214ème dîner de wine-dinners au restaurant Pages mercredi, 10 mai 2017

Le 214ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Pages. Le chef Teshi m’a prévenu peu de jours avant le dîner qu’il devrait prendre l’avion pour le Japon le jour même du dîner à 20h30 aussi les convives ne le verront pas. Venu quelques jours auparavant au restaurant pour mettre au point le menu, c’est avec Teshi et son adjoint Marc formé à l’Astrance que nous avons travaillé.

Pendant la séance d’ouverture des vins j’ai souvent discuté avec Marc des recettes des plats et il est venu me faire goûter des sauces pour recueillir mon accord. De 17h à 18h15 j’ouvre les vins sur un coin de table de la cuisine pendant que tout le monde s’affaire pour préparer les ormeaux, les couteaux, les encornets, les poissons et les volailles. Le ballet est réglé à la perfection et avec sérénité. Les vins ont tous des odeurs prometteuses. Les plus discrètes sont celles du Montrachet de La Tâche et du Pétrus. La plus étonnante de puissance est celle du Lafite 1944 et la plus noble est celle de l’Yquem 1945.

Mon ami Tomo me rejoint très tôt et nous allons boire une bière au 116 le bistrot voisin qui appartient à Teshi, et nous grignotons des Edamame, ces fèves dont j’adore le goût qui se marie bien à la bière japonaise.

Nous revenons ensuite au restaurant pour attendre les premiers convives et j’ai envie qu’ils soient accueillis par un champagne jeune plutôt que par le premier champagne prévu au menu. Je choisis sur la carte un Champagne V.O. Selosse dégorgé en janvier 2015. L’attaque de ce champagne est très engageante et je suis emballé par sa générosité et sa complexité. Mais fort curieusement le champagne est très court. C’est un plaisir subit, puis plus rien. Malgré cela j’aime beaucoup ce champagne franc qui me titille bien.

Nous serons dix autour de la table dont cinq espagnols venus spécialement pour ce dîner après avoir vu une vidéo où je présente la philosophie de mes dîners. Les quatre autres convives sont des habitués, trois parisiens dont Tomo et un bordelais. Je présente comme à l’accoutumée les consignes de vol, attachez vos ceintures, etc. et nous passons à table.

Le menu mis au point avec le chef Teshi et réalisé par Marc est le suivant : amuse-bouche de saison / assiette terre mer, couteaux et tartare de veau / risotto d’ormeaux / rouget sauce étrille / canard au sang rôti de la famille Burgaud / assiette de bœufs maturés (Simmenthal, Angus et wagyu Ozaki) / foie gras poché et son consommé / mangue du Brésil.

Comme pour le récent dîner au restaurant Guy Savoy, j’ai voulu innover en cassant des habitudes. Ce sera signalé en commentant les vins.

Dès la première gorgée, nous tombons tous sous le charme du Champagne Deutz 1953. Il a en effet une attaque d’un charme fou. J’avoue que jamais je n’aurais imaginé qu’il ait ce niveau de grâce et de charme. Il a des fruits discrets jaunes et dorés, il est fluide et raffiné. Les amuse-bouche sont délicieux mais ont des goûts très prononcés. C’est une erreur d’avoir mis des saveurs aussi typées avec un champagne ancien comme ce Deutz. Pour ces amuse-bouche un champagne de 1990 ou 1996 aurait été approprié. Avec ce 1953 il aurait fallu des saveurs douces comme du foie gras.

Le Champagne Veuve Clicquot 1949 est résolument différent du précédent. Il a plus d’amertume et une plus grande longueur. Les fruits riches apparaissent en fin de goût, avec fugacement des traces de fruits rouges délicats. C’est un champagne très noble, un peu déroutant voire énigmatique et c’est un grand champagne. L’accord avec le plat terre-mer est très pertinent.

Le Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit Bichot magnum 2002 avait un nez d’une rare ampleur à l’ouverture. Ce parfum est toujours aussi ample et le vin est merveilleux. J’adore cette année 2002 pour ce chablis. L’ormeau est un peu dur car il n’a pas été frappé mais la divine sauce et le risotto créent un accord de première grandeur. Ce chablis que j’apprécie est le seul vin qui n’aura pas de votes mais c’est le sort que subissent les vins jeunes dans un dîner de vins anciens. C’est sans rapport avec son extrême qualité de vin entraînant et joyeux.

C’est une de mes coquetteries de toujours associer Pétrus et rougets. Plusieurs fois Marc m’a fait goûter la sauce aux étrilles et le résultat est spectaculaire. Le Château Lafite-Rothschild 1944 a un nez très fort de truffe, annonçant un vin d’une puissance que je n’attendais pas. Le grain de ce vin est lourd et racé. C’est un très beau Lafite de grande profondeur.

A côte de lui sur le plat, le Pétrus 1962 se présente comme un très grand Pétrus. Il est d’un charme subtil, il est raffiné, au grain plus fin que le Lafite et Miguel l’un des convives qui dit n’avoir jamais eu de réelles émotions avec Pétrus dit qu’enfin il a trouvé avec ce 1962 un Pétrus qui l’émeut. Pétrus est un vin qui ne se laisse pas découvrir facilement. Celui-ci nous conquiert par sa noblesse et sa persistance aromatique racée. C’est un grand vin et le rouget, une fois de plus, se marie divinement avec lui.

