Voyage autour du monde – le récit dimanche, 3 décembre 2017

Voyage autour du Monde

Le récit de ce voyage est un récit personnel, avec mes réactions qui ne dont pas les mêmes que les réactions des autres voyageurs. c'est exactement la même chose que pour les vins : les réactions de chacun lui sont personnelles. Les photos du voyage sont mises dans des articles à chaque date du voyage. Bonne lecture.

12 novembre 2017

L'histoire commence il y a huit mois. Je recevais systématiquement les publicités d'un voyagiste parce que j'avais fait avec ma femme il y a environ vingt ans la croisière gastronomique du paquebot France.

La publicité pour un tour du monde en avion me donnait des envies. J'en parle à ma femme et à des amis, et nous sommes quatre, prêts à nous inscrire. Mais en fait, les hésitations se sont multipliées et je me suis retrouvé seul à vouloir confirmer une inscription. Avec l'accord de ma femme j'ai donc décidé de faire le tour du monde proposé sur trois semaines.

Je commande un taxi pour 6h30 un dimanche matin, à une heure où les rues sont vides. Le taxi arrive avec huit minutes de retard, ce qui a le don de m'énerver et le chauffeur, avec une naïveté touchante, me dit qu'il m'avait déjà conduit il y a quelques années à Roissy et qu'il était déjà arrivé en retard.

Au terminal 3 de l'aéroport de Roissy la présence du voyagiste est forte et l'on offre des viennoiseries aux arrivants ce qui est très agréable et gentil. Nous sommes environ 160 à voyager dans un avion portugais, au personnel portugais, qui va nous suivre pendant les trois semaines. Nous embarquons pour un vol direct vers Panama distant de 8.700 kilomètres. Le vol sera de plus de onze heures et le décalage horaire est de six heures.

Comme il est fréquent, il y a beaucoup trop d'annonces tant l'animateur de notre groupe veut nous séduire et nous persuader du caractère unique de ce voyage.

A l'apéritif, on nous sert un petit coffret Kaviari qui contient une « ligne » de caviar qui constitue une aimable mise en appétit. Je goûte cet agréable caviar bien équilibré avec un Champagne Ruinart Brut sans année qui convient à cet exercice. Voilà une belle façon de nous recevoir.

Le déjeuner est très acceptable pour un repas en avion. Je bavarde avec mes voisins qui sont d'Albertville et d'Annecy et connaissent le restaurant Les Morainières à Jongieux. Nous sommes donc en terrain de connaissance. La discussion se poursuit et il s 'avère que Didier a été dans le même métier que moi, celui de l'acier. Beaucoup de noms et de souvenirs surgissent au détour de nos échanges.

Le voyage étant fort long je regarde le film ''La La Land'' qui est joliment romantique. Que du bonheur.

Le voyagiste s'est attaché les services d'un historien qui nous racontera des anecdotes tout au long du voyage. Il prend la parole pour parler du canal de Panama mais surtout pour mettre en valeur, avec une insistance particulière , les turpides de Ferdinand de Lesseps qui a ruiné des milliers de souscripteurs et n'a jamais pu achever le canal après moult faillites. Il a même égratigné Gustave Eiffel qui aurait financé la tour Eiffel avec de l'argent détourné des fonds versés par des souscripteurs au canal de Panama. Cet exposé fut beaucoup trop long, avec des redites sans cesse mais j'ai noté une citation qui m'a frappé sur le rôle de la presse : « la presse lèche, lâche et lynche ». Chacun peut trouver des situations où ce fut le cas, Tapie par exemple et bien d'autres.

Nous arrivons à Panama et à la douane on procède comme aux Etats Unis, avec photographie et prise des empreintes des dix doigts.

Nos bagages sont pris en charge par le voyagiste et nous les trouverons plus tard dans nos chambres. Nous partons pour un tour en ville en bus. Notre guide est José qui parle un bon français. Il nous explique une chose absolument astucieuse. Ferdinand de Lesseps ayant creusé avec succès le canal de Suez n'avait trouvé que du sable à enlever. A Panama, sur la chaîne des Cordillères, c'est de la roche qu'il n'a jamais réussi à percer avec les budgets dont il disposait. Quand les Etats Unis sont intervenus après les faillites françaises, au lieu de creuser ils ont créé le plus grand lac artificiel du monde, à une hauteur de 26 mètres au-dessus des niveaux des deux océans. Les écluses servent donc à monter les bateaux sur ce lac en hauteur et à les redescendre ensuite. Il n'y avait donc quasiment rien à creuser mais juste à consolider les rives du lac. C'est assez génial.

Le bus nous montre quelques aspects de la ville où les buildings montent jusqu'au ciel avec une densité aussi forte qu'à Miami. Le bus s'arrête devant un site d'attrape-touristes pour du shopping sans intérêt. Nous passons devant le musée de la biodiversité que nous visiterons demain, fait par Frank Gehry, l'architecte de nombreux monuments dont celui de la fondation Vuitton et du musée Guggenheim de Bilbao. Le bâtiment est assez surprenant avec un patchwork de couleurs.

Nous arrivons à l'hôtel Trump Ocean Sun Casino de Panama situé sur la côte Pacifique. L'immeuble est gigantesque. Ma chambre est spacieuse et fonctionnelle. Je suis au 33ème étage et comme je suis sujet au vertige, je m'approche avec prudence de la balustrade de la terrasse de ma chambre.

Après une douche réparatrice car cela fait 21 heures que je suis levé, je me rends au 13ème étage. Le dîner se tient devant les nombreuses piscines de cet étage. Le buffet est de qualité moyenne, les saveurs étant passe-partout. On nous offre à tous des chapeaux panamas, ce qui est une attention charmante. Il est temps d'aller dormir.

Lundi 13 novembre

Le petit déjeuner est servi au 14ème étage, sur une terrasse à ciel ouvert entre les deux gigantesques ailes de l'immeuble.

Nous nous rendons aux écluses Miraflores du canal de Panama qui sont les dernières avant le Pacifique (ou les premières dans l'autre sens). Nous aurons la chance de voir passer par les écluses des deux canaux deux gigantesques bateaux. Le canal initial de 1913 permet le passage de bateaux avec 6.800 containers du format international. Le deuxième canal construit en 2006 par le Panama qui s'était affranchi de la tutelle des Etats Unis le 31 décembre 1999 permet le passage de bateaux avec 14.200 containers. Sur le plus ancien nous verrons un bateau de croisière de la « Norwegian Sun » de Nassau, avec une grande partie des croisiéristes regardant la lente opération de franchissement d'écluse, et sur le nouveau canal un énorme bateau, le ''Glovis Crown'' qui transporte des gaz liquéfiés. Ces franchissements d'écluses sont très lents, mais les masses en cause sont gigantesques.

Nous nous rendons ensuite dans la vieille ville qui est d'une influence espagnole très forte. Comme elle est classée au patrimoine mondial de l'Unesco, les maisons sont entretenues voire reconstruites du fait de la richesse nouvelle que connait le Panama depuis que les ressources du canal ne sont plus versées aux Etats Unis qui ont été concessionnaires exclusifs de 1913 à fin 1999. Les maisons sont belles, colorées. Une église datant de 1675 est lourdement décorée d'or. L'Ambassade de France est sur la Plaza Francia sur un site magnifique, avec sur une place une reproduction de l'obélisque de la Concorde, surmontée d'un coq gaulois. Sous la pluie nous rejoignons le restaurant Santa Rita où nous est servi le déjeuner. J'ai pris une salade maison avec laitue, tomate , oignons œufs et pommes fort agréable et un saumon grillé à la plancha avec des légumes sautés puis une tarte au citron. J'ai bu une bière Balboa, du nom de l'espagnol qui découvrit Panama en 1513. Elle est fort bonne, avec un fort caractère.

