Visite au domaine de Montille mercredi, 20 février 2008

Nous nous présentons après des tâtonnements au nouveau site du domaine de Montille qui se trouve à Meursault. Etienne de Montille m’avait appelé peu avant en me demandant : « est-ce que ça te dérange si Michel Bettane se joint à nous ? ». Ma réponse avait été enthousiaste. Michel nous rejoint, un peu fatigué car il vient de goûter plus de 300 vins en deux jours pour repérer de jeunes vignerons qui ont progressé sur l’année 2007. Nous commençons par goûter des vins de grands fûts métalliques et ensuite en cave des vins de fûts de chêne. Nous goûtons beaucoup de 2006 du domaine, puis des 2007. Nous boirons tant de vins que le souvenir s’estompe. Ce qui m’impressionne, c’est la sûreté du jugement de Michel Bettane qui constate immédiatement les progrès qui ont été faits. Etienne est évidemment attentif aux diagnostics faits par Michel, mais a la politesse d’écouter nos avis. Je suis très agréablement chatouillé par un Chevalier Montrachet domaine de Montille 2007.

Nous goûtons à l’aveugle deux Vosne-Romanée les Malconsorts domaine de Montille 2006 et Etienne nous demande s’il est justifié de les produire en deux cuvées distinctes. Les vins sont si différents que nous répondons oui. Le deuxième Vosne-Romanée les Malconsorts cuvée Christiane domaine de Montille 2006, qui est à un stade plus ingrat de sa vie que le premier est issu d’une parcelle mythique puisqu’elle est incluse dans le quadrilatère magique dont l’élément essentiel est La Tâche. Cette parcelle est au nord du chemin des Malconsorts, dans le secteur de La Tâche. On sent qu’Etienne en parle avec gourmandise.

Nous remontons et commençons à goûter le premier Corton-Charlemagne Vosne-Romanée les Malconsorts domaine de Montille 2007. C’est l’initiative d’Etienne de Montille qui a greffé des vignes en rouge de Corton Pougets. Le résultat est sanctionné par une approbation sans réserve de Michel Bettane au moment où arrivent Hubert et Christiane de Montille, les parents d’Etienne. Ils embrassent chaudement Michel et ce n’est pas la première fois que je remarque les relations affectives sincères qui existent entre Michel et des familles de vignerons. Si le jugement de Michel importe, celui qui va compter est celui de madame mère, qui approuve et dit : « c’est bien ».

déjeuner au restaurant Ma Cuisine mardi, 19 février 2008

Nous remercions vivement nos deux hôtes du domaine de la Romanée Conti de leur générosité et nous improvisons un déjeuner au restaurant Ma Cuisine, tenu par des patrons extrêmement ouverts et sympathiques, Fabienne et Pierre Escoffier. Sur des terrines diverses, nous commençons par un Montrachet Delagrange Bachelet 1995. Le vin est doré, le nez est convenable. En bouche, il est rond, équilibré, mais il manque cruellement de complexité. Il faut dire qu’après celui du Domaine de la Romanée Conti, c’est assez difficile. Même quand il se développe dans le verre, il reste trop simple et sans conviction.

Sur un pigeon extrêmement goûteux de pure cuisine bourgeoise, nous buvons un Hermitage rouge Chave 1995. Ce vin est d’une simplicité d’approche qui me surprend toujours, apanage des vins du Rhône. C’est apparemment simple, mais c’est beau, frais en bouche, joyeusement excitant et complet.

L’heure est maintenant à la sieste avant les agapes de ce soir.

viste au domaine de la Romanée Conti mardi, 19 février 2008

Par un ciel sans nuage et un soleil froid qui succède à une lune presque pleine, nous arrivons au domaine de la Romanée Conti. Aubert de Villaine m’avait prévenu la veille qu’un événement imprévu l’empêcherait de partager le déjeuner avec nous mais je n’avais pas écouté son message sur mon portable. Nous allons dans les chais de maturation où se trouvent les 2007 et les 2006. Chacun de nous porte son verre et Bernard Noblet est en charge de la pipette qu’il actionne au rythme que lui indique Aubert de Villaine. Nous commençons par le Vosne-Romanée Duvault Blochet Domaine de la Romanée Conti 2006, que je trouve très agréable à boire à ce stade de sa vie. Ce vin sert à nous préparer la bouche pour accueillir tous les rouges du domaine. L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est nettement plus plaisant. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est encore plus plaisant que l’Echézeaux. La complexité est belle. Aubert de Villaine aime tout particulièrement le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui malgré un nez austère a une magnifique subtilité. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2006, a un nez très agréable mais se présente complètement fermé, tout en dévoilant des possibilités énormes. C’est l’inverse du La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est ouvert, aguichant, et que je situe au même niveau que le Richebourg bien qu’il lui soit opposé. Les deux vins sont grands. Lorsque nous arrivons au moment de goûter la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2006, je sens combien Aubert de Villaine aime ce vin. Ses yeux pétillent. Un sec « on ne crache pas la Romanée Conti » me rappelle à l’ordre et je m’exécute sans me faire prier. Aubert de Villaine nous dit qu’il est très rare qu’une Romanée Conti soit aussi ouverte à ce stade de son vieillissement. Nous buvons ce vin avec plaisir, conquis par son charme féminin et cette variation infinie des composantes qui fait rêver la planète.

