San Francisco day 3 – le dîner de collectionneurs samedi, 6 octobre 2007

La journée du lendemain doit être calme, car le dîner marquera le point culminant de ce voyage. Ma femme fait du shopping avec Elizabeth, je fais un court shopping de mon côté, et nous prenons place dans notre chambre pour le spectacle du ballet aérien sur la baie de San Francisco. Des milliers de bateaux se sont rangés dans la baie pour se faire des sensations fortes, car les avions vont faire des piqués et raser le haut de leurs mâts. Une foule immense a envahi les quais pour suivre le spectacle particulièrement impressionnant. Le plus vibrant est quand deux avions foncent l’un sur l’autre à moins de cent mètres de hauteur, et dévient leurs trajectoires au dernier moment. Quatre avions en formation serrée passeront sous le Golden Gate Bridge. J’imagine la réaction des automobilistes qui traversent le pont à ce moment-là.

Nous partons avec Steve pour ouvrir les bouteilles au restaurant « Fleur de Lys », accueillis par Marcus Garcia souriant qui se propose de nous aider. Je m’aperçois qu’il n’y a pas de longue mèche, aussi nous partons avec Steve acheter cet accessoire. Le taxi que nous trouvons difficilement, tant la ville est en plein mouvement, ne veut pas nous attendre malgré des palabres. Je serai obligé de rester dans le taxi pour éviter qu’il ne s’en aille pendant que Steve achète l’outil qui me sera utile. J’ouvre le Château Palmer 1947 dont le bouchon est très sec dans sa partie haute et très souple dans sa partie basse. Il sort entier. Ce n’est pas le cas du Château Mouton-Rothschild 1928, magnifique bouteille. Son bouchon imbibé et fragile viendra en plusieurs fois, mais aucun morceau ne tombera dans le liquide, contrairement à ce qui était arrivé pour le Carbonnieux 1928 de la veille. Nous sommes six garçons autour de la table, pendant qu’Elizabeth a regroupé les épouses pour laisser les mâles se livrer à leur passion favorite.

Le menu préparé par Hubert Keller, un chef français, alsacien de Ribeauvillé, et servi par un français fort sympathique est un vrai chef d’œuvre : passed « canapés » / tsar Nicoulaï « select » California osetra caviar accompanied with parsnips blinis / roasted Maine lobster on artichoke purée, citrus salad, porcini oil / boneless quail, scented with a juniper berry & orange essence / Colorado lamb loin & lamb cheek sausage, « tarbais » bean « cassoulet », whole grain mustard & tarragon sauce / venison topped with sauteed foie gras, served with truffled Port wine sauce / assortment of artisanal French cheeses served with rustic fig bread / classic Grand Marnier soufflé served with an orange & cardamom ice cream / assortment of petits fours & chocolates.

Le menu a été exceptionnellement bien traité par Hubert Keller comme l’indiquaient d’emblée les petits canapés d’un raffinement particulier. Le Champagne Brut Classic Deutz en magnum 1975 joue parfaitement son rôle d’ouverture. Doté d’une très belle maturité, il manque sans doute un peu de puissance et de coffre, mais il est très agréable et laisse une belle trace en bouche. Flexible, il s’adapte à tous les caprices des amuse-bouche.

Le champagne Louis Roederer 1959 a un nez très inamical, mais en bouche, si on accepte sa logique, c’est comme un toboggan : on se laisse aller, et c’est bon. On ne se laisse pas impressionner par l’amertume et il devient passionnant. Je suis assez estomaqué par le caviar d’élevage californien qui est d’un goût qui impose le respect. Avec le Roederer, l’harmonie est totale. Ce n’est pas du tout le cas pour le Montrachet Domaine Ramonet en magnum 1996 qui ne veut pas s’associer au caviar. Il est beaucoup plus accueillant envers le homard avec lequel il forme un accord de grande beauté. C’est un bon Montrachet que je trouve un peu scolaire. Il est très élégant, mais sans fanfare.

On constatera dans ce repas que chacun est particulièrement sensible aux vins qu’il a apportés, car ayant voulu faire plaisir aux autres, il les chérit particulièrement. Je ne manque pas d’adopter cette attitude, car dès que je suis servi du Château Palmer 1947 que j’ai inscrit à ce dîner, je le trouve complètement extraordinaire. Il me paraît impossible de rêver mieux. Avec la caille désossée et le ris de veau, c’est parfait. Ce vin est charmeur comme il est difficile de l’imaginer. Il incarne ce que 1947 peut créer de plus beau.

Je vacille, car le deuxième vin que j’ai apporté, rareté extrême, Château Mouton-Rothschild 1928, est encore meilleur, marqué d’une plus forte personnalité. Comme pour le Palmer 1947, le Mouton est d’une couleur d’une jeunesse folle. Le goût est fantastique, très typé. C’est un vin immense, incroyable, à pleurer. Le 1947 est un vin parfait mais équilibré. Le 1928 est invraisemblable. Il a la jeunesse, il a du sel et du poivre, une profondeur qui me touche au-delà du possible. C’est un bonheur total. La profondeur de ce vin est incroyable. Il rejoint mon Panthéon des vins de Bordeaux.

Le Château Latour 1926 de mon ami Steve donne l’impression de ne révéler qu’une partie de ce qu’il pourrait donner. Il a encore tellement de potentiel que c’en est incroyable. Quand nous goûtons le vin un convive dit : « ce vin appelle la truffe », et voilà qu’elle survient ! Ce 1926 est fruité, doux, parfait avec le foie gras, et mal à l’aise avec le gibier qui est trop fort du fait de sa sauce trop intense. Le 1926 a une force de structure qui est spectaculaire. C’est un vin très solide et jeune.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1985 a un nez très DRC (domaine de la Romanée Conti). Il m’évoque des pierres de lave encore en fusion. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1964 a un nez fatigué.

Le 1985 a un goût très poivré, très salé. Sa séduction ne se découvre que si on la recherche. Il va bien avec un fromage « tête de moine », très salé aussi. Le 1964 est plus adouci, plus aqueux, mais d’une trace plus longue. Il est très agréable. L’époisses adoucit le 1985. Le 1964 est charmeur et velouté, il joue en séduction contrairement au 1985. Son final titille et impressionne. Les deux vins du DRC font un contraste et une rupture gustative très forts avec les bordeaux.

Le fromage bleu est trop salé pour accompagner le Château Climens 1937. Ce sauternes, très différent du Suduiraut 1929 qui m’est apparu plus flamboyant a un goût de café, de thé et de tabac. C’est donc une acception moins ensoleillée du sauternes.

