le dîner de Jean-Philippe, point culminant de notre étélundi, 15 août 2011

Le point culminant gastronomique de nos vacances, c’est le dîner cuisiné chez nous par Jean-Philippe. Dès son arrivée nous avions défini les vins du dîner. L’air de rien, malgré les occupations sportives ou ludiques, Jean-Philippe tournait et retournait dans sa tête, à notre insu, les plats qu’il allait créer. A partir de 16 heures dans la cuisine occupée par Jean-Philippe aidé de deux amis, l’espace bourdonne, les produits virevoltent, les couteaux découpent, les mixers vrombissent et les sauces s’organisent. Puis, comme si de rien n’était, à 18 heures, Jean-Philippe joue une partie de tennis, décontracté comme jamais.

Le Champagne Salon magnum 1988 est très différent du 1997 que nous avons bu hier. Le caractère vineux est nettement plus intense. Le vin est solide, carré, d’une insolente jeunesse, avec de beaux fruits jaunes. Il est plus fruité que floral. Avec de fines tranches de Cecina de Léon, moins fumé que le précédent mais plus tendre, le champagne est impérial. Nous l’aimons beaucoup, mais, même si tout au long de la soirée, sa matière vineuse s’est épanouie révélant une structure remarquable, nous n’avons pas eu la plénitude que peut atteindre Salon 1988. Il est grand, mais pas au sommet que j’ai déjà rencontré.

La deuxième partie du champagne se prend à table avec un carpaccio de sébaste au pamplemousse. Dès ce premier plat, nous savons que Jean-Philippe va frapper très fort, car la justesse du plat est extrême, mais surtout le carpaccio donne une tension sensible au champagne.

Le Clos Joliette Jurançon sec 1974 se présente avec une couleur extrêmement foncée. Son nez évoque un liquoreux ou un Tokay. On pourrait s’attendre à un vin doux, mais la bouche est effectivement celle d’un vin sec. Légèrement oxydé, ce vin est pour moi extrêmement difficile à saisir, car on cherche en vain quelle direction il a voulu prendre. Veut-il aller vers les vins du Jura, vers les Château Grillet, vers certains fumés du Rhône, on ne sait pas bien. Mais la belle acidité de son abricot est remarquablement mise en valeur par le plat : filet de bar à l’unilatérale, avocat poêlé, jus d’abricot aux herbes diverses de la Provence. Il convient de remarquer que pour chaque plat, Jean-Philippe goûte le vin avant pour ajuster la force de ses sauces et la pesanteur de chaque épice. Et, chose incroyable, à chaque plat, nous avons l’impression que rien n’est prêt pour le suivant, alors qu’avec ses deux compères, il va exécuter les dressages et les sauces comme par magie. Le jus d’abricot a permis de donner au Clos Joliette un charme auquel je n’adhérais pas sans cela.

Le nez du Château Laville Haut-Brion 1980 est tellement fou de jeunesse que l’on sent le soufre des vins jeunes et on le ressent même en bouche. Si nous n’étions déjà des adorateurs de Laville, celui-ci nous convaincrait définitivement, car sa richesse dans les acidités est spectaculaire. C’est le prototype du vin sec parfait. Personne ne pourrait situer son millésime avant 2000 si on le goûtait à l’aveugle, tant sa vivacité est grande. Il se marie à des encornets, concombre à la verveine citronnée et purée de courgette et basilic. Avec chacune des trois composantes du plat l’accord est éblouissant, et comme dans les feux d’artifice on fait des oh et des ah lorsque l’on passe d’un accord à un autre. Ma préférence va à l’association créée par la purée de courgette et basilic, même si la tendreté de l’encornet et la précision de la verveine citronnée sont aussi de grands multiplicateurs du vin. C’est je crois l’accord suscité par ce plat que j’ai préféré.

Le Kistler Durell Vineyard Sonoma Coast 2008 a été vanté par Jean-Philippe car, si j’ai bien compris, son vinificateur a travaillé au domaine Ramonet, l’un des plus prestigieux pour les blancs de Bourgogne. Malgré cette carte de visite, je n’adhère pas du tout. Le vin est bon, c’est un chardonnay bien structuré, mais il n’y a pas d’émotion. Son nez est américain, et sa bouche l’est aussi. Il est accompagné par un plat magistral, un homard à la plancha, coulis de poivron jaune, sauce corail. Le plat est prodigieux, et aurait probablement mérité le Laville, avec quelques accommodements dans les pondérations.

