« Rencontres Vinicoles » mercredi, 10 novembre 2004

Je me rends à l’une des nombreuses présentations de vins, qui s’intitule sobrement « Rencontres Vinicoles ». C’est modeste de nom, mais il y a de gros calibres dans la salle de l’Espace Cardin. Je salue des têtes connues et je remarque le Champagne Diebolt Vallois 1999 d’une belle élégance (j’ai raté le 1976 qu’on m’a dit fameux). Des vins comme Carbonnieux, Léoville Poyferré, Larrivet Haut-Brion, Corbin Michotte me ravissent toujours par l’élégance du travail respectueux du sol. Je me livre à une intéressante comparaison du Clos des Lambrays dans ses expressions de 2000, 2001 et 2002. Trois années très différentes : le 2000 est déjà assis, le 2001 promet une belle élégance moins ronde et le 2002 va affirmer une particulière subtilité. Il y aura un Clos des Lambrays pour chaque palais. Je ne résiste pas à goûter un vin du Jura du Domaine de la Pinte dont le propriétaire ami abrite ses vins sous une impressionnante moustache. Le petit cadeau de ma visite, c’est quand je goûte un Banyuls de l’Etoile 1986. C’est un apaisement de l’âme comme une pâte de fruit. Il faut vite que je choisisse pour mes repas des Banyuls comme ceux de la photo du bulletin 121. C’est un plaisir total. Un ami expert en vins me signalait que dans mes repas on ne voit pas de vieux Portos. C’est vrai, car j’hésite à ouvrir ces nectars qui impriment tant de traces en bouche. Peut-être pour le cigare ? Mais avant il me faut célébrer les Banyuls, ces récompenses gustatives d’une des régions les plus belles de France : vendanger face à la mer, sur ces pentes dangereuses battues par le vent, ce doit être d’une excitation extrême.

Aux Caves Legrand le Beaujolais nouveau se boit sur des notes de jazz. Il faut bien cela pour un vin qui n’a rien de déraisonnable, qui habille gentiment le palais l’espace d’un instant, et dont la mémoire va se remiser jusqu’à l’année prochaine.

divers repas où je suis invité mardi, 9 novembre 2004

Dans divers repas où je suis invité, je trouve des vins assez intéressants. Un Daumas Gassac blanc 2002 malgré une belle structure ne m’inspire pas le soir où je le bois (ce sera passager car Daumas est grand), alors que le lendemain, un Fixin blanc de Louis Jadot 1999 me ravit l’âme, par son ingénuité, sa fraîcheur, et sa belle approche de discrétion sympathique. Un Hermitage La Chapelle 1999 me séduit beaucoup plus que lors d’expériences précédentes et ne rejoint pas les critiques que j’en ai entendues. Il n’y a pas la puissance et l’enthousiasme d’un Hermitage de Chave, mais il y a une belle typicité et une belle franchise. Un Coteau du Layon « la Seigneurie » domaine Leduc-Frouin 1990 est assez doucereux. A l’aveugle je le voyais dans la lignée des Pacherenc du Vic Bihl ou des Jurançon, car c’est plus monolithique que la Loire. Agréable sur un foie gras. A l’aveugle, un Château Ausone 1971 me fait penser à quelques Cheval Blanc solides, fumés, caramélisés. L’attaque est assez discrète en bouche, puis la structure superbe s’installe pour un final brillant, très Porto ou pruneaux. C’est un très bel exemple de Ausone. Un  Monbazillac Château Pion 1973 me séduit extrêmement. Il n’y a pas l’ampleur d’un Sauternes, il y a un coté plus ascétique, mais toute la gamme des épices, des fruits exotiques, de mangue, est au moins aussi subtile que celle d’un Sauternes car l’alcool plus discret laisse ces saveurs orientales s’exprimer de brillante façon. Sorti de lots divers que j’ai achetés au fil de ventes aux enchères, un vin italien de la côte de l’Adriatique, il Falcone Reserva Castel del Monte 1975 est plus que surprenant tant il est agréable. Qu’un vin aussi ordinaire se révèle aussi bon, légèrement poussiéreux mais agréablement gouleyant, me ravit, car il justifie ces petits coups de chance que l’on provoque dans les salles des ventes (je l’ai payé moins d’un euro). De ces essais de hasard, je retiens le Fixin blanc fort joli et le Ausone 1971 de belle prestance.

