197ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurentvendredi, 29 janvier 2016

Le 197ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Philippe Bourguignon, l’emblématique directeur et Patrick Lair chef sommelier sont partis ensemble à la retraite au 1er janvier de cette année. J’ai choisi de faire ce dîner en cette maison que j’apprécie, pour faire un petit clin d’œil à ces deux personnes attachantes que je n’ai pas eu l’occasion de saluer et de remercier au moment de leur départ.

Nous serons onze dont quatre femmes, avec neuf habitués et deux nouveaux. Les horizons sont variés, dont avocats, informaticien, ingénieur, médecin, sénatrice, restauratrice et architecte.

Je me présente au restaurant vers 16h30 pour ouvrir les vins. Daniel, le fidèle sommelier m’apporte les vins qui étaient en cave du restaurant depuis une semaine. Le bouchon du Haut-Brion 1924 colle au verre et le tirebouchon ne retire que des miettes. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour qu’il sorte et je constate que si le bouchon s’est émietté, c’est parce que le cylindre intérieur du goulot est étranglé en un endroit, interdisant que l’on lève le bouchon sans le déchirer. Il faut dire que la bouteille au cul très profond me semble beaucoup plus ancienne que 1924.

L’odeur qui m’inquiète le plus est celle de l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1990. Il y a de la cire sèche dans cette odeur qui n’est pas une odeur de bouchon. Le Suduiraut 1928 exhale un parfum encore serré dont je pense qu’il va s’élargir.

Un des plus fidèles membres de l’académie des vins anciens rêvait de venir à l’un de mes dîners. C’est chose faite ce soir. Il avait souhaité arriver très en avance pour que nous goûtions sa « madeleine de Proust », le vin qui lui a fait découvrir et aimer les vins anciens. Il découvre un Champagne Veuve Clicquot Brut sans année à l’étiquette orange, dont la cape est marquée de l’inscription : « bicentenaire 1772-1972 » exactement comme le Veuve-Clicquot 1973 que j’ai bu tout récemment qui comporte la même mention, mais sur un fond de ciel étoilé.

Daniel ouvre le champagne et nous goûtons un merveilleux champagne ancien, certainement des années 70, avec une patine joyeuse de beau vin ancien. Ce vin est un régal. Nous décidons que les premiers arrivants du dîner auront le plaisir d’en goûter un peu. Ce champagne évolué aux notes légèrement fumées allant vers le thé et les fruits bruns est noble. Il me plait autant que le 1973 bu il y a peu de jours.

L’apéritif se prend avec le Champagne Dom Pérignon 1978. Je suis très favorablement impressionné par ce champagne qui joue dans la cour des grands. Un ami le situe plus dans la lignée des sublimes Dom Pérignon des années 60. Je trouve qu’il n’a rien à envier aux Dom Pérignon d’années plus célèbres. C’est un grand champagne follement romantique, jouant sur sa grâce féminine. Alors qu’on le sent contemporain du Veuve Clicquot de mon ami, le Dom Pérignon est dans un romantisme gracile quand le Veuve Clicquot est pénétrant et fort. Mon cœur penche vers le Dom Pérignon.

Le menu créé par Alain Pégouret est ainsi composé : pâtes sèches de blé dur farcies de gambas, crème légère au parmesan / crémeux d’œuf aux langues d’oursins, corail au naturel / pigeon à peine fumé et rôti en cocotte, pommes soufflées « Laurent » / selle et carré d’agneau de lait des Pyrénées rôtis, moussaka d’aubergine / mangue rôtie en croûte de cacao, parfait glacé praliné.

Le Champagne Pol Roger Brut Vintage 1990 est comme le Veuve Clicquot très conquérant. Plus jeune il est dans des gammes de goûts que l’on connaît et crée moins de surprise. Orthodoxe, il est de haute qualité. Les pâtes sèches constituent un plat qui offre beaucoup trop de saveurs pour avoir sa place dans l’un de mes dîners.