Dans le programme initial, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1997 devait logiquement suivre le chablis, mais en discutant avec Teshi et Marc, l’idée d’un canard a été évoquée et j’ai immédiatement dit : essayons avec le montrachet, ce qui, on en conviendra, est osé. J’avais en effet le souvenir d’un canard colvert préparé par Guy Savoy que j’avais associé à un Montrachet du même domaine de 1976. La tendreté de la chair du canard est telle que l’accord se trouve bien. Le Montrachet n’a pas de trace de botrytis. Il est bien sec, fluide et n’est pas tonitruant. C’est un vin de forte structure, long comme un discours de Fidel Castro, qui est puissant mais mesuré ce qui fait encore plus apprécier sa noblesse. C’est un grand vin tout-à-fait conforme à sa réputation.

Sur les trois morceaux de bœufs divinement cuits nous avons deux bourgognes. Le Beaune-Marconnets  Remoissenet P et F 1947 a toute la délicatesse et le charme des vins légers de la Côte de Beaune. Il est charmant.

A côte de lui le Musigny Duvergey Taboureau 1949 est un vin puissant, riche et très bourguignon, avec des amertumes qui me ravissent. J’avoue que les deux me séduisent. Les votes iront en faveur du vin le plus riche, le Musigny, mais les deux ont un tel charme bourguignon que je les déguste doucement pour en écouter toutes les notes subtiles.

Une autre audace dans ce dîner est de placer La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 après les viandes rouges et de l’associer à un foie gras poché placé à ce moment comme dans les repas du 19ème siècle. Ce vin avait un parfum discret à l’ouverture et son bouchon trahissait des écarts de température là où il a été stocké et là où il a voyagé car cette bouteille revient des Amériques. Le vin est bon mais ne donne pas l’émotion qu’il devrait. On reconnait bien sûr les marqueurs des vins du domaine dont le sel, mais il y a un manque de persuasion en ce vin. De ce fait l’accord qui avait remarquablement existé entre foie gras poché et Y d’Yquem dans un dîner réalisé par Guy Savoy se  montre moins pertinent avec La Tâche. Les lobes de foie gras sont délicieux et des petites fèves discrètes apportent une note de fraîcheur.

En cuisine Marc m’avait montré de belles pièces de mangue et il m’est apparu qu’il ne faudrait pas les découper en dés, pour laisser chaque convive gérer la mâche du fruit pour arriver au plus bel accord possible avec le sublime Château d’Yquem 1945. Ce vin est fascinant. Sa couleur est assez claire alors qu’il a 72 ans. Le parfum est diabolique, porteur de toutes les épices d’Arabie. En bouche c’est de l’or fondu, du miel par brassées. Ce vin glorieux est parfait et ce qui le rend ainsi c’est sa justesse de ton. Il n’y a pas un gramme de lourdeur, la douceur est dosée merveilleusement. Le charme agit. Le vin est fluide et magnifiquement complexe, éternel. Ce vin récoltera des votes de république bananière tant il est plébiscité par tous.

Lorsque nous arrivons au moment des votes je fais servir le vin que j’avais prévu pour le cas où, mais aussi pour qu’il mette un point final agréable à ce repas. Le Champagne Mumm Cordon Rose rosé 1982 se présente dans une bouteille délicieusement kitsch qu’on imagine servie lors du mariage d’une poupée Barbie. Et ce champagne est une très grosse surprise. Jamais je ne l’aurais attendu à ce niveau qualitatif, car c’est un grand rosé chaleureux, richement fruité, gastronomique, qui accompagne très bien les mignardises.

Nous sommes dix à voter pour dix vins car les champagnes Selosse et Mumm ne figurent pas sur nos bulletins. Comme dit précédemment le chablis est le seul à ne pas avoir eu de votes. Deux vins seulement ont été nommés premiers, l’Yquem 1945 huit fois ce qui est très rare et le Pétrus 1962 deux fois premier.

Le vote du consensus serait : 1 - Château d’Yquem 1945, 2 - Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1997, 3 - Pétrus 1962, 4 - Musigny Duvergey Taboureau 1949, 5 - Champagne Deutz 1953, 6 - La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986.

Mon vote est : 1 - Château d’Yquem 1945, 2 - Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1997, 3 - Pétrus 1962, 4 - Musigny Duvergey Taboureau 1949.

Il est assez rare que mon vote soit strictement égal et dans le même ordre, au vote du consensus. Ce n’est arrivé que sept fois aux dîners 25, 48, 68, 104, 154, 200 et ce soir 214ème.

La cuisine a été superbe comme toujours au restaurant Pages et j’ai apprécié l’implication de Marc et la complicité qui s’est créée pour la mise au point. Le tartare de veau associé à une coque, le risotto d’ormeaux, le rouget au jus d’étrille et les trois bœufs sont des plats de grande précision pour les vins. La mangue était parfaite pour l’Yquem. Les belles surprises culinaires étaient là. Thibaud a fait un service du vin sans faute et très attentif. Laure a présenté les plats avec charme et dans un anglais impeccable.

Il est sûr que je reverrai les cinq amateurs fous espagnols. L’ambiance était enjouée. Ce fut un très grand repas dont la star est cet Yquem dont Salvador Dali aurait dit avec son accent inimitable qu’il est transcendantal.

  Photo en cave des vins photo au restaurant avec au fond Marc qui a réalisé le dîner avec l'équipe de Pages les préparatifs en cuisine les plats du dîner. Hélas je n'ai pas de photo de la mangue superbe

A new concept “the case of the low levels” and a fantastic lunch samedi, 6 mai 2017

A decade ago, I had the desire to create meetings between amateurs who collect old wines and have in their cellars wines of low levels. I would have called this new formula "the case of the low levels". I let this idea sleep in a corner of closet and some days ago I receive the mail of Pierre, a friend: "we must save the soldier Salon 1971". In his mail he explains that the magnum of Salon 1971 has dangerously dropped in volume and that he sees no alternative but to share it with friends. A group of six is formed and this is an opportunity to bring low levels bottles. Having been very satisfied with the recent lunch at Le Gaigne restaurant, it is the one I propose and that my friends accept.