François Parent, vigneron qui fait de beaux pommards, était venu nous rendre visite il y a deux ans à la même date, jour pour jour. Il nous avait offert un Pommard Epenots domaine Parent magnum 1969. J’attendais d’avoir des connaisseurs pour ouvrir ce vin. C’est fait ce soir. Le vin nous subjugue tous. La couleur est d’un rose foncé soutenu, sans trace d’âge. Le nez est prodigieux de finesse, avec des pétales de rose. Et en bouche, l’impression est saisissante. C’est un bourgogne d’une sensibilité exceptionnelle, très au dessus de ce que j’attendais. Nous faisons tous de larges sourires, car nous tenons devant nous un vin exceptionnel de subtilité, de grâce, de plaisir. Comment Jean-Philippe a-t-il pu créer un plat d’une telle justesse : quasi de veau basse température, endive confite aux pétales de rose, sauce au genièvre et à la rose. Le plat et le vin nous entraînent au septième ciel, le vin me ravissant par sa délicatesse.

Je voulais que nous restions sur la Bourgogne avec le Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2002. Le vin est presque noir si on le compare au pommard. Son nez est puissant, très beau. En bouche, c’est un seigneur. C’est la plénitude absolue du vin de Bourgogne jeune. Il a tout pour lui, la sérénité, l’équilibre, un fruité joyeux, et une opulence rassurante. Il est majestueux. La tentation bien sûr, c’est de voir si le pommard bu après le chambertin reste aussi brillant. Et à ma grande joie, c’est le cas. Car ce qu’il n’a pas en force de structure est compensé par sa subtilité gracieuse.

Lorsque j’étais chez mon boucher traiteur, j’avais repéré un filet de bœuf qui me paraissait dans un état parfait. Et Jean-Philippe a réalisé un filet de bœuf aux épices douces Tepanyaki, courgettes au Raz el hanout cuit divinement. L’accord avec le Clos de Bèze est d’une évidence confondante, comme chacun des accords de ce dîner. Nous avons continué longtemps à siroter les deux bourgognes enthousiasmants.

Le Château Gilette Crème de Tête 1953 est d’un or ambré absolument magnifique. Le nez est une bombe d’abricot et en bouche, le confort d’un sauternes à parfaite maturité est exemplaire. Le vin est doucereux et procure un plaisir rare. Ma femme a réalisé une tarte aux mirabelles qui va comme un gant au liquoreux. Elle est tellement bonne qu’elle est vite absorbée aussi aimerions-nous un autre dessert. Le sauternes respire tellement l’abricot que nous supplions notre chef de réaliser quelque chose avec des abricots. Comme l’artiste qui fait durer le doute sur sa volonté de bisser son spectacle, Jean-Philippe se fait prier, estime que sa prestation est terminée. Mais en fait il réfléchit à ce qu’il a envie de faire. Il poêle des demi-abricots sur la plancha et concocte une caresse de gingembre, qui vont propulser le Gilette à des hauteurs insoupçonnées tant il prend une tension extrême. Il devient magique.

Tomo ayant offert il y a près de deux mois un Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967 titrant 58,4°, c’est sur ce merveilleux whisky sentant le cuir et extrêmement chaleureux malgré son degré d’alcool que nous avons fini ce repas qui est le point culminant de notre été. Tous les plats ont été d’une justesse exceptionnelle par rapport aux vins. Ce fut grand.

Mon classement des vins est : 1 – Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2002, 2 – Pommard Epenots domaine Parent magnum 1969, 3 – Château Gilette Crème de Tête 1953, 4 – Champagne Salon magnum 1988, 5 – Château Laville Haut-Brion 1980.

Jean-Philippe ayant pris goût à cet exercice reviendra dans quinze jours cuisiner pour l’ami autrichien amateur de vins, car Yvan Roux ne sera pas disponible à la date prévue. Fera-t-on mieux la prochaine fois ? A suivre.