Steve a ajouté un vin surprise. C’est un Tokaji Essencia 1856. J’ai déjà bu des Essencias très anciens. Mais ici, on quitte tout repère. Le vin, si l’on peut encore appeler cela du vin, est très épais, incroyablement sucré. On penserait à un « canard », sucre qui aurait trempé dans une liqueur de cassis, de prune et de raisin. C’est un vin qui est différent de tout ce que l’on peut connaître. Il a encore une acidité énorme, qui compense la sucrosité. Il emporte la bouche dans laquelle il a une présence infinie. Une curiosité passionnante que l’on imagine avoir une vie éternelle.

Nous sommes six et nous procédons aux votes de ces dix vins. Neuf d’entre eux auront un vote, ce qui est plus que satisfaisant. Bien évidemment chacun vote pour les vins qu’il a apportés, car il les aime. Le Mouton 1928 recueille trois places de premier, soit pour la moitié de la table, ce qui me fait plaisir après l’ennuyeuse contre-performance du Carbonnieux 1928, et le Latour 1926 en recueille deux. L’Essencia 1856 reçoit un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Mouton 1928, 2 – Latour 1926 et Richebourg DRC 1985, 4 – Palmer 1947.

Mon vote : 1 – Mouton 1928, 2 – Palmer 1947, 3 – Louis Roederer 1959, 4 – Latour 1926.

Le service a été excellent et attentif, la cuisine fut originale, goûteuse, précise. Les amis de Steve sont de grands amateurs de vins, joyeux, décontractés mais réfléchis lorsqu’ils dégustent. Ce fut un dîner d’une rare qualité, amical, aux vins particulièrement brillants. Il justifie sans aucune hésitation le voyage que nous avons fait en terres californiennes.

San Francisco day 2 vendredi, 5 octobre 2007

Avec Elizabeth, la femme de mon ami, nous allons faire du shopping. Dans un immeuble immense, un centre d’achats ressemble à la fois à un souk de Marrakech, aux Puces de Saint-Ouen et à un fourre-tout de China Town. L’objet essentiel de cet ensemble de magasins, ce sont les cadeaux, les bijoux et les diamants. Il y a de grandes tentations à des prix rendus plus doux par la faiblesse du dollar. Nous visitons ensuite le MOMA, le musée d’art moderne de San Francisco, et nous allons déjeuner à Sutro’s, un restaurant qui surplombe la mer sur la côte Pacifique, à côté d’une immense plage de sable où un vent violent projette des vagues qui attirent des kite-surfs. Une barmaid aux gestes adroits, saccadés et efficaces prépare des cocktails pendant que nous attendons qu’une table se libère dans la salle à manger qui donne sur une mer déchaînée.

Nous faisons ensuite une promenade touristique en voiture qui nous conduit au Golden Gate au moment où les « Blue Angels », la patrouille de voltige de l’armée de l’air fait de nouveau des exercices au dessus de la baie de San Francisco.

A 17 heures, je vais avec mon ami Steve ouvrir les vins du dîner familial. Ce sera au restaurant Masa’s, dont le chef est Gregory Short, le chef sommelier Alan Murray, et le maître d’hôtel Adam Lovelace. J’ouvre mes deux bouteilles et Steve les ouvre hors de ma présence, car il ne veut pas que je sache à l’avance les surprises de ce soir. Le bouchon du Carbonnieux 1928 vient en mille morceaux. Les odeurs que révèle la bouteille me paraissent saines. Le bouchon du Suduiraut 1929 vient entier et c’est un parfum capiteux qui envahit la pièce. Nous retournons à l’hôtel pour nous préparer et nous nous retrouvons, Steve, Elizabeth, les deux enfants de Steve, la fiancée de l’aîné, ma femme et moi dans une salle toute petite, qui est l’antichambre de la cave du restaurant. Une table de sept y est dressée. La confidentialité de notre groupe est préservée, mais les émanations de vins dans cette cave mal aérée vont tirer des bâillements toute la soirée de la part de nos hôtes, sensibles au manque d’oxygène.

Le menu est tout un programme : butternut squash soup, brown butter foam / bone marrow custard, truffle sauce, crispy bone marrow / farm raised Siberian Osetra caviar, melted leeks, salsify purée, chive infused oil / German butterball potato salad, applewood smoked bacon, Spanish capers, French cornichons, micro celery, whole grain mustard vinaigrette / whole roasted Hiramé, wilted young spinach, maitake mushrooms, preserved meyer lemon infused broth / sweet butter poached Maine lobster, caramelised baby lettuce, brioche toast, lobster vinaigrette / whole roasted Mallard duck foie gras, French green lentils, jonathan apples, red shiso, apple gastrique / sautéed Paine farmes squab breast, honey roasted quince, wilted young chard, confit leg, “jus de grenadine” / pan-roasted rack of Millbrook farms venison, poached seckel pear, roasted chestnuts, sauce “au poivre” /  Artisan cheese, fleur de maquis (sheep), capricious (goat), Montbriac (cow) / petit sorbet, ginger-orange-carrot “slurpee” / pear charlotte, carmelized pears, raspberries, blackberries, streusel, caramel sherbet.

Tous ces intitulés sont révélateurs de la volonté du chef. Il a réussi un repas de très grande qualité, valant au moins une étoile. Les accords avec les vins n’ont pas toujours été pertinents, mais cela n’a pas empêché de bien les déguster.

Le Champagne Cristal Roederer 1990 est une agréable surprise. Je ne bois pas fréquemment ce champagne, favori d’Elizabeth, et celui-ci me ravit. Donnant déjà des signes de maturité, il a des accents de fruit confit. Dense, typé, de forte personnalité, c’est un grand champagne.

Le Château Olivier, Graves blanc 1945 est d’une couleur d’un or presque mangue. Le nez est policé. En bouche, ce vin pourrait constituer une leçon de choses. Car trop de gens pensent qu’un vin blanc évolué est madérisé. On est en présence d’un vin élégant à qui la maturité a donné une autre personnalité, d’un talent certain. Ce vin de gastronomie est d’un immense plaisir.

Le Château La Gaffelière, Saint-Emilion 1959 est d’une jeunesse folle. Son nez est frais et expressif, et en bouche, on jurerait un 1986. Je suis tellement dérouté par sa jeunesse que je ne profite pas comme il conviendrait de son équilibre joyeux.

Le contraste est fort avec le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1934 qui lui, fait vraiment son âge. Sa couleur est étonnamment claire, d’un rose maigrelet, mais en bouche, c’est un agréable témoignage de 1934. Pas le meilleur car il accuse une certaine fragilité, mais j’aime beaucoup sa façon de se présenter, l’acidité ne gênant pas le plaisir.

