212ème dîner de wine-dinners au restaurant Akramevendredi, 21 avril 2017

Le 212ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Akrame. J’étais venu déjeuner en ce lieu il y a quelques semaines pour étudier la cuisine du chef Akrame Benallal en insistant sur la nécessité de la cohérence des goûts présents dans les plats qui accompagnent les vins anciens. Autant ne pas laisser de place au suspense, pour un coup d’essai, Akrame a fait un coup de maître. Ce dîner fait partie des plus intelligents dîners que j’aie eu la chance d’organiser avec des chefs.

J’arrive au restaurant un peu avant 17 heures et je suis accueilli par Marion, sympathique, souriante qui se met immédiatement à ma disposition. Rapidement Yohann Vallade le directeur de salle nous rejoint, qui lui aussi est attentif à tous mes désirs. Je peux donc ouvrir les bouteilles et toutes les odeurs sont de belles promesses. Le Cos d’Estournel 1919 a un parfum de fruits rouges tellement généreux que je décide de mettre un bouchon pour conserver précieusement cette richesse olfactive. L’Yquem 1928 a un parfum si expressif que je le fais sentir à Laurie qui officie en cuisine afin qu’elle capte ces senteurs pour composer le dessert prévu sur ce vin et je le fais sentir à Akrame avec le même objectif. Tout se présente bien. Il ne me reste plus qu’à attendre mes convives.

Il y aura quatre couples autour de la table ce qui fait que nous serons neuf. Il y a six habitués et trois nouveaux. J’avais prévu que nous prendrions l’apéritif dans la jolie cour intérieure qui est devant l’entrée du restaurant mais le froid est vite tombé aussi l’apéritif se prend à notre table.

Les amuse-bouche sont : ananas fumé / cracker d’avocat kiwi / brioche tomate mimolette / papier végétal et anguille fumée. Le Champagne Bollinger Grande Année Magnum 1985 est d’une jolie couleur encore claire mais qui commence à s’ambrer. La bulle est très active et le champagne est extrêmement confortable. Il est franc, pâtissier, avec des évocations de beurre. L’ananas fumé est une entrée en matière très originale qui fait ressortir le miel du champagne. La brioche à la tomate est idéale pour le champagne qui s’embourgeoise. C’est à mon goût le papier végétal et l’anguille qui excitent le mieux ce beau champagne très consensuel. Une des convives regrette que dans sa famille on se soit débarrassé à vil prix de champagnes anciens, car on croyait qu’un champagne ancien n’a aucun intérêt. Sa famille n’est pas la seule à avoir commis une telle erreur.

Le menu mis au point avec le chef Akrame Benallal et réalisé par lui avec son équipe est : L’iode : caviar, huître et feuille d’argent / Le fond marin : homard poché minute et jus de homard / La mer : bar animal et sa peau / L’oiseau : pigeon au vadouvan / La terre : bœuf et beurre de cacao sauce betterave / Le plaisir sucré : nuage de mangue et orange confite, fleur de souci. J’ai rarement vécu un dîner avec une telle lisibilité des plats. La mise au point que nous avions faite avec le chef a donné des résultats spectaculaires, grâce à son talent.

Le caviar au gros grain gris est très doux et c’est l’huître qui apporte l’iode qui se confronte au Champagne Krug 1982. Ce champagne est un guerrier. Il est vif, explosif, conquérant. C’est un très grand champagne que j’adore mais qui passe assez difficilement après le caractère tranquille et bienveillant du Bollinger. Il aurait fallu peut-être un plat plus riche pour que le Krug se batte avec des saveurs qui s’opposent à lui. Mais l’accord de l’huître avec le Krug est magnifique si l’on accepte la vivacité du Krug.

Le homard arrive cru dans un petit vase en verre et Akrame verse un bouillon qui va lentement cuire le crustacé. Lorsque le homard à peine cuit est posé sur la réduction, on nous sert les deux vins blancs. Le Château Haut-Brion blanc 1960 crée ce moment magique où tout le monde se demande comment un vin blanc de 56 ans peut avoir une telle énergie. C’est assez fascinant et si la chair du homard est divinement tendre car elle cuite avec une exactitude absolue, c’est la réduction faite avec des éléments de chair et de carcasse qui crée un accord stupéfiant avec le vin de Graves.

Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 a un nez très franc et direct, envahissant et charmeur. En bouche, c’est le « gendre idéal ». Il est tellement intégré, lisible, construit et attendu que c’est un régal mais ce n’est pas lui qui crée l’accord avec le homard, c’est le Haut-Brion.

Le bar est associé à deux bordeaux et il deviendra tout à fait naturel pour tout le monde qu’un poisson puisse se marier avec des vins rouges. Le Château Certan de May de Certan Pomerol 1955 a une couleur de vin jeune exceptionnel. C’est un rouge-sang opulent. En bouche le vin est d’une mâche parfaite. Je sens en lui de la truffe que l’on croque. Akrame a fait pour le bar une sauce viande qui crée un accord naturel avec le pomerol.