Dîner au au Bistrot du sommelier lundi, 8 novembre 2004

Mon livre est « nominé » pour un prix offert par une fondation prestigieuse. J’ai de bonnes chances, mais il y a de redoutables compétiteurs. Le jury hésite longtemps, jusqu’au dernier moment, et dans un des plus beaux hôtels particuliers parisiens, le suspense doit être levé. Philippe Faure Brac, meilleur sommelier du monde 1992 obtient le prix. Il apparaît alors assez évident qu’on doit fêter cela au Bistrot du sommelier. Un Dom Ruinart rosé 1990 est une splendeur qui convient pour saluer ce prix. Des arômes incroyablement flexibles, qui s’adaptent aux saveurs qui lui sont proposées. Un magnifique champagne de célébration, avec des variations extrêmement éclectiques. Un Chateauneuf du Pape Delas Frères 1955 a un nez de belle présentation. En bouche, l’alcool domine, mais il y a de belles subtilités, au-delà d’une fatigue perceptible. Sur une joue de bœuf, c’est un vrai bonheur. Je fais ouvrir un vin jaune de André et Mireille Tissot 1979, magnifique expression de ce Jura si envoûtant. Une fine champagne de cognac du château Jousson 1900, même si un peu éventée, donne des plaisirs d’une expressivité rare. Elle permet de confirmer à Philippe Faure Brac toute l’estime que l’on porte à sa démarche de mise en valeur didactique du patrimoine intelligent de la planète vins.

Rhône en Seine dimanche, 7 novembre 2004

Je cours me rendre à Rhône en Seine dans les sous-sols du George V où des producteurs renommés apportent leur soleil. Des amis que je retrouve ici et là me tirent par la manche pour que je goûte des splendeurs qu’ils ont détectées. Un sublime Côte-Rôtie Pierre Gaillard 2003 promet d’être grandiose. Beaucastel rouge 1999 que je connais bien est toujours un modèle de justesse. André Roméro, ce joyeux vigneron de Rasteau me fait goûter un vin doux naturel qui a passé 36 mois en fût de chêne américain. George Clooney fait séducteur de patronage à coté de l’invraisemblable charme de ce miel là.

Déjeuner au restaurant Tan Dinh dimanche, 7 novembre 2004

Déjeuner au restaurant Tan Dinh avec des amis américains du forum où j’écris. La carte des vins est à elle seule une récompense. Mais la cuisine vaut l’intérêt car les plats sont traités avec subtilité : ravioli à l’oie fumée, rouleaux froid au bœuf et kumquats, triangles de homard pilé et noix de ginkgo, rouget à la citronnelle, filet de bœuf Tan Dinh, poulet à la cardamome, Thap cam de légumes, riz sauté, beignets de mangues. Mes amis étant surtout fanatiques de Bordeaux, je choisis un Meursault « les Rougeots » Coche-Dury 1997. Un nez de pierre et d’agrumes. En bouche, la délicate combinaison de l’agrume, de la trame végétale et un début de gras, d’oint, de baumes religieux. Pénétrant, mais pas trop, le vin n’est pas opulent, il est profond. Boire un Coche-Dury est toujours un privilège et une rareté. Le vin suivant, un Corton Grand Cru Bonneau du Martray 1999 qui titre 13,5° affirme un nez puissant, sur une couleur d’une densité rare. En bouche, on a tout ce qu’apportent les vins faits avec les techniques modernes mais avec une justesse extrême. Là où d’autres pays s’enlisent dans la rudesse et la rustrerie, ce Corton brille par une exactitude de ton, et une élégance magnifiques. Il montre que vingt ans de plus le rendront éblouissant, car malgré son soyeux et son velouté, c’est quand même un vraiment jeune bambin. Une promesse de sensualité extrême.

