Dîner chez Lucas Carton lundi, 5 mai 2003

Dîner chez Lucas Carton dans ce décor aux boiseries uniques. Je m’amuse toujours, car le créateur de ce magnifique décor de théâtre a prévu la place pour une caissière. Et il y a une caissière. Depuis toujours.

Une belle table de sept personnes accueillies par une brigade aimable et attentive. On commence par un champagne Demoiselle cuvée 21 Vranken blanc de blanc offert par Alain Senderens qui n’était pas présent, comme cadeau de bienvenue. Champagne très vert, aimablement brutal, mais très champagne. Agréable dans sa jeunesse. Nous commandons les plats et les vins qui accompagnent selon le choix très étudié du Maître. Je dis maître, car le niveau de maturité et d’aboutissement de la cuisine d’Alain Senderens est tout simplement exceptionnel. Ayant eu la chance de participer à ses « ateliers » de goût avec des sommités comme Jacques Puisais, je mesure encore plus la démarche de recherche d’absolu. Il me semble que tous les chefs, quels que soit leur rang et leur titre, devraient s’inspirer de l’éblouissant parcours de recherche de ce chef exemplaire. Tout respire le talent de l’orfèvre des goûts, et un sommelier brillant nous a expliqué les choix, les alternatives explorées, donnant encore plus de piment à notre lecture de ces compositions gustatives extrêmes. On est ici au plus haut niveau de la gastronomie. Et l’intelligence du service, la passion du sommelier pèsent aussi dans la balance. Quel sommelier !

Un Meursault Clos de la Barre Domaine des Comtes Lafon 1999 accompagnait un homard a la vanille. Le Meursault a une densité extrême. Il remplit la bouche avec une intensité rare. Il est un bon spectateur de cette subtilité gastronomique : un homard à la cuisson magique, et de subtiles évocations qui dansent autour. Je dis spectateur, car l’accord est exact, mais sans provocation : le vin laisse briller le plat, ce qui est normalement voulu, mais ne crée aucun combat que l’on eut aimé voir. Le homard est tellement parfait que l’on ne demande rien de plus, le savourant avec ce fidèle Meursault.

Sur un canard Apicius présenté doré comme un caramel, un Banyuls 1985 cave de l’Etoile se révèle extrêmement goûteux, liquide, rond et enveloppant. Il y a tellement de saveurs poussant à la langueur (cette purée de datte à la menthe !!!) que le Banyuls joue le rôle parfait de l’ensorceleur. Le Banyuls hors d’age Parcé Domaine du Mas Blanc, une soleira, est infiniment plus brutal, plus corsé, et cela va effectivement bien, une fois la première surprise passée, avec cette chair intense, virile du deuxième chapitre de ce si beau canard. Quelle chair expressive !

Après cela, une profusion invraisemblable de saveurs diverses dans tous les avant-desserts, pré-desserts, esquisses de desserts, mignardises. On nage dans la profusion, et la cuvée Aimé Cazes, Rivesaltes 1976 prodige de ce domaine et carte de visite de noblesse de sa région est un tel bonheur de sérénité et de succulence qu’on abandonne son âme à la divinité de Bacchus. On est au paradis.

Cette table est un exemple d’excellence extrême exactement exprimée.

 

 

Déjeuner au Boeuf Couronné jeudi, 1 mai 2003

Déjeuner au Boeuf Couronné qui fut pendant tant d’années ma cantine. Monsieur "Jean" ayant vendu, un peu de mes souvenirs s’estompent. Le foie de veau n’a plus le même goût. Pour la première fois je choisis un vin d’un niveau inconnu auparavant dans ce lieu : Mouton Rothschild 1997. Impossible de comparer le Mouton 1990 ouvert trois heures avant le repas et ce vin qui respire à peine au moment où on le sert. On sent que c’est un grand vin, mais il n’est pas possible de profiter de la magie de Mouton. A noter malgré tout que ce vin exprime plus de potentiel que le Lafleur 1993. Il y a plus de plaisir, même si le vin reste comme "en dedans", comme caché par un voile.