Après le repas, en programme optionnel, j'ai visité le musée de la biodiversité conçu par l'architecte Frank Gehry dont la femme est panaméenne. Le toit est fait de panneaux inclinés de très nombreuses couleurs qui figurent les diversités raciales du pays. Un parcours destiné à enseigner l'histoire de la biodiversité au Panama est assez intéressant mais scolaire. Sous la pluie l'eau coule partout dans l'immeuble ce qui fait tout drôle. Apparemment la construction n'est pas totalement finie.

La visite s'est faite pour notre groupe seulement, car le musée était normalement fermé aujourd'hui. Bravo au voyagiste d'avoir permis cette visite.

Nous revenons à l'hôtel et on nous a promis une surprise au moment du dîner. Pour retourner à ma chambre je dois prendre l'ascenseur qui est un véritable cauchemar. Il semblerait qu'une pièce détériorée doit venir d'Europe puisque le fournisseur des ascenseurs est allemand et cette pièce mettra plusieurs jours pour venir. Alors le temps pour monter ou descendre atteint facilement les dix minutes. Après une douche en chambre je rejoins le rez-de-chaussée où nous découvrons des « diables rouges ». Ce sont des bus qui ressemblent aux bus scolaires américains, de vieux Mack avec les pots d'échappement chromés qui à l'arrière remontent vers le ciel, déchargeant des nuages de pollution. Nous allons nous rendre dans un des salons de l'American Trade Center avec ces vétustes autobus. C'est encore une fois une attention délicate du voyagiste. Des bus sont déjà partis, un autre nous suit et tout-à-coup notre bus est arrêté par la police. Ces bus ont normalement des trajets immuables et le chemin que nous prenons n'est pas un chemin habituel ce qui justifie le zèle d'un policier. Les accompagnateurs de notre groupe palabrent avec le policier zélé. Il faut attendre les papiers justificatifs des autorisations de circuler qui étaient restés à l'hôtel. Il faut bien vingt minutes pour que l'ardeur et le zèle du policier soient récompensés. Nous arrivons avec retard dans la magnifique salle de l'American Trade Center. Un mini orchestre va jouer une musique sympathique et deux couples de danseurs costumés vont danser autour des tables des salsas et autres danses tropicales. Leur danse fait très danse de concours, avec les sourires figés de circonstance et les déhanchements excessifs. Rejoignant une table déjà occupée depuis longtemps par des membres du groupe ayant échappé aux contrôles, on me donne un verre de mojito de grand plaisir. Le menu du dîner est Panzanella de tomates, mini cresson, cœur de palmier, avocat et croutons d'anis / langoustines sur risotto de légumes et sauce romesco / thon grillé, endive braisée et sauce Tonnato / filet de bœuf aux tomates séchées, purée de pommes de terre et fromage bleu / chocolat intense, fraisier et tartelette au citron.

C'est copieux, comme si notre voyagiste avait pour mission de nous engraisser. Le thon et le bœuf sont bons, je prends des bières Balboa après avoir fini trois mojitos puisque le serveur a interprété un refus de doubler ou tripler la mise pour des acceptations. J'aurais pu évidemment refuser mais la chair est faible. Nous avons bavardé entre voyageurs plutôt fatigués par le décalage horaire et nous sommes rentrés à l'hôtel avec des bus ''normaux''.

Pour aider les clients de l'hôtel déroutés par les ascenseurs, l'hôtel a prévu des accompagnateurs, des liftiers. Notre cabine se remplit, chacun doit saisir sur un écran son étage et tout-à-coup tout s'efface. Le brave liftier essaie toutes les touches possibles mais notre ascenseur est bloqué, ne voulant ni s'ouvrir ni monter. Cela dure près de dix minutes. L'ascenseur redémarre. Ouf, j'arrive enfin dans ma chambre. Demain sera un autre jour.

Mardi 14 novembre

Il y a au Panama sept races différentes d’amérindiens, populations qui vivent dans la forêt tropicale et sont des semi-nomades, adeptes de la cueillette, de la chasse et de la pêche. Ces populations étaient voisines de la Colombie ou en Colombie mais les événements et guérillas qui ont agité ce pays les ont poussées à se rapprocher de Panama. Nous allons visiter dans un parc national de la forêt tropicale un village de la tribu des Emberas Puru. C’est un village de 130 habitants ce qui est plutôt élevé puisque les villages de cette communauté comptent plutôt de l’ordre de cent habitants. Le nomadisme apparaît lorsque le village a épuisé les ressources des cueillettes et de la pêche. Ils se déplacent alors de quelques kilomètres, là où il y a plus de ressources. Comme ils vivent dans un parc naturel, il y a une très curieuse adaptation des lois et coutumes pour que les intérêts des uns et des autres se rejoignent. La vie des indigènes est commandée par le respect de la nature et la vie sur une rivière nourricière. Les habitants vivent nus mais se sont habillés pour ne pas choquer les visiteurs qui leur apportent des devises pour faciliter leur vie dont notamment la scolarisation des enfants, ce qui fait assez curieux, car à l’école, les enfants nus tous les jours sont habillés des uniformes comme dans les écoles anglaises.

Nous partons en car et une heure plus tard, à l’intérieur du parc naturel, nous prenons des pirogues pilotées par un indien à l’avant et un autre à l’arrière qui actionne le moteur du bateau pour rejoindre au bout d’une demi-heure de navigation leur village. Un exemple de cohabitation : l’administration a interdit aux indiens d’abattre des grands arbres précieux au bois dense qui permettent de sculpter des pirogues d’un seul morceau. Alors, ils rafistolent de vieilles pirogues avec du goudron et des pièces d’acier. Le long du cours d’eau dans une nature luxuriante nous voyons de jolis oiseaux dont des martins-pêcheurs aux belles couleurs bleues, des ibis de couleur bleu-gris, des cormorans et de nombreux autres dont un rapace de couleur brun orangé. La pirogue dans laquelle je suis assis fuit au point que nous avons dû nous arrêter pour que l’un des indiens écope. Titanic en forêt tropicale !

Lorsque nous arrivons des jeunes du villages jouent une musique rythmée, les femmes aux fronts ceints de fleurs d’hibiscus et aux seins nus sont alignées pour nous sourire. De nombreux enfants sont eux-mêmes décorés. Tous sont tatoués de noir avec des encres qui disparaîtront dans quelques jours. Laurent, notre guide nous avait vanté l’intelligence de ces peuplades et le calme absolu des enfants qui ne pleurent jamais et sourient. J’ai pu bavarder avec un jeune couple de jeunes mariés, souriants et intelligents. Ces indiens sont optimistes, réalistes et de contact facile.

Malgré tout on songe que tout ceci est commercial. Car tout est fait pour que l’on achète les produits qu’ils fabriquent. Le contact est plus commercial que profond même si l’on sent leur chaleur humaine. Nous repartons en pirogue et c’est alors qu’une lourde pluie nous inonde. J’avais acheté un KWay pour le voyage et le temps qui m’a été nécessaire pour ouvrir le vêtement et comprendre comment on l’enfile a fait que la pluie avait cessé quand j’ai réussi à le revêtir sur des vêtements trempés.

