent pour délivrer un plaisir total. On cherche un défaut et on ne peut en trouver. C’est de la perfection, avec ce coté intellectualisé que seul Bordeaux peut donner. Une bouteille de légende.
Il est évident qu’après ce vin de génie, le Beaune du Château rouge vers 1947 (je pense plus récent) Bouchard Père & Fils avait du mal à se placer : on revenait sur des expressions chaleureuses et terriennes, là où l’on quittait l’éther. C’était lire du Gérard de Nerval, fermer le livre et ouvrir du Frédéric Dard. Oui mais …. Oui mais Frédéric Dard, ça se déguste aussi, et assez rapidement on entrait avec plaisir dans le monde du Bourgogne, le Beaune du Château étant si agréable avec cette gentille puissance rassurante. Un vin que j’aime, à la limite du parti pris, tant j’ai un coup de cœur pour Bouchard. Un Beaune du Château 1929 a sans doute été l’un de mes plus grands Bourgognes rouges. Un Fixin Clos du Chapitre 1934 de Morin et Fils (belle maison) aussi très jeune et bien attachant nous a confirmé s’il en est besoin que les Bourgognes vieillissent bien, même dans ces appellations inhabituelles car peu bues de cet âge.
A ce stade de la dégustation l’apparition d’un Guiraud 1947 qui devrait être une merveille a touché une population dont certains (moi inclus) sentaient une certaine fatigue. Or Guiraud 1947 est grand. Grand comme tous les Sauternes des années anciennes qui sont de tels plaisirs gustatifs de miel de fruits bruns, d’agrumes et de saveurs dorées et pénétrantes. Guiraud méritera qu’on le goûte à nouveau, mais plus tôt dans le repas, ou après un nombre limité de merveilles.
Un Cordial Médoc conclut ce repas. Cette liqueur de vin de Médoc est si énigmatique, rare. Sur l’étiquette on indiquait que cette bouteille est la propriété de la Wehrmacht et qu’il est interdit de la vendre dans le commerce. Il est plutôt réconfortant que ce breuvage ait fini dans nos gosiers, en allusion à la phrase d’il y a 60 ans : « encore une que les allemands n’auront pas ! ».
Jean-Luc nous a une fois de plus ébloui par son érudition. Ces dîners prouvent encore, s’il en était besoin, que le monde des vins anciens est le plus merveilleux qui soit. Il ne dispense pas des vins jeunes. Mais quel paradis !

Dîner d’amis américains au restaurant Maxence lundi, 25 mars 2002

Réception d’un couple d’américains amateurs de vins. Une fois de plus au Maxence. Occasion d’ouvrir un Rivesaltes du Domaine Cazes 1976, la Cuvée Aimé Cazes, vin tant aimé de Bernard Cazes, qui a une si belle construction. Un signe qui ne trompe pas : plusieurs heures après, dans le verre vide, l’odeur était toujours aussi belle (amis gourmets, exigez de vos restaurateurs préférés que les verres vides restent sur table ! rien n’est plus plaisant que l’évolution des odeurs). Un Charmes Chambertin 1997 de Louis Max fut un agréable Bourgogne. Cette ancienne maison a toujours fait de bons vins. Celui-ci était agréable, mais bien jeune. La vraie star de ce dîner fut Château Coutet 1924. Comme chaque fois, mais vous le savez déjà, les Sauternes des années 20 se révèlent des vins merveilleux. Couleur ambrée, et cette senteur si imprégnante. Ces vins peuvent se sentir pendant des heures. Classique arôme d’agrumes, de fruits exotiques. Un grand Sauternes, doté d’une longueur exceptionnelle. Un grand vin.

