Dîner avec mon fils et la résurrection d’un Oenothèquevendredi, 4 mars 2016

Nous venions à peine de nous quitter que revoici mon fils, en France pour sa visite mensuelle dans notre société familiale en aval de la sidérurgie. Il est arrivé ce matin. Il m’a envoyé un whatsapp pour me demander si je souhaite qu’il achète des choses pour le dîner. Nous serons tous deux seuls puisque ma femme est dans le sud. Je n’ai pas lu son message mais je passe chez l’épicière kabyle prendre une chiffonnade de jambon fumé et un camembert puis chez la boulangère une baguette. Mon fils a fait un seul achat, des têtes de nègres, ce qui est une institution dans notre famille depuis toujours, pimentée depuis l’interdiction de l’intitulé alors que pet-de-nonne, à ma connaissance, est toujours d’actualité. J’ouvre un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 2000. Ce qui me frappe, c’est la sérénité de ce champagne. On dirait un champion de décathlon, athlète doué dans les dix disciplines. Il est bien, confortable et suffisamment vif, sans une typicité qui serait trop affirmée. C’est un grand champagne, cohérent, et qui n’a pas besoin de rouler des mécaniques pour qu’on l’aime. Il sait aussi être de soif.

Nous discutons de tout et de rien, le champagne nous écoute et il rend l’âme comme après le passage des gnous sur les hauts plateaux du Serengeti. Rien n’irait avec la meringue chocolatée, mais nous n’allons pas nous laisser influencer par les obstacles. J’ouvre un Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008. La couleur de la bouteille est belle, avec des tons d’alcôves. Le parfum du champagne est incroyablement intense et le vin est vif comme un sabre. Il y a même dans sa parure la force métallique d’une armure. Il est grand et susciterait nos applaudissements si ce n’était pas un Dom Pérignon. Et dans ce jugement je veux bien admettre que c’est moi et moi seul qui ai cette réaction. Car avec un parfum impérial et une vivacité de samouraï, que demander de plus. Je suis peut-être le seul à regretter qu’il n’y ait plus le romantisme courtois de ce qui fait pour moi Dom Pérignon. Mais ne boudons pas notre plaisir. C’est un immense champagne, dans une voie différente des Dom Pérignon de dégorgements d’origine que j’affectionne.

Une jolie petite bouteille de Chartreuse jaune des années 20 peut-être, certainement d’avant-guerre, est quasiment à sec. Je propose qu’on lui fasse un sort. Le liquide est gras, épais, le parfum est doux et poivré. Indéniablement il y a eu de l’évaporation mais le message d’herbes est toujours suffisamment suggéré. L’histoire des moines, la mémoire d’Umberto Eco, tout se bouscule dans nos cerveaux et sur nos langues, l’épaisseur de la liqueur où la réglisse est marquante a quelque chose de religieux.

Le lendemain, c’est une vraie surprise. Le Dom Pérignon, resté dans la porte du réfrigérateur avec son bouchon, délivre maintenant un parfum beaucoup plus calme, sans le côté guerrier de la veille. Et le goût, délicieusement romantique est la plus belle expression de ce que j’aime dans Dom Pérignon. Il transcende le 1996 de Dom Pérignon que j’adore. Il semblerait donc qu’il faut abondamment aérer les Œnothèques pour qu’ils retrouvent la grâce infinie et romantique de Dom Pérignon. Mon désir de retrouvailles a été exaucé. Merci à Dom Pérignon de m’avoir envoyé ce signe.

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pâtisserie sphérique composée de deux hémisphères de meringue collés par une mousse au chocolat; le tout saupoudré de pastilles de chocolat et de sucre glace : bref, tête de nègre.

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