When I arrive at 11 o'clock to open the bottles, Pierre is already there. I open the whites and the reds. Many corks are torn. That of the Richebourg of the domain of Romanée Conti 1956 is black and dusty while the cork of Haut-Brion 1952 is of a cork perfect although it is older. I wish to open the champagne magnums but Pierre would like to wait before opening them. He will later regret having dissuaded me.

During the opening session, Chef Mickaël Gaignon came to discuss the menu: amuse-bouche including an acra au colin and a soup of asparagus / terrine of pork and chorizo / green and white asparagus / fish / pigeon / beef and Morels / cheese / raspberry dessert. I noted with great pleasure that the chef has simplified his recipes to focus on pure tastes. It was successful.

I open the Champagne Krug Private Cuvée magnum 50 years that I brought, which lost between 40 and 50% of its volume. The cork breaks when I want to pull it and I remove the bottom with a corkscrew. As soon as I feel the champagne I know it is a win. The champagne is of a beautiful gold, a joyous perfume and in mouth it is a marvel. The word that comes to me immediately is "sun." This wine that has a sparkling strong bursts of honey and sun. What grace and especially what depth. We would never tire of drinking it.

Pierre opens the Champagne Salon magnum 1971 which has lost about a third of its volume. Right away we are on another planet with this champagne. It also has a beautiful sparkling and a more discreet fragrance. It is romantic and the white fruits and white flowers so close to Salon abound. It is much shallower and not as long as the Krug but it plays on its romanticism. We go from one to the other without any problem, from sun to romanticism according to our own desires.

Pierre opens the Champagne Barry Extra Sec 1/2 bottle 1928 which has a perfect level and is dressed in labels that are incredibly fresh. And there, I have a taste shock that is directly related to the vintage. This champagne gives me a punch to the heart. He does not have the power of the Krug or the charm of the Salon, but he has that spark of grace that leaves me speechless. It is fleeting but emotion electrifies me. Hierarchizing the three would be impossible. The biggest instant shock is with the 1928 and the deepest is the Krug, while the Salon is a ray of spring.

On the asparagus the agreement is not going to be obvious because the chef mixed the green and the white which are like dog and cat. The Château Laville Haut-Brion 1952 has level very close to the bottom of the shoulder and the color is rather pretty, more beautiful than the picture that announced this wine in the exchanges of mails. Alas, the wine is flat and cannot catch our desires.

The Chablis Vercherre 1934 that I brought is of a very dirty bottle whose level is very acceptable for a 1934, of the order of 6 cms perhaps. The wine is superb and generous. To say that it is a Chablis is probably difficult but the wine solid and frank is very great pleasure. It is tasty and long, broad on the palate. Decidedly 1934 does wonders.

Usually I never put the burgundy before the Bordeaux. But the pigeons to be served before the beef are going to make an exception.

The Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 that I brought is low level like those I already drank, including that of my birthday that had so moved me. This one is even better. He breathes in the lungs the soul of the Romanée Conti who carries me with his signature of roses and salt. This wine is archetypal of the domain like the previous one, having less suffered what exacerbates less the markers of salt and roses, more integrated here. What a nobility this wine has. Richebourg and pigeon feed on each other.

The Corton Marey & Liger-Belair 1914 comes from a very beautiful bottle with the thick glass so characteristic of this era. I could not see the level because the bottle is very opaque. The color of the wine is dark and if it is drinkable, I am embarrassed by a tiny point of cork. The wine is drunk but the emotion is not as palpable as it should.

The Château Haut-Brion red 1952 is beautiful. While it appears after the burgundies, its natural class justifies it fully at this time of the meal. It is rich, ample and deep with notes of truffles and charcoal and a heavy grain giving it a beautiful presence. With the beef the agreement is superb. The level was a bit low, but totally acceptable for a 1952.

We now return to champagnes with bottles at normal levels for their ages. The 1964 Champagne Piper-Heidsieck has all the charm of the year 1964, one of the most solid in history. And it's a strong companion.

The Champagne Deutz Brut rosé 1981 is ideal for the dessert with the raspberry, inscribing in the line of the chords color on color.

The Champagne Besserat de Bellefon 1966 that I brought believing that it is a rosé is actually a white. It is also one of the two mythical years of the decade 60, and displays a good ease, but it is I who have much less ease because this meal is once again a debauchery of generosity leading to abuse.

The chef has managed to simplify his cooking to give primacy to the main product, which is necessary for old wines. The service was impeccable and we were placed in a small private room which allowed us to enjoy exceptional wines in the best conditions.

We did not vote, but the strongest emotions for me were the Champagne of 1928, the Richebourg 1956, the Krug years 50, the Salon 1971, the Haut-Brion 1952, the Chablis 1934. It is time that I launch as soon as possible "the Case of the Low Levels". With the friendly friends of this lunch, we have a solid hard core. To repeat quickly!

(see pictures in the article in French, just below this one)

Un repas qui est un « cas des bas niveaux » avec de sublimes champagnes vendredi, 5 mai 2017

Il y a une dizaine d'années, j'avais eu l'envie de créer des rencontres entre amateurs qui ont dans leurs caves des vins de bas niveaux. Pour faire un jeu de mots j'aurais appelé cette nouvelle formule de rencontre « le cas des bas niveaux » dont la contrepèterie est ce que justement je voudrais éviter à ces vins : « le bas des caniveaux ». J'avais mis cette idée dans un coin de placard et voici que je reçois le mail de Pierre, un ami : « il faut sauver le soldat Salon 1971 ». Dans son mail il explique que le magnum de Salon 1971 a dangereusement baissé de volume et qu'il ne voit pas d'autre solution que de le partager avec des amis. Un groupe de six se forme et c'est l'occasion d'apporter des bas niveaux. Ayant été très satisfait du récent déjeuner au restaurant Le Gaigne, c'est celui que je propose et que mes amis acceptent.