Dégustation et repas chez Bouchard samedi, 6 novembre 2004

Je pars le lendemain à Beaune où l’équipe de France 2 doit terminer son reportage sur les vins anciens par un dîner de légende au château de Beaune. De grands experts, de solides amateurs de tous pays se retrouvent pour un grand moment de dégustation. Le rendez-vous est donné sous le perron de la maison Bouchard Père & Fils. Arrivé en avance, je salue un homme jeune ostensiblement asiatique et nous commençons l’exercice classique de deux amateurs qui se rencontrent : « j’ai bu ça, j’ai bu ça et encore ça ». Il a une solide expérience et prend conscience de la mienne et un déclic se fait. Il prend son appareil photo et fait défiler des images et en montre une : c’est la couverture de mon livre. Il me dit : « je veux absolument distribuer ce livre à Taiwan ». Nous avons ensuite bavardé en complices qui se comprennent plus qu’en jeunes paons qui montrent les yeux bleus de leur plumage.

Nous entrons dans cette belle cave bâtie il y a plus de cinq cents ans pour nous asseoir devant douze verres de grand volume. Le premier thème est le Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » et je ne peux pas m’empêcher de croire en un signe du destin puisque c’est le vin que j’avais offert hier aux grands sommeliers pour leur dire ma quête des vrais vins. Ce vin est là, décliné en six millésimes. Comme vous en avez l’habitude (voir bulletins 92 et 116) mes notes sont prises d’instinct, à la volée. Les redites sont compréhensibles.

Le 2003 a une couleur rouge d’un intense grenat qui ne peut pas être d’un Volnay. Le nez est très imposant avec du fruit fort et de l’alcool. En bouche il y a de la prune. C’est déjà rond et étonnamment buvable. Ce vin aura plus de bois que les autres. Le 2002 a une couleur très différente, plus acajou. Le nez est plus discret, le goût est beaucoup plus austère. C’est un bourgogne très subtil mais qui ne peut rien dire quand le 2003 parle. Plus tard, quand le verre s’oxygène, le vin gagne en saveur.

Le 1999 a une couleur intermédiaire. Il a une approche assez aqueuse. Mais on découvre sa rondeur. C’est absolument passionnant d’équilibre. C’est beau car très équilibré. Le 1995 a une couleur typique de Volnay. Le nez est de viande. On a un beau goût de bourgogne avec une belle astringence. Le 1990 a une très belle couleur et un beau nez C’est assez austère, mais on sent un potentiel immense. Ce vin appelle un plat. Un convive signale la cerise à l’eau de vie, à peine suggérée. C’est un vin bien accompli.

Le 1964 a une couleur magique de vin ancien. Le nez est sublime. Il y a un charme immense dans sa texture. Une jeunesse extrême combinée à une palette aromatique large que seuls les vins anciens possèdent.

Mon classement des Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » : 1964 – 1999 – 2003 – 1990 – 2002 – 1995.

Il convient de remarquer que ce classement correspond à ma grille de lecture. Il est évident que d’autres amateurs auront des réponses différentes. Joseph Henriot, l’homme qui nous invite à ces agapes, a l’ardente recherche de la perfection mais dans une optique très précise : dans le respect du terroir, dans le sens de l’histoire, et avec la créativité des hommes. La maison Bouchard est passée par une période de moindre performance et on sent cette vibrante envie de retrouver une qualité que les terroirs splendides méritent et appellent. Cette quête exigeante me plait beaucoup. Joseph Henriot juge les vins à cet aune là. Bernard Hervet, directeur général de Bouchard a une autre optique : il tient à vérifier que le futur de chaque vin est bien à la hauteur des espérances de l’année. Il ne juge pas le 2003 dans son verre, mais dans la vision que lui inspire le vin immédiat pour les vingt ans à venir. Mon approche est toute autre : même si la perspective historique ne me quitte pas, je juge mon verre, car je n’ai avec lui que la conversation de l’instant. Et le 1964 me parle avec son accent chantant quand des sopranos qui seront peut-être plus brillants à long terme ont encore des vocalises timides. Nous aurons vérifié, sur cet échantillon, la justesse d’un terroir de grande personnalité.

On passe au deuxième thème de l’exercice en cave : Corton Charlemagne.

