dix millésimes de Haut-Bailly au restaurant Tailleventlundi, 6 octobre 2008

Le Château Haut-Bailly organise un déjeuner de presse au restaurant Taillevent. Dans cette merveilleuse salle lambrissée dont je commence à devenir un pensionnaire, les journalistes les plus lus ou écoutés sur le vin en France sont rassemblés autour de Robert G. Wilmers, propriétaire du château depuis 1998, et de Véronique Sanders, l’âme de cette prestigieuse propriété. Le prétexte est de faire le point sur dix millésimes depuis la reprise, pour voir le travail accompli. Dans le petit salon chinois, nous commençons à « travailler » puisqu’on nous propose La Parde de Haut-Bailly 2006, second vin au nez frais et poivré, avec une pointe d’anis étoilé. L’astringence et l’amertume ne sont pas gênantes, et l’on apprécie un vin assez strict, charnu au final de belle jeunesse. Le Château Haut-Bailly 2007 est tiré de fût où il poursuit son élevage. Son nez apparemment discret ne peut cacher l’intensité du vin. On perçoit en bouche de la myrtille et du bois. Il est presque floral. Le final est plaisant, mais laissons à ce bambin le temps de s’assembler encore. Il m’évoque les années en « 7 » et surtout le 1987. Il s’anime sur des gougères, tradition du lieu. J’aime assez ce 2007 qui n’est pas trop puissant.

Le rosé de Haut-Bailly 2007 correspond à une demande à l’exportation. Je ne pleurerai pas trop longtemps sur cette fuite hors de nos frontières, car même s’il est bien fait, c’est un rosé, vin pour lequel je n’ai pas développé, sauf de rares exceptions, un amour profond.

Nous passons à table et Véronique rappelle les conditions du rachat à sa famille et la confiance spontanée de son grand-père à l’endroit de Robert G. Wilmers, lorsqu’il était candidat à l’achat du château. J’ai pu repérer pendant les repas les regards de Véronique vers le propriétaire, emprunts d’une grande confiance et d’une belle connivence.

Le menu préparé par Alain Solivérès et Manuel Peyrondet est très adapté à la mise en valeur des vins subtils de Haut-Bailly : amuse-bouche à base de cèpes / tarte fine aux cèpes / selle d’agneau piquée à la sarriette, pommes de terre sautées et oignons / fromages de nos provinces / tarte renversée au chocolat.

Nous allons goûter tous les millésimes de 1998 à 2006. Le Château Haut-Bailly 1999 est manifestement rendu joyeux par les champignons. Il est délicieux, très épanoui, large, intelligent. Le Château Haut-Bailly 2002 a une attaque plus légère mais son final est fort. J’aime aussi l’intensité du final du 1999. Le Château Haut-Bailly 2003 est élégant, un peu strict avec une légère amertume. On sent qu’il a besoin d’un plat. A ce stade, l’ordre de mes préférences est : 1999, 2003, 2002, alors que Véronique Sanders dit que le plus léger des trois est le 1999. Il se trouve qu’il me procure plus de plaisir du fait de son évolution. Dans le verre, les 2002 et 2003 s’épanouissent, largement aidés par les cèpes, mais le 1999 continue de me plaire.

La deuxième série comprend le Château Haut-Bailly 2000 au nez absolument merveilleux, d’une grande race. Le nez du Château Haut-Bailly 2004 est plus discret et celui du Château Haut-Bailly 2005 est résolument différent, beaucoup plus puissant. Le 2000 a un goût très plaisant. Sa petite amertume joue surtout sur le final. Il a une joie qui s’estompe assez vite. Le 2004 est très joyeux, très pur. Son fruit est beau. Il est bien construit, doté d’un beau final. Du fait de l’année, il manque un peu de charme, même si sa construction est réussie. Le 2005 est brillant, puissant, généreux, pur et droit. Il y a du poivre et du bois, au sein d’un bel équilibre. C’est objectivement un grand vin.

Le poivre du 2004 est exacerbé par le plat. Le 2000 a de l’élégance. Il est charmeur et équilibré dans toutes ses composantes. Le 2005 est parfait. C’est un vin naturellement doué et tout en puissance. Le 2004 fait jeu assez égal avec le 2000, aussi mon classement de cette série est : 2005, puis ex aequo 2000 et 2004.

Le Château Haut-Bailly 1998 a un nez très différent des autres. Il y a en lui des signes d’un début de maturité, à ne pas confondre avec un début d’évolution. Le Château Haut-Bailly 2001 a un nez très séduisant et subtil. Le 1998 est déjà bien avancé dans son adolescence, bien rond et poivré, manquant un peu d’opulence, mais je l’aime bien. Il convient de dire que chacun de ces vins a le style Haut-Bailly que j’apprécie particulièrement, fait d’élégance discrète, exactement comme celle qui caractérise  la vigneronne qui le fait. Le 2001 est assez gras, ce qui est plutôt inhabituel. Il est velouté et je le trouve très différent des autres, ne manquant pas d’intérêt.

Sur le saint-nectaire qui lui va comme un gant, le 1998 se simplifie et c’est très beau. Le 2001 d’un bel équilibre forme avec le 1998 un couple cohérent.

Le Château Haut-Bailly 2006 a un nez très jeune de la même veine que celui de La Parde. En bouche il est très rond, plein, de grande beauté. Il a beaucoup de fruit et d’âpreté. Chaleureux, charmeur, ce vin a toutes les qualités.

C’est assez difficile de faire un classement des vins que nous avons bus, tous charmants pour leur millésime, mais je me risquerais à le faire ainsi : 2005, 2006, 1999, 2000, 2004. Celui dont la place est la plus inattendue est le 1999 dont j’ai aimé le caractère viril et inhabituel. Beaucoup de mes voisins ont aimé le 2003 plus que moi et Manuel Peyrondet, le sommelier de Taillevent qui a préparé l’événement et choisi avec succès l’ordre de passage, n’a pas du tout mordu au 2005 qu’il a du mal à accepter à ce stade de son évolution. Ceci prouve que les goûts et appréciations peuvent varier.

Véronique Sanders voulait montrer le travail accompli sur dix ans sous son autorité, avec la confiance de son propriétaire. La démonstration est réussie car le style authentique de Haut-Bailly a été préservé et les améliorations techniques qu’elle a mises en œuvre ont permis de gagner en précision et en richesse. Véronique, enceinte de près de huit mois se prépare à donner la vie à un enfant. Elle pourra le faire dans la sérénité, car son autre bébé, qui se recrée chaque année est un bébé dont elle peut être fière, l’un des plus constamment plaisants de la planète des vins de Bordeaux.