Le Château Carbonnieux 1928 que j’avais senti avec intérêt à l’ouverture affiche maintenant une odeur de bouchon. Ça m’énerve au plus haut point, car cela fait deux bouteilles faibles que je partage avec mon ami Steve, l’Issan 1899 fatigué et ce Carbonnieux 1928 bouchonné. Heureusement, la sauce au poivre du daim permet d’apprécier le vin qui en bouche ne se ressent pas trop de son nez de bouchon. Mais quand même, on ne peut le déguster comme il pourrait être, car il sait être brillant, l’un des beaux exemples de 1928.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée-Conti 1964 me fait sourire en le sentant, car il y a cette signature poivrée qui n’appartient qu’au domaine. Le vin très bourguignon ne peut que me séduire. C’est un vin très agréable et complice même s’il manque un peu de coffre. Il compense par une belle joie de vivre.

Le Château Suduiraut 1929 avait un nez d’une puissance rare à l’ouverture. Il confirme maintenant. D’une couleur très foncée, il offre des arômes d’orange confite, de datte. C’est un vin exceptionnel de plénitude, de joie, de perfection. Il va très bien avec les saveurs de noix et de caramel.

Je n’ai pas fait voter l’ensemble de la table, mais j’ai recueilli le vote de Steve. Il classe ainsi : 1 – Château Olivier 1945, 2 – Château Suduiraut 1929, 3 – Echézeaux DRC 1964, 4 - Château La Gaffelière 1959.

Mon vote est : 1 – Château Suduiraut 1929, 2 - Champagne Cristal Roederer 1990, 3 - Château La Gaffelière 1959, 4 – Echézeaux DRC 1964.

La performance du Suduiraut que j’avais apporté compense ma vexation d’avoir apporté un vin bouchonné. Les vins furent tous très bons à part celui-là. Le chef a réussi son dîner et particulièrement le foie gras et le pigeon, le service fut impeccable. N’était l’absence d’aération de notre salle où nous étions cernés par des rangées de bouteilles de la cave et submergés par des odeurs de vin, ce fut un dîner très agréable, marqué par le désir de partage que nous avons structuré avec cet ami américain.

de grands vins avec des amis au restaurant Laurent lundi, 17 septembre 2007

Un des amis présents au dîner chez Ledoyen m’invite avec un autre des convives, à déjeuner au restaurant Laurent dans le beau jardin où les feuilles de marronnier qui tombent en virevoltant sont autant de confettis qui donnent à notre table un air de fête. Patrick Lair est tout sourire, et la brigade attentive. Les vins sont déjà préparés et cela me fait tout drôle d’être spectateur alors que lorsque je rencontre ces amis, c’est plus souvent, sinon toujours, sur un programme que j’ai préparé.

Nous commençons par un « Le Montrachet » de Delagrange Bachelet 1988 (personne ne m’a encore expliqué pourquoi Montrachet s’écrit parfois précédé d’un « Le » péremptoire) à la couleur très jeune, au nez discret de belle race. En bouche le vin est charmeur. Son acidité de citron vert qui aurait épousé une liqueur de dosage est absolument séduisante. Il manque à ce vin un peu de gras et de puissance, mais c’est vraiment charmant et romantique. Sur le foie gras à peine poêlé qui est d’une fraîcheur rare, on est dans des tons d’aquarelle.

Il ne faut pas toucher au canapé sur lequel repose le foie qui  gâcherait cette harmonie en légèreté.

Les canons vont maintenant trompeter car  on nous sert l’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998, le même que celui que j’avais fait goûter à mon hôte lors d’un réveillon dans ma maison du Sud. Ce vin est la définition du bon vin. Il est ample, riche, fruité, mâchu, goûteux et surtout il est simple. On le comprend tout de suite et on se laisse griser par cette limpidité de message qui amplifie le plaisir. On est loin des complexités de certaines cuvées sophistiquées mais on ne perd pas en finesse. Si j’osais une comparaison, ce serait la voix du regretté Pavarotti. Là où d’autres ténors sont obligés de forcer leur talent pour respecter des livrets exigeants, Pavarotti place chaque note avec une facilité incomparable. Il y a un peu de cela dans le Chave où tout est dosé, mesuré, pour le plus beau résultat.

Inutile de dire que mon pigeon est à son aise, même si son pané nuit un peu à la lisibilité, mais le canard de mes amis est peut-être encore plus adapté.

N’aimant pas être en reste, j’offre à mes amis un Riesling Shwarzhofberger Spätlese  Egon Muhler 2005 qui titre 8,5° et je commande le dessert, petite tartelette fine croustillante aux fraises des bois sur une crème légère à l’amande.

La combinaison est diabolique. Ce vin n’est normalement pas dans mes démarches car il fait un peu penser à un vin de glace perlant, dont le sucre insistant marque le final. Mais avec le dessert, c’est éclatant de sensualité. Ce sont les jeunes filles de David Hamilton jouant avec des voilages.

Le jardin du restaurant Laurent est magnifique, le service est l’un des plus engagés de la capitale. Le charme du lieu opère, la cuisine est solide et le tout est enveloppé par une chaude amitié.

90ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 13 septembre 2007

Le 90ème dîner de wine-dinners se tient ce soir au restaurant Ledoyen. Les bouteilles avaient été livrées il y a trois mois et ont été redressées hier. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et c’est un plaisir de voir une équipe motivée, soucieuse de la perfection et concernée par l’événement qui se prépare. Patrick Simiand et Géraud Tournier ont travaillé avec le chef Christian Le Squer, et l’envie de tous de faire bien est un plaisir pour moi. Frédéric, sommelier de ce soir est complètement dans son sujet. Tout est réuni pour que notre dîner soit parfait. J’ouvre les vins, et le Châteauneuf-du-Pape blanc a une odeur camphrée qui va disparaître. Lorsque j’ouvre le Nuits 1899, je pousse un ouf de soulagement en le sentant, car c’est du vin, et du vin encore vivant. Rassuré par ces ouvertures faciles, je vais me promener dans un Paris inondé de soleil arpenté par des touristes de toutes nationalités.

Pour attendre mes convives et ne pas entamer le magnum de Krug, Géraud, sommelier de grand tact, nous offre un champagne Laurent Perrier Grand Siècle, que je trouve un peu plus dosé que ceux que j’ai bus cet été. Mais c’est fort agréable.

Les convives arrivent, de plusieurs nations : Etats-Unis, Suisse, Italie et France. Presque tous les participants sont des fidèles, à l’exception d’un invité de mes amis italiens et d’un vigneron ami, grand amateur de vins et hôte généreux, qui veut faire connaissance de nos agapes. L’américain est Bipin Desai, organisateur des verticales de Rauzan-Ségla et Canon, ainsi que du déjeuner au Carré des Feuillants, l’un des plus grands experts en vins anciens que la terre puisse compter.