Dîner au Carré des Feuillants mardi, 29 avril 2003

Dîner au Carré des Feuillants, juste au moment où un article de presse élogieux lui prédit de belles promotions. L’avenue est prestigieuse, les arcades cossues, le voiturier gentiment dilettante.

La cour intérieure est énigmatique, l’entrée est comme un paravent. Dans le restaurant, j’adore la petite courette où jadis une profusion de champagnes faisaient de la balnéothérapie sous les yeux d’une Vénus bleue – à bras celle-là – fort complaisante. On s’assied dans un cadre agréable à la décoration qui ne laisse pas indifférent. Il se trouve que j’aime. Les espaces sont confortables. Le personnel est souriant motivé et attentionné, le sommelier est judicieux. Toutes les conditions sont remplies pour un repas de fête. On sent que ce lieu bouillonne de recherche. Difficile d’aller vers une cuisine sophistiquée au graphisme zen et de garder l’authenticité du terroir de la cuisine régionale qui lui va si bien. On devine la démarche et l’on se dit que la troisième étoile doit couronnerun jour sa passion et sa joie de créer. Il y a eu des plats brillants, et d’autres à travailler. Laissons du temps au temps. Nous sommes nombreux à aimer le talent d’AlainDutournier, laissons le toréer sans nécessairement exiger tout de suite l’instant de vérité qui lui vaudrait les trois oreilles. La carte des vins est une des plus intelligentes de Paris, et on peut y chiner en étant sûr de faire une bonne pioche.

Début sur un champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1986. Je l’ai choisi car c’est la passion d’un ami américain. Ce champagne a un vineux discret à l’affirmation atténuée. Assez belle onctuosité. Ce qui me gène sans doute le plus, c’est que c’est un bon élève qui rafle les bonnes notes, bien sûr, mais il n’a pas assez de coté canaille. Je constate qu’il se boit bien, glisse aimablement dans le gosier, et s’éclate divinement sur une délicieuse lamelle de coquille Saint-Jacques. Accord qui lui fait du bien.

Le vin choisi est Château Lafleur, Pomerol 1993. Ce vin a une puissance étonnante pour l’année – c’est d’ailleurs pour cela que je l’avais choisi avec le sommelier – et il a une jeunesse inattendue. Je n’ai pas bu de vins de 1999 rouges en situation de repas, mais j’imagine bien que ce Lafleur est aussi jeune qu’un 1999, alors qu’il a près de dix ans. Le fruit est surpuissant, et c’est presque du jus. Malgré une année qui généralement ne vieillira pas, on sent que ce jeunet s’épanouira dans plus de 20 ans. Il ne fait pas de doute que j’aurais adoré ce vin de belle race si je n’avais pas encore les marques laissées par le vin de la veille : Mouton 1990. Qu’il est difficile pour un vin, même doué comme celui là, de se présenter après un éblouissant Mouton.Ce Lafleur a toutefois très honorablement accompagné un repas agréable dans cette maison que j’aime pour le talent généreux de son chef.

Je ne sais pas si je serais capable d’être un graphologue des chefs en lisant l’écriture de leurs plats. Il faut dire que j’aime retrouver ce que je perçois de leurs personnalités dans leur façon de traiter la cuisine. Ce soir là, il y avait un beau texte à lire, tant les pistes explorées montrent le foisonnement de l’esprit de recherche.

 

 

REPAS A DOMICILE lundi, 28 avril 2003

A domicile, repas de fête. En début de repas, Haut-Brion 1998 blanc. Extrême sensibilité à la température, il se présente froid, puis, quand il atteint son spectre d’excellence, quel vin ! Tout en lui est énigmatique. Des saveurs variées, complexes, insaisissables.

Il sert d’abord d’excellent apéritif, et on sait que la suite est un plat d’asperges. Le Haut-Brion se marie parfaitement avec la queue des premières asperges (surtout sans sauce), c’est à dire la partie la plus amère. Pas avec la tête plus doucereuse. Puis l’accord se fatigue et il faudra attendre le fromage et le dessert pour finir sur les tonalités si excitantes et intrigantes de ce si grand vin.