déjeuner d’un groupe d’amis jeudi, 21 mars 2002

Un déjeuner d’un groupe d’amis qui se retrouvent périodiquement. Un champagne Mumm 85 annoncé madérisé par le sommelier, que nous prenons en connaissance de cause, et qui se révèle délicieux, si on accepte cet aspect du champagne. Il était plus madérisé que le 37 de la photo de ce bulletin. Ormes de Pez 1989. Agréable, mais sans véritable intérêt. Puis une vraie merveille : Lafite 1986. Vin grandiose, orthodoxe, parfaite représentation du grand vin de Bordeaux. Le 1955 du précédent bulletin m’avait apporté un peu plus sans doute, mais celui-ci est plus dans l’épanouissement du jeune adulte, plus fruité et déjà bien mûr. Deux expressions de Lafite, le 86 et le 55, qui se complètent très bien. Il ne faudrait pas en conclure que vérité en Lafite erreur au delà. C’est le hasard des « voyages » œnologiques qui permet de comparer deux vins magnifiques dans deux expressions particulièrement intéressantes à mettre en perspective : le 86 et le 55 de Lafite.
Un Saint-Joseph « le Grand Pompée » de Paul Jaboulet Aîné 1992. C’est toujours intéressant d’explorer ces appellations qui sont agréables quand le vin, comme ici est bien fait. Pourquoi l’avoir ouverte ? Sans doute parce que sur l’étiquette il y a trois vers de la Maison de Roland de Victor Hugo dont c’est le bicentenaire. C’est le charme des coïncidences inopinées.

Dîner au Grand Véfour lundi, 18 mars 2002

Soirée au Grand Véfour, ce site si beau qui abrite un cuisinier de talent et une merveilleuse équipe talentueuse où j’ai retrouvé un sommelier ami. Un Vieux Télégraphe 1995 m’a confirmé le charme des Chateauneuf du Pape. Fort curieusement, j’ai préféré le début de bouteille quand le vin était encore frais à la fin de bouteille, quand la température faisait ressortir l’alcool au détriment de ce si beau fruit. Belle soirée dans un cadre enchanteur et historiquement marqué.

Vins divers samedi, 16 mars 2002

Essai d’un Hermitage blanc Chevalier de Sterimberg Jaboulet 1998 : un vin onctueux qui s’exprime avec un plat. Seul, il est orphelin. Très bien fait et puissant, ensoleillé et réjouissant. Un Vouvray demi sec de Clovis Lefèvre 1959. Le 1961 en sec m’avait déçu. Celui-ci, d’une grande année donne des sensations énigmatiques qui justifient qu’on l’aime : on est hors des sentiers des saveurs habituelles. J’ai ensuite essayé l’un de ces Banyuls années 20 sans étiquette de mon vieux militaire. Je suis rassuré : bon achat, et confirmation s’il en était besoin, que ces Banyuls antiques sont de pures merveilles.

Achats chez un particulier vendredi, 15 mars 2002

Dans le précédent bulletin je disais ne pas acheter de cave. Mais un hasard récent m’a fait visiter un vieux militaire chez qui j’ai trouvé des bouteilles qui enchanteront de prochains dîners, et de belles bouteilles de Banyuls des années vingt, à ouvrir au visiteur égaré et assoiffé … J’ai notamment acheté des Moët & Chandon 1928, qui justifient le petit clin d’œil de la photo ci-dessus. Ces grands vieux champagnes sont parfois, avec tout le risque couru, de véritables moments de bonheur.