Nous avons pris un bus pour aller sur les écluses du nord, qui sont celles de l’Atlantique. Une heure de plus en bus nous a épuisés, car sur les pirogues on cherche sans cesse à garder son équilibre et cela épuise.

Nous allons manger dans un restaurant qui surplombe les écluses, tenu par un chef français. Mais j’ai plus envie de m’effondrer de fatigue que de déguster. Je m’alimente plus que je ne mange. En sortant du restaurant on voit un porte-containers de la plus grande taille possible qui vient de passer les nouvelles écluses de dimensions titanesques.

Nous nous rendons ensuite au point de départ de la ligne de chemin de fer Panama Canal Railway qui relie les écluses du nord sur l’Atlantique aux écluses du sud sur le Pacifique. C’est un train qui existe depuis 1855 et permettait en un temps record de changer d’océan, les bateaux laissant des voyageurs d’une rive océanique rejoindre un bateau partant sur l’autre océan. C’est un train luxueux, avec des décorations de bois précieux .

Effondrés de fatigue nous rentrons à l’hôtel. Je prends une douche salutaire pour redescendre en bas de l’hôtel Trump pour dîner dans le restaurant « La Vespa » directement sur l’eau et proposant une cuisine italienne d’honnête qualité.

Les ascenseurs de l’hôtel Trump sont une calamité, incapables d’absorber l’afflux de clients, et imposant de l’ordre de 20 minutes avant que l’on atteigne l’étage désiré. Ce fut minant et source d’énervement.

Il faut faire vite les valises qui seront mises dans le couloir avant 23h30 et prises par le staff du voyagiste pour un enregistrement pour le vol vers Quito sans qu’on se préoccupe des formalités. La gymnastique de ce dont on a besoin un matin avant de partir en avion lorsque l’on n’a plus ses valises est un exercice qui me mine. Les valises sont dans le couloir, il est 23h00. Je me sens dépossédé mais il est temps de dormir.

Mercredi 15 novembre

Que dire du Panama ? Depuis 1999 il recueille la manne du passage du canal de milliers de bateaux. Cela a donné un coup de fouet à l’économie du pays, et ne s’est pas traduit par une corruption visible, faisant de ce pays un pays stable. Une politique fiscale attractive a fait venir beaucoup d’américains et d’autres étrangers. La création d’une zone franche à Colon, ville qui accueille le départ du train Panama Canal Railway, gérée à la façon de Hong-Kong, a donné une activité colossale dans la région et le pays. Tout sourit au Panama. Mais l’érection d’une ville moderne avec des buildings à touche-touche comme à Miami ou à Hong-Kong entraîne une circulation épouvantable. L’explosion démographique du Panama qui est passé de 500.000 personnes en 1900 à 4.000.000 aujourd’hui les inquiète. Leur prospérité les aidera sans doute à gérer ce problème comme il convient.

A 5 heures je me réveille car nous devons partir prendre l’avion à 8 heures et le problème des ascenseurs est un tel cauchemar que j’ai choisi de me lever tôt. Le petit déjeuner est toujours bien organisé. Je remonte à ma chambre puis, le moment venu je descends au rez-de-chaussée pour prendre le bus. A un point de ralliement une responsable du voyagiste doit me donner ma carte d’embarquement mais elle ne veut pas car semble-t-il j’ai des dépenses à régler. Il me faut remonter par l’ascenseur et je suis contrarié car je n’ai rien dépensé. A la caisse de l’hôtel qui se situe au 15ème étage je vois une note de 8,60 dollars pour une bouteille d’eau alors que j’avais pris celle qui est donnée en signe de courtoisie. L’affaire s’arrange mais il me faut une nouvelle fois affronter les redoutables ascenseurs, à la capacité qui est sans commune mesure avec la taille de l’hôtel.

Les formalités à l’aéroport se passent aisément et nous embarquons vers Quito pour un vol d’une heure et demie. Nous retrouvons nos mêmes places et les mêmes hôtesses qu’au vol précédent. Un repas léger nous est servi. Des touristes de notre groupe font remarquer que les plats et les vins sont meilleurs dans l’avion que ce que nous avons trouvé dans les différents restaurants de Panama.

A l’arrivée du vol, un incident sérieux a opposé un couple de voyageurs qui ont des sièges en première classe avec le patron de l’entreprise voyagiste qui vole avec sa femme avec nous depuis le départ en classe affaires mais ne participe pas vraiment au programme touristique. Les voyageurs ont demandé au patron de pouvoir discuter de certains points avec lui et, sans attendre l’exposé des questions, le patron a refusé d’écouter les voyageurs. Des mots s’échangent et perdant tout sens commercial le patron a traité les voyageurs d’abrutis. Le ton a monté et tous les voyageurs des rangées proches ont été choqués par les propos invraisemblables de ce patron. Cette algarade a fait le tour des voyageurs pendant l’attente en douane et a contrarié beaucoup d’entre nous.

Sortant de l’aéroport nous sommes répartis dans des bus. Notre guide s’appelle Isabelle. Elle est jolie, parle un bon français et ne parle pas tout le temps, ce qui est le contraire de notre guide Laurent qui a guidé notre visite au village d’indiens. Il était passionnant mais n’arrêtait pas de parler. Ça n’arrêtait jamais. Avec Isabelle tout se passe dans le calme. Nous allons à Quito qui se situe à 2.850 mètres d’altitude. Les routes sont pentues et étroites, la circulation demande une attention de tous les instants. La vieille ville est évidemment très marquée par une influence espagnole et par une influence catholiques très fortes. Nous marchons dans les rues et ce qui frappe c’est la différence avec Panama. Au vieux Panama, les maisons sont bien entretenues, mais il n’y a pratiquement pas de vie. A Quito, des boutiques, des échoppes fleurissent dans toutes les rues. Il y a une vie intense. Nous marchons sur la Place de l’Indépendance, carrée avec quatre façades dont l’une est le palais présidentiel, une autre le palais de l’Archevêché, les deux autres étant la cathédrale et la mairie. C’est très espagnol. Je remarque un arbre très haut, d’une vingtaine de mètres, taillé à la base mais très feuillu en hauteur. Je demande à Isabelle s’il s’agit d’un araucaria. Elle confirme, ce qui en impose aux membres de mon groupe.

Nous visitons l’église de la Compagnie de Jésus, des jésuites, qui est un monument invraisemblable. Tout est en or du sol au plafond, avec des décors baroques lourdement chargés. Il doit y avoir des tonnes d’or, même si les feuilles d’or sont fines. Hélas, il est interdit de photographier. On nous entraîne dans une immense salle attachée à cette église où des serveurs avec des plateaux nous tendent des boissons et des petits fours de grande qualité. Un touriste me tend son verre de vin rouge pour que je le goûte et manifestement c’est très bon. Nous restons là assez longtemps et à un moment l’un des cadres d’accompagnement de notre croisière se met sur une estrade et chante avec une belle voix un Ave Maria d’un compositeur italien. Une femme violoniste lui succède. Nous nous rendons ensuite à pied jusqu’à l’hôtel Casa Gangotena qui est très proche de l’église et du centre-ville. On me donne les clefs de ma chambre et je suis stupéfait par la qualité et le niveau de la chambre que l’on m’a attribuée. L’hôtel est d’une bâtisse très ancienne, probablement du 18ème siècle. Il y a un patio avec une fontaine et le long de ce patio ma chambre est en rez-de-jardin. Elle est immense, bien décorée et bien équipée.