Le 2003 a la couleur très verte des statues d’Empire. C’est beau. Le nez est très poivré. En bouche, quelle beauté ! C’est un blanc magique. On est incapable de donner un âge à un vin riche qui devrait être encore au berceau et parle comme un grand. Le 2002 a une jolie couleur. Le nez est plus discret, plus austère, très poivré. Il est encore fermé, mais évoque déjà un beau Corton Charlemagne. Il y a du floral dans ces deux vins.

Le 2000 a un nez minéral fort. En bouche des agrumes et du poivre, du melon vert. Il a aussi du gras mais progressivement le floral apparaît. Un charme inouï et une longueur rare. Le 1996 a un nez intense très minéral. La couleur s’anime et s’ambre un peu. En bouche ça citronne. Il est plutôt sec quand le 2000 est gras. Le floral et l’intense sont là. J’y trouve un peu d’iode. Très différent du 2000, il est grand, intense et typé.

Le 1990 a une belle couleur dorée. Le nez est fort et minéral. En bouche, on sent que toutes les composantes du Corton Charlemagne se sont totalement intégrées. Sa longueur est irréelle. Le 1955 a une couleur magiquement fumée. Le nez a une déviance d’âge. Le vin est limité. On est dans le champignon. C’est assez décevant. Je demande à Yann le sommelier si compétent de goûter l’autre bouteille qui, elle, est passionnante : du beurré, du caramel, une intensité de vin riche où l’alcool s’affirme. Sur l’impression de la première bouteille de 1955, mon classement est : 1990 – 1996 – 2000 – 2002 – 2003 – 1955. Avec la nouvelle version du 1955, cette année se place en troisième position. On aura compris que c’est le 2003 du jour qui est classé et pas ce qu’il sera.

Bel  exercice comparatif qui permet à M. Henriot de montrer l’évolution des techniques dans le sens de sa démarche. Intermède avant le repas, le champagne Henriot 1955 en magnum est d’un charme rare. Il démarre en douceur, comme s’il n’était que de passage en bouche. Et comme si l’on avait allumé une post-combustion il se met à faire un numéro de charme langoureux pour délivrer des saveurs changeantes au rythme énigmatique. Il a moins d’attaque que le 1959 mais une séduction redoutable.

Nous passons à table et le chef Jean Paul Thibert a réalisé un repas de haute qualité. Amuse bouche, crème de choux fleurs aux œufs de harengs fumés, terrine de champignons veloutés de truffes grises de Bourgogne, carré de côte de marcassin au vin, millefeuille de céleri et poire, fromages, gâteau de noix, crème brûlée à la vanille.

Le Chevalier Montrachet 1964 est un immense vin. L’odeur est invraisemblablement pénétrante. Il est beau, il est intense et il est jeune. Un vin magnifique.

Le Montrachet 1865 (lisez bien le siècle) a une couleur d’or dense comme un Sauternes de la même époque. Il faut se représenter que dans ce verre, c’est un raisin qui a mûri il y a 139 ans. Le nez est puissant. Il a du fumé, du fruit confit. C’est un vin vivace, vivant et vibrant qui ne peut pas être abordé sans un profond respect. C’est la rareté absolue, l’exemple parfait d’une tranche d’histoire aux évocations surréalistes. On est au Paradis, à la droite du Père. Yann me fit un cadeau royal en me donnant un verre du fond de bouteille et j’ai eu alors un de ces instants qui justifient ma démarche : j’ai eu, sur une gorgée, un moment d’éternité. J’avais en bouche, communiquée à mon cerveau, une de ces manifestations de la perfection absolue. C’est comme si une lumière s’allumait dans tous mes sens pour dire : « c’est ça. C’est ça le but ultime. C’est le goût parfait ». L’impression dura une demie minute. Ce fut comme une apparition. Je fus réellement tétanisé l’espace d’un instant. Rien autour de moi n’existait que ce choc gustatif de perfection. Ce vin rejoint mon Panthéon.

Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1964 servi en magnum est la définition de la Bourgogne. Il n’y a pas un goût unique. Le Dieu Pan s’amuse dans le palais, délivrant des saveurs perpétuellement changeantes. Le vin iodle dans la bouche. C’est un grand vin de belle définition et de charme fort. Mais il fut éclipsé. Car Le Corton 1934 est invraisemblable. Là, pas de variations mais du monolithisme. C’est une boule de feu de magiques saveurs veloutées. C’est rond de plaisir raffiné. Un immense vin de pur plaisir. Une sensation rare. Et une longueur unique qui emplit la bouche de bonheur total. Un grandiose vin ancien.