Alors que je me félicite toujours des prestations du restaurant Laurent, qui est très souvent le siège de mes dîners, un problème est apparu qui mérite analyse et remède. Suivant les ouvertures des vins autours de 17 heures, Daniel a mis les blancs dans la cave du jour des blancs et les rouges dans la cave du jour des rouges, deux meubles à la température normalement contrôlée. Or les blancs sont arrivés beaucoup trop froids, et les rouges beaucoup trop froids, au point d’être resserrés, ce qui a nui à leurs performances. Les vins s’en sont sortis avec les honneurs mais auraient pu être beaucoup plus chaleureux et dans le cas de l’Aloxe-Corton 1929 dont j’attendais beaucoup, j’ai senti que les saveurs avaient mis le frein à main, resserrées et donc incomplètes. Malgré cela, nous avons tous apprécié ces vins de haute qualité.

Le Meursault Guy Leblanc 1952 est particulièrement cher à mon cœur. Dans ma cave fondée ex nihilo il y a quarante-cinq ans, il y a peut-être une trentaine de vins seulement qui proviennent de mon grand-père. Ce meursault en fait partie. Depuis plus de trente ans, il m’aguichait et me tentait. Il trouve sa justification aujourd’hui. A l’ouverture, son parfum était magique, avec des petits fruits rouges aigrelets ce qui est inhabituel pour un meursault. Maintenant, son parfum est magique au point qu’on pourrait se contenter de sentir le vin. Ce parfum est d’une personnalité folle. Le vin est d’un bel ambre doré et s’il est évolué, il est d’un charme de fruits d’automne absolument entraînant. On n’est pas à proprement parler dans le territoire des meursaults, mais la gourmandise est là au point que ce vin obtiendra dix votes sur onze participants votants, ce qui est le plus grand nombre de votes exprimés pour un vin du dîner.

Fort curieusement, le Chablis Grand Cru Grenouille La Chablisienne 1997 est presque aussi ambré que le meursault ce qui est anormal et l’on voit bien que le meursault paraît plus jeune que le chablis qui a manifestement une évolution qu’il ne devrait pas avoir. Il n’est pas mauvais mais il n’a en rien les caractéristiques d’un grand cru. Le crémeux d’œuf aux langues d’oursins est un plat merveilleux qui met en valeur les vins blancs et leur convient parfaitement.

Nous avons maintenant trois bordeaux rouges pour accompagner le pigeon. Je suis impressionné et mes amis aussi par le fait qu’ils sont tous les trois dans un état exceptionnel.

Le Château Latour 1965 est une divine surprise. D’une année particulièrement faible, il brille, vif, cinglant, riche et profond, incisif. C’est un grand Latour et je suis vraiment surpris.

Le Château Latour 1950 est beaucoup plus riche et opulent que le précédent mais ne l’écrase pas de sa noblesse. Il offre une autre facette de Latour, le 1965 plus cinglant et le 1950 plus complexe et rayonnant.

Le Château Haut-Brion 1924 est lui aussi une brillante surprise. Il est riche, évoque merveilleusement la truffe et sa mâche est gourmande. Je n’attendais pas autant d’un 1924. Je ne lui ai pas rendu l’honneur qu’il méritait dans mon vote, car il est exceptionnellement gourmand et riche, d’une trame et d’un grain magnifique.

Tout le monde ressent que cette triplette est d’un niveau rare. Le pigeon s’est bien trouvé avec les trois vins.

C’est avec l’Aloxe Corton «Les Brunettes» Louis Latour 1929 que je ressens le plus l’effet d’une température trop froide qui a rétréci les vins. On sent bien sûr à quel point il est brillant et à l’ouverture c’est sur lui que je comptais pour être au firmament. Dépité je ne l’ai même pas mis dans mon classement alors qu’il finit deuxième au classement qui synthétise les votes des onze convives. C’est la majestueuse année 1929 qui donne de l’ampleur à ce vin bourguignon triomphant.