Nous passons dans la magnifique salle à manger du premier étage et notre table est fort belle. Voici le menu créé par Christian Le Squer : Sardines à cru, eau de tomates à l'huile d'olives / Araignée de mer décortiquée en carapace / Concentré de Cèpes crus et cuits / Jambon Blanc, Cèpes, Parmesan aux Spaghettis / Foie de veau en persillade, jus de fruits rouges acidulé / Pithiviers brioché de Foie Gras et Cèpes et truffes / Vieux Comté / Soufflé Ananas épicé. L’élégance de cette cuisine aérienne ne fut mise en défaut qu’une fois, le foie de veau étant à contre-emploi avec le plus légendaire des vins de cette soirée, d’Henri Jayer.

Sur de délicates mises en bouche, le Magnum de Champagne Krug Vintage 1982 révèle toute sa grandeur. Un peu crémeux, opulent mais subtil, ce champagne brille par sa complexité. Le vigneron et Bipin Desai sont de redoutables amateurs, et nous avons discuté sur les mérites comparés de Salon 1982 et Krug 1982. Nos goûts différent, mais c’est tout à fait normal. L’accord avec la sardine est médusant, mais comme le dit mon ami vigneron, il est encore meilleur quand la sardine crue est enrobée de sa crème. Ce champagne de gastronomie est au sommet de son art.

Tout dans le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990 respire le bonheur. Il est chaleureux, joyeux, puissant, parlant d’une voix à la Pavarotti. Il est comme le Krug à un possible apogée.

Le Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers  L. de Vallouit 1961 a une odeur d’une rare complexité. En bouche, c’est le plus déroutant des vins, parce que l’on n’a aucun repère. Je raffole de ses variations énigmatiques. Les cèpes sont succulents, explosent de talent. Ils accueilleraient aussi un rouge, mais l’exercice auquel ils sont confrontés est une réussite absolue. J’aime ces vins qui font explorer des pistes qui n’existent plus.

Le Château Palmer, Margaux 1959 m’avait séduit par un parfum spectaculairement franc et sympathique. Lorsqu’il est servi, il est généreux. Il est accompagné par le Château Margaux, Margaux 1934, dont le nez à l’ouverture était plus discret. A table maintenant, il est spectaculaire, tout en charme, en séduction en subtilité. L’opposition entre les deux margaux est passionnante, car on peut aimer les deux, le Palmer plus viril, plus soldat, et le Margaux beaucoup plus charmeur et féminin. Lors de l’ouverture je m’étais demandé si le 1934 n’avait pas été rebouché, mais j’hésitais, car il était très possible qu’il s’agisse d’un bouchon d’origine magnifiquement conservé. Le vigneron ami eut la même première réaction puis en vint à la même analyse : il s’agit d’une bouteille au bouchon remarquablement conservé. Le 1934 est exceptionnellement bon et préféré de presque toute la table au Palmer que j’ai personnellement adoré.

Le jambon aux spaghettis, dont un ami moquait l’intitulé par humour (venir à Ledoyen pour manger un jambon nouilles est assez original), est un plat sensationnellement bon. Et sa mise en valeur des vins est d’une rare efficacité.

Lorsque l’on sert un vin de légende, on en attend beaucoup. On me sert le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 et l’odeur me fait me pâmer. C’est extraordinaire de voir la précision de cet agencement d’arômes. En bouche, c’est un immense bourgogne. Mais, oserais-je le dire, on attendrait John Wayne, et c’est Mickey Rooney. Il est subtil, élégant, complexe, parfait. Mais il manque cette pincée de puissance qui chanterait en bouche. Grand vin, bien évidemment, mais jouant un petit ton au dessous. Le foie de veau ne l’a pas servi, dégageant une acidité qui entravait le vin.

La bouteille de Nuits 1899 est sans doute la plus belle de ma cave. La bouteille soufflée à la main, très dissymétrique, porte la petite étiquette de l’année : 1899 et la grande étiquette, incomplète, n’a qu’un mot : « Nuits ». Je ne connais pas beaucoup d’étiquettes où il n’y a qu’un mot et cinq lettres. Si j’aime ces bouteilles, c’est parce que l’exploration des vins anciens que je veux partager porte sur des vins de prestige, comme le Margaux 1934 ou le Palmer 1959 mais aussi sur ces inconnus que l’Histoire nous a légués. Tout à ma joie que le nez à l’ouverture ait été celui d’un vrai vin, je ne remarque pas immédiatement, malgré l’évidence, que le vin est bouchonné. Mais fort heureusement, le goût en bouche n’est pas altéré. Et la truffe joue un rôle de soutien comme les soigneurs dans le coin d’un boxeur entre les rounds. Et le vin, si l’on admet qu’il a 108 ans est un vrai vin, vrai témoignage, avec son charme, sa consistance encore solide. J’adore ces vins, car j’en admets les petites insuffisantes. 

Le parfum du Château Chalon Jean Bourdy 1934 est à se damner. A mourir comme on dit aujourd’hui. C’est la plus belle année du 20ème siècle pour les vins jaunes, et il est évident que l’âge donne à ces vins oxydatifs une rondeur particulière. L’accord avec les deux comtés séparés d’un an d’âge se fait toujours aussi naturellement. L’ami vigneron qui fait un rouge mais aussi un blanc fort prisé a plus de mal à entrer dans la logique d’un goût qu’il n’a aucune envie de produire dans sa région.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918 est en fait un 1928, ce qui n’en est que mieux. Car l’expert qui avait fait le catalogue de la vente où j’ai acheté ce vin a cru lire sur le bouchon de cette bouteille sans étiquette 1918, mais une pliure de la peau du bouchon, qui s’enfle lors du débouchage, révèle un « 2 » là où  l’on lisait un « 1 ». La correction est dans le bon sens, et l’on est époustouflé par la perfection de ce sauternes à la complexité exemplaire. Il y a, à mon sens, plus de saveurs explorées et récitées dans ce vin que dans un Yquem. Je suis en extase lorsque des vins liquoreux sereins exposent autant de variété et de chatoiement. Le dessert est délicieux, accompagne bien, mais le sauternes opulent est largement capable de se diriger tout seul.

J’avais demandé aux  amis américains qui dînaient à une autre table de venir nous rejoindre en fin de repas pour finir le magnum de Krug. Par délicatesse, de craindre de modifier l’ambiance de la table, ils ont préféré nous saluer de loin.

Nous avons voté pour neuf vins et le Nuits 1899 est le seul qui n’a eu aucun vote, ce qui est triste. Il aurait mérité un lot de consolation, car il a, à mon sens, joué son rôle de bien belle façon. Mais c’est la loi des votes. Quatre vins ont été nommés premier : le Sigalas Rabaud 1928 et le Château Margaux 1934 trois fois, le Krug 1982 et le Chevalier Montrachet 1990 deux fois. Le vote du consensus serait en 1 Château Margaux 1934, en 2 Sigalas rabaud 1928, en 3 ex aequo Krug 1982 et Chevalier Montrachet 1990.