L’étonnement le plus fort allait venir du Clos Vougeot 1865. Il n’y a plus de repère possible car on se demande comment ce vin est capable d’être aussi jeune. Si l’on n’était pas en ce lieu où la rigueur règne, on refuserait ce vin en disant : ça ne peut pas être un vin de cet âge là. Et quand on oublie ce décalage, on a un vin splendide, plein, intense, et avec une persistance aromatique que seuls les grands bourgognes anciens peuvent donner. J’ai été dérouté par ce vin idéal, tant sa perfection était irréelle. Ce 1865 parfait est diabolique de jeunesse.

Difficile de classer de tels vins. Le plaisir immédiat est sans conteste en faveur du Corton 1934. Le Graal du collectionneur, la satisfaction de ma recherche de l’extrême c’est le Montrachet 1865 qui est un monument de perfection. Nous aurons assisté à un repas unique et inoubliable avec de grands amateurs et experts aux personnalités attachantes. Un historien du vin qui inspire une sympathie profonde, un des plus grands chefs d’orchestre à la sensibilité communicative, de grands experts aussi enthousiastes que les amateurs, un collectionneur italien à la joie de vivre épatante. Deux belles tables d’amateurs conquis. Un moment qui laissera des traces puisqu’on en verra des instants sur « Envoyé Spécial » de France 2 en décembre, sans doute le 16. Dans leur démarche les journalistes auront filmé 23 cassettes de 30 minutes pour 26 minutes d’émission. Le monteur aura du mal tant il y a matière à vingt émissions. Un grand moment que l’on doit à la générosité exquise de Joseph Henriot.

Certains de mes amis ont tendance à me considérer comme le Saint-Bernard des petites années, trouvant du charme à des millésimes que bien des experts ont exclus ou négligés. Ce n’est pas l’expérience qui va suivre qui va changer cette image. Recevant mes enfants, j’avais prévu du champagne pour le foie gras, mais l’une de mes filles déclina. Au dernier moment donc, j’ouvre Trotanoy 1973. Niveau superbe, bouchon parfait, première odeur délicieuse. Et en bouche, un étonnement. Il serait normalement impossible qu’un vin de 1973 développe une telle puissance aromatique mais le fait était là. A l’aveugle, si on m’avait dit 1975, j’aurais dit oui. Et si on m’avait dit 1973, j’aurais dit : impossible. Or le goût était là, intense, puissant, pénétrant, et de belle structure. Pour un osso-buco j’avais ouvert à l’avance un Saint-Joseph Chapoutier 1994. Nettement plus fruité et remplissant la bouche agréablement, bien campé dans son appellation, il joue son rôle. Et il met en perspective le Trotanoy qui apparaît plus complexe que son année. Il y aura toujours des surprises sur ces années dépréciées sans doute un peu rapidement.

Il reste que 1865 est grand. Plus grand que tout.

Que des Corton Charlemagne ! A droite, le 1955

Le jury de champagnes au Bistrot du Sommelier vendredi, 5 novembre 2004

Le concours allait être suivi d’une troisième mi-temps qui m’a permis de constater que ces grands jurés sont aussi de solides buveurs et de joyeux lurons. Le repas se tient au Bistrot du Sommelier. Démarrage sur un Montravel dont je n’ai même pas noté le nom tant c’est déplaisant. Un Pouilly Fuissé 1955 de Beaujeu au nom de propriétaire illisible est madérisé. Je suis gêné par un petit goût de métal déplaisant. Le Gevrey Chambertin Gérin 1952 est d’une toute autre trempe. C’est du vin. C’est rassurant car on a le coté chatoyant de la belle bourgogne expressive. Un Meursault Clos de Mazeray Jacques Prieur 1985 est relativement peu Meursault, très jeune encore et bien franc. Le Château Belair Saint-Emilion 1966 a encore de belles expressions. Peu typé mais encore bon. Un Petit Verdot 2000 de Signal Hill en Afrique du Sud de Jean Vincent Médon s’appelle « Vive la Différence ». Même si on est dans l’excès de bois (je passe sous silence un vin que je n’ai pas noté, horrible jus de copeaux) il y a une certaine intelligence et une « French touch » de bon aloi. Essai intéressant. Un Château Nairac, Barsac 1989 est un bien agréable jeune Sauternes. Ambiance de troisième mi-temps mais aussi studieuse : la recherche des vins s’est faite à l’aveugle. Belle tablée de professionnels, bons vivants quand ils sont hors de l’exercice exigeant de leur métier.