Aubert de Villaine nous donne très peu d’explications techniques. Il indique que la mise en bouteilles au domaine se fait à certains moments de la lunaison et me signale un article écrit par Michel Le Gris, « de l’influence du climat sur la dégustation des vins », qui suggère que l’appréciation d’un vin change avec la pression atmosphérique ambiante.

Nous nous rendons en cave dans la petite pièce voûtée où l’on déguste à l’aveugle. Il faut voir la complicité qui existe entre Bernard Noblet et Aubert de Villaine. Le choix des bouteilles qui seront ouvertes, en fonction de la qualité des visiteurs ou de leur sympathie, est un exercice de mime qui se joue à d’imperceptibles mouvements des yeux. Lorsqu’il est question d’accéder aux vins du caveau, on sent dans les yeux de Bernard : « vraiment, on peut ? » et dans les yeux d’Aubert : « oui, tu peux ».

Le premier vin a un nez très expressif. En bouche j’aime le fruit d’un vin pur et de belle longueur. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2000. On sent que le vin sera bon dans une quinzaine d’années et que l’année n’est pas si petite que ce qui a été dit. Le deuxième vin a un nez un peu amer. Bernard Noblet grimace car les traces végétales ne sont pas loin d’un effet de bouchon. Malgré l’astringence et le léger défaut, le vin se boit correctement. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991.

Le troisième vin a tout ce qui fait la signature du domaine. La salinité très présente, le caractère strict, le poivré, le style monacal. J’aime le fruit distingué et la fraîcheur mentholée. C’est surtout la fraîcheur d’attaque qui est remarquable. Il s’agit le La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956. Il convient de signaler que nous buvons tous ces vins ouverts sur l’instant et frais, à température de cave. Il faut donc attendre un peu, et l’on remarque l’expansion que prend ce 1956, dont le fruit devient joyeux. L’écart entre le début et la fin de l’approche du vin est spectaculaire. Les fruits rouges abondent et le final devient brillant, contredisant tous les discours sur les vins du Domaine de la Romanée Conti de 1956.

Les regards se croisent entre Aubert et Bernard, et le quatrième vin est un blanc. Le nez évoque celui des sauternes, tout en étant sec, ce qui suggère un botrytis supérieur à la normale. En bouche il y a des traces de sucre, du caramel, de la brioche, et ce qui frappe, c’est la complexité extrême. Il est un peu fumé, doté d’une très belle acidité, opulent, au final de pamplemousse rose poêlé. Plus il s’ouvre et plus il devient grand. C’est un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1987. Bernard Noblet prend des notes comme nous, qui vont enrichir les archives du Domaine.

 

J'y étais !

Le caveau, dont le nombre de trésors est très faible.

Bernard Noblet prêt à ouvrir une bouteille. Mon objectif en est tout ému et pleure !

 

Dîner avec Jean Nicolas Méo du domaine Méo Camuzet lundi, 18 février 2008

Le voyage commence par un apéritif impromptu pris à l’hôtel de Beaune avant d’aller dîner. L’un de mes amis américains a commandé un Meursault Henri Boillot 2000 qui est aguichant et d’une rare pureté. On ne dirait jamais qu’il s’agit d’un simple Meursault tant il est plaisant et raffiné.

Nous nous présentons au domicile de Nathalie et Jean-Nicolas Méo, copropriétaire du domaine Méo Camuzet. Leurs trois garçons qui reviennent comme eux tout juste des sports d’hiver se présentent en souriant. Le champagne Cuvée William Deutz de Deutz 1995 est très expressif. Des notes de caramel et de nougat sont très plaisantes.

Les vins sont bus à l’aveugle. Le premier vin, un blanc, est un vin « qui n’existe pas », car la parcelle a été cédée par le père de Jean-Nicolas au début des années 80. Il s’agit d’un Pinot blanc de Vosne-Romanée Domaine Méo Camuzet vers 1978 qui n’a jamais été commercialisé. D’un nez très expressif il affiche une personnalité très passionnante. Il est dense avec des évocations de fruits jaunes. Assez fumé, il est d’une belle longueur. J’avais donné une réponse qui n’était pas mauvaise car j’avais suggéré un Nuits-Saint-Georges blanc, qui comme le vin que nous goûtons est en pinot blanc. Sur le jambon et la viande des grisons rapportés de Val d’Isère, le vin est joyeux mais aussi profond.

Le Nuits-Saint-Georges 1er cru les Boudots 1990 est extrêmement jeune, plaisant, bien assis en bouche. Il est très pur et expose un beau fruit. Assez strict, il a l’élégance britannique. J’aime sa fraîcheur. Il est bien mis en valeur par le bœuf aux abricots aux délicates épices et goûts de fruits secs.

Le Richebourg domaine Méo Camuzet 1973 a le nez minéral et salin que j’adore dans les vins bourguignons. Jean-Nicolas le trouve même entrailles de gibier. En cherchant l’année nous pensons à beaucoup plus vieux que cette année, car le vin affiche une maturité plus grande que son millésime ne donne habituellement. Le vin s’étoffe avec le temps dans le verre. Les dernières gorgées sont d’un grand plaisir et d’une belle émotion. Et surtout, c’est la pureté bourguignonne qui nous réjouit.

Mon ami collectionneur américain a sorti de sa musette un Château Coutet 1949 que nous n’aurions jamais imaginé aussi âgé. Délicieux, d’un équilibre rare, d’un classicisme total, il est l’enfant qui obtient le prix d’honneur car il ne chahute jamais. Sucre et caramel, poivre, tabac, il décline ces saveurs avec calme. Contrairement à mon impression première, la poire au vin et sorbet cassis ne bride pas le vin.

