Déjeuner de conscrits au Bistrot du Sommeliermercredi, 7 mars 2018

Nos déjeuners de conscrits sont à l’initiative d’un des membres de notre club, qui décide de tout et invite. C’est à mon tour d’officier et le déjeuner aura lieu au Bistrot du Sommelier. Nous sommes huit, c’est-à-dire au complet ce qui est rare car la conjonction totale de nos planètes est difficile à trouver. Philippe Faure-Brac avec qui j’ai mis au point le menu en tenant compte des vins que j’apporte ne pourra pas être présent le jour du déjeuner mais il a donné des instructions.

Je me présente au restaurant à 11 heures pour ouvrir les bouteilles et donner les dernières consignes. L’accueil qui m’est réservé est chaleureux et concerné. Je ressens une équipe très motivée et c’est très agréable. Manon et Mattia vont s’occuper des vins. L’ouverture ne pose aucun problème. Un ami me rejoint à midi et nous bavardons dans la sympathique salle privative où se déroulera notre déjeuner.

A 12h30, presque tout le monde est arrivé dans la grande salle de dégustation où ont été dispersés sur la table des feuilletés, du jambon, du boudin, du pâté, et d’autres petites choses à grignoter sur un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998. Les premières fois où j’avais goûté ce vin, je n’avais pas mordu au 1998 qui ne me paraissait pas assemblé. Et depuis quelque temps, je me régale de ce champagne rond, joyeux, assez dosé ce qui lui donne de la joie de vivre, mais plein et fort de belles complexités. Nous buvons deux bouteilles qui me semblent les meilleures que j’aie eu la chance de boire du millésime 1998 de cette belle cuvée des Enchanteleurs.

Nous empruntons des chemins cahoteux dans le dédale des couloirs du restaurant pour arriver à la salle qui nous est réservée, sans passer par l’extérieur, pour éviter la pluie. Le menu est le suivant : Carpaccio de langoustines / Coquilles Saint-Jacques poêlées bouillon de champignons et légumes racines / Aile de raie rôtie au beurre noisette / Volaille de Bresse rôtie, sauce foie gras / Sablé diamant, crémeux mangue au poivre Timut et mangue fraîche / financier.

Le Champagne Pommery Magnum Vintage 1988 est d’une folle jeunesse. Il est d’une belle couleur de blé de début d’été, sa bulle est vive, le pétillant en bouche est très présent, au point de crépiter sur la langue. Ce qui est fascinant, c’est sa vivacité et son caractère tranchant. Il est incisif et noble, plus racé et percutant que le1998. La langoustine crue lui convient parfaitement.

Le Chablis Jean Marc Brocard Domaine Sainte Claire 1999 est d’une belle énergie, clair, compréhensible et plaisant même si ce n’est pas un grand cru. Les coquilles sont délicieuses et soutiennent bien le chablis d’une belle année. L’accord est brillant.

Mais il va y avoir encore mieux. L’aile de raie est le plat le plus enthousiasmant de ce repas et le Puligny Montrachet Les Folatières Domaine Henri Clerc 1994 est tellement généreux et fruité que la fusion des deux forme un accord gastronomique de haut niveau, surtout propulsé par l’intelligente sauce du plat. Jusque-là, tout va bien et nous sommes heureux.

Sur la volaille nous allons goûter deux bouteilles de Château Mouton Rothschild 1993. L’étiquette porte un dessin de Balthus d’une très jeune fille nue qui a été refusée aux Etats Unis. Il y a donc eu une étiquette pour les Etats Unis qui ne comporte aucune œuvre d’artiste. Pour l’une des deux bouteilles que j’ai apportées, le papier d’emballage est resté collé et recouvre le dessin de Balthus, donnant l’impression que la censure américaine était passée par là. Les deux bouteilles ont des goûts différents et je fais servir la moins avenante des deux en premier, ce qui n’empêche personne d’en apprécier le charme. La première est un peu stricte mais profonde, avec un message précis et raffiné. On sent la truffe et la richesse d’un grand vin, nettement meilleur que ce que suggérerait son année. Le deuxième Mouton est le même que le premier mais a tout en mieux. Il est plus fruité, plus noble, plus précis et porteur de plus d’émotion. C’est un Mouton très expressif, qui ne trouve néanmoins par beaucoup d’aide de la volaille qui aurait pu accompagner un liquoreux.

Le Château Terfort A. de Sèze Sainte croix du Mont 1975 a une belle couleur dorée d’un acajou clair. Le vin est brillant, affirmé au moins autant qu’un sauternes. Il a des évocations d’abricots qui sont très belles et il a une longueur extrême. Le dessert à la mangue est superbe et les deux se comprennent naturellement.

Le Madère de l’île de Delpérier Frères à Bergerac doit être des années 60. Il est pur, très chaleureux comme de beaux madères qui exposent des saveurs de figues, de noix et de beaucoup d’autres fruits chauds. J’ai demandé des financiers qui s’accordent avec gourmandise à ce beau madère très classique.

Avant le café, nous finissons le champagne Pommery qui est pour moi le gagnant des vins de ce repas, suivi par un trio qu’il serait difficile de départager du deuxième Mouton 1993, du Madère années 60 et du Terfort 1975.

Il n’y a eu aucune fausse note dans ce repas. Les vins étaient au rendez-vous et les plats d’une rare justesse et très lisibles ont créé de beaux accords. La raie avec le Puligny est le plus bel accord, suivi du dessert avec le Sainte-Croix du Mont. Le service des vins de Manon et Mattia a été parfait et la gentille Souari a récité les intitulés des plats avec un joli sourire. Ce fut un beau repas de conscrits.

ci-dessus les deux bouchons des blancs. le plus clair est celui du chablis

 

le bouchon du madère est celui qui est encore percé par le tirebouchon

nous n’avons bu « que » une bouteille du chablis, du Puligny et du Terfort. La bouteille de madère n’est pas sur la photo