C’est donc avec un large sourire que je prends possession de ma chambre qui est nommée « Garden 2 ». A ce moment j’ai un coup de barre et je pense que c’est plus le fait d’une nuit courte précédente, car j’ai passé beaucoup de temps à faire mes valises et à rédiger ces notes que le fait de l’altitude. J’avais noté qu’Isabelle notre guide, quand elle parle donne l’impression d’être essoufflée. Je n’ai pas la moindre impression qui serait liée à l’altitude. C’est probablement cette nuit que je le sentirai.

A 19 heures nous avons rendez-vous pour un spectacle en plein air qui durera une heure. A 2.800 mètres il fait très froid la nuit. Je me protège donc. Par bonheur la pluie s’est arrêtée. Sur la place du théâtre, des femmes dansent dans des costumes traditionnels. Ce sont des danses avec des bougies, des danses de lavandières avec des pots à eau, avec deS cerceaux fleuris, des danses hommes et femmes séparément ou ensemble. La musique a des thèmes extrêmement simples répétés à l’infini. D’une danse à l’autre il n’y a pas d’originalité significative. C’est très bon enfant et la chorégraphie est minimaliste. Le numéro qui m’a particulièrement plu est la danse d’une huitaine d’hommes et autant de femmes qui tiennent en main chacun un ruban attaché au sommet d’un mât. Ils tournent dans tous les sens au son d’une musique et les rubans s’entrecroisent, formant des torsades aux motifs divers. Lorsqu’ils ont fini une belle construction de rubans entrelacés en réseau, ils changent de direction pour détricoter leur entrelacs. Ils vont tellement vite qu’on redoute qu’ils ne fassent des nœuds qui empêcheront le détricotage mais tout se passe au mieux. Tout cela est simple et naïf et bon enfant et par moment je me suis demandé si ce n’était pas de l’attrape-touriste. Ça l’est sans doute mais c’est apprécié. Après ces numéros, les danseurs vont chercher dans la foule des spectateurs pour danser avec elles et eux. Etant au premier rang je suis appelé par une danseuse qui est très probablement grand-mère et sur des mouvements très simples nous dansons main dans la main. Ce qui m’a surpris c’est que dansant pendant de longues minutes, je n’ai pas senti l’essoufflement qui est classique à ces altitudes.

Nous montons au premier étage du théâtre, qui est exploité par un restaurant, où un dîner est prévu dans une grande salle. Le menu préparé par le chef du restaurant Theatrum est : trois chaussons équatoriens : pâte de banane plantain fourrée à la crevette, pâte de blé local farcie au fromage frais, pâte de maïs blanc au porc et leurs trois sauces épicées / plat traditionnel au lait de coco de la province d’Esmeralda (côte nord de l’Equateur) composé de bar, calamar, poulpe et crevettes / fruits exotiques de l’Equateur (naranjilla, chirimoya, guayaba, babaco et guanabana) apprêtés par le chef. Cette cuisine gourmande est de bonne qualité et j’ai apprécié surtout le dessert de fruits originaux et les chaussons équatoriens.

Nous sommes rentrés à l’hôtel en bus. Chacun n’a qu’une envie, c’est de dormir et dormir encore.

Il y a à Quito beaucoup plus de chaleur humaine qu’à Panama City. Cette ville appelle la sympathie.

Jeudi 16 novembre

La nuit a été reposante et structurante après des nuits bien courtes. J’en suis d’ailleurs étonné car lorsque j’étais allé avec ma femme à Val-Thorens, à 2300 mètres d’altitude, nous avions eu des nuits difficiles du fait de l’altitude. Je me suis levé à 6h20, frais et dispos, et j’ai pris le petit déjeuner dans la salle du restaurant Cerdon de l’hôtel Casa Gangotena. La décoration est belle et cet hôtel fait très familial à côté des hôtels gigantesques tels que le Trump. Le petit déjeuner est agréable et j’ai surtout apprécié les confitures maison dont celle à l’ananas qui est diaboliquement bonne.

Comme au petit déjeuner on se sert à des buffets et comme on tient en main son assiette, croiser  d’autres personnes n’est pas toujours aisé. Je me trouve face au patron du voyagiste et je lui dis bonjour. Il passe devant moi sans un mot. Quel ours !

Nous partons à pied visiter l’église Saint François d’Assise avec le cloître attenant et un musée. Nous attendons que d’autres groupes soient avancés dans leur visite ce qui permet de voir le nombre invraisemblable de pigeons qui volent sur la place, nourris par des autochtones.

La décoration de l’église est incroyablement chargée comme celle de l’église des jésuites, et il y a aussi des tonnes d’or dans la décoration moins imposantes toutefois. Nous ne voyons l’église que d’une salle capitulaire en mezzanine car il y a un office. La salle est décorée de stalles surmontées de la représentation sculptée en bois de nombreux franciscains. Ces sculptures sont d’un réalisme à signaler. Dans le patio s’ébattent des tourterelles des perroquets et des aras. Dans le musée il y a des peintures sur toile, sur bois et sur marbre ainsi que des sculptures qui représentent la vie de Jésus, de Saint François d’Assise, de Saint Antoine de Padoue et de Marie. Le réalisme des sculptures peintes est impressionnant. La richesse de ce musée est certaine. L’église a demandé 130 ans de construction jusqu’à la finition de toutes les décorations. Aucun des pionniers n’en a vu la fin.

Nous nous rendons ensuite au marché couvert où abondent les stands de fruits riches et goûteux, de viandes, de légumes et aussi de plantes médicinales selon la médecine ancestrale. On nous fait goûter, l’un d’entre nous a le bras massé avec des plantes et des fleurs. C’est amusant.

Nous visitons ensuite un meunier qui broie toutes sortes de céréales depuis trois générations et s’approvisionne directement chez les agriculteurs. On nous fait goûter des farines pilées. Cette visite n’a pas de réel intérêt car le moulin n’est pas en action. La randonnée se poursuit par des échoppes de parfums et onguents. On est dans l’attrape-touriste.

Nous allons ensuite dans le quartier La Ronda où il y a un nombre important d’artisans, de forge, de ferblanterie, de savons et crèmes à base de miel, d’orfèvrerie et autres métiers. Dans cette rue piétonne des myriades de jeunes enfants jouent ou font la ronde. C’est une journée de joie pour les enfants. Dans une boutique, un chocolatier nous montre comment il fait ses chocolats. Sa dextérité est impressionnante et ses chocolats sont délicieux… c’est un suisse. Dans une petite cour où sont installées des tables et des chaises, je bois un chocolat chaud excellent.

Nous allons déjeuner au restaurant Plaza Grande  qui est dans une bâtisse très ancienne comme notre hôtel et richement décorée. Au premier étage, il y a le restaurant bar « La Belle Epoque ». Un pianiste et un violoniste vont accompagner notre repas en jouant des morceaux de toutes origines internationales. Le pianiste est nettement meilleur que le violoniste qui ne joue pas toujours juste.

Le menu du restaurant est : crème d’orties et son capuccino de cardamome, toast aux fines herbes / sorbet de noix de coco et citronnelle / médaillon de bœuf en sauce parfumée au romarin et pesto de crevettes à la coriandre, accompagnée de purée de pommes de terre et légumes / fruits de la passion façon toast.

Si j’avais un conseil à donner au propriétaire du restaurant, ce serait de licencier immédiatement son chef. Car si la soupe est de bonne qualité, le plat principal est immangeable, tout étant trop cuit, fade, insipide. Les crevettes surgelées et farineuses sont une honte. J’ai à peine touché au plat. Et le dessert au chocolat n’est pas goûteux et éteint le goût du fruit de la passion.