Mon vote : 1 – Sigalas Rabaud 1928, 2 – Château margaux 1934, 3 – Chevalier Montrachet Bouchard 1990, 4 – Château Chalon Bourdy 1934.

Je suis bien sûr extrêmement sensible au talent de Christian Le Squer, et je retiens le jambon, la sardine et les cèpes. Mais c’est surtout l’ambiance et la motivation de l’équipe qui créent une atmosphère amicale. C’est un réel plaisir de boire de grands vins quand on dispose de tant d’atouts. 

Les vins du dîner du 13 septembre 2007 jeudi, 13 septembre 2007

Voici les vins.

(pour voir plus grand, cliquer sur la photo)

Magnum de Champagne Krug Vintage 1982

(ce magnum est particulièrement élancé)

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990

Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers L. de Vallouit 1961

Château Palmer, Margaux 1959

(je devrais dire que c'est 1859, ça ferait plus chic !)

Château Margaux, Margaux 1934

Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

la bouteille de 1989, pleine, trône auprès de ses petites soeurs, souvenirs...

Nuits 1899

sans doute la plus belle étiquette des vins de ma cave

Château Chalon Jean Bourdy 1934

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918

 

 

(bouteille sans étiquette)

Le joker, pour le cas où..

 

 Vosne Romanée Mugneret Gibourg 1972.

vins de Hugel et de Perrot Minot au Carré des Feuillants mardi, 11 septembre 2007

Bipin Desai cornaque un groupe d’amateurs américains qui viennent festoyer pendant une bonne semaine dans les plus beaux endroits. Ayant eu l’opportunité de faire connaître à Bipin un personnage du vin, Jean Hugel, Bipin me demanda si je voulais me joindre à son groupe pour un déjeuner au restaurant le Carré des Feuillants. L’esprit encore embrumé d’une courte nuit après ces verticales de Rauzan-Ségla et Canon, j’arrive au Carré des Feuillants, accueilli par une équipe souriante et attentive. L’apéritif se tient au sous-sol et je vois des rescapés de la veille en grande forme. Le champagne Billecart-Salmon cuvée Nicolas-François Billecart 1998 est très peu dosé, très sec, et se boit bien. Nous remontons au rez-de-chaussée pour le déjeuner dans une jolie salle aménagée pour nous. Il fallait bien nous isoler, car Jean Hugel que j’adore, ce pétulant octogénaire a le verbe haut et nourri. Ma voisine de table qui est productrice d’un groupe théâtral a l’habitude de voir jouer de grands talents. Elle est sous le charme du discours de Jean Hugel qui énonce des vérités d’une simplicité biblique, consternantes de bon sens.

L’intitulé du menu est un vrai roman : bouillon du pêcheur de perles / rouget barbet, tomate ancienne, cerises en gaspacho, huile noire d’olives, arlette aux anchois / homard bleu vapeur, royale coraillée, pince en rouleau croustillant, salade d’herbes parfumées, nougatine d’ail doux / le cèpe mariné, le chapeau poêlé, le pied en petit pâté chaud / notre poularde rôtie en cocotte, jus clair, céleri confit, petit chou au lard, (volaille d’excellence engraissée librement en Béarn) / Fougeru briard travaillé à la truffe / envie de vacherin, grosses framboises, meringue légère au Yuzu, crème fermière et Mascavo. C’est tout un programme, et chaque précision a son importance. J’ai trouvé la cuisine d’Alain Dutournier particulièrement brillante. Je dois même dire que c’est le plus accompli des repas que j’ai faits dans cet établissement où je suis assidu, démontrant une sérénité remarquable. La question qui agite les repas en ville c’est de savoir pourquoi Alain n’a pas sa troisième étoile. Il m’est arrivé d’être d’accord avec ce purgatoire mais aussi de ne pas le trouver justifié. Sur ce repas le doute n’est plus permis. La troisième étoile est atteinte brillamment avec une cuisine sincère, engagée comme son auteur, et souriante comme lui. Comme il n’existe aucune faute de service, on est de plain-pied dans l’excellence absolue.

Nous commençons par le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1998 d’une belle couleur d’un or délicat. Le nez est discret. En bouche, et c’est une des caractéristiques des vins de Hugel, on est frappé par la pureté. Le vin est à la fois puissant et léger, ce qui est paradoxal mais réussi. Le final est assez court et poivré.

Le Riesling Hugel Vendanges Tardives 1983 est d’un jaune plus doré, très limpide, au nez discret. Le goût est résolument sec. Il est très élégant et gastronomique. Ce qui est évident là aussi, c’est la pureté. Le 1998 est plus sucré avec un sucre résiduel important. Le 1983 est élégant et bâti pour la gastronomie. Jean Hugel signale à tous une des caractéristiques de ses vins qui est de voir le sucre se fondre naturellement avec l’âge.

Alors qu’il était prévu que l’on commence par un 2002, Jean Hugel demande que sur le homard on l’oublie car ce serait un crime au profit du seul 1976. Il s’agit du Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976. Il est d’un or profond, d’un nez discret, et ce qui frappe, c’est qu’il est devenu sec. C’est un vin délicat et extrêmement précis qui convient remarquablement au homard délicieux. J’ai la chance d’en avoir bu plusieurs exemplaires avec chaque fois le même plaisir.

Nous passons ensuite aux vins de la maison Perrot-Minot dont, je dois le confesser, je n’ai jamais bu aucun vin. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2000 a un nez discret et élégant. Le joli fruit est très distingué. Le final est très profond. Il est strict, mais plaisant. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2001 a un nez plus doucereux, velouté. Le goût est plus poivré, plus moderne. C’est moins bourguignon que le 2000 qui lui-même ne l’est pas tellement. Le Charmes Chambertin Vieilles Vignes Perrot-Minot 2003 a un nez très fin, poivré. En bouche, c’est très boisé, les tannins sont forts, il y a des évocations de poivre en grain et de clou de girofle.

Je suis bien en peine de désigner celui qui me plait le plus et je vois qu’aux deux tables de notre groupe, les avis sont partagés. J’avais tendance à préférer le 2000, puis je suis venu au 2001, et je suis revenu au 2000. Alain Dutournier qui nous a salués a aimé aussi le 2000. Les trois vins sont très poivrés. Je pense qu’il leur faudrait quelques années de plus pour vraiment les apprécier, car ils vont s’arrondir. Tels qu’ils se présentent aujourd’hui, ils manquent un peu de rondeur pour me séduire. Quelques années y pourvoiront.

Le plat de cèpes est une institution. Plat phare de ce lieu il a atteint en pleine saison de cèpes de belle qualité une maturité incontestable.

Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 2002 que l’on sert maintenant combine ce que j’aime, un sucre lourd, un côté très doux, tout en étant aérien. Le nez évoque le litchi mais je sais que Jean Hugel déteste qu’on décortique les composantes d’un vin. Ce vin est servi avec un Château Caillou Barsac 1989. Puisque l’occasion se présente de goûter ensemble ces deux vins que j’apprécie, mon cœur balance en direction du Caillou, plus fruité et plus profond à mon goût. Mais le Gewurztraminer, léger malgré sa puissance est un vin de grande qualité. C’est vraiment une question de préférence personnelle.

Jean Hugel est toujours un merveilleux conteur, ambassadeur des vins d’Alsace avec ses vins d’une rare pureté, j’ai découvert des vins d’un domaine qui ne m’était pas familier mais il faudra attendre quelques années de plus, et j’ai été enthousiasmé par le niveau atteint par Alain Dutournier dans une sérénité prometteuse de gloire.

Salon, Dom Pérignon, Yquem Chateau Chalon pour mettre en valeur poissons et crustacés vendredi, 10 août 2007

Yvan Roux, qui tient table d’hôtes à proximité de chez moi, l’un des plus grands metteurs en scène des poissons et crustacés de la Méditerranée, est un ami de Michel Troisgros, le célèbre restaurateur de Roanne. Yvan avait émis l’idée depuis plusieurs mois de nous présenter l’un à l’autre et une date fut prise. Yvan me dit : « je te donnerai le menu à midi, et tu apporteras les vins que tu veux ». Et il ajouta cette phrase incroyable : « j’ai refusé toutes les autres tables ce soir, car je veux que nous soyons tranquilles pour dîner entre amis ». Une telle décision en pleine saison au bord de la mer montre l’esprit de liberté du personnage.

Je reçois le menu, et l’exercice s’annonce difficile pour deux raisons, l’une est que j’ai l’habitude de faire l’inverse, qui est de choisir des vins et de demander au chef de trouver des recettes adaptées à mes vins, et l’autre est que dans le Sud, ma cave est très peu fournie. Mais Yvan allait me compliquer encore la tâche en décidant certains plats qui ne sont pas naturellement des amis du vin. Voici le texte que je reçus : Beignets de Rasteigues (Anémones de Mer) / Cru, Cuit de Thon aux Graines de Sésame et au Soja / Fleurs de Courgette Farcies (Aubergines, Tomates confites, Echalotes, Oignons nouveaux, Basilic, Pignons) et fleurs de Courgettes Tempura. / Carpaccio de Loup sauvage à L’huile d’olives parfumée à la Vanille de Madagascar et citron vert. / Seiches en Papillote au Lard de « Pata Negra ». / Demi langouste rôtie dans son jus. / Soufflé à la Vanille et son sorbet aux fruits de la Passion.

J’ai choisi les vins sans demander de modifier des plats, afin que l’exercice soit le plus pur possible, mais sachant que Babette, la femme d’Yvan, adore les Maury, j’ai suggéré à mon arrivée à Yvan de mettre un fondant au chocolat à la place du soufflé.

Yvan me voyant ranger mes bouteilles dans son réfrigérateur me dit : « ah, sur le Dom Pérignon, je te bats », ce qui lui valut cette réponse : « montre un peu, pour voir ». Et Yvan qui nous invitait eut une générosité supplémentaire en ouvrant de sa cave un champagne Dom Pérignon 1983 en magnum.

Les convives arrivent, Michel et son épouse Marie Pierre, Jean Max et Patricia, amis d’Yvan et grands amateurs de vins et de bonne chère, ma femme et moi. Babette et Yvan nous accueillent et sur une table posée sur la terrasse je sers, car ce soir je serai sommelier, le Dom Pérignon. Sa couleur est d’un or de blé éclatant de soleil, son nez est d’une noblesse et d’une rare pureté. En bouche je sens une évocation furtive d’écorce d’orange suivie d’un goût salin. Michel le trouve très sec. Il est particulièrement racé, noble et élégant. C’est un très grand champagne, embelli encore par le format de la bouteille. Les admirables beignets d’anémones vont très bien avec le champagne car il y a une juxtaposition de sucré et de salé et un iode discret. Michel Troisgros pose beaucoup de questions à Yvan sur sa façon de préparer tous les produits de la mer, ce qui permet de prendre conscience de l’extrême érudition d’Yvan Roux. Mais cela montre aussi la grande simplicité de Michel qui s’émerveillera avec sincérité des prouesses d’Yvan, n’essayant jamais de faire un quelconque étalage de sa science. Ce sont les grands hommes qui sont les plus modestes.

J’ai pensé à créer des accords plutôt inhabituels pour que l’on puisse en bavarder. Sur le thon, fondant en bouche comme un bonbon, chair absolument exquise, j’ai servi un Château Chalon Jean Bourdy 1952, d’une année dont je raffole, d’autant plus qu’elle était un peu restée dans l’ombre dans les annales de la famille Bourdy alors qu’elle se montre éblouissante.

Michel est très surpris de l’acidité juvénile de ce vin. L’accord est judicieux et d’autant plus que, sans aucune concertation préalable, Yvan a ajouté des copeaux de noix au coulis qui caressait le thon. Ce Château Chalon est puissant, d’une belle acidité qui ne masque pas le côté chaleureux du vin. L’accord m’a plu car la chair du thon est exceptionnelle.

Sur les fleurs de courgettes, j’ai choisi un Châteauneuf-du-Pape « Les Olivets » Roger Sabon 1974. Le vin va délicieusement bien avec la fleur farcie mais refuse toute alliance avec les beignets de fleurs au sucre prononcé. C’est un Chateauneuf de compétition. Il en a la définition pure, un équilibre serein. Je suis amoureux de ces vins qui sont d’un jeu parfaitement juste, sans la moindre exagération de l’une quelconque de ses caractéristiques. Il est très aidé par le calme de l’année 1974 qui ne pousse à aucun excès.

J’avais demandé à Yvan de ne pas exacerber le citronné de son carpaccio de lotte, et l’accord avec le champagne Salon 1988 est absolument exceptionnel. Michel signala sa réussite particulière. Le Salon 1988 est transcendantal. Il m’évoque un roman policier. A la page 82, on croit avoir trouvé le meurtrier et le mobile, mais les rebondissements vont être nombreux jusqu’au mot « fin » de la page 320. Avec Salon 1988, on croit avoir saisi de nombreuses saveurs, mais il en arrive des tombereaux supplémentaires qui surprennent à chaque gorgée. Enigmatique, d’une complexité rare, c’est un champagne merveilleux, accouplé à une chair de lotte parfaite.

