Dégustation au siège du champagne Salon jeudi, 26 juin 2003

Peu de temps après je me rendais au siège du champagne Salon, mon chouchou déclaré. Il jouxte le champagne Delamotte dont j’ai pu déguster aussi quelques beaux spécimens. Comme il s’agissait d’une visite privée je n’en dirai pas beaucoup plus, sauf de signaler une générosité particulière qui m’a permis d’avoir accès à de vénérables bouteilles dont j’imagine que l’ouverture est peu fréquente. Ce champagne vieillit bien, les prix des anciens millésimes sont astronomiques. Mais ces raretés gustatives méritent que l’on brise quelques tirelires, qu’on rançonne sa grand-mère ou qu’on nettoie des pare-brises aux feux rouges pour pouvoir se les offrir.

Cocktail au château d’Yquem mercredi, 25 juin 2003

A peine réveillé de ces agapes je vole vers Bordeaux pour me rendre au cocktail que le château d’Yquem organise au moment de Vinexpo.

Fouler les allées du château, entrer dans cette cour carrée apaisante, contempler les vignes alignées en pente douce, imaginer le jus futur, suivre l’évolution des couleurs des feuilles lors d’un long soir d’été, tout porte à l’émerveillement d’enfant que je ressens à chaque fois. Le Krug grande cuvée apaise la soif de cette région qui vient de subir un coup de chaud climatique inhabituel. La Grande Dame 1995 de Veuve Cliquot est plus typé. C’est un champagne délicatement expressif. Ces deux champagnes préparent à la prise de connaissance du tout nouveau Yquem, le 1998. C’est un bambin qui marche déjà bien sur ses jambes. Très équilibré, moyennement puissant, il n’est pas très typé. Il correspond bien à la définition d’Yquem, et vieillira sagement, pour faire dans trente ans un Yquem orthodoxe. Mais si on le boit plus jeune, on ne commettra pas de crime, car il est déjà un grand vin de plaisir. Je retrouve quelques amateurs passionnés et quelques producteurs amis. Les soirées à Yquem ont le charme de leur vin. J’y succombe sans modération.

 

 

de grands formats d’Yquem 1983 mardi, 24 juin 2003



Une de ces impériales a été bue lors de mon anniversaire, fêté au George V sur une cuisine de Philippe Legendre.

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dîner de wine-dinners au restaurant Le Gavroche à Londres mardi, 24 juin 2003

Dinner held by restaurant « Le Gavroche » on June 24, 2003
Bulletin 84 – livre page 111

The wines :
Krug Rosé
Mumm Cuvée René Lalou 1979
Château Haut Brion Blanc 1977
Château Grillet 1986
Pétrus 1967
Pichon Comtesse de Lalande 1928
Vosne Romanée Bouchard 1971
Savigny les Beaune Chanson 1926
Château Chalon Jean Bourdy 1929
Yquem 1982
Tokay Pinot Gris « Vendanges Tardives » 1976

The menu created by Michel Roux and his team :
Coquille St. Jacques poêlée, petite réduction aux cinq épices et panais frit
Ragoût de langoustines parfumé au gingembre
Soufflé Suissesse
Filet de turbot braisé, deux céleris et ventrêche
Poulet noir rôti dans son jus à l’échalote de Bretagne
Mignons de veau aux morilles et petits pois à la Française
Pigeon de Bresse rôti, poire pochée et poireaux à la crème
Comté deux ans d’age de chez Marcel Petit,
Fort Saint-Antoine
Sablé à la mangue et son sabayon froid
Feuillantine aux Fraises et Fraises des Bois,
Sorbet Mascarpone
Café et Petits Fours

Dîner de wine-dinners au restaurant Gavroche à Londres mardi, 24 juin 2003

Ainsi donc allait avoir lieu le premier dîner de wine-dinners hors de ses bases, au restaurant le Gavroche à Londres. J’avais apporté les vins un mois plus tôt, j’avais discuté du menu avec Michel Roux et Silvano Giraldin, et j’avais pu sentir leur intérêt de créer une cuisine adaptée à des vins inhabituels.