Mes amis ont particulièrement apprécié cette atmosphère familiale de grande simplicité.

vins du dîner wine-dinners du 14 février 2008 jeudi, 14 février 2008

Champagne Dom Pérignon 1985

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976

Château Carbonnieux blanc 1987

Château Margaux 1957

Château Langoa Barton 1950

Château Lynch Bages 1924

Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969

Clos des Lambrays 1943

Vega Sicilia Unico 1960

Blanc Vieux d’Arlay 1929

Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981

Château Lafaurie-Peyraguey 1912

96ème dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson jeudi, 14 février 2008

Le 96ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson, grand amateur de vins anciens et spécialiste des gibiers. J’avais choisi la date en regardant un calendrier électronique. Les chiffres ne m’interpelant pas outre mesure je constatai assez tard que c’est la Saint Valentin. Deux couples d’amis s’inscrivent et une jeune cousine ayant reçu un dîner en cadeau de mariage, voici un troisième couple. Ajoutons à cela les couples de deux de mes enfants. La présence de mon épouse s’impose, qui assistera pour la première fois à l’un de mes dîners. Comme les soldats napoléoniens elle pourra dire à son Empereur : « j’y étais ».

L’ouverture des bouteilles avec Arnaud se passe en un temps record. Le Lafaurie-Peyraguey 1912, année de naissance de ma mère, a été rebouché et étiqueté de neuf par la maison Cordier qui est propriétaire. Le nez ne fait aucun doute, c’est du 1912 et seulement du 1912. Les blancs sentent bon et sans histoire. Les deux plus jeunes bordeaux – tout est relatif, puisqu’ils dépassent tous cinquante ans – sont un peu fermés mais s’ouvriront. Le nez du Lynch Bages 1924 est tonitruant. Il faudra un miracle pour que le Vosne-Romanée revienne à la vie, car dès que j’ai cassé la cire, une odeur de pieds sales a envahi la pièce, avec une insistance qu’on ne trouve que dans des chambrées, et dès que le bouchon est sorti, c’est un méchant vinaigre qui apostrophe mon nez. Nous verrons. Le Clos des Lambrays 1943 sent acide, mais devrait se réveiller. Le Vega Sicilia 1960 est sûr de lui et le Blanc d’Arlay 1929 est incertain mais normalement prometteur. Le sommelier de bonne mémoire me rappelle que je sens le haut des bouteilles quand la capsule est enlevée mais le bouchon toujours en place. Le Langoa Barton 1950 et le Clos des Lambrays sentent tous les deux la terre, en ayant exsudé une poudre noire terreuse.

Le restaurant se remplit de couples d’amoureux. Mes convives arrivent et je donne aux nouveaux les consignes pour bien profiter de cette expérience gastronomique.

Le menu préparé par Gérard Besson avec le directeur de salle d’expertise sommelière est  rédigé ainsi : Friandine de volaille et œufs brouillés à la truffe / Noix de Saint Jacques sur un lit d'algues à la crème d'huîtres / Dos de barbue de la Baie d'Erquy, sauce au vin / Médaillon de veau " tradition France " cannelloni duxelles / Filet d'agneau de Mauléon, sauce italienne / Une puce / Haut de cuisse de volaille de Bresse, comme un coq au vin / Un vieux Comté 2003 " Forts Saint Antoine" / Un litchi / Agrumes. J’aime beaucoup le néologisme « friandine » et la sobriété de certains intitulés qui nous a fait sourire, comme celui du litchi, imposante construction multiforme à base de pétales de roses de nougatine et de litchi résumée de ce seul mot.

Nous portons un toast à nos amours sur le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976 dont la bouteille est d’une rare beauté dans des tons de tissus anciens. La couleur du vin est d’un bel or gris, la bulle est évanescente, et pour plusieurs nouveaux les saveurs insolites sont un enchantement. Les tons toastés, pâte de fruit, sont chaleureux. Je suis un peu gêné par une amertume minérale qui disparaîtra progressivement pour laisser la place à la joie de vivre de ce beau champagne ancien aux goûts surannés.

Sur les œufs brouillés à la truffe dosés à la perfection, grand classique de Gérard Besson, le Champagne Dom Pérignon 1985 offre un contraste saisissant avec le précédent champagne. Alors que seulement neuf ans les séparent, c’est plus d’une génération de goûts qui creuse un fossé. Les plus novices sont évidemment rassurés par l’abondance des bulles et le délicat aspect floral de ce grand champagne. La symbiose ne se fait pas avec les œufs, mets et vin refusant chacun de publier les bans.

Nous allons vivre maintenant l’une des sensations que j’adore. L’huître goûteuse donne un coup de fouet d’un dynamisme rare au Château Carbonnieux blanc 1987. Quand on prend le vin en bouche, il s’installe comme il a appris à le faire avec son vocabulaire citronné, et  clac, le souvenir de l’huître le fouette, le propulse pour lui donner une longueur infinie. L’effet multiplicateur de l’huître sur le vin est spectaculaire. Gérard Besson qui est venu en fin de repas nous donner quelques explications sur les choix qu’il a faits en cours de route nous indiquera qu’il aurait été tenté d’abandonner les coquilles Saint-Jacques, car l’accord se fait sans elles. Tel qu’il est, le plat est plébiscité par toute la table.