Sur un carré d’agneau aux petits légumes délicieux, presque comme les légumes divins d’Ambroisie, Mouton-Rothschild 1990. Ouvert trois heures avant, un nez magnifique, immédiat. Dans de larges verres Riedel, le Mouton apparaît à un degré de majesté invraisemblable. Je suis toujours perplexe quand des experts donnent des notes de 96, 98 ou 100 sur 100 à des vins que je connais et qui sont fort loin d’égaler certains vins sublimes que j’ai goûtés. J’ai compris que l’on donne à Montrose 1990 une belle note, il le mérite. Mais Mouton 1990 est d’une autre dimension. Ce vin est incroyablement bon. Si une note de 100 devait être décernée, ce serait à lui. Il la partagerait avec Mouton 2000 encore plus exubérant, mais ce 1990 est étonnant. Chacun d’entre nous, dans sa jeunesse, a choisi des cailloux calibrés pour faire des ricochets. Quand on en fait sept, on est heureux. A treize, on jubile. A dix-sept, cela devient irréel, comme le passage en bouche de ce Mouton, passage qui ne finit jamais. Mouton réalise dix-sept ricochets sur la langue ! Ce vin a tout pour lui, et aujourd’hui, il délivrait un message quasi impossible à atteindre. Il y a l’équilibre, il y a le fruit, il y a la bonne dose de bois, et surtout, il y a une longueur inenvisageable. L’image du ricochet est bonne : ça ne finit pas, ça rebondit, il y a des échos partout. Voilà : c’est cela l’image qui convient : une chambre à échos. Les goûts sublimes de ce vin miraculeux (mal noté par certains experts) se perpétuent à jamais. Du début à la fin de la bouteille l’impression d’une transcendance persiste. C’est un des plus grands vins que l’on puisse imaginer. C’est un cadeau du ciel. Il lui faut une viande affirmée comme ce carré d’agneau. Seule la viande lui convient.

Voilà que j’en viens à aimer les vins récents ! Je crois qu’on peut aimer les vins jeunes et les vins vieux (quand je dis vieux, c’est d’avant 1945 bien sûr), chaque famille étant appréciée pour ce qu’elle apporte.

 

 

Dîner à l’Ambroisie dimanche, 27 avril 2003

Dîner à l’Ambroisie est un privilège. Inaccessible comme l’Olympe où l’on goûte l’ambroisie. Il est en effet quasi impossible d’obtenir une table en ce temple joliment décoré. Nous entrons dans la pièce du milieu, ornée de six belles tapisseries du 18ème siècle aux motifs de légumes et de fruits. Une atmosphère de château au bord de la place la plus magique de Paris. J’ai mauvaise grâce à citer des choses négatives. Comme l’impression finale fut sublime, je me sens autorisé, car nos grandes tables parisiennes doivent rester comme la femme de César, irréprochables.

Dès l’abord, le personnel entretient l’idée de secte dont nous ne devons sans doute pas faire partie. Explications minimalistes de la carte, pas le moindre dialogue. Même minimalisme dans le choix du vin, le sommelier n’émettant pas la moindre suggestion d’idées nouvelles devant l’alternative que je lui soumets, excluant juste un des termes du choix. Un autre serveur ou sommelier vient avec la bouteille que j’ai choisie. Il verse un bon demi verre dans la carafe, remue et humecte les parois pour tapisser le verre, verse le contenu du « rinçage » dans un verre qu’il emporte avec lui. La carafe est là. Pas un mot, pas un essai proposé. L’homme a fait son ouvrage et je suis là face à cette carafe qu’on ne me propose même pas de goûter.

Je la rapproche, je me sers, et comme pour m’excuser, je dis que je tiens à contrôler la température du vin, tant quelques degrés en changent le message. Ce qui me vaut cette remarque surréaliste : « mais moi aussi j’ai bu du Montrachet ». Fort heureusement, et comme par enchantement le personnel est peu après devenu d’une extrême amabilité, et a complètement corrigé l’impression première d’une froideur inhospitalière. Avec un service redevenant ce qu’il doit être, un vin de rêve et desmets exquis, on entrait de plain pied dans la réputation justifiée de l’endroit.