Le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1919 qui avait à l’ouverture un fort parfum de fruits rouges l’a toujours. La couleur du vin est moins nette et plus rose. En bouche, il faut se concentrer pour bien saisir les nuances de ce vin subtil et tout en finesse. Il sait aussi être charmeur avec du velours bien esquissé et je suis content car mes convives ont su comprendre ce vin au point de lui donner des votes généreux. C’est lui qui sera nommé premier le plus grand nombre de fois. L’association du bar et aussi de la peau craquante est naturelle avec ces deux vins. C’est un grand moment.

Nous allons quitter maintenant les couples de vins, chacun des suivants apparaissant seul sur un plat. Le Beaune-Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1988 est associé à un pigeon expressif et tendre mais aussi fort en goût. Le Beaune est si jeune mais déjà si brillant. Tout en lui est confort et le vin se fortifie au sang du pigeon. C’est de la gourmandise pure.

Le Chambertin Bouchard Père & Fils 1971 est associé à un bœuf magistral. Celui qui l’a préparé est venu nous en parler. C’est un bœuf français maturé 32 jours, au goût profond, imprégnant et avec le chambertin si féminin, jouant sur la luxure l’accord est d’une pertinence rare. Le vin entoure la viande de ses sept voiles et la dompte au point qu’elle fond en bouche délicieusement. Les notes de chocolat et de betterave, juste suggérées, ajoutent au plaisir de ce vin d’un équilibre rare. Ça paraît si naturel qu’un vin de 46 ans paraisse en avoir moins de 20.

La mangue et son orange amère confite est un plat absolument idéal pour un vin légendaire, le Château d’Yquem 1928. Ce vin a son bouchon d’origine, parfait, et le goût de mangue et de fruits exotiques est d’une pureté absolue. Je serai le seul à le mettre premier dans mon vote, car j’ai un indéfectible amour des sauternes quand ils sont parfaits. Ce vin est de l’or fondu qui coule dans le gosier.

Autant j’avais demandé à Akrame que pour l’Yquem le dessert ne soit pas un dessert mais un goût, c’est-à-dire que le goût doit l’emporter sur la « façon », autant pour le Banyuls Grand Cru SIVIR 1929 j’ai suggéré qu’on se lâche et qu’on abuse des gourmandises, ce qui donne ces après-desserts : dattes Medjoul / pâte d’amande – café réglisse / pruneaux – truffe chocolat, truffe blanche / figue confite – oseille. Le Banyuls a vieilli en fût 71 ans et a été mis en bouteille en 2000. Il est extraordinaire car il a des saveurs infinies de pruneaux, de chocolat, de vin cuit. C’est un régal de jouissance et nous croquons les mignardises avec envie malgré un repas très copieux.

C’est le moment des votes. Nous sommes neuf à voter pour nos quatre préférés parmi les dix vins. Le vote est très difficile et va nous montrer une fois de plus à quel point nos goûts sont différents. Tous les vins figurent dans au moins un vote sauf un, le Corton Charlemagne qui est pourtant un très grand vin, mais c’est celui qui est le moins déroutant alors on l’oublie dans les votes. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premiers, le Cos d’Estournel 1919 trois fois, le Haut-Brion blanc 1960 et le Chambertin 1971 deux fois chacun et le Château Certan 1955 et l’Yquem 1928 une fois chacun. Tous les votes sont différents et mon vote est très différent de celui du consensus.

Le vote du consensus, compilant les votes de chacun donne : 1 – Château Haut-Brion blanc 1960, 2 – Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1919, 3 – Chambertin Bouchard Père & Fils 1971, 4 – Château Certan de May de Certan Pomerol 1955, 5 – Château d’Yquem 1928, 6 – Champagne Bollinger Grande Année Magnum 1985.

Mon vote est : 1 – Château d’Yquem 1928, 2 – Château Certan de May de Certan Pomerol 1955, 3 – Chambertin Bouchard Père & Fils 1971, 4 – Château Haut-Brion blanc 1960.

Il est très difficile de désigner un accord qui serait le meilleur, car tous ont été d’une pertinence parfaite. Le homard a collé au Haut-Brion grâce au jus de homard, le bar a été divin pour le pomerol, la viande de bœuf a idéalement épousé le Chambertin 1971 et comme je suis un amoureux d’Yquem, j’ai applaudi l’accord avec la mangue, sublimé par la trace d’orange amère confite. Du génie.

L’ambiance était souriante. Akrame a goûté tous les vins, nous l’avons félicité à chaque plat pour la pertinence de sa cuisine orientée vers le goût majeur du plat. Yohann a fait un service parfait, Laurie a fait une cuisine épurée, de talent, sous l’inspiration d’Akrame.

Merci Akrame d’avoir accepté mes suggestions insistantes qui ont permis un repas d’anthologie. Tous les ingrédients sont là pour que l’on recommence au plus vite.

tous les bouchons dans l’ordre de service des vins de gauche à droite et de haut en bas

la cour du 7 de la rue Tronchet et l’entrée et le chef sur bois peint

l’entrée, c’est là

le chef c’est lui !

les plats. Hélas j’ai oublié de photographier le bar et sa peau

les verres en fin de repas

Le chef fait toujours un croquis qui explique ses recettes. Voici le menu

l’incroyable diversité des votes