Deux dîners de familledimanche, 23 avril 2017

Comme chaque mois, mon fils vient de Miami à Paris. Le premier dîner est toujours le même : jambon ou foie gras, au choix, fromages divers, et les meringues chocolatées que nous adorons depuis toujours, notamment à cause de leur nom, qui est un bel exemple du politiquement correct. Et je ne résiste pas à raconter l’anecdote de ma femme allant acheter les fameuses meringues. Elle va à la boulangerie et demande à une vendeuse : « avez-vous des merveilleux ? ». La vendeuse la regarde et va voir sa patronne, ne sachant de quoi il s’agit et la patronne, de loin, lui dit : « mais ce sont les têtes de nègre ». Depuis des années je m’insurge devant cette hypocrisie bienpensante qui a été d’ailleurs reprise dans un film récent « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ». Revenons à nos moutons. Le Champagne Dom Ruinart 1990 est une institution. C’est une des plus grandes réussites de Dom Ruinart. La bouteille est belle, avec son étiquette noir et or. Le vin est très clair, la bulle est très active. Et la première et immédiate sensation est la fraîcheur. Ce champagne serein, élégant, brillant, de grande longueur est surtout « frais », champagne de belle soif, qui ne demande qu’une chose, qu’on en reprenne. Ce champagne d’une rare fraîcheur et d’une belle élégance est un vrai bonheur et l’on ne détaille pas ses composantes, tant il est heureusement intégré.

Il apparaît assez vite qu’il faut lui trouver une suite et ce sera un Champagne Selosse V.O. version originale, dégorgé le 2 mars 2007. Il est très ambré comparativement au Ruinart très clair bien que plus jeune et le premier contact me dérange. Il y a une acidité si prononcée que je ressens des accents de cidre plus que de champagne. Mais cette impression va se corriger très vite, et le champagne va s’épanouir pour devenir plaisant. C’est un champagne plus typé, voire fumé, vineux, plus blanc de blancs qu’à son ouverture, avec une belle râpe, qui va le rendre de plus en plus plaisant, sur un registre sans concession.

C’est Philippe Bourguignon, l’ancien directeur du restaurant Laurent qui, le premier je crois, a signalé l’accord champagne et camembert. Et j’avoue que je suis devenu un adepte de cet accord qui a marché particulièrement bien avec le Ruinart.

Le lendemain, ma fille cadette nous rejoint avec ses enfants et au dîner il y aura poulet. Ma fille arrive assez tôt dans l’après-midi et il est tentant de goûter ensemble le reste du Selosse. Il a grandi en intensité de façon spectaculaire. Nous sommes maintenant face à un très grand Selosse. Nous grignotons du saucisson, de la poutargue, du jambon en fines tranches, et très vite il faut trouver un remplaçant au V.O. de Selosse. Je regarde ce qui est au frais et comme demain ce sera mon anniversaire pourquoi ne pas faire une folie ? J’ouvre un Champagne Krug Vintage Magnum 1990 de la même année que le Dom Ruinart bu la veille. La bulle est très active et la couleur est très claire. La noblesse de ce champagne est exceptionnelle. Comme pour le Dom Ruinart 1990, on est à un stade d’accomplissement « naturellement » parfait. On pourrait ressentir des fleurs ou des fruits, mais pour moi, ce sont d’abord des fruits rouges, puis des fruits blancs et jaunes et seulement ensuite on pense au côté floral. Le tout est d’une distinction exceptionnelle. On est dans le raffinement absolu.

Le dîner consiste en un poulet bio avec deux purées de pommes de terre, dont une à la truffe. Il y a quatre heures j’avais ouvert une bouteille de Château Pape Clément 1929 au niveau à la limite basse de l’épaule. Le bouchon très noir et sec s’est cassé, et la première odeur très poussiéreuse n’excluait pas un retour à la vie. Mais au moment du service, même si le parfum montre un progrès très significatif, le vin est plat et n’a pas complètement dévêtu sa gangue de poussière. Il reviendra peut-être demain, laissons-lui cette chance, mais pour ce soir, le plaisir ne sera pas au rendez-vous, alors que la couleur du vin est très acceptable, n’affichant pas de tuilé.

J’ouvre pour compenser un Volnay Caillerets Premier Cru Ancienne Cuvée Carnot Bouchard Père & Fils 2009. Si l’on change de vin, autant prendre un vin résolument différent. Ce bourgogne dans la fraîcheur de son ouverture est du bonheur pur. Il est joyeux, spontané, il porte en lui toute l’âme de la Bourgogne avec une belle râpe. Ce vin n’est que du bonheur. Quel plaisir simple de boire ce vin franc, joyeux et bien fait. Il y a des vins plus complexes, mais celui-ci est d’un authenticité totale. Je l’adore.

Une tarte fine aux pommes finit le repas sans appeler un quelconque accord avec le champagne ou le vin rouge. Nous finirons demain le magnum de champagne pour mon anniversaire et nous verrons si la Pape Clément 1929 est capable de ressusciter. Je ne crois pas aux miracles, mais il faut donner une chance à tous les vins.