Le vin que j’avais choisi, puisqu’il faut bien le nommer était un Montrachet Louis Jadot 1995. Un nez envoûtant pénétrant comme les grands Bourgognes blancs en offrent si généreusement. En bouche, le bel accomplissement d’un travail bien fait et d’une année bien posée. Quel grand vin. La cuisine de Bernard Pacaud est d’une grande justesse. Le produit de base est respecté, les légumes sont une symphonie fantastique, et les sauces de petits bijoux. D’un extrême classicisme, rassurant, d’une exécution parfaite. C’est assez réjouissant que Paris possède des chefs si différents qui expriment leurs personnalités de façon aussi marquée dans l’exécution des plats. Le jeune et prometteur Astrance suggère en subtilité, l’Ambroisie traite le sujet en pleine maîtrise et maturité, et Guy Savoy possède le sujet par des évocations poétiques d’une imagination extrême. Il faut des trois pour faire de Paris le temple de la gastronomie. Je pourrais évidemment citer beaucoup d’autres chefs de grand talent. Mais cette typologie de trois extrêmes éclaire bien le propos.

Sur une langoustine très agréable le Montrachet se sent bien. Les arômes se développent comme il faut. L’explosion gustative de génie, c’est le premier contact, la première confrontation du Montrachet avec un délicieux pigeon charnel à souhait.Montrachet n’est pas le choix naturel sur un pigeon, mais le choc gustatif est le plus brillant qui soit. Le Montrachet atteint des sommets rares, développant plus de saveurs que sur n’importe quel autre plat. Et c’est surtout cette sauce si puissante qui fait chanter le Montrachet. Fort curieusement, et cette expérience est intéressante, on se lasse assez vite de l’accord. Il est généreux, brillantissime, mais pour quelques gorgées seulement. Je pense qu’une Landonne aurait été moins foudroyante au premier contact, mais se serait plus inscrite dans la durée. C’est à retenir, car cette sensation conforte celle que j’avais eue à l’Astrance avec le Montrachet Marquis de Laguiche. Montrachet doit rester une fulgurance.

Globalement, Ambroisie est un temple, une institution qui excite l’envie d’y festoyer. Le petit accident de service que l’on me pardonnera d’avoir relaté a été vite effacé. Il reste la justesse d’une cuisine d’une grande maturité, et un très grand Montrachet. Une belle soirée.

 

Déjeuner d’amis lundi, 14 avril 2003

Dans un club parisien réputé dont je suis membre, je choisis d’offrir Château Margaux 1990. Quand une bouteille est ouverte au moment de la commande des plats, on est presque sûr de perdre la moitié du message. On sent ce vin comme une fleur non encore éclose. On ne peut pas dire que c’est un bambin. C’est déjà un bel adolescent. Mais le message est contenu quand on le boit juste après l’ouverture. Je referai un essai dans d’autres conditions plus propices à ce qui est une belle promesse.

galerie 1986 vendredi, 4 avril 2003

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 bue le 1er janvier 2007. A noter qu’elle provient d’un négoce californien !

vin blanc de Chateau Grillet 1986 bu à Londres au Gavroche (pour trouver le compte-rendu, faites la recherche sur le mot Gavroche) 

 Champagne Dom Ruinart Blanc de blancs 1986

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 27 mars 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol le 27 mars 2003
Bulletin 73

Les vins :
Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1985 en Magnum
Vouvray « d’origine » 1921
Gewurztraminer SGN Les Vignerons de Sigolsheim 1988
Chablis Saint-Martin Domaine Laroche 1988
Château Gruaud Larose 1934
Meursault rouge Clos de Mazeray Domaine Jacques Prieur 1988
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988
Château d’Arlay Vin Jaune Comte R. De Laguiche 1988
Monbazillac 1er Grand cru classé Domaines de Theulet et Marsalet 1929
Château Gravelines première Cotes de Bordeaux 1945