jury de grands champagnes (suite) vendredi, 5 novembre 2004

On reprend le lendemain matin l’analyse de champagnes blancs de blanc et de champagnes millésimés. Je note à coté des juges officiels de magnifiques champagnes et mon vote est extrêmement proche des leurs, ce qui me plait. Des six vins sélectionnés quatre sont dans mes six, et les deux autres suivent de peu. Je quitte les juges pour un déjeuner où un Mumm 1985 conservé pour un petit cercle d’amis que je rejoins a toujours autant de charme rassurant. Un Cos d’Estournel 1986 me paraît plus boisé que d’habitude, et Pichon Longueville 1986 développe une élégance rare, parfait exemple du beau travail bordelais.

Je reprends ma place de juge pour la finale qui se tient au Bistrot du Sommelier, les juges officiels complétant leur effectif avec un premier sommelier du monde et un premier sommelier de France, Philippe Faure-Brac et Dominique Laporte. On a ainsi un parterre solide pour juger de beaux champagnes présentés en finale. Un champagne apparu premier le matin est plus mal placé l’après-midi et un champagne qui n’avait pas brillé remonte au classement. Le gagnant derrière Krug 1990 hors concours du fait de son année, mais classé premier tant il est bon est Dom Pérignon 1996 confirmant mes analyses récentes : Dom Pérignon est remarquable en 1996. De bien beaux champagnes moins célèbres sont particulièrement à l’honneur, tel ce Mailly 1996 classé second. Ce concours d’une belle rigueur et bien mené se lira dans le « Spectacle du Monde » de décembre.

Mondovino jeudi, 4 novembre 2004

Je quitte la table de la dégustation des meilleurs champagnes de 1995 et 1996 en plein dépouillement de la première séance de notation (voir bulletin 120) pour aller assister à une représentation privée de « Mondovino » un long court-métrage sur les vins, les vignerons et surtout les œnologues puisque Michel Rolland est un fil conducteur de tout le film. Le parti pris rédactionnel et artistique du film est assez original : filmé en tremblotant, avec des cadrages approximatifs ou hors cadre, pour montrer une certaine distance par rapport au sujet. Quelques prises de vues désacralisent certains personnages célèbres, quelques passages sont carrément émouvants. C’est un beau film qui ne laisse pas indifférent quand on aime le vin. La caméra insiste fortement sur les chiens de tous ces personnages et c’est quand même assez étonnant de voir Robert Parker raconter que son dogue a la manie de péter et signaler quand il le fait, la caméra insistant sur son arrière train. Après la projection s’ouvre un débat passionné sur la mondialisation du vin, la place du vin français dans le monde et dans la presse. On parla de l’évolution des goûts, Hubert de Montille, délicieusement présent dans le film ne pouvant pas être d’accord avec Michel Rolland. Ce sujet passionnera les esprits pendant encore longtemps. On goûta ensuite plusieurs des vins du film et chacun pouvait y trouver la confirmation des thèses qu’il défend, soit de développer les techniques d’amélioration du vin, soit de s’accrocher à la sagesse du terroir. Comme c’est un sujet abordé dans mon livre, on ne sera pas étonné que je défende la mise en valeur intelligente du terroir par une approche modérée des techniques.  Un grand expert, Bernard Burtschy, m’a rappelé fort opportunément une phrase de Philippe de Rothschild qui s’adapte parfaitement à ce sujet et colle à l’exergue de mon livre : « faire un très grand vin, c’est facile ! Seuls les trois premiers siècles sont difficiles ! ».