Dîner féérique à l’Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujonvendredi, 31 mai 2019

Nous prenons la route vers Fontjoncouse, petit patelin de 150 habitants peut-être, que l’on atteint par des routes étroites et sinueuses, dans un paysage sauvage de toute beauté. L’hôtel de l’Auberge du Vieux Puits étant complet quand nous avions réservé, nous sommes logés à deux minutes à pied dans le « Logis », où les chambres ont les noms de grands chefs que Gilles Goujon a rejoints dans le Panthéon de la cuisine française. Nous avons la chambre Jacques Maximin et nos amis la chambre Alain Chapel. Les chambres sont minuscules. On est loin du standard des hôtels qui sont associés à des restaurants trois étoiles.

Aussi bien au logis qu’à l’hôtel la décoration est majoritairement réalisée en ferronnerie, avec des thèmes de clous et pour le portail de l’hôtel des boîtes de conserve ouvertes de sardines où trône le logo du chef qui est une arête de sardine stylisée.

L’apéritif se prend à l’extérieur sur une petite terrasse où la décoration est faite de tonneaux de vins et de douelles comme dossiers. Pour l’apéritif nous commandons un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 2008. Il est déjà très affirmé, solide, et se montre plaisant par son équilibre. La puissance qu’il développe est spectaculaire. Il va nous suivre pour les amuse-bouches de l’apéritif mais aussi pendant tout le repas.

Sur un chevalet lui aussi en ferronnerie il y a quatre petites portions pour chacun, un carré de pain à la crème de truffe, un rond de pain soufflé d’une autre crème, une patate de mer au violet et une tartelette avec asperge, agrume bille de mozzarella di buffala et une gelée à l’ail des ours. C’est délicieux et cela plante bien le décor.

Nous choisissons le menu « Air de fête en Corbières, confiance et plaisirs canailles » dont le détail n’est pas donné. Dans ce contexte le choix des vins n’est pas facile, mais le sommelier m’a intelligemment suggéré de ne prendre que du blanc. Il a eu raison. Il voulait que je choisisse un blanc de la région, ce que j’aurais fait volontiers, mais j’ai vu sur la liste des vins un Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2015 que je ne pouvais pas laisser passer. Le sommelier m’a dit qu’il l’avait entré en cave le matin même. Coïncidence.

Sur la table il y a deux pains d’un artisan boulanger de Perpignan et divers beurres à la betterave, à l’algue ou au jus d’huitre et au piment d’Espelette.

Le menu que l’on ne connait pas est ainsi rédigé sur le document que l’on m’enverra le lendemain : Huître Tarbouriech perlée, légèrement fumée au bois de hêtre, en gelée de son eau / L’œuf poule Carrus « pourri » de truffe melanosporum, sur une purée de champignons, briochine tiède et cappuccino à boire / Des Petits Pois ?… des Petits Pois ! Quels Petits Pois ?… Ceux de William Saury bien sûr ! / Mitonnée aux jeunes pousses de salade, première cèbe de printemps en croûte de sel et cardamome, quelques fraises acidulées / Laitue celtuce, farcie en mousseline de champignon premiers cèpes, saint Georges, giroles et mousserons en salade et vinaigrette à l’huile de noix / Filet de rouget barbet, pomme bonne bouche fourrée d’une brandade à la cébette en « bullinada », écume de rouille au safran / Pomme de ris de veau, morille fourrée en mousseline de foie gras et ris de veau, pointes d’asperges / Chariot de fromages, affinés des Corbières surtout… mais aussi d’ailleurs / Vrai faux citron de Menton délicatement cassant, sorbet citrus bergamote et kumquat du Japon du Mas Bachès crème thym citron, meringue croustillante / Les mignardises du Vieux Puits

L’huître de l’étang de Thau est surmontée par une petite boule de sucre transparente. Avec un marteau en métal on doit doucement casser la sphère et sentir l’effluve qui évoque la fumée de cheminée. C’est amusant et l’huître avec sa gelée est délicieuse. Le champagne Pol Roger s’accorde à merveille avec l’huître délicieuse à l’iode calme. Le maître d’hôtel ramasse rapidement les marteaux que nous avons utilisés. On n’est jamais trop prudent !