Lorsque j'arrive à 11 heures pour ouvrir les bouteilles, Pierre est déjà là. J'ouvre les blancs et les rouges. Beaucoup de bouchons se déchirent. Celui du Richebourg du domaine de la Romanée Conti 1956 est noir et poussiéreux alors que le bouchon du Haut-Brion 1952 est d'un liège parfait bien qu'il soit plus vieux. Je souhaite ouvrir les magnums de champagne mais Pierre aimerait que l'on attende avant de les ouvrir. Il regrettera plus tard de m'avoir dissuadé.

Pendant la séance d'ouverture le chef Mickaël Gaignon est venu discuter du menu qui sera : amuse-bouche dont un acra au colin et une soupe d'asperges / terrine de porc et chorizo / asperges vertes et blanches / poisson / pigeon / bœuf et morilles / fromages / dessert à la framboise. J'ai noté avec beaucoup de plaisir que le chef a simplifié ses recettes pour s'attacher aux goûts purs. Ce fut réussi.

J'ouvre le Champagne Krug Private Cuvée magnum années 50 que j'ai apporté, qui a perdu entre 40 et 50% de son volume. Le bouchon se brise quand je veux le tirer et j'enlève le bas avec un tirebouchon. Dès que je sens le champagne je sais que c'est gagné. Le champagne est d'un bel or, d'un parfum joyeux et en bouche c'est une merveille. Le mot qui me vient immédiatement est « soleil ». Ce vin qui a un fort pétillant explose de miel et de soleil. Quelle grâce et surtout quelle profondeur. On ne se lasserait pas d'en boire.

Pierre ouvre le Champagne Salon magnum 1971 qui a perdu environ un tiers de son volume. D'emblée on est sur autre planète avec ce champagne. Il a lui aussi un beau pétillant et un parfum plus discret. Il est romantique et les fruits blancs et fleurs blanches si complices de Salon abondent. Il est nettement moins profond et long que le Krug mais il joue sur son romantisme. On passe de l'un à l'autre sans aucun problème, de soleil à romantisme au gré de ses envies.

Pierre ouvre le Champagne du Barry Extra Sec 1/2 bouteille 1928 qui a un niveau parfait et est habillé d'étiquettes qui sont d'une fraîcheur incroyable. Et là, j'ai un choc gustatif qui est directement lié au millésime. Ce champagne me donne un coup de poing au cœur. Il n'a pas la puissance du Krug ni le charme du Salon, mais il a cette étincelle de grâce qui me laisse sans voix. C'est fugace mais l'émotion m'électrise. Hiérarchiser les trois serait impossible. Le plus grand choc instantané est avec le 1928 et le plus profond est le Krug, tandis que le Salon est un rayon de printemps.

Sur les asperges l'accord ne va pas être évident car on a mélangé les vertes et les blanches qui sont comme chien et chat. Le Château Laville Haut-Brion 1952 a niveau très proche du bas de l'épaule et la couleur est assez jolie, plus belle que sur la photo qui annonçait ce vin dans les échanges de mails. Hélas, le vin est plat et ne peut pas capter nos envies.

Le Chablis Vercherre 1934 que j'ai apporté est d'une bouteille très sale dont le niveau est très acceptable pour un 1934, de l'ordre de 6 cms peut-être. Le vin est superbe et généreux. Dire que c'est un chablis est sans doute difficile mais le vin solide et franc est de très grand plaisir. Il est goûteux et long, large en bouche. Décidément 1934 fait des merveilles.

D'habitude je ne mets jamais les bourgognes avant les bordeaux. Mais les pigeons devant être servis avant le bœuf nous allons faire une exception.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 que j'ai apporté est de niveau bas comme ceux que j'ai déjà bus, dont celui de mon anniversaire qui m'avait tant ému. Celui-ci est encore meilleur. Il respire à plein poumons l'âme de la Romanée Conti qui me transporte avec sa signature de roses et de sel. Ce vin est archétypal du domaine comme le précédent, ayant moins souffert, ce qui exacerbe moins les marqueurs de sel et de roses, plus intégrés ici. Quelle noblesse que ce vin. Richebourg et pigeon se nourrissent l'un de l'autre.

Le Corton Marey & Liger-Belair 1914 provient d'une très belle bouteille avec le verre épais si caractéristique cette époque. Je n'ai pas pu voir le niveau car la bouteille est très opaque. La couleur du vin est foncée et s'il est buvable, je suis gêné par une infime pointe de bouchon. Le vin se boit mais l'émotion n'est pas aussi palpable qu'elle le devrait.

Le Château Haut-Brion rouge 1952 est magnifique. Alors qu'il apparaît après les bourgognes, sa classe naturelle le justifie pleinement à ce moment du repas. Il est riche, ample et profond avec des notes de truffes et de charbon et un grain lourd lui donnant une belle présence. Avec le bœuf l'accord est superbe. Le niveau était un peu bas, mais pour un 1952 tout à fait acceptable.

Nous revenons maintenant aux champagnes avec des bouteilles aux niveaux normaux pour leurs âges. Le Champagne Piper-Heidsieck 1964 a tout le charme de l'année 1964, une des plus solides de l'histoire. Et c'est un solide compagnon de route.