Le jour venu je prends Eurostar et le salon d’attente des premières, clone de ce qu’était l’attente pour le Concorde, a quelque chose d’agréable. Dans un monde affreusement dépersonnalisé, il y a quelque plaisir à être considéré. Londres est baigné de soleil, les taxis londoniens offrent un bel espace, et ils sont faciles à trouver. Il y a dans l’air quelque chose de guilleret, de printanier, et de délicieusement fiscal, tant ce pays a compris qu’il valait mieux attirer les riches que les rejeter. J’arrive dans un de ces hôtels impersonnels comme il en existe des milliers. Il faut avoir des raisons perverses pour réserver au restaurant, car c’est d’une froideur congelante. Sur une bière trop chaude (la carte des vins n’a pas d’attrait et je me réserve pour le dîner), je prends une anguille et une sole. L’anguille fait partie de ces plats inscrits dans le sens du développement durable. C’est à dire que sur mon assiette il y a quelques miettes d’anguille au sein d’une grosse salade. Si l’on partage une anguille pour plus de 120 assiettes, on contribue à la perpétuation durable de l’espèce anguille.

Je me rends à 16h au Gavroche pour déboucher les bouteilles, avec David, jeune et attentif sommelier. J’ouvre tous les vins et l’odeur me suffit pour juger de leur besoin d’oxygénation. Pas besoin de goûter. Le Pétrus est très Pétrus, généreux et prometteur, le Pichon 28 s’annonce bien. Le Vosne Romanée 71 a un bouchon abîmé comme un vin d’au moins 20 ans de plus, et a une odeur animale d’abats que son âge ne devrait pas donner. Le Savigny 26 a une des plus belles odeurs que j’aie jamais sentie. Je rebouche immédiatement. Le Yquem 82 est insolent de certitude et le Tokay 76 va s’épanouir, c’est le seul vin que je goûte, plus par curiosité. La plus belle qualité de bouchon est celle du Haut-Brion 77.

Le menu préparé par Michel Roux, plus que copieux, était le suivant : Coquille St. Jacques poêlée, petite réduction aux cinq épices et panais frit, Ragoût de langoustines parfumé au gingembre, Soufflé Suissesse, Filet de turbot braisé, deux céleris et ventrêche, Poulet noir rôti dans son jus à l’échalote de Bretagne, Mignons de veau aux morilles et petits pois à la Française, Pigeon de Bresse rôti, poire pochée et poireaux à la crème, Comté deux ans d’age de chez Marcel Petit, Fort Saint-Antoine, Sablé à la mangue et son sabayon froid, Feuillantine aux Fraises et Fraises des Bois, Sorbet Mascarpone, Café et Petits Fours

A l’arrivée des convives, le Gavroche avait prévu de nous servir un Champagne Comtes de Champagne 1995, très beau champagne de soif à la belle bulle et au délicat picotement qui annonce que la soirée sera belle. Nous passons à table après mes recommandations d’usage à un groupe comprenant plusieurs néophytes. Le Krug Grande Cuvée rosé a environ 15 ans, comme le suggère la réduction du bouchon. Belle bulle expressive, goût agréable, mais en rosé, Krug ne fait pas la différence comme il le fait en champagne. C’est bien, mais sans extrême émotion. Au contraire, le Mumm cuvée René Lalou 1979 a de l’âme. Pas de trace d’âge, belle bulle expressive, et grande intensité. C’est délicieux. Arrive ensuite une de ces expériences qui montrent la complexité des odeurs et des goûts. Avant l’arrivée du soufflé au fromage, on me fait goûter les deux blancs. Le Haut-Brion blanc 1977 est flamboyant, à l’équilibre magique, et une longueur en nez et en bouche au delà du concevable. Le Château Grillet 1986 qui le suit est très expressif, mais a du mal à se positionner après le si envahissant bordelais. J’en informe mes hôtes. Mais on met devant moi le plat et alors, avec une netteté redoutable, le Haut-Brion se referme dans sa coquille, alors que le Château Grillet parade, s’épanouit comme un paon.A la fin du plat je demande à chacun de bien mâcher du pain et le Haut-Brion se retrouve, rejaillit en tête quand le Grillet rentre dans le rang. C’est étonnant de voir l’amplitude des variations créées par un plat : il épanouit un vin quand il en rétrécit un autre. Magie culinaire.