Qui aurait dit que le Château Margaux 1957 au nez fermé à l’ouverture aurait gagné tant de joie de vivre ? Le vin est enjoué, charmeur, romantique, féminin, mais surtout, c’est son émancipation qui nous frappe. Alors qu’il est d’une année discrète, il chante avec entrain. Je suis surpris de son aisance raffinée. La résonance avec la barbue montre ce qu’est un véritable accord, quand le plat et le vin se transcendent mutuellement. C’est un vrai partenariat, très différent du précédent, car plus serein que le coup de fouet.

Ce que le Margaux offre en charme féminin, le Château Langoa Barton 1950 le décline en fruité, assise, confort. Ce vin a plus d’ampleur et de rondeur et je me plais à penser que la décennie des 1950 et suivants est de belle maturité en ce moment. Et les deux vins fermés à l’ouverture se sont ouverts avec grâce. Deux beaux exemples de quinquagénaires. 

Le Château Lynch Bages 1924 est une grande surprise. Qu’un vin de 83 ans ait cette jeunesse, cet aplomb et cet équilibre est évidemment une surprise. Il est d’une grande pureté et ce qui me plait, c’est la précision de sa définition. Il ne montre aucun signe de fatigue, se place parfaitement en bouche, offre un fruité de bon aloi. C’est un vin de grand plaisir embelli par la chair de l’agneau mais surtout par la sauce d’un apprêt d’une exactitude absolue. Il y a une raison à cela. Gérard Besson a goûté chaque vin avant de finaliser ses sauces et la démonstration est éclatante de la pertinence des sauces sur tous les vins.

Je n’en crois pas mon palais lorsque je goûte le Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969. J’avais expliqué que ce vin sentant un méchant vinaigre à l’ouverture, nous constaterions sans doute son décès. Malgré une couleur d’un rose plus qu’isabelle, ce vin existe, sent bon et ne montre pas de défaut. L’incrédulité de mon entourage me pousse à appeler Arnaud à la rescousse pour qu’il dise ce dont il a été témoin : une odeur repoussante devenue maintenant engageante. Le vin est agréable à boire sans être pour autant un jeune premier et les votes montreront qu’il a été aimé. La subtilité de l’accord avec la chair intense du petit volatile est remarquable. On aimerait le prolonger pour l’étudier encore. C’est d’un raffinement extrême, la petite sauce aidant en servant de passeur entre chair et vin.

Jean-François, sommelier qui a déjà servi les vins de plusieurs de mes dîners ne peut s’empêcher, et il a bien raison, de signaler à toute la table l’intérêt de goûter maintenant ce vin rare, le Clos des Lambrays 1943. Je ressens à ses mots qu’il en est amoureux. A l’ouverture, il avait montré des signes de fatigue mais curables par opposition au Vosne-Romanée. Lui aussi se présente maintenant sans défaut. Ce qui me frappe instantanément, c’est la rose. C’est saisissant. Et ce vin a tout ce que la Bourgogne la plus belle est capable d’offrir. La salinité, les feuilles d’automne et cette rose insistante m’enchantent.

Les trompettes vont maintenant sonner avec une force à lézarder les murailles, car le Vega Sicilia Unico 1960 est au sommet de son art. Et la plénitude, l’aisance, la mâche imposante, sont naturelles. Ce vin est grand, facile à comprendre, joyeux, un plaisir comme un bonbon rare. La volaille est goûteuse et c’est encore une fois la sauce qui fait de Gérard Besson un maître saucier de première grandeur.

La bouteille du Blanc Vieux d’Arlay Bourdy Père & Fils 1929 est en elle-même une œuvre d’art, d’un art agreste et populaire. J’avais annoncé urbi et orbi qu’un comté de plus de trente mois ne ferait pas l’affaire ce que le superbe comté de 2003 de madame Quatrehomme allait battre en brèche avec brio. Insolence suprême, mon gendre allait en redemander pour prolonger le plaisir et montrer ainsi que j’avais parlé à tort. Le comté est succulent, mais la vedette est au vin. Il nous emporte sur une planète gustative inconnue où la noix abonde bien sûr mais au sein d’une myriade de subtilités. Il serait impossible de donner un âge à ce presque octogénaire. C’est d’une subtilité rare et d’un gras inhabituel pour les vins blancs du Jura. C’est un nirvana œnologique. Mais surtout un dépaysement absolu tant il est impossible de trouver une saveur qui puisse s’en rapprocher.

Le Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981 va nous décevoir. Bien sûr l’accord avec les pétales de roses confits et le litchi est naturel. Mais le vin a décidé de garder son frein à main serré, refusant de sortir de sa réserve. Assez fade il ne délivre que l’ombre de l’excellence que je lui connais.

On comprend l’amour que je voue aux vins anciens lorsque l’on porte à ses lèvres le Château Lafaurie-Peyraguey 1912. C’est saisissant de perfection. Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est que toutes les pièces gustatives sont assemblées, sans qu’aucune ne puisse être extraite de l’ensemble. Ce vin est, au sens mathématique, un ensemble parfait. J’ai déjà employé l’image du Rubik’s Cube quand il est ordonné. C’est ainsi que s’impose ce vin intemporel et d’un équilibre total. Les notes de thé, d’agrumes sont révélées par le dessert fort exact, même si les écorces confites d’orange amère sont un peu sucrées pour le vin. Sa couleur est d’un thé noir, il a perdu de son sucre, n’a pas du tout les tons de caramel que sa couleur suggérerait. C’est un sauternes encore une fois parfait.

