236ème dîner à la Maison Belle Epoque de Perrier Jouëtmercredi, 22 mai 2019

La genèse du 236ème dîner est tout-à-fait particulière. En octobre 2018 j’avais organisé le 228ème dîner au restaurant Akrame à Paris. Le restaurant est étroit et à l’intérieur nous aurions dû avoir une table en longueur ce qui ne me plait pas car trois discussions se forment à des tables très longues. Je préférerais que le dîner se passe dans le jardin, avec une table carrée. La probabilité de pluie est de 40% et le chef de salle accepte cette solution. On couvre la table de parasols et de tentures pour parer à toute éventualité. Au milieu du repas, une tornade se déclare et les tentures en pente déversent des trombes d’eau sur des convives. On se serre dans les parties protégées. Tout cela m’indispose car j’essaie que mes dîners soient les plus parfaits possibles. Je prends la parole et j’indique que tous mes convives seront invités à un nouveau dîner que je leur offre, pour compenser cette mésaventure. Les convives sont heureux, les mouillés comme les secs, et deux convives étant du groupe Pernod-Ricard nous proposent que le dîner de compensation se passe à la Maison Belle Epoque de Perrier-Jouët à Epernay. Une générosité répond à une générosité.

Je suis venu en novembre pour étudier les lieux et la cuisine de Joséphine Jonot, chef de cuisine du lieu et nous avons bâti ensemble un menu pour les vins que j’ai prévus et pour les champagnes de Perrier-Jouët et Mumm.

Le jour venu, j’arrive vers 11h à Epernay à la Maison Belle Epoque, si joliment décorée. Je déjeune avec Alexander pour vérifier quelques plats pour être sûr que la cuisine de Joséphine Jonot correspond à ce que les vins anciens demandent. Thierry, le sympathique et efficace responsable majordome de la maison nous sert un Champagne Perrier Jouët Cuvée Belle Epoque Blanc de Blancs 2004 qui me séduit par son équilibre. Il se révèle aussi gastronomique, généreux et carré.

Je commence le repas par de belles huîtres très marines, donnant l’impression d’embruns qui giflent mon visage. Ensuite le homard est servi avec sa bisque. Le plat tel qu’il est conçu conviendrait à un vin blanc, alors qu’il est affecté à un vin rouge. Il faudra une cuisson moins affirmée et au contraire une bisque plus virile pour affronter un vin rouge. Le pigeon et sa tourte avec une farce me semblent absolument parfaits et ne demandent aucune adaptation. Le croustillant qui devrait accompagner la mangue est remplacée par une crème plus délicate. En déjeunant en cuisine, nous pouvons dialoguer avec le chef et j’ai la conviction que le menu de ce soir est en de bonnes mains.

J’ai le temps d’une micro-sieste avant de répondre aux questions des cinéastes qui filment l’événement et je suis fin prêt à 15 heures pour ouvrir les bouteilles du 236ème dîner.

Comme nous serons quatorze, ce qui est plus que d’habitude, j’ai prévu plusieurs magnums, ce qui me pousse à ouvrir les vins dès 15 heures. Les bouchons viennent sans surprise particulière et la seule inconnue est celle du Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné & Fils Magnum 1961 qui montre un parfum de bouchon qui paraît assez tenace. Dix minutes plus tard le nez de bouchon est sensiblement atténué mais je ne suis pas encore rassuré. Le parfum le plus tonitruant est celui du Fargues 1989, beaucoup plus majestueux que celui de l’Yquem 1970.

Les invités vont visiter les caves spectaculaires de la maison Perrier Jouët. Nous nous retrouvons au bar pour l’apéritif avec un Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 2008. Ce qui frappe, c’est son équilibre et son aisance. Il ne cherche pas à s’imposer, il est là, consensuel et gratifiant. Il accompagne avec bonheur les petits grignotages d’apéritif.

Nous sommes quatorze à passer à table, dont onze étaient présents au dîner au restaurant Akrame troublé par la pluie, qui a justifié que j’invite tous les présents pour ce dîner, et trois sont de la maison Perrier-Jouët ou son groupe.

Le menu composé par Joséphine Jonot est : gougères, Pata Negra, parmesan / huîtres aux goûts marins / langoustines juste saisies, petits légumes / saint-pierre au beurre citronné / homard sauce américaine / veau basse température, purée de pommes de terre / pigeon et farce de cuisses confites / foie gras poché / stilton / mangue rôties, crème de yaourt aux herbes vertes.

Les huîtres sont délicieusement marines, iodées, et conviennent parfaitement au Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1982 qui est d’une rare complexité et d’un romantisme assumé. Le champagne est titillé par l’iode et y trouve une belle énergie. C’est un champagne qui se distingue par la palette de ses complexités.

Les langoustines sont absolument parfaites, délicates et subtiles et le Chablis Grand Cru Bougros William Fèvre Magnum 1998 est minéral, l’archétype d’un vibrant chablis. L’accord est superbe. Si l’on alterne le Belle Epoque 1982 et le Chablis 1998, on voit qu’ils se fécondent et le chablis élargit le champagne.