A côté de lui, l’Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1990 dont je craignais l’odeur à l’ouverture a encore un parfum poussiéreux mais qui n’a aucune influence sur le goût. Et je suis même étonné au contraire de l’ampleur de ses fruits rouges généreux. On sent le sel caractéristique des vins du domaine et la rose n’est plutôt qu’une autosuggestion. Le vin me rassure, il est brillant et d’une force que je n’attendais pas à ce niveau.

Le Tête de Vouvray Mme Dubech Jeune 1937 a une jolie couleur légèrement ambrée et le vin est sec et a très probablement toujours été sec. Il est donc à contremploi sur le dessert et c’est bien dommage car mis en situation, il serait brillant. C’est un beau vouvray sec mais hors sujet ce soir.

Le Château Suduiraut 1928 a une couleur tellement sombre de chocolat noir que certains convives se demandent si c’est normal. Dès qu’ils sentent le vin et le boivent, les doutes disparaissent tant ce Suduiraut est royal. Certains qui lisent mes bulletins assidument découvrent l’accord sauternes et mangue et sont subjugués par sa pertinence. Ce vin est riche, puissant, déborde de fruits exotiques mais aussi de caramel et de miel. C’est une merveille. Le vin un peu trouble n’est pas le meilleur des Suduiraut 1928 que j’ai bus aussi est-ce la raison pour laquelle je ne l’ai pas classé premier alors qu’il le mériterait.

J’ai ajouté au programme une très jolie demi-bouteille de Vin de Paille Domaine de la Pinte 1959. La devise sur l’étiquette est amusante : « plante beau, cueille bon, pinte bien ». Le vin m’étonne car il exprime un alcool inhabituel pour les vins de paille. Mais il est tellement bon, gourmand et joyeux que je l’ai inclus dans mon vote. On dirait un vin de paille qui a fauté avec un marc. Il est délicieux sur les légendaires palmiers du Laurent.

Jamais il n’aura été aussi difficile de voter pour les vins tant les prétendants aux bonnes places ont été nombreux. De ce fait au lieu de voter pour quatre vins, nous avons voté pour les cinq préférés de chacun. Sur les treize vins puisque fort opportunément quelqu’un a voté pour le Veuve Clicquot, onze figurent dans les votes ce qui est remarquable et les deux oubliés le sont pour des raisons logiques : le chablis ne figure pas parce qu’il est anormalement évolué et le vouvray, parce qu’il est sec et donc mal placé dans le déroulement du repas. Cinq vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, le Suduiraut 1928 cinq fois, le Latour 1950 deux fois comme le Haut-Brion 1924, l’Aloxe-Corton 1928 comme l’Echézeaux 1990 étant nommés une fois premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Suduiraut 1928, 2 – Aloxe Corton «Les Brunettes» Louis Latour 1929, 3 – Château Latour 1950, 4 – Meursault Guy Leblanc 1952, 5 – Château Haut-Brion 1924.

Mon vote est : 1 – Château Latour 1950, 2 – Château Suduiraut 1928, 3 – Vin de Paille Domaine de la Pinte 1959 , 4 – Meursault Guy Leblanc 1952, 5 – Château Haut-Brion 1924.

Après coup, je pense que je n’ai pas rendu l’hommage que méritait le Haut-Brion 1924. Mais les votes se font dans l’instant et la spontanéité. On ne les réécrit pas après.

Que retenir de ce dîner ? Le problème des températures de service est important et doit être regardé pour l’avenir. L’entrée ne correspond pas à ce qui est nécessaire pour ces dîners : une lisibilité complète et une cohérence des goûts d’un plat. Voilà pour le négatif, largement compensé par le positif : un service impeccable, une cuisine sensible. A notre table l’atmosphère fut enjouée, les moments de rire nombreux. J’ai été impressionné par le fait que les cinq rouges se sont présentés à un niveau qualitatif exceptionnel. Ce dîner fait partie des souvenirs que l’on chérit.

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le bouchon du Haut-Brion 1924 est venu déchiré, car coincé par une surépaisseur de l’intérieur du goulot

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la très jolie bouteille du vin de paille 1959 très ancienne

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les bouchons disposés dans l’ordre de service

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CLASSEMENT DINER 197 DU 160128