Les votes sont toujours l’occasion de belles surprises. Nous sommes onze à voter puisque ma femme ne boit que les liquoreux. Les deux seuls vins sur douze qui n’ont eu aucun vote sont les deux plus jeunes : le Dom Pérignon 1985 et le Riesling Hugel 1981. C’est sans doute parce qu’ils sont moins porteurs de dépaysement. Six vins sur les dix qui ont eu des votes ont été couronnés par un vote de premier : le Lafaurie-Peyraguey 1912 cinq fois, le Blanc d’Arlay deux fois, et les Vega Sicilia Unico 1960, Langoa Barton 1950, Margaux 1957 et Veuve Clicquot 1976 chacun une fois premier. 

Le vote du consensus serait : 1 - Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 - Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 - Château Margaux 1957, 4 - Vega Sicilia Unico 1960.

Mon vote : 1 - Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 - Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 - Vega Sicilia Unico 1960, 4 - Château Lynch Bages 1924. Si l’on devait donner une prime au vin le plus inhabituel et dépaysant ce serait sans conteste le vin du Jura.

J’ai un très grand attachement à ce restaurant familial où la motivation se sent chez tous. Jean-François, Arnaud, le directeur de salle ont montré un engagement qui fait plaisir à voir. Et Gérard Besson, en s’investissant sur chaque plat avec un raffinement remarquable a réalisé ce qui constitue mon idéal : adapter chaque recette à la personnalité de chaque vin. Sur une cuisine traditionnelle rassurante, ce sont les sauces qui ont été spectaculaires. J’aurais volontiers léché plusieurs assiettes et je fus souvent à deux doigts de culbuter les codes du savoir-vivre. L’ambiance fut joyeuse. Les couples n’étaient pas séparés autour de la table, pour faire communier l’amour et la bonne chère, sur des vins d’un immense bonheur.

95ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 24 janvier 2008

Le 95ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. Des amis italiens de passage à Paris ayant exprimé le souhait de participer à ce dîner, j’ai porté la taille de notre groupe à douze, ce qui semble la limite pour bien déguster des vins. Une table de douze serait difficile à placer dans la magnifique salle du restaurant d’hiver, aussi Eric Fréchon nous fit la gentillesse de nous accorder la salle du restaurant d’été que nous avons pour nous seuls. Lorsque j’arrive pour ouvrir les bouteilles déjà présentées sur une table en attente de cette opération je constate la beauté du lieu et le confort de disposer d’un si grand espace. Mon ami italien qui loge à l’hôtel vient voir comment se passe la cérémonie d’ouverture. Quand il sent le Mouton 1964 extrêmement poussiéreux et voit ma sérénité, il fait des yeux ronds. Il doit se demander si je suis sain d’esprit en restant calme devant un vin à l’odeur particulièrement inamicale. Il eut un large sourire quand il constata la perfection du parfum de ce vin au moment où nous le bûmes. Les bouchons ne me posent pas de difficulté particulière. Une fois de plus je vois que le bouchon de La Tâche 1964 est recouvert d’un sédiment noir poussiéreux qui sent la terre de la cave de la Romanée Conti. Les senteurs les plus belles à l’ouverture sont dans l’ordre : Yquem 1918, Clos Sainte-Hune 1990 qui est une bombe olfactive, et Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974. Le Pétrus 1994 a une odeur très élégante, et le vin d’Algérie que j’avais annoncé d’un niveau très bas, en dessous de ce qui est considéré comme « vidange », et qui était surnuméraire, a une odeur très agréable, légèrement torréfiée.  

Les convives arrivent presque tous à l’heure mais c’est le « presque » qui est gênant, car il est quasi impossible d’accueillir l’ensemble de la table à l’heure dite. Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 60 qui est une belle introduction dans le monde des vins anciens. La couleur est très ambrée, la bulle est moyennement active. Le parfum est intense et en bouche c’est un vin délicat, avec des évocations de caramel. C’est délicieux si, comme je le suggère, on entre dans la logique d’un vin qui n’a pas grand-chose à voir avec un Grand Siècle actuel.

Nous passons à table et voici le menu créé par Eric Fréchon et Jérôme Moreau : Saint-Jacques à la plancha, gnocchi à la truffe noire, jus de mâche et beurre noisette / Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / Oignon rosé de Roscoff carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles / Parmentier de queue de bœuf, sauce vin rouge / Pamplemousse en sorbet, écume de combava, meringue à la poudre d’amande / Café, friandises et chocolats. Lorsqu’Eric Fréchon m’a envoyé son projet de menu, il a considérablement chamboulé l’ordre des vins que j’avais indiqué. Il y a dans son schéma des séries particulièrement osées. Je me suis dit : « pourquoi pas ? ». Il faut savoir oser de telles nouveautés pour vérifier si mes repères peuvent être élargis.

La table est particulièrement jeune et enjouée, quatre femmes illuminant la pièce de leur beauté. Les compétences œnologiques sont variées, la moitié de la table étant formée d’habitués et l’autre de novices de ces exercices.

Sur le premier plat, le Champagne La Grande Dame, Veuve Clicquot Ponsardin 1990 est présenté en même temps que le Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1961. Le plus jeune est d’un jaune clair et fait gamin, alors qu’il a 17 ans, à côté de son aîné qui est ambré comme le Laurent Perrier, avec un peu plus d’orangé clair. Le champagne la Grande Dame est très bon, mais l’intérêt se concentre sur le Dom Ruinart dont j’aime la bouteille de toute beauté, qui représente, à mon sens, la perfection du champagne. Tout est exact dans le goût de ce champagne évolué mais parfaitement équilibré. Ce pourrait être le sauvage compagnon de folies gastronomiques car je le sens prêt à s’adapter à toutes les situations. Il est long en bouche, imprégnant, et je l’adore.