Salon des Grands Vins dimanche, 10 mars 2002

Salon des Grands Vins. Il se tient chaque année à la Porte d’Auteuil. De talentueux grands vignerons tiennent stand, et d’autres y font des conférences. Ayant eu un stand l’an dernier, mais pas cette année, j’ai eu plus de liberté pour visiter des amis, ou les écouter religieusement, verre à la main. Philippe Parès exposait sa fabuleuse collection d’étiquettes. Il crée une association. Demandez moi les coordonnées. Il a plus de 200.000 étiquettes de rêve. Philippe assistait le Mas Amiel dont le stand fut le plus couru du Salon. Mas de Daumas Gassac accueillait ses fidèles admirateurs, et un stand du Sauternais dispensait de vrais trésors.
Parmi de belles découvertes lors de conférences : Cos d’Estournel, vin que j’adore dans ses expressions anciennes, faisait goûter Pagodes 97, Cos 97, Cos 98 et Cos 96. Je ne suis pas du tout convaincu par le travail excessif fait pour le 98 et à l’inverse, je me sens mieux avec l’orthodoxie historique du 96. Un grand vin qui mérite de ne pas être trop « travaillé ».
Une fabuleuse accumulation de Sauternes de 1999. Alors que je fuis généralement les jeunes Sauternes par crainte d’infanticide, on avait là de très beaux vins déjà agréables. Les préférences sont affaire personnelle. J’ai préféré Guiraud, loin devant les autres pour ses notes d’agrumes plus prononcées que d’autres, j’ai aimé la Tour Blanche moins choisi par d’autres à cause de son coté « fumé », j’ai aimé ensuite les trois plus représentatifs du Sauternais : Rayne Vigneau le plus féminin, Suduiraut le plus authentique et Lafaurie Peyraguey le plus solidement charpenté (on ne peut résumer de telles merveilles d’un seul qualificatif, forcément trop succinct). Ces cinq là se détachaient un peu de Filhot, Malle et d’autres qui composaient une dégustation exceptionnelle, couronnée par une vraie curiosité : les Rayne Vigneau et Guiraud 2001, si jeunes bébés sans jambe, mais jus si merveilleusement bon. L’un sentait moins bon que l’autre, mais les deux emplissaient le palais avec de merveilleuses promesses.
Haut-Bailly, mon chouchou, présenté par Véronique Sanders et Eric Beaumard qui en parle comme s’il l’avait fait ! Le 99 n’est pas facile à analyser car trop jeune (alors que le 2000 bu il y a un an m’avait enthousiasmé), le 97 est une réussite étonnante pour cette année là, et le 96, tout en subtilité et en savoir faire, mérite des années de garde, mais a tant de talent.
Un jeune membre de la famille Guigal présentait de jeunes vins d’immense talent. Le Château d’Ampuis, Côte Rôtie Guigal 1998 est chaleureux, ensoleillé, extrêmement plaisant. Et quand arrive La Landonne 1998. Mon Dieu ! Quel grand vin. Une richesse, une structure, une profondeur. Un plaisir gustatif extrême. N’était son prix élevé du fait de la rareté (4800 bouteilles par an dont tant sacrifiées ce jour même), on en ferait son vin de tous les jours, en se demandant quand on s’en lasserait ? C’est certainement mon plaisir gustatif le plus grand de ce Salon.
Dom Pérignon 1995 et 1985 sont de grands champagnes, le 85 plus à mon goût. Suis-je influencé par Krug ou Salon ? Je n’ai pas eu cette grande émotion qui est la marque des très grands champagnes.
Tout ceci montre à quel point le Salon des Grands Vins mérite le détour, car ces vins agrémentèrent des conférences d’une seule journée, et le salon en compte trois. Nicolas de Rabaudy mène de façon talentueuse ces présentations et fait en sorte qu’elles ne soient pas que de pur commerce, les « secrets » du vin intéressant des amateurs de très bon niveau.

Dîner à l’Ecu de France lundi, 4 mars 2002

Chez mon restaurateur fétiche, celui dont je ne dirai le nom que la tête sur le billot (mais le secret est déjà assez éventé) un prodigieux Lafite-Rothschild 1955. Bouteille poussiéreuse, un bouchon bien solide et sentant merveilleusement bon, couleur de jeunesse bien rouge, élégant, raffiné, exactement ce qu’un Bordeaux doit être. Académique, ce vin devrait être montré dans toutes les écoles d’œnologie pour représenter le travail parfait sur un vin : tout y est, et 1955 s’exprime maintenant d’une façon parfaite. Pas étonnant que Lafite survole les années récentes, années où d’autres en font trop !

Repas chez Dessirier vendredi, 1 mars 2002

Chez Dessirier qui trouve bien sa place maintenant, Carbonnieux blanc 1997. Il n’y a rien de plus énigmatique que ces Bordeaux blancs qui délivrent des saveurs et des arômes complexes, quasi orientaux. Belle alternative aux Bourgognes. Un Banyuls Domaine du Mas Blanc 1989 a accompagné les délicieux desserts de Dessirier (on n’y va pas que pour les poissons et les fruits de mer).