Avant cette déconvenue j’avais déjà décidé de ne pas suivre le programme de l’après-midi, car ces longues promenades sont éreintantes. Avec cinq autres voyageurs nous sommes rentrés à pied à l’hôtel pour nous reposer.

Le dîner est au restaurant Cedron de l’hôtel à 19h30 ce qui est tôt, car nous allons partir demain à 6h30 pour prendre l’avion vers l’île de Pâques. Le fait que le voyagiste s’occupe de nos bagages pour les enregistrer et les livrer ensuite directement dans nos chambres part d’un bon sentiment. Mais cela oblige à donner nos valises après le dîner. Elles resteront en soute jusqu’à Tahiti ce qui oblige à vivre deux jours avec les bagages. J’avoue que cette gymnastique n’est pas ma tasse de thé.

Au bar avant le dîner un compagnon de route m'offre un mojito. C'est très agréable. A table, le menu que je choisis est : ceviche de vivaneau rouge, marinade façon Manabi, mousse de citron vert, tomates confites / Paiche (poisson) bananes plantains et sauce aux cacahuètes, manioc volcanique / glace du jour. Le Ceviche est excellent, on ne peut que le complimenter. Le poisson est insipide, le manioc sans goût et ce plat est raté. La glace mérite une accoutumance car c’est un sorbet d’un fruit médicinal qui fait penser à une tisane. C’est amer mais ça se mange si l’on entre dans le jeu.

Les valises sont faites, je vais me coucher pour une nuit de moins de six heures. Demain je reverrai l’île de Pâques dont je crois avoir vu tout ce qu’on peut voir.

L’Equateur est un pays tentant. Il est très actif, il y a des petits commerces partout et même des ventes à la sauvette. Les fruits sont tous bons. L’hôtel est superbe. Les visites d’églises sont riches d’émotions culturelles. Ce fut un beau séjour.

Vendredi 17 novembre

Petit déjeuner à 5 heures, c’est tôt. Il fait encore noir. Nous allons quitter ce bel hôtel et cette ville vivante.

Il y a dans le groupe de touristes des voyageurs invétérés. L’un d’entre eux, de 90 ans, a voyagé dans 130 pays. Il est vaillant et d’attaque. Il a affronté les risques des pirogues sans problème. Le seul moment de panique pour lui a été à l’hôtel Trump quand il a pris un bain. Pendant trois quarts d’heure il a essayé de sortir de la baignoire et n’arrivait pas tant les parois sont glissantes. Et, bien évidemment, il ne pouvait pas téléphoner pour demander de l’aide. Un prêtre de Meaux est aussi un grand voyageur devant l’Éternel. Les fous de voyages ne manquent pas et je me sens bien petit à leurs côtés.

Nous partons à 7 heures vers l’aéroport de Quito. C’est l’heure de pointe et l’on voit à quel point la ville subit des encombrements terrifiants au point que les voitures sont autorisées à circuler à ces heures en fonction de leur numéro minéralogique. A l’aéroport nous prenons l’avion vers l’Île de Pâques pour un vol de six heures. Nous quittons un pays fort sympathique, vivant et qui comme le Panama, subit le choc démographique.

Le personnel de bord est toujours sympathique, les relations avec eux sont de plus en plus faciles et avec les voisins de vol, les relations sont de plus en plus détendues. Un apéritif sommaire est agréable. Pour le repas, le flétan que j’ai pris est de bonne qualité malgré le problème des températures de cuisson, difficiles à respecter lors d’un vol en avion.

Nous arrivons à l’Île de Pâques sous la pluie qui ne nous quittera pas de la journée. La douane garde nos passeports jusqu’à demain. En sortant de l’aéroport de ravissantes jeunes femmes qui chantent, accompagnées par des guitaristes, nous mettent un collier de fleur autour du cou. Nous partons dans des cars sommaires qui accueillent difficilement les bagages à main que nous avons et pour mon bus la climatisation ne va jamais trouver la bonne température, donnant un froid sibérien ou un sirocco brûlant.

Nous arrivons à l’alignement de Moaïs de Tongariki qui est impressionnant, sur un site magique à l’est de l’île. Avec mon épouse nous avions passé cinq jours sur cette île et nous pensions qu’après avoir tout vu, revenir serait inintéressant, mais je suis ravi de revoir ce site si chargé d’émotion.

Notre guide Céline est une spécialiste des légendes des îles océaniques. A chaque sujet ou chaque question elle répond par des doutes plus que par des affirmations, ce qui est le doute scientifique poussé à l’extrême. Il est vrai que la tradition orale n’a quasiment rien laissé quand la population a été presque entièrement décimée, mais c’est assez frustrant qu’il n’y ait que des questions et pas de réponses. Par ailleurs elle raconte volontiers sa vie et son actualité ce qui n’est pas forcément notre souhait. De ce fait, je la suis fort peu lorsque le bus s’arrête. Nous allons voir ensuite le volcan le plus haut de l’île qui a subi récemment un important incendie sauvé par un sourcier sorcier chilien venu pour commander la pluie, et ça a marché.

Nous visitons ensuite le très joli site de Tahai où il y a de beaux Moaïs dont certains avec chapeaux et qui comme à Tongariki tournent le dos à la mer. Il y a sur ce site un vrai port d’accès à la mer qui est inhospitalière sur presque toutes les côtes de l’île.

Trempés, marchant dans la boue nous entrons dans une immense salle pour un dîner buffet. Les verres qu’on nous tend à l’apéritif sont très alcoolisés, avec de la mangue ou une herbe médicinale. La nourriture est très acceptable et alors que nous sommes en novembre 2017 je vais pour la première fois goûter un vin de 2017, un Misiones D Rengo cabernet sauvignon du Chili 2017. Sa couleur est violette, son goût d’un fruit acceptable mais sacrément jeune.

Vient alors le moment du spectacle de chants et danses locales de Rapa Nui. Les danseurs sont très dénudés, avec des pagnes suggestifs, et dansent de façon aussi suggestive. Les danseuses ondulent des hanches et le spectacle est beau. A un moment danseurs et danseuses viennent inviter des spectateurs à danser avec elles ou eux. La plus jolie des danseuses m’invite à danser avec elle sur la scène. Je suis captivé, que dis-je, capturé par son sourire. Je ne sais pas pourquoi la pluie, la boue n’ont plus aucune importance. Un sourire béat éclaire mon visage. Très vite je reviendrai sur terre.

Nous sommes disséminés en plusieurs hôtels et notre guide qui parle toujours d’elle-même nous fait descendre à un autre hôtel que le nôtre. A ce moment, la jolie danseuse est vite oubliée car c’est la contrariété de trop.

Nous arrivons à l’hôtel Tahatai qui est au bord de la mer. On nous offre de pouvoir boire au bar et avec des compagnons de route je bois une bière. Comme on m’en offre deux, j’en offre une à un habitant de l’île qui m’embrasse comme si j’étais son frère. A mon départ du bar il m’embrassera encore. Ma chambre a un confort assez spartiate, voire minimaliste. L’internet passe mal. Il est temps de dormir.

Samedi 18 novembre

L’hôtel Tahatai dans la grande ville de l’Île de Pâques est au bord de l’eau. De ma chambre lorsque le soleil est levé, je peux voir une mer calme. Je vais prendre un petit-déjeuner très agréable dans une grande pièce qui est face à la mer. La végétation est luxuriante. Alors que le ciel paraissait dégagé, une ondée arrive sans crier gare. Ici le temps est toujours incertain. Le reste de la matinée va se passer sous un chaud soleil.