Au lieu des blancs qui suivent généralement les champagnes, nous allons démarrer par une première série de rouges, et c’est particulièrement étonnant que l’on mette en scène aussi tôt un vin de la Romanée Conti. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 est associé, pour mon plus pur plaisir au Morgon Champy 1970. J’aime ces unions morganatiques et ce d’autant plus qu’un ami à qui j’avais montré la liste des vins de ce dîner auquel il n’assisterait pas m’avait prédit que le beaujolais n’aurait pas d’intérêt. Il faut tuer les préjugés. Le Grands Echézeaux a un nez qui est typiquement de la Romanée Conti. Nous en sourions avec un convive dijonnais qui connaît bien les vins du Domaine. Le nez est subtil, raffiné et en bouche les évocations partent dans d’innombrables directions feutrées. Tous les convives qui boivent leur premier vin du Domaine en sont émerveillés. Le sel, la terre, sont des racines du goût de ce vin bien épanoui. Pendant ce temps là, le Morgon montre une joie de vivre, une assise en bouche d’une folle jeunesse. Il y a tant de gouleyant dans ce vin simple que l’on est séduit. Ah, bien sûr, on est loin de la complexité du bourguignon, mais c’est joyeusement bon. Le plat de macaronis est divin, dionysien, et l’accord est d’une franchise rare.

Oser l’association de trois stars aussi disparates est un moment que je suis content d’avoir vécu, même s’il faut une flexibilité du palais particulièrement affutée. C’est un peu comme mettre sur scène en même temps Diam’s, Lino Ventura et Sarah Bernhardt. Ça pulse ! J’ai cependant retardé l’arrivée sur scène du troisième, pour qu’il n’écrase pas les deux premiers. Sur l’oignon se présente le Pétrus 1994 qui a un nez d’une délicatesse folle. En bouche, ce sont des gymnopédies. Il déroule tant de finesse que l’on est emporté comme dans une valse étourdissante. Quand on passe au Montrachet Bouchard Père & Fils 1999 il faut attacher sa ceinture, car ça démarre en trombe, avec une palette aromatique dont il est impossible de faire le tour. Ça change tout le temps. On peut y voir des milliers d’évocations de fleurs blanches, de fruits frais, et c’est, malgré la puissance, d’une délicatesse particulière. Aussi, quand le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1990 arrive, c’est une bombe aromatique et gustative dont le potentiel s’exprime en mégatonnes. S’il y a une belle distribution complexe, la première impression est quand même monolithique. C’est le pack de rugby qui avance sans se poser de question. Je suis amoureux de ce vin parfait, envahisseur du palais au-delà de l’imaginable. Alors, repasser de l’un de ces vins à l’autre est un exercice de gymnastique difficile, mais je suis reconnaissant à Jérôme Moreau de nous avoir suggéré de le tenter. Ces trois vins sont si différents qu’il est très difficile de juger de leur adaptation au plat d’autant qu’ils ont un calibre supérieur au sien. C’est sans doute le Pétrus qui convient le mieux.

J’expliquais à des convives la différence que je fais entre les « accords de surf » et les « accords de boxe », ceux où vins et mets voguent ensemble ou au contraire se provoquent et j’en fis discrètement l’expérience en goûtant un peu du Parmentier avec le Sainte-Hune. C’est tout simplement prodigieux. Mais ce plat est conçu pour d’autres vins.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1964 a un nez salin qui ressemble à celui du Grands Echézeaux, mais il fait plus fatigué. Ma voisine qui est avec son époux une fidèle parmi les fidèles considère les vins du Domaine comme des mythes dont elle est l’adoratrice. Aussi est-elle un peu frustrée de voir que certains de ces vins peuvent ne pas être au firmament. Moins gênés que d’autres, le dijonnais et moi savons lire entre les lignes et nous en profitons. Mais La Tâche est ici en jeu un peu faible. Tout-à-coup, comme si un réveil avait sonné, La Tâche se met à délivrer des fulgurances de perfection qui sauvent l’opinion que je commençais à me forger. A côté de lui, le Château Mouton-Rothschild 1964 au parfum totalement opposé à ce qu’il avait délivré il y a six heures, déborde de joie folle. Il m’évoque le velours et une goûteuse confiture de fruits rouges. Il est joyeux, juteux, jeune d’esprit et se complait en bouche. On le boit comme on goûte un bonbon. Pas franchement dans le style de Mouton il a cependant une caractéristique de ce vin : il ne laisse pas indifférent, et quand on l’aime, on l’adore.

Le vin de la même série mais servi en léger décalage est un Osmara Dom. De Feudeck, Comte Hubert d'Hespel Prop. à Jemmapes (Algérie) 1945. J’avais annoncé son niveau très bas ce qui fait que Jérôme Moreau n’avait même pas fait imprimer son nom sur le menu. D’une odeur agréable à l’ouverture, il se présente comme un grand vin au moment où nous le buvons. Il serait servi seul dans un repas, on l’apprécierait énormément. A côté des deux autres il fait même belle figure. Il évoque un peu un porto légèrement sec, en donnant au mot sec une connotation qui n’est pas péjorative. Très goûteux, très dense, légèrement fumé, il ressemble à un vin lourd du Rhône. Si le Mouton évoque les fruits rouges, l’Osmara rappellerait un peu la figue. Sa longueur en bouche ne dévie pas ce qui démontre que sa baisse de niveau ne l’a pas blessé. C’est un vin particulièrement intéressant car on a peu de repères. Le Parmentier est un joyau de cuisine bourgeoise.