Le menu, créé par Eric Fréchon :
Amuse bouche
Asperges et caviar
Macaronis truffés
farcis d’artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan
Langoustines du Guilvinec
poêlées aux cinq parfums, oignon et mangue à la coriandre
Poularde de Bresse
au vin d’Arbois, cuite en vessie, ravioles d’abats à la truffe noire du Vaucluse
Poitrine de canard challandais au sang
rôti aux épices, navets caramélisés à l’orange
Comté Millésimé 2000
Les tous premiers fruits rouges, quelques façons de les faire déguster

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 27 mars 2003

La recherche de la perfection gastronomique se construit d’abord sur deux facteurs premiers que nous mettons en avant : le talent d’un chef et la qualité de vins rares et surprenants. Mais le succès d’un dîner de wine-dinners s’appuie aussi sur une multitude de facteurs : la jovialité des convives, leur motivation, l’implication et la disponibilité du sommelier, le service attentif. La réussite est une alchimie où chacun est acteur.

Dans la salle merveilleuse du Bristol que j’aime tant, un service précis nous a permis de déguster un repas de talent. J’ai particulièrement apprécié la mise au point que nous avons faite avec Eric Fréchon, le chef imaginant comment chaque vin mettrait en valeur un plat. Connaissant le talent d’Eric, j’avais choisi un nombre inhabituel de régions représentées (champagne, Loire, Bourgogne, Alsace, Bordeaux, Jura, oui), afin qu’il agisse en virtuose, mais sans le vouloir je lui avais compliqué la tâche, car j’étais incapable de lui dire si le Vouvray 1921 était sec ou moelleux. Cette bouteille fait partie d’un lot fort curieux que j’ai acheté dont chaque bouteille se présente dans un coffret bois flatteur avec : »Vouvray / d’origine / 1921″ et à l’intérieur, un très vieux flacon sans étiquette et sans capsule, la seule mention sur le bouchon étant : « mise en bouteille à la propriété ». On voit cette boîte bois au fond de la photo ci-dessus. C’est un peu maigre, mon cher Watson.

Le grand chef a produit une délicieuse cuisine pleine d’évocations de subtilités rares qui ont été l’occasion de certains accords particulièrement remarquables. Voici le menu : Amuse bouche, asperges et caviar, macaronis truffés farcis d’artichaut et foie gras de canard gratinés au vieux parmesan, langoustines du Guilvinec poêlées aux cinq parfums, oignon et mangue à la coriandre, Poularde de Bresse, au vin d’Arbois, cuite en vessie, ravioles d’abats à la truffe noire du Vaucluse, Poitrine de canard challandais au sang rôti aux épices, navets caramélisés à l’orange, Comté Millésimé 2000, les tous premiers fruits rouges, quelques façonsde les faire déguster.

A l’ouverture des vins avec Virginie, pas le moindre petit moment de doute, chaque vin produisant les arômes prometteurs attendus. Le Vouvray découvrait une jeunesse rare et s’annonçait comme un grand moment. Plutôt sec, mais adouci. Le Richebourg montrait qu’il aurait bien besoin de l’oxygène qu’on lui offrait.

Nous sommes passés dans cette pièce si belle mais très chaude, ce qui a gêné la dégustation de certains vins. Mais, le voyage au paradis commence : le champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1985 en Magnum en a surpris plus d’un. Non pas que l’image de cette maison pose question, mais ce champagne était si bon, avec un nez si brillant qu’on était sous le charme. Bien vineux, mais bien « de soif », rond lorsque bu tout seul, et largement enrichi par l’asperge et sa mousseline.

LeVouvray « d’origine » 1921 était si surprenant que l’accord avec le macaroni fut négatif : le plat raccourcissait le vin au lieu de l’élargir. Lorsque nous en avons reparlé avec Eric Fréchon nous sommes convenus qu’un poisson eut été plus élégant sur cette merveille. Mais ni lui ni moi ne savions quel trésor allait se révéler, profond, citronné et si jeune. C’est la jeunesse qui a le plus frappé les convives.