Le Pétrus servi dans des verres Riedel étale un parfum d’une concentration infinie. Chacun comprend qu’il est en face d’un chef d’oeuvre, et je crois bien que c’est le meilleur Pétrus 1967 que je n’aie jamais bu. L’accord avec le turbot est d’une délicatesse et d’une précision extrême. C’est là que l’on comprend que la cuisine et les vins sont faits pour créer des harmonies de rêve. J’ai essayé Pétrus 78 sur des rougets tout récemment, et là un 67 avec un turbot. C’est vraiment le bon chemin. La perfection de ce Pétrus 1967 a enthousiasmé toute la table.

Comme lors de tous les dîners, l’arrivée d’un septuagénaire étonne par sa jeunesse. Le Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1928 est dans un état remarquable. Jeune, expressif et mis en valeur par un délicieux mignon de veau, il enfonce encore le clou de la perfection des vins de 1928. Il est très orthodoxe, sans que l’un de ses caractères ne s’expose exagérément. Il est magnifiquement équilibré et rassurant. On venait d’avoir deux expressions du bordelais le plus élégant et accompli.

Alors que l’arrivée des bourgognes se fait généralement en fanfare, le Vosne Romanée Bouchard 1971 dont j’ai dit l’inhabituelle flétrissure du bouchon avait gardé seulement une trace de son animalité initiale, mais avait évolué vers la prédominance de l’alcool. On était dans du brutal comme disent les tontons flingueurs. C’est peut-être ce qui aura permis au Savigny Chanson 1926 d’afficher une insolente perfection. On a là l’expression du vin que l’on aimerait goûter à tous les repas : le nez intense et chaleureux, une attaque en bouche gouleyante et fruitée, puis l’apparition de toute la palette des saveurs complexes qui en font un grand vin. Aidé par le pigeon qui est un remarquable révélateur, on touchait au grand vin de plaisir, surprenant toute la table par la jeunesse d’un vin de 77 ans, limite d’âge des lecteurs de Tintin.

David, le jeune sommelier, vient du Jura. Il ne tenait plus en place de servir le Château Chalon Jean Bourdy 1929. L’odeur est celle d’une sieste où l’on aurait la tête enfouie dans un sac de noix. Et en bouche avec un remarquable Comté, un plaisir qui n’en finit pas. On sait que j’adore ces goûts brutaux et complexes. Je ne m’en lasserai jamais. C’est fascinant.

Le Yquem 1982 est le plus facile de tous les vins, et c’en est même gênant : c’est parfait en tout. Avec la mangue, c’est tout simplement sensuel. C’est Poppée lorsque Néron l’aimait.

Arrive alors la surprise. Le Tokay 1976 est doublement une sélection de Jean Hugel : premièrement parce que c’est écrit sur la bouteille, et secondement parce c’est un cadeau de Jean Hugel fait à notre table, au nom de l’amitié qu’il porte à la famille Roux. Délicieux vin de suggestion qui n’a pas tremblé d’arriver après Yquem, et, grande première, j’ai eu enfin le vin qui se marie avec des fruits rouges bien présentés, car il est confirmé à chaque essai que les fruits rouges ne vont pas avec les Sauternes. Je tenais enfin leur compagnon, car le goût du Tokay vendanges tardives, aux facettes si changeantes comme une opaline change discrètement de miroitement se lovait sur chaque acidité des fruits de la plus belle façon.

Alors qu’aucun des convives (à part trois d’entre eux qui avaient déjà participé à un dîner de wine-dinners) n’avait l’habitude des vins anciens, ce furent les trois vins de la décennie 1920 qui furent plébiscités dans presque tous les votes. Demandant que l’on cite 4 vins, cela aura permis que chaque vin de ce soir ait au moins un vote, le Pichon et le Savigny avec le Jura ressortant le plus souvent.

Mon vote personnel fut dans l’ordre : Pétrus 1967, Pichon Longueville 1928, Savigny 1926 et Château Chalon 1929. Nous fûmes trois à avoir Pétrus en premier, tous les votes étant différents.

Les plus beaux accords furent dans des registres étonnamment variés : le Pétrus et le turbot a représenté l’atteinte de l’idéal gastronomique, les fruits rouges et le Tokay Hugel furent un moment d’extrême bonheur, celui d’avoir trouvé ce qui convient aux fruits rouges et fait chanter le vin sur ces saveurs acides. Le Comté avec ce délicieux et puissant Château Chalon est un accord académique, et le mignon de veau avec le Pichon fut remarquable. Michel Roux a fait une cuisine digne d’éloges qui donne envie de recommencer. Il faudra sans doute un peu moins de plats. Des convives qui voulaient fêter un projet abouti ont été comblés.