Il aurait sans doute fallu que le saint-pierre soit sans son beurre, pur, pour que l’accord avec le Montrachet Grand Cru Guichard-Potheret Magnum 1988 se trouve naturellement. C’est un montrachet assez calme, peu gras et sans aucun botrytis. Il est bien fait et bien construit, mais il n’a pas l’étincelle d’énergie qu’on aurait aimé trouver.

Le homard est parfait. Il est simple et subtil, beaucoup moins cuit que celui du déjeuner, ce qui lui donne un charme rare, et le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils Magnum 1959 laisse tout le monde sans voix. Le vin a un grain et une mâche d’une plénitude absolue. Il est riche, emplit la bouche et la conquiert. On est face à un vin immense et à un accord transcendantal. J’en attendais beaucoup mais je ne soupçonnais pas qu’il puisse être aussi riche. Ce vin est conquérant.

Le veau basse température est divin. Le Champagne Mumm de Cramant 1955 est une merveille de complexité et d’élégance. Il a des intonations de groseilles blanches et son acidité respire sur le veau. C’est un champagne rare par sa diversité et l’accord est d’un naturel qui nous ravit.

Le pigeon est superbe. Alors que j’avais peur qu’il ait un nez de bouchon, le Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné & Fils Négociant Magnum 1961 tel qu’il est plus de cinq heures après n’a pas un gramme de défaut. Ce vin, c’est la Bourgogne telle que je l’adore, sans concession, avec une râpe paysanne, qui ne cherche pas à plaire. On voit bien que c’est un ‘Villages’, mais il est tellement vivant et riche qu’on ne peut qu’être conquis.

Dans une discussion avec quelques convives j’avais dit que le concept d’âge n’existe pas. Si un vin arrive à survivre à tous les accidents de parcours qui affectent le bouchon, alors il est sans âge. On dirait que le Château Bouscaut Grand Cru Classé de Graves Magnum 1929 m’a écouté car il est invraisemblable. Sa couleur est sang de pigeon très foncé, ce qui veut dire qu’il n’a pas la moindre trace de tuilé. Il est d’une fraîcheur invraisemblable. Voilà un vin qui rafraîchit, dense, cohérent sans le moindre défaut. Le boire désaltère mais aussi emmène sur un champ de saveurs infinies. Je suis aux anges. Ce vin est un miracle. Le foie gras poché n’est pas vraiment poché et n’a pas une mâche qui avantage le 1929, même si le goût du foie est bon. Ce 1929 est une merveille et sera mon préféré et de loin.

Pour le stilton et le dessert à la mangue très réussi les deux sauternes sont servis ensemble. Le Château de Fargues Sauternes 1989 est riche et flamboyant. Certains préfèrent le Château d’Yquem 1970 plus effacé. Je préfère le Fargues plus glorieux et ensoleillé.

Aucun vin n’a été faible. C’est le moment des votes. Nous sommes quatorze à voter pour nos cinq préférés parmi les dix vins. Ce qui est intéressant, c’est que tous les vins ont eu au moins un vote ce qui prouve que tous méritaient d’être dans les cinq premiers d’au moins un convive. Trois vins ont eu douze votes sur 14 votes possibles, le Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1982, le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils Magnum 1959 et le Château Bouscaut Magnum 1929.

Quatre vins ont eu l’honneur d’être nommés premiers, le Bouscaut 1929 sept fois, le Corton 1959 cinq fois, le Chablis et le Mumm chacun une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils Magnum 1959, 2 – Château Bouscaut Grand Cru Classé de Graves Magnum 1929, 3 – Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1982, 4 – Champagne Mumm de Cramant 1955, 5 – Montrachet Grand Cru Guichard-Potheret Magnum 1988, 6 – Château d’Yquem 1970.

Mon vote est : 1 – Château Bouscaut Grand Cru Classé de Graves Magnum 1929, 2 – Le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils Magnum 1959, 3 – Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné & Fils Négociant Magnum 1961, 4 – Champagne Mumm de Cramant 1955.

Joséphine Jonot a fait une cuisine particulièrement adaptée aux vins. Les deux plats les plus brillants sont le homard, qui a créé le plus bel accord, et la langoustine divinement cuite. Les huîtres méritent aussi des compliments, comme la mangue et sa crème.

L’ambiance était cosmopolite avec des américains, un norvégien, un londonien. Nous avons fini avec un superbe rhum et ceux qui voulaient ont tété des cigares dans le joli jardin de la Maison Belle Epoque. Ce dîner fut illuminé par de grands vins et de grands champagnes.

Merci à Perrier-Jouët d’avoir permis la suite du 228ème dîner au restaurant Akrame dans un cadre d’une telle beauté. Vive les vins anciens.

dans la maison Belle Epoque une étonnante table sur laquelle, comme des sensitives, les plaques de métal se couchent au passage des invités

la table du déjeuner est mise en cuisine pour que je puisse travailler avec la cuisinière chef

avant et pendant l’ouverture, les journalistes prennent des photos et des interviews

le dîner

on note la belle sobriété des plats. La table en fin de repas

la table pour le petit déjeuner