Nous allions oser ensuite un exercice difficile : mettre deux vins résolument contraires sur le même plat : unGewurztraminer SGN Les Vignerons de Sigolsheim 1988 et un Chablis Saint-Martin Domaine Laroche 1988. Et en fait cela s’est bien passé si on avait la sagesse de prendre le Chablis sur la langoustine, et le SGN (sélection de grains nobles) sur son chutney, mariage d’une subtilité rayonnante.

Un grand moment a été le Château Gruaud Larose 1934, qui comme à chaque expérience a démontré ses énormes qualités. Malgré l’insistante obstination d’un convive à ne pas l’aimer, ce vin dont on verra le classement plus bas a provoqué un mariage délicieux sur une viande blanche magistralement préparée. C’est sur la viande seule que l’accord magique se faisait, d’une délicatesse extrême. Belle rondeur au velouté délicat, avec bien sûr une discrétion qui tient à l’âge.

Alors qu’on avait prévu deux vins sur la poularde, le filigrane du Gruaud Larose m’a incité à mettre leMeursault rouge Clos de Mazeray Domaine Jacques Prieur 1988 en « entre deux plats », sorte de trou normand. Etonnant, assez brutal et rugueux, il a figuré dans le quarté de plusieurs convives et intrigué plusieurs autres. Il lui eut fallu un plat, pour susciter un choc de saveurs. C’est de toutes façons un vin difficile à appréhender, mais grand.

Dans cette salle chaude les vins étant apparus plutôt légèrement chauds, un convive avait demandé qu’on refroidisse le Richebourg DRC 1988 qui est apparu de ce fait trop froid. Mais même ainsi bridé, quel grand vin ! On sent tout ce qu’il a en potentiel. Animal avec une puissance contenue, il s’est attaqué au titanesque canard pour créer un combat passionnant : les goûts s’entremêlaient comme en une lutte gréco-romaine, pour le plus grand plaisir de nos papilles. Beau mariage viril. Le Richebourg n’a montré qu’une parcelle de son potentiel, comme une voiture de sport conduite rue de Rivoli un jour de soldes. Immense vin, mais à n’ouvrir que dans dix ans.

Le Château d’Arlay Vin Jaune Comte R. De Laguiche 1988 est particulièrement bon, avec un nez qui envahit. Le Comté millésimé 2000 a formé avec lui un couple de danseurs mondains de rêve.

Si le dessert aux fruits rouges est une petite merveille, je ne crois pas que cela profite aux vieux liquoreux du Sud Ouest. Ces vins sont d’agrume. Ils ne faut pas chercher ailleurs les alliances. Le Château Gravelines première Cotes de Bordeaux 1945 est d’une magnifique couleur, et dénote une puissance étonnante pour un Cotes de Bordeaux. Il est tout en agrumes, et montre une finesse rare. Le Monbazillac 1er Grand cru classé Domaines de Theulet et Marsalet 1929 est tout le contraire, sur la base des mêmes tonalités. Il est puissant, envahit la bouche de son gras profond, mais développe des énigmes. C’est de l’agrume certes, mais aussi du café, de la mélasse. Le tout pour offrir un plaisir rare couronné par les votes.

Les quartés furent fort différents, huit vins étant cités au moins une fois. Les plus appréciés ont été : Monbazillac 29, Gruaud 34, Gewürz 88 et Richebourg 88. Mon vote : Monbazillac 29, Gruaud 34, Vouvray 21 et Richebourg 88.

Il est à noter que deux jours plus tard, il restait en fond de bouteilles un peu de chaque liquoreux. Le Gravelines 1945 est apparu nettement plus puissant, plus affirmé, et avait tout d’un grand Sauternes, ce qui est étonnant. L’oxygène l’avait dopé. Et le Monbazillac n’avait pas bougé d’un gramme, montrant à nouveau toute sa merveilleuse diversité.

Lors de ce repas j’avais compliqué à dessein l’ordre des vins et les régions de provenance. Eric Fréchon a remarquablement transformé l’essai avec une cuisine qui s’affirme comme très grande, sachant manier simplicité et esthétisme. Un nouvel essai réussi..