L’œuf est un des plats incontournables de Gilles Goujon. Quand on perce le blanc on a l’impression que le jaune est « pourri » comme le dit le titre du plat mais c’est gourmand au possible. Le Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2015 a un nez époustouflant combinant richesse et noblesse. En bouche il est brillant et sa majesté fait un peu d’ombre au champagne pourtant incisif. La petite crème laiteuse que l’on boit à la pipette fait un peu fade à côté de l’œuf si brillant.

Un maître d’hôtel vient découper devant nous deux croûtes d’argile qui renferment des oignons dont il ne prend que les cœurs. Et ces cœurs accompagnent des petits pois à se damner. Ce plat est irréellement bon. On pourrait croquer les jeunes petits pois sans s’arrêter ad vitam aeternam. Le champagne est plus adapté sur ce plat.

Le plat de laitue et de champignon est d’une exécution inimaginable. Comment peut-on mettre tant de talent et de brio dans un plat aux composants si simples ? Il faut un talent fou. Nous nous régalons et tout particulièrement de la racine de la laitue qui est fourrée. Douceur et merveille. Le chablis est joyeux sur ce plat.

Le miracle arrive maintenant. Une cuiller est en surplomb de l’assiette du rouget. On vient asperger d’un jet fort la rouille qui est dans la cuiller et elle inonde le rouget et le cube de pomme de terre qui renferme le foie du rouget. La richesse épicée de la rouille fondue est une merveille absolue. Elle propulse le chablis à des hauteurs incroyables. Le vin est vif et étincelant tant les épices l’excitent. Des plats de ce niveau sont rares. Modestement Gilles Goujon nous dira plus tard que ce n’est pas le plus difficile à faire. Je n’en crois rien car ce niveau de perfection est quasi inatteignable.

Le ris de veau avec ses morilles et ses asperges vertes est un plat beaucoup plus classique mais son exécution est parfaite. Le chablis devient quasiment doux à côté de ces saveurs viriles. Le ris de veau à peine cuit est tellement bon sous cette forme !

Le plateau de fromage est gigantesque et présenté avec élégance. J’ai passé mon tour.

Le dessert au citron, véritable prouesse technique, est aussi un incontournable du lieu. La meringue est fondante et l’acidité citronnée est rafraîchissante. Le champagne reprend le leadership sur le dessert et les mignardises.

Les salles sont immenses. Le service virevolte mais manque un peu de coordination au point que l’on attend parfois longtemps avant que quelqu’un ne s’aperçoive que notre table exprime un désir. Le service de notre sommelier a été appréciable. Il y a parmi les maîtres d’hôtel des personnalités de grand talent. C’est la première fois que je vois dans un restaurant que des lampes implantées dans le plafond s’allument au moment où l’on est servi et s’éteignent quand on a fini le plat. Ça a le mérite de permettre de prendre de belles photos des plats, même si ces variations de luminosité sont parfois surprenantes.

Le chef est un passionné. Nous avons bavardé à la fin du repas et l’on sent à quel point sa cuisine est fondée sur la pertinence des produits. Il suit avec un soin jaloux tous ses fournisseurs et avec quelques chefs étoilés du pourtour méditerranéen ils mettent ensemble leurs expériences et leurs approvisionnements. Il y a dans la cuisine de Gilles Goujon un talent dans l’exécution et une générosité qui sont exceptionnels. Ce repas est un très grand repas.

Classer les plats serait très difficile tant ils sont différents. Je mettrais en premier le rouget, en second les petits pois et le troisième laitue et champignon. Bravo à ce grand chef qui nous a régalés.

le logis où nous avons nos chambres, annexe de l’hôtel

porte serviette et couteau avec le sigle maison en arête de poisson

encore le sigle