Nous allons au site où se situent les Moaïs, ces grandes statues de pierre plantées dans une colline où se faisait la construction. Le plus grand des Moaïs est de 22 mètres, encore attaché à la roche. Ce site est majestueux, avec une vue panoramique brillant sous le soleil. Un Moaï diffère de tous les autres car il est assis sur ses talons et on lui voit les jambes. La forme ronde de sa tête diffère de toutes les autres.

Nous allons ensuite sur la seule plage vraiment fréquentable où ont été plantés des dizaines de cocotiers polynésiens importés. Le sable est blanc et une rangée de cinq Moaïs veille sur le site.

Nous revenons à l’aéroport où notre avion nous attend. Nous allons récupérer nos passeports qui étaient restés à la douane et pour entrer dans l’aéroport des jeunes filles vont nous mettre au cou un collier de coquillages, des grains de café. La danseuse qui m’avait invité à danser avec elle sur l’estrade me reconnaît et m’embrasse gentiment. C’est elle qui me passera le collier au-dessus de la tête et me donnera un nouveau baiser, en tout bien tout honneur, bien sûr.

L’avion mettra six heures pour faire les 4.800 kilomètres qui nous séparent de Tahiti. Le décalage horaire avec Paris est de 11 heures, ce qui est cinq heures de plus qu’à Panama, Quito et l’Île de Pâques. Au fil des jours les relations avec les voyageurs et avec le personnel de bord deviennent de plus en plus détendues. C’est une bonne chose.

J’avais choisi à l’avance pour le repas du poulet plutôt que du thon car je redoutais que le thon ne soit trop sec. Mauvaise pioche car mon poulet a tout du béton lourdement armé. Je n’en ai rien mangé.

Au départ, le pilote a fait le tour de l’île de Pâques dans les deux sens pour que les passagers proches des hublots puissent faire des photos. C’est un cadeau précieux et impressionnant tant l’on croit que les ailes touchent les falaises. A l’arrivée à Tahiti, nous avons fait deux fois le tour de l’île mais là ce n’est pas un cadeau. Le pilote s’apprêtait à atterrir quand au dernier moment il mit les gaz et remonta à 1700 mètres d’altitude. L’explication vint un peu plus tard : du fait d’un vent très violent la tour de contrôle a demandé au pilote d’atterrir plus tard.

A l’arrivée nous sommes accueillis par des chants et des danses discrètes. Les formalités douanières sont extrêmement souples. Le voyagiste a trouvé intéressant pour les touristes que les bagages soient pris en main à chaque arrivée par ses équipes et que nous trouvions nos bagages dans nos chambres sans avoir dû faire ce transfert. L’idée est bonne, mais il faut nous occuper pendant deux à trois heures pour n’entrer dans l’hôtel que lorsque les bagages sont livrés. On nous propose de visiter un marché couvert qui est normalement fermé le samedi et le dimanche et ne sera ouvert que pour nous. Là aussi l’intention est louable, mais le fait de commencer la visite de Tahiti par une visite d’un marché couvert ne faisait pas partie de mes rêves les plus fous. Dans le marché couvert dont de nombreux stands sont fermés il y a surtout des échoppes de fruits et légumes, des vendeurs à la sauvette de perles de Tahiti et quelques magasins de fringues. J’achèterai d’ailleurs un teeshirt à un prix très parisien.

De jeunes gens costumés, quatre garçons et quatre filles, dansent sur la musique et le chant d’un guitariste. Les garçons sont très musclés et les filles jolies. On nous propose de goûter des morceaux de noix de coco coupés devant nous et de déguster des dès de mangue, de banane et de papaye. Manifestement, avec le décalage horaire de cinq heures, nous avons plus envie de nous reposer que de faire du shopping.

Nous nous rendons à l’hôtel Intercontinental qui est gigantesque. Mes valises sont dans ma chambre, ouf ! Je demande qu’on vienne prendre mon linge à laver qui remplit deux énormes sacs. C’est un jeune homme en maillot de bain et torse nu qui est venu chercher les deux sacs.

Le temps de m’occuper du linge, du wifi qui ne marche pas pour mon téléphone et de prendre une douche fait que je n’ai pas pu me baigner dans la piscine ou dans la mer qui est juste en bas de ma terrasse, au même niveau que la pelouse de l’immense jardin.

A 19 heures nous allons dîner au restaurant Le Tiare de l’hôtel Intercontinental. Il s’agit d’un buffet dont les poissons crus sont excellents. Ils seront l’essentiel de mon repas.

A 20 heures un groupe de huit hommes et huit femmes des îles Marquises dansent et chantent selon une histoire ou un schéma qu’on ne peut pas comprendre puisque la langue est polynésienne mais on peut essayer de deviner. Les hommes sont très musclés et très tatoués. Ce sont des guerriers qui ont des armes pour tuer et qui prendront (fictivement) une pirogue pour aller vaincre des ennemis. Les hommes sont agressifs et font des hakkas polynésiens destinés à effrayer les ennemis. Les femmes soutiennent les hommes mais on sent qu’elles prêchent pour la paix, qu’elles cherchent à calmer les ardeurs des hommes, même si elles partagent des chants guerriers avec les hommes. Le spectacle est très coloré. A un moment, des danseurs hommes et des femmes vont chercher dans la foule quelques personnes dont je ferai partie, sans doute parce que je suis placé à une table facile d’accès aux danseurs pour inviter des voyageurs, invitations que l’on a demandé de ne pas refuser.

Les femmes de notre voyage danseront avec les femmes et les hommes avec les hommes. Nous devons imiter les gestes des danseurs et c’est très bon enfant. Ceux qui restent à table vont rire de nos erreurs de synchronisation des mouvements. J’ai été frappé par la grande gentillesse de ces colosses, qui nous montrent les gestes et nous aident à les corriger. Les poignées de main de remerciements et de complicité s’échangent. Ces guerriers menaçants savent être très accueillants.

A Tahiti tout le monde sourit. Les jeunes femmes sont d’une grande beauté et les plus vieilles même si elles ne répondent pas à des canons de beauté ont un charme fort très lié à leurs sourires. La végétation est luxuriante et belle et les fruits abondants sont délicieux.

J’ai pris des excursions optionnelles sur les deux jours à venir alors que j’aurais besoin de repos. Je n’annulerai pas mais j’en ai la tentation.

Dimanche 19 novembre 2017

Je me lève à 6 heures du matin en pleine forme, reposé, mais je sais qu’à un moment ou à un autre, j’aurai probablement un coup de fatigue. Je pars à 8h30 dans un bus pour l’excursion optionnelle « Nature et Culture ». Je n’en sais pas plus. Nous sommes 27 dans le bus avec Fipa, la guide qui est une italienne qui a épousé un français et vit depuis 31 ans à Tahiti. Elle va nous raconter des choses intéressantes, même si elle approfondit peu les sujets qu’elle traite, mais ce qui me gêne c’est qu’elle tient son micro contre ses lèvres et envoie dans nos oreilles des décibels insupportables. Fort curieusement très peu de personnes éprouvent la même gêne, mais c’est un calvaire pour moi.