Le dessert qui accompagne le Château d’Yquem 1985 est une merveille d’intelligence. La justesse de ton pour cet agréable Yquem est remarquable. On sent tout le travail qui est fait entre Eric Fréchon et Jérôme Moreau pour coller aux vins. Certains novices qui découvrent Yquem sont conquis. C’est un Yquem classique, très rassurant.

De convention entre Eric et moi, le Château d’Yquem mise Van der Meulen 1918 est servi seul comme un dessert à part entière. Au moment où nous l’appréhendons, le vin confirme le parfum inoubliable qu’il disperse autour de nous, halo de bonheur. Nous sommes à un sommet de ravissement. En bouche, l’agrume et le thé sont si présents que je demande à Sébastien, le maître d’hôtel particulièrement zélé de nous faire apporter des tranches de pamplemousse rose. Et l’association est divine. L’Yquem est d’un or d’airain, tout en agrumes et en thé, peu sucré et le bonheur de boire cet Yquem est comparable au charme d’une geisha pratiquant l’art de la conversation.

La tradition du vote a été particulièrement intéressante, car aucun des convives n’aurait pu imaginer une telle diversité des votes. Cela devrait donner beaucoup d’humilité aux experts qui pensent qu’il y a un goût universel ou pour le moins consensuel. Car sur les treize vins du repas, onze ont figuré dans les quartés. Et les deux qui n’y figurent pas sont de très bons vins : le Veuve Clicquot la Grande Dame 1990 qui brillerait en un autre endroit a été étouffé par le Dom Ruinart 1961, et le délicieux Morgon 1970 était entouré de trop de merveilles. Autre sujet d’étonnement et de fierté pour moi, sept vins ont eu droit à un vote de premier. Ce qui fait que sur douze convives, sept ont choisi différents chouchous pour leur soirée. C’est une leçon sur la diversité des goûts. Les vins qui furent nommés premiers sont : Yquem 1918 quatre fois, Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 et Pétrus 1994 deux fois, Dom Ruinart 1961, Clos Sainte-Hune 1990, Montrachet Bouchard 1999, Yquem 1985 une fois. Le vin le plus fréquent dans les votes est le Grands Echézeaux, suivi du Mouton. Le vin d’Algérie au niveau bas a figuré dans quatre votes, ce qui est spectaculaire.

Le vote du consensus serait : 1 – Yquem 1918, 2 - Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, 3 – Clos Sainte-Hune 1990, 4 – Mouton-Rothschild 1964.

Mon vote a été beaucoup plus difficile que d’habitude. Car il y a tellement de vins que je voudrais encourager comme le Pétrus 1994 si joli, le Montrachet ou le Grands Echézeaux. J’ai eu comme mes convives de longues hésitations. Le vote que j’ai retenu est : 1 – Yquem 1918, 2 – Clos Sainte-Hune 1990, 3 – Mouton-Rothschild 1964, 4 - Dom Ruinart 1961. Tout le monde a compris qu’il y a une cohérence entre le fait de demander de ne pas juger les vins lorsqu’on les boit et de procéder à des votes, car ces votes ne constituent en aucun cas une critique des vins. C’est un exercice ludique qui montre sur quels vins chacun a le plus vibré. La personne qui a voté en numéro un pour Yquem 1985 et n’a pas cité dans son quarté Yquem 1918 a un palais différent du mien. Vive la différence ! Une autre question que l’on peut se poser : si pour des vins très disparates les préférences sont aussi variées, à quoi cela sert-il de donner des descriptions analytiques d’une précision confondante, si cela ne sera pas perçu de la même façon par des dégustateurs ?

Nous avons eu ce soir la cuisine épanouie d’un Eric Fréchon au sommet de son art. Les goûts sont francs, lisibles, et cela convient parfaitement aux vins anciens. Jérôme Moreau a suggéré des audaces et je lui en suis reconnaissant. Dans cette belle salle que nous avions pour nous tous seuls, au milieu des rires, nous avons passé une soirée raffinée et mémorable. Une preuve de plus : plus d’une heure après la fin du repas, personne ne voulait quitter la table.

les vins du dîner du 24 janvier 2008 jeudi, 24 janvier 2008

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle (ancien)

Champagne La Grande Dame, Veuve Clicquot Ponsardin 1990

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1961

Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1990

Montrachet Bouchard 1999

Pétrus 1994

(l'étiquette est détachée)

Château Mouton-Rothschild 1964

Morgon Champy 1970

Osmara Dom. De Feudeck, Comte Hubert d'Hespel Prop. à Jemmapes (Algérie) 1945

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1964

Château d’Yquem 1985

Château d’Yquem mise Van der Meulen 1918

 

 Il est à noter que ce qui est écrit est Chateau Yquem et pas Chateau d'Yquem, ainsi que la mention "premier des grands crus", qui n'a jamais été revendiquée par Yquem.

esquisse de contact avec la Chine mardi, 22 janvier 2008

Quelqu’un m’ayant demandé de trouver une entreprise du monde du vin qui pourrait créer à Pékin un bar à vins, vitrine de l’œnologie française, j’ai, par un concours de circonstances, initié un contact entre un négociant en vins chinois et une femme française qui va ouvrir une galerie d’art à Pékin, destinée à promouvoir l’art français. Un dîner impromptu s’organise chez moi avec le négociant chinois et des amis, et nous commençons à boire un champagne Léon Camuzet 1979 vin de Vertus, champagne consommé par ma famille depuis deux générations. C’est le champagne de famille, celui qui marque le goût futur. Le vin est splendide. L’âge a arrondi le champagne qui a des tonalités de fruits roses. Long en bouche, il accompagne très bien des petites sardines.

