Musique et vin, avec un petit crochet par l’Italiemercredi, 11 février 2009

Une société ou association « musique-et-vin » organise des soirées musicales accompagnées de dégustations de vins. Les animateurs me contactent pour voir si mes dîners pourraient s’inscrire dans leur activité. Mes repas se tiennent dans les salles de restaurants des grands chefs parisiens. Je vois mal comment on pourrait créer un lien avec la musique classique. J’apprends que l’animateur de leurs soirées est Georges Lepré, sommelier et expert en vins que j’apprécie beaucoup, brillant chanteur de bel canto de surcroît. L’idée de le voir dans ce rôle nouveau me chatouille. Je suis donc invité à participer à leur prochaine soirée musicale « Bach & Bacchus ». Ayant reçu entre temps une invitation à goûter des vins siciliens dont un rouge de l’Etna, je peux combiner les deux. La curiosité pour ce vin provient d’un fait précis : le plus vieux vin que j’aie bu est un vin de la colline de Naples de 1780. Boire un vin de l’Etna pourrait raviver des souvenirs.

Le restaurant italien « Samesa » reçoit des amis, des journalistes et des amateurs pour goûter les vins du domaine Gulfi situé en plusieurs endroits de la Sicile, dont les bords de mer de la pointe ouest et l’Etna, présentés par le propriétaire, Vito Catania et son fils.

Les vins sont sympathiques que l’on goûte en croquant un fromage local à mi-chemin entre le Salers et le Comté et sur des tranches de pain artisanal ointes d’une huile sicilienne aux parfums profonds. Les vins sont tanniques et plaisants. L’un d’entre eux me plait beaucoup par son joyeux fruité, c’est le Nerosanilore Gulfi 2004. Le vin rouge de l’Etna, le Reseca Gulfi 2004 est une curiosité fortement tannique. J’imagine que ce vin deviendra passionnant quand il aura vingt ans de plus.

Quittant cette réunion, j’arrive en un rez-de-jardin privé où une salle haute de plafond accueille une bonne cinquantaine de personnes de toutes générations. Les physionomies sont celles de mélomanes que l’on peut croiser au grand foyer de l’Opéra Garnier. Ici c’est à la bonne franquette, puisque nous dînerons de tranches de pains que l’on peut couvrir de fine viande des Grisons, d’aiguillettes de canard fumé et de fromages. Le repas se conclura sur des cannelés. On comprend que l’intérêt est ailleurs. Il est évidemment à la musique car l’animatrice est Elsa Fortin, professeur de piano au Conservatoire qui interprétera plus d’une dizaine de pièces de Jean-Sébastien Bach ou de ses enfants, écrites pour le piano ou transcrites pour le piano, notamment par Liszt. Un intermède tout-à-fait étonnant sera offert par une autre jeune femme, Marjolaine Cambon, professeur du Conservatoire qui jouera quelques morceaux traduits pour sa viole de Gambe. La fraîcheur des interprétations crée une atmosphère de communion.

(le programme sur le pupitre du piano)

J’apprends que Georges Lepré a fait le Conservatoire de musique ce qui revêt de l’importance, car il explique, mieux que quiconque, le lien entre la musique et les vins que nous buvons.

Le premier est un Château Le Crock 2004. Assez strict, rêche, d’une structure rigide laissant assez peu de place au badinage, il est plaisant parce que sa définition est précise, mais il ne pousse pas à la rêverie. Le Château Moulin Riche 2006 qui est un second vin de Léoville-Poyferré a beaucoup plus de charme. Il batifole volontiers et donne du plaisir à boire. S’il manque de coffre et de longueur, il n’en est pas moins agréable. Le vin qui est au cœur de la dégustation, c’est le Château Léoville-Poyferré 2004 qui est remarquablement fait par Michel Rolland, le « flying winemaker » connu de la terre entière du vin. On glose beaucoup sur le style Michel Rolland, mais je suis très satisfait de ce vin. Il se trouve que j’ai bu le millésime 1943 il y a peu de temps et je trouve une similitude frappante en ce qui concerne la délicatesse et le velouté. On est à plein dans le style Léoville-Poyferré, ce qui est à l’honneur de Michel dont les mauvaises langues, souvent jalouses, disent qu’il fait le même vin partout.

Pendant que nous buvons et grignotons, chacun cherche le lien qui existe entre la musique et les vins. Et bien sûr, chacun réagit en fonction de son histoire, de son vécu et de sa perception de la musique et du vin. Cela fait tellement de paramètres que l’émotion est totalement personnelle, sans que l’on puisse imaginer que deux personnes puissent ressentir la même chose. Et je me suis mis à imaginer le vin que je mettrais sur chacun des morceaux que nous avons écoutés. L’un des morceaux, le premier, prélude et fugue en do mineur allait vraiment avec Le Crock 2004, de même que le premier morceau qui accueillait le Léoville-Poyferré, une chaconne en ré mineur lui collait avec exactitude. Mais Bach est multiforme aussi ai-je pu imaginer un vin de Loire sur un prélude pour orgue, un sauternes sur un Vivace d’un fils de Bach, un Montrachet sur l’andante du concerto italien en ré mineur cependant que l’étrangeté du son de la viole de Gambe m’a irrésistiblement fait penser aux vins du Jura, aux mêmes ésotérismes. Georges eut la gentillesse de me passer la parole pour que j’évoque les vins anciens. L’intérêt d’un public de mélomanes, c’est qu’ils ont une ouverture d’esprit et une écoute admirables.

Mêler, comme nous le fîmes ce soir, l’émotion de la musique et l’émotion du vin est un plaisir d’esthète.