Refaire un repas à Londres est une idée qui sonne bien. Trouvons-en le prétexte.

 

 

Dîner de folie au George V avec des impériales 2 dimanche, 15 juin 2003

Les convives arrivent et sont accueillis par un Mathusalem de Pommery 1988. Belle couleur dorée, et un nez ensorcelant. On passerait son temps à seulement le sentir, tant cette odeur est délicieuse. Belle attaque vineuse avec un petit goût de fumé délicat. Ce champagne est grandiose et le format l’améliore en lui donnant une ampleur rare. Des variations de préparations d’huîtres et d’autres petites saveurs sur cuiller forment des accords subtils.

On passe à table. Sur le volatile admirablement préparé, le Meyney 1967 en double magnum s’accorde parfaitement. Le vin est en pleine forme, sans trace d’âge, il tiendra une place plutôt étonnante et flatteuse auprès des grandes vedettes qui suivent. En revenant au nez sur ce verre, on voit que le Meyney a une plénitude qui mérite le respect. Il y a deux classes de convives : ceux qui sont nés à Bordeaux (ou la région) et les autres. Les bordelais savent manger avec les doigts et croquer les os. Leurs assiettes se vident entièrement. Les autres plus timorés mangent avec couteau et fourchette et s’en tiennent à la seule esquisse de l’oiseau.

Le homard fut sans doute le plat le plus excitant de la soirée. Au lieu d’un seul vin, puisqu’il avait fallu placer le Meyney ouvert hier, on poursuivit le repas sur les quatre rouges en impériale servis simultanément, ce qui permit de vérifier les différentes qualités de ces quatre vins de rêve. Le Margaux était sans doute un peu plus adapté à la subtilité de ce plat, mais le Lafite 1990 lui allait aussi très bien. Le ris de veau est brillant, et fut admiré par nombre de convives. Avec lui chaque vin brille, et on peut passer de l’un à l’autre sans risque, tant le ris de veau est un passeport commun. Les préférences des convives sont allées assez naturellement vers Margaux 1985 et Lafite 1990, charme de l’un et perfection de l’autre, mais le sauvage Mouton 1995 et le prometteur Lafite 1985 furent aimés. La promesse du Lafite 85 se concrétisa le lendemain en une maturité gustative rare.

Lorsque l’impériale d’Yquem 1983 apparut, si magnifiquement dorée, chaque convive applaudit. On l’ouvre, pour qu’il accompagne une volaille de Bresse et son chutney d’agrume. On quittait le domaine des rouges pour un essai que l’Yquem mérite. Mais il était très net que c’est la volaille qui se mariait le mieux avec Yquem, car le chutney très puissant écrase l’Yquem dans des tonalités identiques mais forcées. Si le format de l’impériale a embelli les rouges, la différence est encore plus sensible avec l’Yquem, qui fut le plus brillant de tous les 1983 possibles ou imaginables. Il avait gagné la sagesse de l’équilibre de tous les talents d’Yquem. Une longueur infinie, sur une rondeur jouissant d’une plénitude absolue. L’Yquem a suivi aussi bien le Stilton qu’un délicieux dessert à l’ananas confit sur lequel j’avais craqué lors d’un récent cocktail préparé par Philippe Legendre, et que je voulais voir sur Yquem. Accord excitant.

Un cognac Otard bien ancien #1950 finissait le voyage des goûts sauf pour ceux qui voulaient rester sur la mémoire d’Yquem. On se quitta fort tard, ravis de la conjonction de plusieurs perfections : le lieu de grande classe, la cuisine inspirée de Philippe Legendre, le talent d’Eric Beaumard, l’implication d’une équipe à l’efficacité parfaite sur tout le parcours, et des flacons rarissimes d’une qualité étourdissante. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les Meyney ouverts avaient pris la place d’autres vins. J’envisageais mal de jeter plusieurs litres de ces si grands crus. Il me fallut appeler le lendemain au téléphone quelques convives pour que tous les vins soient finis. Ils étaient tout aussi brillants après autant de temps d’ouverture, comme si le format les solidifiait.

Ce dîner de 60 convives fut l’occasion d’ouvrir des vins extrêmes, profitant particulièrement de la taille des impériales, et un mythique Yquem 1983 grandiose. Un événement rare.