Nous allons faire le tour de la grande île de Tahiti en nous arrêtant sur des sites remarquables soit au plan de la flore soit au plan de la culture. Mon téléphone, pour des raisons de sécurité, oblige à mettre un code pour le déverrouiller. Ce qui fait que dans le bus qui roule, quand je veux prendre une photo, j’arrive toujours en retard. Il m’a fallu de nombreux essais pour photographier la montagne « le diadème » car ses crêtes ressemblent à un diadème. Le premier arrêt sur un site en hauteur, nous permet de voir la barrière de corail, mais c’est relativement peu photogénique.

Le deuxième arrêt est au bord de l’eau, à la pointe de Vénus, au pied d’un phare carré de 25 mètres de haut, plus haut que les plus hauts cocotiers, créé par des ingénieurs français en 1867 sous le règne de la très célèbre reine Pomaré IV. Il y a des embarcadères à petits bateaux avec balanciers et une plage où l’on peut faire du surf ou du paddle-surf. Il y a aussi un petit monument en l’honneur de l’arrivée des missionnaires, en 1797, trente ans après l’arrivée de James Cook. C’est très familial et comme c’est un dimanche, beaucoup de familles s’adonnent au plaisir de l’eau.

L’arrêt suivant est au trou du souffleur de Ara Hö Hö. Sur un site de rochers sur l’eau, il y a un arrangement des pierres qui fait que quelques mètres plus loin, l’eau de mer jaillit non pas en eau mais en bruine et fait un bruit de soufflerie. Notre guide, pour nous montrer, a joué les Marilyn Monroe sur la bouche de métro en espérant que le souffle soulève ses jupes, ce qui fut le cas.

L’arrêt suivant nous permet de voir la plus grande cascade de l’île qui a un débit impressionnant, au site de Faarumai. L’eau ruisselle avec un débit important directement lié au fait que les quinze derniers jours ont été fort pluvieux.

Nous allons déjeuner au restaurant bar du Musée Gauguin directement sur l’eau, au point que l’eau est quasiment au niveau du plancher. De nombreux tahitiens en famille avec des couronnes de fleurs et des colliers de fleurs déjeunent en ce lieu. Une voyageuse de notre groupe fera remarquer que s’il y a autant d’autochtones présents, c’est que la nourriture doit être bonne. Et elle l’est. Les poissons crus que j’ai pris sont délicieux. Les viandes sont correctes. Comme il n’y a aucun chevalet indiquant ce que sont les plats proposés, j’ai pris du lapin, à ma grande surprise. Au dessert, les ananas sont des merveilles tant ils sont sucrés et la tarte à la noix de coco est probablement la meilleure que j’aie goûtée.

Nous nous arrêtons pour aller visiter les jardins d’eau de Vaipahi. C’est un jardin botanique aux fleurs d’une rare richesse. Il y a une plante dont les fleurs sont les roses de porcelaine. La fleur est rouge, avec le centre qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un protea, et les feuilles épaisses et d’un rouge vif semblent faites en porcelaine. Une feuille de lotus est d’un rose dégradé délicat et le centre est d’un jaune éclatant, avec des points noirs presque en symétrie. Ce jardin me rappelle l’immense parc de la Fondation Fairchild à Miami où il y a aussi des fleurs luxuriantes.

Un autre arrêt est sur un site sacré, un marae, fait de pierres de lave noire, avec le Te Tahua qui est la cour et le Te Ahu qui est l’autel réservé aux puissances divines et ancestrales. C’est très ancien et existait avant que l’île ne soit découverte par des européens à partir de 1767.

Notre dernière halte, la huitième, ce qui est beaucoup, d’autant qu’il pleut depuis la fin de notre déjeuner, est pour visiter le Musée de Tahiti et des îles. Cette visite est particulièrement intéressante, largement plus passionnante que le musée de la biodiversité de Panama.

Il y a des vestiges de la préhistoire et l’on remonte jusqu’à il y a 40.000 ans, période glaciaire qui fait que les niveaux des eaux étant particulièrement bas, plusieurs grandes îles dont l’Australie formaient un seul continent, le Sahul. Le musée raconte les migrations et les explorations entre continents, montre les outils de ces périodes primitives et décrit les langues, les coutumes puis l’histoire proche avec l’apparition des Pomaré comme rois de Tahiti. Une célébrité est la reine Pomaré. Le dernier roi, Pomaré V sans progéniture fit don à la France des îles qu’il a dirigées, en 1880.

Tout est passionnant mais je commence à être épuisé. De retour à l’hôtel, j’ai encore les oreilles qui bourdonnent du fait de la nuisance sonore de la guide. Ce fut malgré cet agacement une journée hautement intéressante car je suis heureux d’avoir fait le tour de l’île, mes yeux se remplissant de milliers d’images. Les maisons sont généralement très sommaires, certaines étant construites sur des pilotis en protection contre les cyclones mais aujourd’hui on investit beaucoup plus dans une plus belle voiture que dans une plus belle maison. La hauteur des sièges du bus permet de voir au-dessus des clôtures et on constate que très souvent les défunts sont enterrés dans les jardins.

Les jardins sont très soignés. La nature est tellement luxuriante et généreuse que les mangues abondent ainsi que les noix de coco. Cette île est chaleureuse, souriante. Un vrai paradis, même quand il pleut. A noter que les prévisions météorologiques échappent à toute certitude. La guide nous avait dit ce matin, comme le staff du voyagiste, que nous avions de la chance car il ferait beau toute la journée. Depuis midi il a plu à grosses gouttes. Au retour, j’ai voulu aller me baigner. J’ai enfilé mon maillot de bain et au moment de sortir, il pleuvait tant que je n’ai pas insisté.

Le dîner était prévu en un restaurant plus avancé vers la mer que celui de la veille mais les pluies qui se sont abattues ont poussé la direction à faire le dîner au même restaurant qu’hier, au restaurant Le Tiare. Ce sera un buffet. Les poissons crus sont toujours aussi bons, une pièce de bœuf s’est montrée excellente avec un gratin dauphinois et  parmi les desserts un petit cake à la frangipane et à l’ananas m’a plu. Nous avons bu un Champagne Billecart-Salmon brut sans année de très bel équilibre et joyeux. Demain il faut partir à 7h15 pour une nouvelle excursion. C’est du stakhanovisme !

Lundi 20 novembre

Le petit-déjeuner est une nouvelle fois très tôt car je pars de bon matin, à 7h15, pour une excursion optionnelle : « Taha’A, l’île vanille ». Je me suis réveillé avec des embarras gastriques qui pourraient provenir d’un plat peu frais ou du fait que j’ai bu l’eau d’un broc dans le restaurant du musée Paul Gauguin.

Un bus conduit les inscrits à l’aéroport situé à cinq minutes de l’hôtel et nous prenons un avion ATR à hélices qui, allant vers Bora-Bora, fait une courte halte à Raiatea, une île où nous nous rendons. Placé contre un hublot j’ai l’occasion de voir de magnifiques lagons. Les couleurs sont féériques, d’un bleu profond opposé à un vert bleu turquoise.

A l’arrivée, une plantureuse et souriante polynésienne, Suzanne, nous accueille et va nous guider. Elle nous raconte une légende, propos de bienvenue, en faisant des gestes un peu comme les personnes qui doublent les discours à l’intention des malentendants. Ses gestes sont très élégants. Le mot légende lui-même est exprimé par des doigts qui s’agitent devant la bouche, comme font les joueurs de pipeau.