Le Champagne Deutz Brut rosé 1981 est idéal pour le dessert à la framboise, s'inscrivant dans la ligne des accords couleur sur couleur.

Le Champagne Besserat de Bellefon 1966 que j'ai apporté croyant que c'est un rosé est en fait un blanc. Il est lui aussi de l'une des deux années mythiques de la décennie 60, et affiche une belle aisance, mais c'est moi qui en ai beaucoup moins car ce repas est une fois de plus une débauche de générosité conduisant aux abus.

Le chef a réussi à simplifier sa cuisine pour donner la primauté au produit principal, ce qui est nécessaire pour les vins anciens. Le service a été impeccable et on nous a installés dans une petit salle privative qui nous a permis de profiter de vins exceptionnels dans les meilleures conditions.

Nous n'avons pas voté, mais les émotions les plus fortes pour moi ont été le Champagne de 1928, le Richebourg 1956, le Krug années 50, le Salon 1971, le Haut-Brion 1952, le Chablis 1934. Il est temps que je lance au plus vite « le Cas des Bas Niveaux ». Avec les sympathiques amis de ce déjeuner, nous avons un solide noyau dur. A recommencer vite !

les  bouteilles vides dans l'ordre de présentation  

Dîner au restaurant Caviar Kaspia lundi, 1 mai 2017

Ma fille m'a offert des places à un spectacle de Julie Ferrier pour sa dernière représentation au théâtre de la Madeleine. Nous décidons d'aller dîner avant le spectacle, ma femme, ma fille et moi au restaurant Caviar Kaspia. Il y a en ce lieu des vestiges de vieilles bouteilles d'alcools qui me font rêver, même si la température de conservation a dû affaiblir ces alcools. Nous prenons chacun des plats différents. Je choisis un crabe royal du Kamchatka et une anguille fumée et comme dessert un baba à la vodka Kaspia sur un lit de framboises. Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle est d'une élégance que j'apprécie particulièrement. Romantique et délicat il est d'une grâce aérienne. Nous l'avons apprécié sur les produits de la mer de ce restaurant classique et confortable. Le spectacle est aussi pétillant que ce champagne. Ce fut une belle soirée.

Déjeuner au Yacht Club de France jeudi, 27 avril 2017

La lune accomplit son cycle en quatre semaines. Nos rendez-vous de conscrits suivent à peu près le même rythme. L'ami qui nous reçoit au Yacht Club de France a choisi pour thème les vins de Loire et les mets du même métal. L'apéritif pris dans la bibliothèque est toujours aussi copieux mais je l'ai trouvé moins inspiré que d'habitude. Si le carpaccio de bar et les cochonnailles sont sans reproche, le filet de sardine mariné au vin de Loire est un peu amer et les bouchées diverses sont un peu lourdes. Le Champagne Delamotte Brut est toujours superbe, champagne de belle soif.

Le menu composé par Thierry Le Luc et le chef Benoît Fleury est : les papillotes de l'estuaire / dos de brochet aux asperges, beurre nantais / pigeonneau, écrasé de petites pommes de terre de Noirmoutier / fromages de la Loire d'Eric Lefèbvre MOF / mini saint-honoré aux fraises nantaises. Nous avons donc navigué sur la Loire en un voyage de goûts qui s'est montré exceptionnel. Le brochet et le pigeon sont deux plats éblouissants et d'une extrême sensibilité. Il s'agit probablement des deux plats les plus aboutis et talentueux que nous ayons eus au Yacht Club de France.

Nous allons explorer des vins de Loire et je dois dire avec beaucoup d'humilité que des vins aussi jeunes sont difficiles à apprécier pour moi. Le Clos Romans Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur blanc 2015 est frais et agréable à boire car fluide. Le Trésor Muscadet Sèvre et Maine Edouard Massart sans année est du cépage melon de Bourgogne. Il est moins aérien que le Saumur. Le Muscadet Sèvre et Maine Domaine Clair Moreau Château Thébaud 2010 est assez agréable et le Clos de la Vieille Chaussée Edouard Massart Muscadet Sèvre et Maine 2013, lui aussi en melon de Bourgogne se comporte comme les autres vins c'est-à-dire que les différences entre eux sont peu significatives. Ils savent cependant bien accompagner les plats dont les originales papillotes de coques, de palourdes, de moules et d'anguille délicieuse.

Pour les vins rouges nous commençons par La Marginale Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur Champigny 2015 que je trouve fort à mon goût et qui se marie bien avec le délicieux pigeon cuit sous une feuille de chou qui lui donne une légère amertume idéale pour le vin rouge. Le deuxième rouge, Les Mémoires Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur Champigny 2015 parle moins à mon cœur car je préfère la densité de La Marginale.

Les fromages sont excellents et sur le dessert nous buvons un Quarts de Chaume Domaine des Baumard 2009 qui a tout pour lui, avec des évocations de litchi et fruits frais mais à qui il manque un quart de siècle pour le moins. Nous passons ensuite à un Champagne Joseph Perrier brut blanc de blancs Cuvée Royale sans année à la bulle forte qui est extrêmement agréable. Et comme s'il manquait encore de quoi alimenter nos discussions sur le premier tour de la présidentielle, la jolie et compétente Sabrina nous a apporté un Rhum Vieux Agricole Clément qui flatte nos papilles mais ne fera pas changer pour autant nos choix du deuxième tour de l'élection.

