le réveillon du 31 décembre 2007 à Carqueirannelundi, 31 décembre 2007

A 17 heures j’apporte les vins chez nos amis et j’ouvre les vins pour qu’ils s’oxygènent. Nous récitons le scénario et je suggère que l’on ajoute une viande pour pouvoir profiter un peu plus longtemps des trois vins rouges. Mon amie part en ville, fait relever le rideau métallique baissé du boucher qui avait fini son année, chambres froides quasi vides, et revient avec de l’onglet.

Après les premiers vœux télévisuels de notre Président, nous arrivons chez nos amis. Catherine nous explique qu’elle tremble depuis un mois. Elle sait en effet que j’écris le récit de mes aventures qu’elle lit toutes. La perspective d’une faute qui serait stigmatisée dans mes écrits l’a poussée à tout raffiner. Ce fut d’une délicatesse remarquée. Elle peut souffler, il n’y aura pas de critique.

Nous commençons l’apéritif avec un Champagne Ruinart non millésimé très expressif et fort agréable. Il est suivi par un champagne Laurent Perrier Grand Siècle beaucoup plus doux qui va mettre en valeur les oursins pêchés du matin. La combinaison de ce champagne charmeur avec l’iode et le sucré de l’oursin est remarquable.

Il reste quelques gouttes du champagne pour accueillir les huîtres creuses de Marennes Oléron. La cohabitation est gouvernementale, c’est-à-dire polie, et vite oubliée, car le Bâtard-Montrachet domaine Ramonet 1992 crée ce qui est sans doute le plus bel accord avec des huîtres que j’aie jamais rencontré. C’est saisissant au point que toute la table est stupéfaite. Nous restons longtemps à profiter de cette combinaison, comme si l’on pouvait la rendre éternelle. La multiplication des saveurs, le dialogue qui s’instaure entre l’huître et le vin font partie de ces moments rares où l’on comprend qu’une dimension supplémentaire est ouverte, quand la symbiose est aussi réussie.

Le plat suivant avait donné lieu à de nombreux échanges de mails entre Catherine et moi. Mon insistance pour la pureté clinique des goûts est la négation de toute fantaisie. On comprend en mangeant et buvant que c’est ce qu’il faut faire. Le tartare de rascasse sur un lit d’épinard est une chair totalement nue découpée en petits dés sur des feuilles qui n’ont pas le moindre assaisonnement. Et le Château Chalon Fruitière Vinicole de Voiteur 1966 joue juste sur ces saveurs claires. Il faut du temps pour s’acclimater et j’ai déclaré un peu trop vite que le vin jaune est trop fort et écrase l’accord. Car en fait, quand le palais est habitué, l’accord est très subtil, avec ce vin envoûtant que tout le monde aime à cette table. Notre ami s’est mis à frotter un peu de vin jaune sur la peau de l’intérieur de son poignet, pour nous faire sentir les accents de marc du vin jaune. Chacun se mit à l’imiter et nous avons comparé la noblesse et la variété de la texture de nos peaux. Nous avons inventé un parfum millésimé. La fortune nous attend.

Claude, notre ami, gère la cuisson des langoustes sur son barbecue. Il gère et gèle, car il fait un froid redoutable sous le ciel étoilé. Là aussi, c’est la simplicité qui domine, quelques feuilles de sauge étant le seul complément admis sur des demi-langoustes qui ne cuisent que sur le côté carapace. La chair délicieuse va accompagner trois vins rouges. Le Château Cheval Blanc 1994 a une belle couleur profonde et racée. Le Chambertin Edouard Jantot 1961 a une couleur d’un rose élégant. L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 a une couleur sang de pigeon très prometteuse. Tout oppose les parfums de ces trois vins ce qui va rendre l’expérience passionnante. Le nez du chambertin est séducteur dans une douceur feutrée, celui du bordelais est racé et celui du rhodanien annonce du muscle sous la chemise. La chair accueille les trois vins, trop distincts pour se neutraliser, mais c’est mon gendre qui est le premier à signaler que le plus fringuant des trois sur la langouste est le Cheval Blanc. Et c’est évident, car il contrôle le mieux la chair typée. Sur le corail de la tête, le chambertin est plaisant. Chacun des vins est d’un goût appréciable, mais le Cheval Blanc 1994 – qui l’eût cru ? – s’est montré le plus adapté des trois.

Sur l’onglet « de la dernière heure », goûteux à souhait, juste poêlé et accompagné de flageolets, j’attendais le retour en grâce du chambertin et une complicité facile avec l’Hermitage, mais c’est encore le Cheval Blanc qui ramasse la mise. C’est lui qui parle le plus clairement à cette chair typée elle aussi.

Il est fort tard, nous nous étions embrassés sous le gui depuis plusieurs heures, aussi proposai-je de faire l’impasse sur la terrine de foie gras faite par mon épouse. Nous commençons à entamer un Sainte-Maure pour rechercher le vin rouge qui lui convient, et c’est l’Hermitage qui me semble le plus adapté. Nous passons ensuite au bleu de Termignon, au bleu de Gex et à la fourme de Montbrison qui accueillent le Château d’Yquem 1976. Ce qui est assez remarquable, c’est qu’Yquem 1976 est toujours parfait. C’est certainement l’un des plus équilibrés des Yquem actuels, combinant une jeunesse joyeuse avec un beau début de maturité. Les trois fromages judicieusement choisis se marient à merveille à l’Yquem. J’ai un petit faible pour le bleu de Termignon, pour son caractère salin, mais les trois ont brillamment accompagné l’Yquem.

Il n’était plus question de boire quoi que ce soit tant nous avions honoré les vins précédents, et le champagne prévu sur les desserts resta dans son coin. Un sorbet à la framboise et une glace à la vanille, accompagnés de petits gâteaux secs de chez Ré, « le » pâtissier de Hyères, furent sectionnés de long et en large et dégustés à l’infini, supports de discussions fort tardives d’un réveillon qui ne voulait pas s’éteindre. Dans la chaleur de l’amitié, une maîtresse de maison attentive et son mari ont permis de mettre en valeur des vins très variés de nombreuses belles régions. Mais le détail à signaler, qui a réellement ajouté à notre bonheur, c’est le choix pour chaque plat ou chaque intermède d’une musique appropriée. Ce fut fort juste et d’une grande émotion.

Le plus grand vin de ce grand réveillon, c’est le Bâtard-Montrachet Ramonet 1992. Le plus bel accord, c’est le féerique mariage de ce vin avec les huîtres. En petit comité dans le Sud, ce fut un beau réveillon.