Je n’avais aucune ambition particulière pour l’accord du champagne Salon avec les seiches, et la surprise vint du plat, sans doute le plus cuisiné de tous ceux qu’Yvan a faits, ce qui lui valut des félicitations appuyées de Michel Troisgros. Le plat est d’une rare élégance, d’un goût affirmé où la seiche se reconnaît bien, et le Salon a suivi le mouvement avec dignité, laissant la vedette au plat délicieux.

Les langoustes que nous mangeons ce soir sont particulièrement goûteuses.

Le Château d’Yquem 1988 que j’ai associé à cette chair est très puissant. L’accord qui est intéressant fonctionne beaucoup moins bien qu’avec la cigale de mer au goût plus typé. Il eût fallu un Yquem 1987 pour que l’équilibre se fasse. Avec la partie brune de la tête qui côtoie le corail, l’accord est brillant. Cet Yquem épanoui est magistral, mais trop fort pour que le mariage soit émouvant.

Sur le fondant au chocolat, le Maury La Coume du Roy, de Volontat 1925 joue sur son terrain, avec l’appui du public. Je fais la remarque de ne pas commencer par le sorbet au fruit de la passion, mais à ma grande surprise le Maury accepte le sorbet, tout en restant plus à l’aise avec le fondant.

Si je dois classer les vins de ce dîner je mettrais en tête le Salon 1988, suivi du Dom Pérignon 1983, les deux étant absolument passionnants. Vient ensuite l’Yquem 1988, plus pour sa valeur intrinsèque que pour l’accord qu’il a créé.

Il se dégage de plus en plus qu’Yvan Roux met en valeur les produits de la mer d’une façon remarquable, et les commentaires de Michel Troisgros ne peuvent que le conforter dans la voie qu’il a choisie. L’ambiance fut amicale, décontractée, souriante et Michel Troisgros s’est révélé être un convive chaleureux, simple d’approche, bon vivant, soucieux de comprendre les cuissons, les recettes et les vins. Ce fut une inoubliable soirée.

Un beau mariage (un vrai celui-là) avec de grands bourgognes samedi, 28 juillet 2007

Un cousin, lointain sur l’arbre généalogique mais proche de mon cœur marie sa fille Amarante. Par une chaleur rare, deux familles se réunissent en l’église de Sérignan du Comtat où un prêtre à l’accent plus que prononcé mais à l’humour mutin va prononcer l’union d’un jeune et beau couple dans une bonne humeur souriante et contagieuse. Un vin d’honneur est offert sur le parvis de la belle église fendillée par l’âge. Un convoi se forme, on se perd, pour aller à la Ferme Saint-Hugues à Pujaut. Je suis conduit par un couple de vignerons bourguignons, ce qui est assez original dans cette région où les appellations de vins de Rhône pullulent. L’apéritif se commence à l’eau, car il faut ménager sa monture, puis on se laisse gagner par un champagne Emile Leclère de Mardeuil, non millésimé brut. Il est fort aimable sur des toasts goûteux. Après avoir bavardé avec ma famille où les jeunes générations sont très représentées, nous passons à table dans une belle salle où des voûtes multiples forment un treillis médiéval aux proportions harmonieuses.

Mon cousin ayant vécu une grande partie de sa jeunesse à Morogues, j’apprécie la délicatesse de commencer le repas sur un Ménetou Salon Réserve du Marquis de Maupas 2006. Ah, évidemment, c’est un peu astringent et citronné en bouche, alors que j’ai connu des Ménetou-Salon fort amènes. Mais l’évocation du fruit de ce vin simple et sincère me plait beaucoup.

Les choses deviennent plus sérieuses lorsque l’on attaque les vins du couple qui va m’héberger ce soir, ou plutôt demain matin car la soirée sera longue. Le Vosne Romanée « aux Réas » Domaine Anne-Françoise Gros 1997 présenté en magnum a un superbe nez. J’aime beaucoup sa pureté bourguignonne et un final léger de belle soif qui signe un bon vin. Sur un filet de bœuf aux morilles et petits légumes, cela se passe bien. Le Pommard 1er Cru « les Epenots » Domaine François Parent 1985 est un peu plus strict. Il faut qu’il s’ouvre dans le verre et l’on peut alors apprécier l’authenticité bourguignonne de ce beau vin au final moins chantant que le Vosne Romanée. Je me suis plu à trouver un air de parenté entre les deux vins, malgré les appellations différentes, car il y a dans les deux une recherche de pureté qui me plaît beaucoup. L’intérêt pour ces bons vins s’estompe dès que la musique prend le pouvoir, car c’est l’heure pour toutes les générations, sans limite d’âge, de se trémousser sur la piste. Du fait de la chaleur on fait de larges pauses entre les danses ce qui permet de parler.

Au milieu des vignes, dans la maison des vignerons bourguignons, le petit déjeuner permet de parler de vins. Nous rejoignons les rescapés de l’étape d’hier à la maison de mon cousin où l’on félicite autour d’un buffet les jeunes mariés et leurs parents. Bavardant avec des cousins je sens deux mains humides qui mouillent mon visage et ma nuque. Je ne sais qui c’est et ne réagis pas. C’est le prêtre facétieux et joyeux venu saluer la famille après les offices du dimanche matin qui m’a fait cette gentille farce, voulant montrer ainsi son bonheur d’avoir célébré cette union.

L’entente familiale, les rires, et deux vins bourguignons de grande classe ont permis à cette fête d’être particulièrement  joyeuse et affectueuse.

Un Salon 1990 à couper le souffle lundi, 23 juillet 2007

Toutes ces occasions de boire sont évidemment sympathiques, mais à un moment, il faut se lancer. Le prétexte de la naissance de Lise est assez facile, mais ce sont les grosses ficelles qui marchent le mieux. J’annonce donc que l’on boira Salon 1990. La voix de Lise étant joliment placée, la fatigue se lit sur les visages féminins. Il sera donc question de sushi, pour simplifier les ordonnancements. Le spécialiste local ayant choisi de s’entourer de top models pour manier le riz et livrer les commandes clients, il est assez légitime que je me dévoue pour aller passer commande. Et nul autre que moi n’ira quérir la livraison de la commande, tant la déesse aux plateaux m’envoûte. Après quelques vocalises de Lise, j’ouvre le champagne Salon 1990. Un saucisson assez viril prépare la bouche à accepter ce champagne qui me conquiert par son miel, ses teints floraux de couleur blanche, et cette longueur insistante invraisemblable. Saucisson, tapenade, olives noires, tout révèle la splendeur du champagne. Voyant avec quelle vitesse s’amorce la décrue du Salon sur le seul apéritif, je décide d’ouvrir un champagne Henri Giraud de Aÿ, champagne brut fûts de chêne 1996. Le champagne est fort bon, sert de faire valoir au Salon qui n’en devient que plus sublime, mais tient sa place, beaucoup plus ambré, plus âgé, ce qui est paradoxal, fumé et typé que le Salon. C’est surtout sur la longueur que la différence est flagrante. Un mot sur le sushi : il n’y a franchement pas de quoi pavoiser sur les accords avec le champagne. L’accord est banalement scolaire. Craignant que les sushi ne nous nourrissent guère alors qu’ils nous gavaient, nous entamons une dégustation comparative de trois camemberts, le Président, le Lanquetot et le Lepetit. Le Président s’élimine d’emblée, trop crémeux et sans virilité. Alors que pour mon gendre la question se pose encore, le match est sans appel pour moi, le Lepetit exprimant une amertume sans rivale. Avec le champagne, le plaisir est grand sans être parfait. Je pense à quelques vins du domaine de la Romanée Conti qui s’accoupleraient avec ce Lepetit pour des plaisirs salaces que seule la décence m’interdit de qualifier.