Les repas au Yacht Club de France sont des moments d'exception.

cliquer ci-dessous pour lire le menu 0555_001 déjeuner YCF 17 170425

Repas de famille avec un Richebourg DRC 1956 lundi, 24 avril 2017

Le dimanche midi du jour du premier tour de l'élection présidentielle, nous allons fêter mon anniversaire en famille. Mes trois enfants sont là, ce qui est un cadeau rare et quatre des six petits-enfants. Il fait beau aussi fait-on des photos de famille dans le jardin. Sous le beau soleil nous buvons la suite du Champagne Krug 2000 en magnum qui est resté strictement dans le même état que la veille. Sa bulle est toujours active, il est aussi vif et cinglant. Il est d'une réelle aristocratie. Nous grignotons du saucisson, des gressins trempés dans un tarama à l'oursin, des copeaux de jambon et des viennoiseries préparées par une de mes petites-filles.

Prendre la suite du Krug pourrait être à haut risque pour un champagne mais le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1980 y arrive avec élégance. Ce champagne est tout en fruits délicats. Je connaissais ce 1980 qui est une grande réussite. Il est au rendez-vous avec plénitude, belle mâche et belle longueur. C'est un champagne ensoleillé et généreux qui se place bien après l'aristocrate Krug.

Nous passons à table où nous attend un gigot cuit à basse température depuis plus d'une journée, dans une marmite emplie de carottes et autres petits légumes. Le Vieux Château Certan Pomerol 1967 avait un niveau presque dans le goulot et son nez très pur m'avait conquis à l'ouverture. Le vin est d'une belle couleur rouge sang. Son nez est délicat et profond à la fois, pur et direct. En bouche c'est un pomerol savoureux, très archétypal. La truffe est là, avec un grain de toute beauté. Ce vin riche mais contenu est idéal.

Le vin qui suit est d'une toute autre espèce. J'ai dans ma cave plusieurs bouteilles de Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 et toutes ont des niveaux qui ont baissé. J'avais choisi la plus basse pour l'essayer avec mon fils seul, mais dans l'atmosphère familiale, j'ai pris le risque de servir ce vin pour tous mes enfants. Il a été ouvert trois heures avant qu'il ne soit bu. Le bouchon a sur sa surface sous la capsule une poussière noire qui ne sent pas la terre du domaine comme cela arrive souvent. Elle sent la poussière. Le bouchon est noir et sec, sans aucune exsudation graisseuse. Il est sec sur une moitié et d'un beau liège sur la moitié inférieure ce qui est encourageant. Le nez à l'ouverture est poussiéreux, mais tout indique que les choses vont s'améliorer. Et ce nez que je fais sentir à mon fils est tellement « continien » que nous sourions, ayant tous les deux le même espoir.

Au service maintenant la couleur du vin dans le verre est très claire, d'un rose sale, terreux, ce qui n'est pas très encourageant. A le voir, je crains que mes enfants, surtout mes filles, ne l'acceptent pas. Heureusement, il y a le parfum du vin. Ce vin est une explosion de roses d'abord, enivrantes, puis, c'est le sel de la Romanée Conti, cette signature si caractéristique, qui est là. Je sens bien sûr un peu de vieux, mais rose et sel sont tellement prégnants qu'on oublie tous les défauts. En bouche c'est la même chose. La rose et le sel, surtout le sel pour moi et surtout les roses pour mes filles, sont tellement agréables qu'ils font oublier que le vin est vieux. Je suis persuadé que beaucoup d'amateurs, à la vue du niveau de la bouteille et de la couleur dans le verre, auraient déclaré urbi et orbi que ce vin est mort. Le miracle est pour moi que mes trois enfants adorent ce vin, même ma fille dont on dit en se moquant qu'elle n'aime que les « vins de Ginette ». Quel beau cadeau pour moi de savoir que mes trois enfants ont adoré – ce qui veut dire ont compris – ce vin fragilisé mais porteur de tout ce qui fait l'âme de la Romanée Conti. A chaque gorgée je me dis « mon Dieu pourvu qu'ils comprennent » et chacun de leurs « oh » et de leurs « ah » me fait frissonner de bonheur. Car ce soldat de Richebourg, encore vaillant, se bat pour notre plaisir. Le fruit est sous-jacent dans le bouquet de rose et le finale est très pur. La viande et la semoule aux fleurs se font humbles pour que le vin soit en majesté. Communier en famille avec un vin fragile mais tellement porteur de l'âme de la Romanée Conti, c'est un instant de pur bonheur.

On me fait une farce car sur la reine de Saba les bougies que j'essaie de souffler ne s'éteignent jamais. Le fondant au chocolat et cette reine de Saba ont conclu ce repas illuminé par un Richebourg d'une extrême émotion. Il m'en reste. Trouvons vite des prétextes pour les ouvrir.

les bougies qui ne s'éteignent pas !

Déjeuner au restaurant Laurent mercredi, 19 avril 2017

Nous envisageons avec mon ami Tomo que j'organise un dîner au Japon à l'occasion d'une tournée annuelle à Tokyo du chef et du directeur de son restaurant Garance. Pour cela, bien sûr, il faut en parler en déjeunant. Nous nous retrouvons au restaurant Laurent avec l'espoir de déjeuner dans le jardin, mais un rafraîchissement des températures après une période caniculaire nous oblige d'être à l'intérieur du restaurant. J'arrive en avance pour ouvrir mes vins et qui vois-je au seuil, Christian de Billy, qui va participer à un déjeuner de l'académie des gastronomes, congrégation fondée il y a près d'un siècle par Curnonsky, le prince des gastronomes. Il est rapidement rejoint par d'autres membres et au lieu d'ouvrir mes vins, je bavarde avec les arrivants. J'ouvre toutefois mes vins dont les parfums sont à se damner.

