déjeuner à Grasse chez Jacques Chiboisvendredi, 29 avril 2005

Visite à la Bastide Saint Antoine à Grasse où Jacques Chibois a glané deux étoiles au guide qui fait référence et devient forcément à chaque parution un objet de reproches. C’est un peu comme Robert Parker : tout le monde le critique, le met en cause, mais il a créé une référence aussi solide que le Michelin. Si l’on sait que l’on ne jugera jamais deux fois de la même façon un restaurant ou un vin, cela permet de prendre ces indications avec une pinte de sérénité.
La bâtisse est belle, dans un parc surplombant des paysages du Sud dont les parfums enivrent, et le soleil éclatant invite au bonheur. Un intelligent menu appelle nos regards. Il sera même complété par de petites ajoutes fort aimables. Mon ami qui invite me demande de choisir les vins. Je sens qu’il veut du bon. Nous commençons par le champagne de Sousa, cuvée du millénaire 1995 qui est absolument délicieux. Ce chardonnay, pur blanc de blancs, est expressif, puissant, viril, et laisse une trace en bouche de forte imprégnation. Voilà un champagne qui pourrait facilement accompagner tout un repas. Il le fit d’ailleurs avec des amuse-bouches très variés, comme ceux du Petit Nice, et montra à quel point il découvre de nouvelles sensations à chaque bouchée qui lui est associée.
Le Meursault Coche Dury 2002 est une élégante version du Meursault. Cela démarre dans des saveurs d’agrumes, légèrement citronnées, et comme par enchantement le citron se retire pour laisser la place au beurre et à la crème, avec une signature finale fort doucereuse. Avec un consommé où se mêlent crème, pommes de terre et truffes, c’est un accompagnement de rêve.
L’Hermitage Jean Louis Chave 2000 a été carafé, mais de peu. Il se présente donc en chien fou, et, comme cela se passe très souvent au restaurant, ce sont les dernières gouttes qui sont les meilleures. Je l’ai tenté sur un poisson de mer qu’il apprivoise mieux que le Meursault. Sur un râble que j’ai trouvé un peu sec, il a gentiment montré ses muscles, produisant l’impression d’un lutteur de foire encore à l’échauffement. Dans quelques années, ce sera un immense vin. Les desserts très compliqués – mais c’est la mode actuelle de justifier les pâtissiers – interdisent tout vin. Il faudrait revenir au champagne, ce qu’on n’a pas forcément envie de faire.
Globalement, l’expérience est passionnante. La cuisine est élégante et intelligente. La carte des vins est fournie, avec une irrégularité dans les échelles de prix autorisant de bonnes pioches ou interdisant des flacons enviés. C’est non seulement une étape à recommander mais un endroit où l’on reviendra. Le sommelier, heureux de converser avec des gens qui apprécient, nous fit visiter une des caves où fort opportunément nous trempâmes nos lèvres dans deux madères délicieux, l’un de 1907 aux saveurs de pruneaux et de raisins brûlés de soleil et l’autre de 1895 rond et adouci, de grand plaisir. Il faut vite trouver un prétexte pour réserver à nouveau.