 

 

Dîner de folie au George V avec des impériales 1 dimanche, 15 juin 2003

J’arrive donc le midi à ce restaurant si accueillant et agréable avec l’intention de ne boire que de l’eau.

Je choisis des plats aux saveurs plus osées, plus faciles avec de l’eau : un blanc manger à la sole et aux amandes avec du caviar Osciètre, avec un avocat mariné à l’huile de noix. Mais voilà qu’Eric Beaumard dépose sur ma table un large verre de Meursault 2001 de Boillot. Assez sec mais très caractéristique, plutôt simple lorsqu’on le boit seul, puis merveilleusement vivant avec le plat délicieux, petit chef d’oeuvre de précision. On est dans du grand Legendre avec le choix créatif d’Eric. J’avais choisi pour suivre un lard fermier de Franche Comté aux épices et supions. Et tout à coup Eric me fait déposer quatre verres de vin rouge, un de chaque impériale prévue pour ce soir. Quelle charmante idée. Imaginez la sensation qui était la mienne. Je goûtais un plat délicieux, fait par un chef prestigieux (ce plat est une petite merveille de goût franc, paysan, subtilement traité). J’avais devant moi les verres de quatre vins de rêve : Mouton 1995, Margaux 1985, Lafite 1985 et Lafite 1990. Mettre côte à côte ces vins est déjà quasi irréel. En plus ces vins provenaient de quatre impériales (l’impériale fait 6 litres, soit 8 bouteilles), et ces impériales étaient les miennes. Il y a dans cette situation une jouissance que l’on comprendra aisément. On se sent sur l’Everest de la gastronomie et de l’oenologie. J’ai « pianoté », testant chaque vin en fonction de ce que j’imaginais du futur menu, tout en profitant des accords immédiats qui se créaient sur le lard extraordinairement délicieux. Voici le fruit de mes constatations dans des verres Spiegelau du plus bel effet olfactif.

A la première odeur, le Mouton est tannique, envahissant, un puissant gamin. Le Margaux est séducteur, éthéré, encore fragile. Le Lafite 85 a un nez extraordinairement structuré, et le Lafite 90 représente l’odeur idéale d’un grand vin de charme et de perfection. A la première attaque en bouche, à une excellente température, le Mouton est extrêmement jeune, juteux. Le Margaux est un peu faible au milieu de ces monstres de puissance, le Lafite 85 promet mais ne s’affirme pas encore, alors que le Lafite 90 est absolument parfait. Mais les choses changent quand le vin s’aère. Le Mouton est de plus en plus plaisant dans son rôle de jeune premier, le Margaux devient de plus en plus séducteur, montrant un charme extrême, le Lafite 85 reste un peu en dedans, même s’il est excellent, car il est à la croisée des chemins de sa maturité et le Lafite 1990 donne une image d’absolue perfection, la définition du vin idéal dont tous les aspects sont équilibrés avec la justesse qui convient. Les vins ont ainsi changé d’aspect tout au long de mon pianotage. L’air conditionné assez puissant a fait évoluer les odeurs vers plus d’alcool. J’ai vérifié au moins par la pensée que les choix de plats étaient bons, et il était assez évident que chaque vin trouverait ses champions parmi les invités. Il y avait de quoi satisfaire les goûts différents de tous les convives car, ainsi que je le remarque à chaque repas, les classements identiques sont rarissimes.

L’après-midi fut consacré à la préparation du dîner. J’ai pu vérifier l’engagement, l’enthousiasme et l’ingéniosité souriante des équipes du George V. Remarquable. Imaginez quatre personnes qui lavent et essuient les 600 verres Spiegelau du repas, les sommeliers qui préparent la mise en carafe, qui répètent avec moi l’ordre des verres, l’ordre des services. La confection des plans de table qui fait appel à des équipes de gestion elles aussi motivées. Tout le monde est attentif. Un maître d’hôtel voyant l’effet de ces préparatifs sur ma fatigue a trouvé une chambre dans l’hôtel pour que je me repose et prenne une douche. Quelle aimable implication qui se vérifiera par un service parfait, attentif au moindre désir.