Tomo arrive et je le présente aux académiciens que je connais .Christian de Billy me tend un verre du Champagne Pol Roger sans année que je trouve particulièrement agréable, frais et typé, ce qui est ce qu'on lui demande. Nous passons à table. Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 de Tomo est d'une couleur très ambrée pour son âge. Aux premières gorgées on sent l'acidité et un manque évident de volume. Nous commandons l'un et l'autre le même menu à la carte : des morilles en entrée pour le Clos du Mesnil , un pigeon pour mon vin rouge et un soufflé pour le liquoreux que j'ai apporté.

La cuisine d'Alain Pégouret est toujours aussi appréciée mais à la carte elle n'est pas orientée vers les vins. Car morilles et asperges qui peuvent s'associer pour un plat ne font pas bon ménage pour les vins et le pigeon ne se conçoit que sans sauce si l'on veut profiter du vin. Mais nous sommes capables de faire le tri et cette cuisine nous ravit.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 connaît avec les morilles une résurrection spectaculaire, comme cela se produirait avec un vin jaune. L'acidité disparaît, le vin retrouve du volume et de la largeur et nous avons devant nous ce qui fait la gloire de cette cuvée miraculeuse du champagne Krug. Ce vin est immense, et la morille prend une mâche gourmande à son contact, titillée par la belle bulle vive et cinglante.

Lorsque j'ai ouvert le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1981, son parfum m'a enthousiasmé. Si l'on veut savoir ce qu'est l'âme de la Romanée Conti, il suffit de sentir ce vin-là. Le niveau était superbe ainsi que la couleur. Au moment où nous le sentons ensemble, Tomo et moi, nous nous regardons car nous savons que nous sommes en face de ce qui fait que la Romanée Conti jouit d'une telle aura. Ce vin est l'archétype des vins du domaine et aussi la signature de la Bourgogne. Il y a tout dans ce vin, la discrétion, la politesse, l'énergie, la salinité, la gourmandise bien contrôlée. Quel bonheur. Avec le pigeon, surtout la cuisse avec la peau, le vin est un régal. J'en verse un verre à Ghislain, le si aimable sommelier, pour qu'il en profite et aussi à un journaliste qui déjeune à la table voisine avec une vigneronne champenoise. Ce vin est un régal, d'un équilibre parfait sans une ombre d'exagération. C'est un velours mais qui n'est pas sensuel. Il est dans la dignité. Et son côté salin le rend gastronomique.

Comme il reste du vin et du champagne nous prenons un saint-nectaire pour le Richebourg et un Reblochon pour le Krug qui créent de beaux mariages.

Tomo a apporté un Suntory Tomi No Oka Winery Tomi 2003 Noble d'Or. A l'aveugle je suis bien incapable de trouver d'où il vient. Ce vin doux et liquoreux est fortement typé réglisse et évoque un peu les vins de Chypre. Il ne titre que 9° mais il est puissant. Pour le soufflé il vaut mieux prendre le Château d'Yquem 1981 en demi-bouteille que j'ai apporté, vin fort agréable et joyeux, très caractéristique d'Yquem mais à qui il manque vingt ans pour que nous nous pâmions. Il a trente-six ans mais je ne peux pas m'y faire, c'est trop jeune pour moi.

Nous avons défini un programme japonais qui était l'objet du déjeuner et nous avons rejoint les solides gastronomes après leur banquet. Ces académiciens sont insatiables car nous avons trinqué avec un Cognac Alfred Morton Family Reserve extrêmement agréable, avec un caramel bien contrôlé qui m'a rappelé des cognacs Hardy centenaires qui ont enchanté ma jeunesse.

Il se passe toujours quelque chose au restaurant Laurent.

Deux vins sublimes dans le sud samedi, 15 avril 2017

Dans le sud, notre fille cadette vient nous rejoindre pour Pâques. Elle est d'humeur, comme moi, à boire bien. J'ouvre un Champagne Dom Pérignon 1983. Le pschitt est très sensible à l'ouverture du bouchon. Dans des verres à vins de bonne dimension le parfum qui s'exhale est d'une puissance et d'un charme qui surprennent. La couleur du champagne est d'un ambre presque rose, évoquant un peu la peau d'une pêche dorée. En bouche, le premier contact est comme un coup de massue. Je m'attendais à du grand et je suis face à de l'exceptionnel. Il a un charme et un romantisme qui sont confondants. Mais il a aussi de la puissance, des fruits rouges esquissés, et la douceur de confitures de fruits rouges. C'est le premier contact. Ensuite le charme, le romantisme et la douceur s'installent. On est face à un champagne de pur plaisir. Ce n'est que plus tard qu'apparaîtra le caractère vineux. Chaque gorgée de ce champagne est vécue comme un cadeau que nous fait la nature.

La poutargue est ce qui convient le mieux à ce champagne plus que l'anchoïade et la tapenade. On se régale. C'est amusant qu'à la première gorgée nous nous sommes regardés, ma fille et moi, avec une connivence qui signifiait le privilège de boire un champagne aussi accompli et parfait.

Pour le gigot d'agneau bio cuit à basse température et accompagné d'une semoule aux fleurs fraîches, j'ouvre au dernier moment une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996. Le niveau est si haut dans la bouteille qu'en tirant le bouchon, la dépression fait gicler du vin. La couleur du vin est foncée, presque noire. Le nez est intense et puissant, comme un vin de l'année. En bouche, le vin combine étonnamment la puissance et la fluidité. Le vin est fort mais frais. Il est d'une précision diabolique et nous sommes d'avis, ma fille et moi que les deux vins de ce repas sont des 100 points Parker, si l'on veut par-là exprimer qu'ils sont parfaits. Et cela bouscule beaucoup d'idées reçues, car la Mouline a plus de vingt ans et a la puissance d'un vin de cinq ans tout en ayant le velours et le charme d'un vin de quarante ans. Il reste un peu des deux vins à vérifier demain. Mais la fraîcheur, le charme et l'équilibre des deux vins de ce soir sont confondants.