Le Salon 1990 revient en scène, et sur des petits dés de pain d’épice mouillés de jus de citron, l’accord est amusant, mais restreint le Salon. J’ai l’idée de tartiner sur des galettes de la mère Poulard de la confiture de rhubarbe, ce qui redonne de la longueur au Salon. Et quand on goûte la confiture à la rhubarbe seule, alors le Salon chante, trouvant sa vibration tout en conservant une longueur infinie.

L’instant vient de faire ce qui doit être fait. Sur un transat, sous une lune au milieu de son premier quartier qui chasse les nuages qu’elle argente, je goûte le champagne Salon 1990 seul et je me rends compte de son absolue perfection. Quelle que soit la saveur à laquelle on pense, elle est dans ce champagne. J’y vois surtout des fleurs blanches, du miel, des pamplemousse blancs, et surtout une longueur invraisemblable qui, au lieu d’être linéaire, récite un vocabulaire gustatif de plus de mille mots. Ce champagne est extraordinaire, absolument parfait. Faut-il le comparer maintenant à d’autres immenses champagnes que j’ai bus comme le récent Salon 1982 ou Pol Roger 1921 ou cet éblouissant Moët 1945 ? Que m’importe. Ce soir, ce Salon 1990 est une merveille absolue qui va peupler mes souvenirs.

 La bouteille est très jolie, d'une forme assez proche de celle d'un magnum de Perrier, et les textes sont sérigraphiés ce qui donne beaucoup d'allure à ce flacon.

 J'aime beaucoup cette photo, car au dessus de l'étiquette, on dirait un feu d'articice, et les grosses gouttes qui glissent sous le feu d'artifice forment une grappe de raisin.

Fantasmons un peu. Cette photo est l'image de la nuit, avec l'évocation très sobre d'un des plus grands champagnes du monde, et cette capsule qui se dénude comme une épaule, de façon fort suggestive...

celebration of Lise mardi, 3 juillet 2007

I am grandfather for the fourth time, and Lise, daughter of my daughter Agathe appeared on June 28.

My wife was still in Paris to help Agathe and after Vinexpo I had driven directly to the South.

So I flew back to Paris when Agathe left the clinic and arrived at her home nearly at the same minute as she arrived.

Guillaume, the father, opened a Chateau Laville Haut-Brion 1979 which we had enjoyed already, but we could check with evidence how Laville reacts to the temperature. The wine, being too warm (even if it was cold), was flat, did not talk, and had no interest. I asked Guillaume to serve it very cold, and then, we had a real Laville, full of charm, and really talking this time.

As we were dissatisfied by the beginning of the Laville, Guillaume opened a half Riesling Domaine Weinbach, Faller frères 1979. When this one was cold enough it was an exciting Alsatian Riesling, with no real trace of age. Very enjoyable on a delicious chicken. Guillaume had the idea to cut some slices of “poutargue” (pressed eggs of a white fish), and the combination was nice too.

I came back today to spend the day with Agathe and my wife and Lise, and this time, I had ammunitions.

It should be stressed how the corkscrews are important. Because having the corkscrew of the house, I had an extreme difficulty to lift the cork of Chateau d’Yquem 1976 which broke.

And I saw like in an horror film the last part of the cork play as a submarine, answering to the appeal of the abysses and falling in the liquid. It made me mad.

I found another corkscrew in a drawer to try to lift the cork of Romanée Conti DRC 1980.

When the capsule was away, as usual I found some earth on the top of the cork, with a typical smell of the earth of the cellars of Romanée Conti. I tried to lift, and the cork resisted strongly. It took me nearly 30 minutes to lift the cork entire. It is a very sound cork. The level in the bottle is at the maximum possible level nearly reaching the capsule.

I smelt the wine and : wow ! This is a perfect Burgundian smell.

As I write these words, I will have to wait for 5 hours between smelling and serving the wine to check if this wine is as good as this smell suggests.

Of course I will comment the tastes, but to celebrate Lise, an Yquem and a Romanée Conti had to be opened. I hope it will be a good sign for her life.

More news to come.

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While my daughter is feeding her baby, I have some minutes between Romanée Conti and Yquem.
We began with Dom Pérignon 1998. But my son in law has them too warm. The pleasure was divided by two.
On a lamb "gigot" with traces of garlic and potatoes perfectly cooked in their skin, the Romanée Conti is "the" wine.

My son in law and I, we have enjoyed every drop as a gift of God.
The wine behaves exactly as the meat. What is bitter in the meat is bitter in the wine. What is salty in the meat is salty in the wine.
This is the type of Burgundy that I love absolutely.
Is it my taste : yes.
Am I influenced by the label : probably yes, but who cares.
We have enjoyed every drop as a pure gift.
And I recognise in this wine what I adore in Burgundy : a wildness that is understandable only by conquered people.
I am on a cloud.
I have had the last drops with sediment, and it was as if I had liquorice in small pieces.
Yquem is waiting for me !

Then we had Yquem 1976 with mangoes served in two ways : the crude fruit, and the mango just cooked for some seconds.

Yquem 1976 (this bottle) drunk alone is a pure apricot.
We begin with a Stilton which is already advanced, and it works very well.
Then, we have the mango, prepared in two ways.
With the natural fruit, it is fantastic, and the combination works wonderfully.

But on the grilled mango, it is to die. The mango just grilled is like a sweet which disappears in the mouth. And the Yquem gets a taste of tea.
I adore this combination.
What strikes us is the solidity of Yquem, which is perfect at any moment.

What can be said ?
Yquem is the absolute solidity; Romanée Conti is the pure dream.
As Lise did not want that the star would be the wine, she begged for milk for a long time.
But as we were enjoying a rare night, we were ready to accept any attempt of Lise to let us know that the real star is Lise.