Le repas devant être frugal, nous dégustons des tagliatelles au foie gras et à la truffe sur un Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997. Que je suis heureux de ne pas vouloir approcher le vin de façon objective ! Si ce 1997 était en comparaison, de doctes sages trouveraient un millésime plus puissant. Mais je n’avais pas besoin de puissance à ce moment-là. J’ai adoré ce vin à cet instant précis. Juteux, changeant en bouche, avec des ondulations canailles, ce vin s’amuse sur le palais.

Sur une fine tarte aux pommes j’ai servi une Fine Bourgogne Domaine de la Romanée Conti 1979 d’un rare équilibre, moins virile que la Fine Parent vers 1904 d’il y a peu de jours, plus joyeuse en bouche. Mon hôte chinois m’a fait un portrait des perspectives qu’offre la Chine en ce qui concerne les vins anciens. On comprend que le soleil se lève à l’Est.

deux Dom Pérignon à l’Arpège lundi, 21 janvier 2008

Richard Geoffroy, l’homme qui crée Dom Pérignon, est de passage à Paris. Il me donne rendez-vous au restaurant l’Arpège. Alain Passard est en voyage, ce que nous regrettons, car nous aurions aimé l’un et l’autre bavarder avec lui. Son équipe jeune et motivée nous a permis de passer un fort agréable dîner. Le petit amuse-bouche de bienvenue plante le décor : nous aurons ce soir des saveurs raffinées. L’œuf à la coque au vinaigre balsamique et au sirop d’érable permet au champagne Dom Périgon 1999 de montrer son adaptabilité. Richard avait lu mes commentaires sur ce champagne lors de sa sortie publique. Je n’avais pas été ébloui. Richard a voulu me faire réviser mon analyse et il a eu raison. Le champagne a mûri, a des épaules plus larges et sur la cuisine délicate de l’Arpège, il montre ses facultés gastronomiques.

Nous commençons par un gratin d’oignon blanc à la truffe, parmiggiano reggiano. Le plat arrive trop chaud et le champagne trop froid, ce qui crée un blocage gustatif majeur qui va gentiment s’estomper quand le plat se refroidit. L’oignon castre la truffe peu envahissante. Le très agréable maître d’hôtel eut une bonne réaction lorsqu’il connut l’erreur de température : il fit préparer deux nouvelles portions.

Le plat suivant est le foie gras de canard de la madeleine de Nonancourt, datte et citron confit. La chair du foie est absolument merveilleuse et ce qui me séduit le plus, c’est que la datte, très adoucie, forme une continuité avec la chair du foie. Le champagne se régale et offre des évocations de miel, de caramel, de beurre et de brioche. Il s’épanouit.

Un ris de veau de Corrèze aux châtaignes effilées, fondue de truffe noir, accueille maintenant le champagne Dom Pérignon Oenothèque 1993. Le ris en tranches un peu fines est un peu trop cuit à mon goût mais il est délicieux. Le champagne agréable, léger essaie de suivre ce plat, mais c’est surtout le 1999 qui s’adapte à sa poésie. On aurait pu envisager un vin jaune sur ce plat goûteux.

La deuxième portion du gratin d’oignon à la truffe se présente un peu moins chaude, et je ne vois pas du tout ce que l’un apporte à l’autre, du blanc et du noir. Il n’y a aucun effet multiplicateur. Le 1993 est surtout à l’aise avec les lamelles de truffes seules.

Le plat le plus éblouissant, c’est la volaille du Pathy, endives au lard fumé, car la chair du volatile est d’une trame précieuse et d’un goût ravissant. Cette poule est élevée au lait de vache, ce qui, pour le moins, est original. Le goût est envoûtant, et les légumes montrent un talent exceptionnel. Il y a dans tous les plats une recherche de pureté qui est de bon augure pour le dîner que je compte faire un jour avec Alain Passard. Le 1993 a montré des affinités gastronomiques moins étendues que le 1999. Il joue dans une discrétion particulière. Le Comté de quatre ans de Bernard Antony est astucieusement tranché en fines lamelles ce qui le rend plus délicieux. C’est le type de saveurs qui convient au Dom Pérignon 1993, car il y a une vibration qui se crée. C’est peut-être même plus subtil que l’accord traditionnel avec un vin jaune.

Nous avons abondamment parlé de thèmes qui nous tiennent à cœur. Richard vit chaque seconde de sa vie pour la création du Dom Pérignon parfait. Il me fait penser au roman de Patrick Süskind, le Parfum, où le héros du livre est à la recherche du parfum absolu. Richard a la même quête. J’espère qu’il n’ira pas comme Jean-Baptiste Grenouille jusqu’au meurtre pour obtenir le Dom Pérignon parfait. Beaucoup de considérations sur la gastronomie nous rapprochent, ce qui multiplie le plaisir d’être ensemble. Ce fut un beau dîner dans un beau cadre, avec un service trendy de grande qualité.