Le lendemain, sur des coquilles Saint-Jacques, le champagne qui a perdu un peu de bulles, est toujours aussi glorieux et joyeux. Les fruits évoqués sont jaunes, la noix est présente mais c'est dû à la coquille et le caractère vineux est plus prononcé. Toujours puissant et de belle longueur ce champagne est hors normes. Sur les coraux des coquilles, la Côte Rôtie est puissante. Elle n'a plus la même vivacité mais elle a l'ampleur d'un grand vin, créant un accord divin avec les coraux. Ce qui me plait beaucoup, c'est qu'apparaît en fin de bouteille la fraîcheur mentholée que j'aime tant. Un vin puissant, aux accents de garrigue, qui dans le finale offre tant de fraîcheur mentholée, que demander de plus ? On est au ciel.

Un témoignage à la suite de la 27ème séance de l’académie des vins anciens lundi, 3 avril 2017

Ayant reçu beaucoup de témoignages et de remerciements pour la 27ème séance de l'académie des vins anciens, j'ai choisi d'en publier un, d'un des membres les plus généreux de l'académie. Le voici :

 

Merci pour cette merveilleuse 27ème séance et merci de votre générosité car inclure un Echezeaux du domaine de la Romanée Conti ainsi qu'un Yquem pour chacune des tables était un grand cadeau.

Il est d'ailleurs triste que certains prirent part à un élan de critique car ils trahissent de ce fait votre premier commandement : "on ne juge pas un vin, on essaye de le comprendre". Il est parfaitement normal de déguster des vins faibles car l'esprit de l'Académie est donner une chance à des vins anciens qui méritent d'être ouverts plutôt que d'être condamnés à l'évier. Dès lors, l'Académicien trouve son plaisir dans la découverte et surtout dans une prise de recul finale. Nous avons eu l'occasion de boire plus d'une vingtaine de vins anciens. Qui pourrait se targuer d'une si belle et opulente dégustation pour un prix si accessible ? De plus, nous jouissons d'un repas, dans un cadre magnifique et dans une ambiance des plus conviviales. En tant qu'amateur, je participe régulièrement à des dégustations et rien n'égale l'Académie des Vins Anciens...

A notre table (table 2), même si nous avons noté 2 ou 3 vins faibles (mais qui offraient néanmoins un beau témoignage), nous avons partagé de très beaux vins dont certains exceptionnels. Je retiens notamment :

Le Riesling domaine Schlumberger 1989 était superbe, sans trace d'âge, avec une belle droiture et un beau fruit.

Le Beaune blanc Bouchard des années 60 était intense et profond et n'a cessé de s'améliorer tout au long du repas.

Le Condrieu Philippe Pichon 1992 était une petite merveille de charme et de rondeur. Qui pourrait croire que le cépage Viognier vieillisse aussi bien ?

Le Chambolle Musigny Thorin 1966 est le grand gagnant de la soirée tant ce vin était merveilleux, un vin de velours. J'ai eu la chance de gouter le Chambolle Musigny 1934 qui lui était supérieur...

Le Beaune rouge L. Chemardin 1960 a eu un peu de mal à passer après le Chambolle Musigny mais j'ai bien fait de conserver mon verre jusqu'à la fin car toute la Bourgogne était là, en force et en douceur.

L'Echezeaux du domaine de la Romanée Conti fût un moment de recueillement. Si le nez végétal détonnait par rapport aux vins précédents (jeunesse oblige), la bouche était un pur raffinement avec une finale de grande gourmandise où j'ai perçu la framboise salée écrasée. J'ai conservé mon verre jusqu'à la fin, le vin se bonifiant et s'élargissant pour mon plus grand plaisir.

 

Le moment le plus intense de la soirée fût l'enchaînement magique du Royal Kébir Rosé probablement de 1945, le Royal Kébir Rouge 1942, le vin Jaune Château de l'Etoile 1969 et le Cabernet d'Anjou Rosé 1968. Ces 4 vins ont donné le meilleur d'eux-mêmes, dans une typicité unique qui évitait toute comparaison ou rapprochement avec d'autres styles de vin. La complémentarité entre le Royal Kébir Rosé et le Royal Kébir Rouge était émouvante. Des évocations similaires de café et de fumée mais une trame doucereuse pour le Rosé alors que le Rouge était grand, complexe, conquérant et débordant de vie !! Le vin Jaune était ensuite d'un rafraichissement saisissant tant il explosait de noix et de champignon frais. Enfin, le Cabernet d'Anjou Rosé fût une véritable surprise, jouant sur un registre très original. Un vin d'étonnement.

 

Que dire enfin des deux derniers vins : l'Yquem 1991 et le Tokaji Eszencia Aszu 1988, qui ont conclu brillamment cette dégustation. L'Yquem jouait sur la finesse et la légèreté, un vin d'une grande pureté. Le Tokaji jouait sur une fraicheur insoupçonnée qui le rendait extrêmement digeste (notamment lorsque l'on sait que le Tokaji Eszencia est le plus sucré des Tokaji). Deux vins superbes !!!

C'est pour moi une séance mémorable, comme le furent les précédentes.

Merci !!!

Amitiés,

 

Ce témoignage est important pour moi car il s'inscrit exactement dans la démarche que j'ai voulu initier avec l'académie des vins anciens. C'est moi qui dis merci.