 

 

Préparation d’un dîner au George V jeudi, 12 juin 2003

J’envisageais de faire un dîner différent de ceux développés par wine-dinners, pour un plus grand nombre de personnes que je voulais honorer. Le George V ayant une belle capacité d’accueil, avec un service irréprochable, Philippe Legendre ayant réussi tous les dîners que nous avons élaborés ensemble avec Eric Beaumard, le choix se porta naturellement sur ce bel endroit.

Quand nous avons réfléchi à l’événement que nous créerions, Philippe me dit : je pourrais vous préparer de ces volatiles que l’on mange avec les doigts en croquant les os, mais ne soyez pas plus de soixante. Ce chiffre me convenait bien, et conduisait immédiatement à l’idée générale du dîner : n’ouvrir que des impériales et uniquement de premiers grands crus classés. L’idée avait pris consistance. Philippe Legendre et Eric Beaumard pouvaient élaborer un repas de rêve. Bien sûr, comme avec Alain Senderens j’ai changé les vins une ou deux fois, ce qui est normalement assez surprenant, car il est difficile de se tromper sur des impériales, mais j’ai quand même réussi à le faire.

Je livre les vins quelques jours avant, avec d’infinies précautions tant les flacons sont rares, et j’ajoute quatre doubles magnums de Château Meyney 1967, pour le cas où il y aurait un problème sur un flacon, ou une soif mal estimée. Pour que l’événement soit une réussite, je prévois d’affecter l’après-midi aux derniers préparatifs, et je réserve une table au Cinq pour le midi du fameux dîner. Eric Beaumard est un être exquis, mais tant sollicité et aimant tant faire plaisir à tous qu’on traite un sujet avec lui en s’y reprenant à plusieurs fois. Il est tellement enthousiaste qu’on se laisse gagner par ses élans, ce qui passe très bien. J’avais prévu que l’on ouvre les impériales la veille en cave, mais, faute d’instruction, les sommeliers ont ouvert trois des quatre doubles magnums de Meyney prévus seulement par sécurité. Je ne l’ai appris que le soir même. On en verra les conséquences, forçats que nous fumes, devant finir les fonds d’impériales.

 

 

Déjeuner chez Lavinia mercredi, 11 juin 2003

Déjeuner chez Lavinia, ce grand magasin du vin où l’on trouve de tout et où j’ai l’impression d’être riche, tant les prix explosent par rapport à mes prix d’achat. Belle surprise, la cuisine existe. C’est plus qu’honnête et mérite un encouragement.

Je suis invité, et l’on commence par un vin du stock du lieu : Puligny Montrachet les Folatières 1998 Domaine d’Auvenay mise en bouteille par Lalou Bize-Leroy. Disons le tout de suite, ce Puligny est un des plus grands que j’aie jamais goûté. On est au niveau d’un Bâtard, excusez du peu. C’est beau comme un Chevalier Montrachet. Ce vin me fait penser à un concours de tee-shirts mouillés (j’imagine, bien sûr). On sent que tout ce qu’il y a sous cette robe dorée ne demande qu’à exploser. J’aime particulièrement ce fumé métallique qui vient balancer la générosité spontanée et permet ainsi un goût énigmatique du plus beau raffinement. Le vin apporté par mon hôte est un Grands Echézeaux Grand Cru Remoissenet Père & Fils 1949. Je me retrouve sur mes terres d’élection. Le nez est discret au premier contact mais va s’affirmant. En bouche, cette spontanéité rassurante et complice, la quiétude qu’offre une pâte de fruit, et puis des longueurs qui se dessinent progressivement. Du beau travail de bourguignon. Le dessert au chocolat accueille un Nostalgia d’Arenberg rare Tawny Mc Laren Vale. Des saveurs complexes mêlant le Porto, le Muscat, la Malvoisie, et on lit sur l’étiquette que ce vin australien est un travail de potard : il y a de tout. Même si c’est facile à faire si on n’a aucune contrainte de cépage ou de mélange, il faut reconnaître que ça existe. Et c’est bon, sorte de Muscat trempé dans du thé. Belle brochette de vins fort intéressants, et l’agréable découverte d’un restaurant sensible, ce qui est bien. Peu de temps après je partais vers la région de Bordeaux écrasée de chaleur. Tout dans la gare Montparnasse évoque la laideur extrême. Cette architecture contribue à l’abaissement de l’âme là où les cathédrales montrent une foi en l’être humain embelli par sa piété.