Nous embarquons dans deux bateaux pour nous rendre vers l’île Taha’A. Nous longeons des paysages aux arbres luxuriants exprimant la richesse des terres tropicales. Nous passons devant une magnifique plage de sable fin, plantée de cocotiers, qui a appartenu à Joe Dassin. Une église aux couleurs de blanc et de bleu pour les fenêtres et au toit ocre orange est en aplomb sur la mer dans un joli environnement. Nous allons vers un « Matu », qui est un petite île située sur la barre de corail où il y a une succession de petites cabanes sur pilotis qui font partie d’un hôtel Relais & Châteaux. Nous jetons l’ancre dans un chenal entre deux Motus pour nager avec masque et tuba dans cette passe qui regorge de masses de coraux blancs. Suzanne jette du pain dans la mer et c’est une myriade de poissons qui viennent se disputer des morceaux. Les poissons dans cette zone adoptent des tons blancs et gris clair qui correspondent aux fonds de sable blancs et aux coraux blancs. Après nous être laissés glisser au fil du courant nous remontons en bateau. J’ai commis l’erreur d’enlever mon masque trop tôt et j’ai trébuché par l’effet du courant et mon genou a frotté des coraux. Suzanne m’a donné du citron vert à frotter sur la plaie.

La prochaine halte est dans une ferme perlière où l’on réalise l’opération délicate de l’inclusion d’une impureté qui donnera la future perle. Dans cette ferme sur pilotis trois personnes font minutieusement l’inclusion tandis que dans la boutique on vend les perles nues ou montées. Décidément le voyagiste veut nous pousser à acheter.

La halte suivante est dans un site de mûrissement des gousses de vanille. L’exposé de celui qui nous présente la façon de travailler la vanille est passionnant. La Polynésie est le seul endroit au monde où la pollinisation est faite à la main. Là aussi on peut acheter de la vanille sous diverses préparations. Nous reprenons le bateau pour aller manger dans un restaurant où passent beaucoup de touristes. Le propriétaire des lieux propose un buffet. Au tintement de la cloche on ne doit pas se précipiter. Il faut écouter la prière que dit le chef. On peut ensuite goûter à une cuisine simple mais goûteuse.

En ce lieu on arrive sur une passerelle en bois et l’on voit dans l’eau deux raies de belle taille, des pastenagues, et de très gros poissons au bec acéré sans doute pour couper le corail.

Après le repas la pluie tombe à grosses gouttes et dans le bateau qui va vite, nous sommes tous trempés. Je protège mes affaires mais la pluie est la plus forte. La dernière halte doit être de se baigner dans un endroit où il y a des requins, annoncé comme inoffensifs et des raies. Du fait de la pluie forte, je suis le seul de mon bateau à me baigner et j’ai bien fait de décider de faire cette partie du programme. Dans l’eau claire, des requins font la ronde, passant de droite à gauche et de gauche à droite. Ils ne remuent aucune eau et glissent avec une belle rapidité. Quatre requins ont nagé autour de moi et ce qui m’a frappé c’est qu’à aucun moment je n’ai pu voir les quatre ensemble. Ce sont des chasseurs.

L’un d’entre eux suit en permanence un petit poisson jaune. Un autre a un poisson qui nage sous son ventre. Je suis ravi d’avoir pu voir des requins de près et dans leur environnement naturel.

Trempé et avec tous mes vêtements trempés du fait de la pluie j’ai fait le retour en avion de Raiatea à Tahiti en maillot de bain et teeshirt humides. Avec une climatisation qui souffle un air très froid, j’ai peut-être le début d’un rhume. Suzanne, pour nous remercier des pourboires que nous avons donnés nous raconte une nouvelle légende avec des gestes très doux et gracieux.

De retour à l’hôtel, trempé, j’ai pris une douche bien chaude puis préparé mes valises que l’on doit mettre devant la porte avant de se coucher.

Pour la troisième fois nous avons un buffet au restaurant Le Tiare. Des voyageurs avec lesquels j’ai sympathisé ont offert du Champagne Bollinger Brut sans année que j’ai trouvé meilleur que le champagne de la veille. Un spectacle de danses tahitiennes rassemble des jeunes garçons et filles très beaux et dansant de façon traditionnelle beaucoup plus doucement que les guerriers d’il y a deux jours. Le déhanché des filles est ahurissant et le tamouré des garçons est lui aussi d’une grande dextérité. Ces danses sont gaies, joyeuses et constituent un hymne à l’amour. Personne ne m’a invité à venir danser. Snif !

Retour en chambre pour finir d’empaqueter. Le réveil est mis à 5h15. Quand aurais-je une « vraie » nuit ?

Mardi 21 novembre + mercredi 22 novembre

Si je mets ensemble les deux dates, c’est parce que cette journée ou ces journées sont bien difficiles à comprendre. Nous sommes partis par l’avion le mardi 21 à 8h30 et nous sommes arrivés le mercredi 22 à 14h30. Or notre vol a duré 8h30. Entretemps, nous avons passé la ligne de franchissement de date, qui fait que nous avons en une seconde ajouté un jour à notre calendrier. On a beau être capable de poser calmement les choses, la confusion dans les esprits est totale et nous ne savons plus où nous en sommes par rapport à Paris ou à Miami où est ma femme, chez mon fils. En avance ou en retard, je n’ai pas la force de chercher.

De bon matin, presque au lever du soleil, je fais une photo de la mer vue de l’hôtel et c’est en la prenant que je m’aperçois qu’il y a dans le ciel un morceau d’arc-en-ciel qui rend la photo encore plus intéressante. Le petit-déjeuner au buffet généreux est pris au même endroit que les dîners. Cet hôtel Intercontinental est un bel hôtel aux chambres confortables et spacieuses et au service souriant et attentionné.

L’aéroport est à cinq minutes en bus. L’enregistrement est d’une lenteur invraisemblable et inorganisé. Pourquoi se presser à Tahiti ? Dans la salle d’attente, j’ai confié mes bagages à une personne du groupe pour m’absenter un instant et lorsque je reviens, je ne vois plus mes bagages. Je regarde à gauche et à droite tout en marchant et tout-à-coup je ressens une vive douleur. Il y a dans cette salle un espace qui est marqué par des câbles d’acier tendus et tirés du sol au plafond. Je viens d’en heurter un avec mon front et je saigne. Le médecin accompagnateur me pose un sparadrap. Regardant la scène de cet accident, je m’aperçois que ces câbles sont très peu visibles et dangereux.

Nous embarquons vers Sydney pour un vol de 8h30 qui ne paraît pas très long car nous sommes dans une telle accumulation de trajets que celui-ci n’est qu’un parmi tant d’autres.

Que dire de Tahiti ? C’est un paradis. Les paysages sont merveilleux, le temps est capricieux et imprévisible surtout en cette saison entre celle des pluies et celle de beau temps, les femmes sont souriantes, presque toutes coiffées de fleurs, les hommes sont aussi souriants et positifs. L’ambiance est à la joie. Pour le touriste, c’est le pays idéal.

Dans l’avion, avant le départ, on passe un spray anti-insectes et on nous prévient que l’Australie exige que cette opération soit faite au départ et à l’arrivée. Alors que l’on nous a parlé de l’extrême surveillance des produits importés, les différents contrôles se passent sans difficulté. Pour la première fois, les bagages doivent être réceptionnés par les voyageurs eux-mêmes et pas par les responsables du voyagiste. C’est pour pouvoir réaliser des contrôles en présence du propriétaire des valises car les australiens redoutent les importations de tous produits vivants ou ayant vécu (coquillages par exemple). Comme nous avons les bagages en main, nous pourrions aller à l’hôtel et nous installer. Mais le voyagiste va faire comme le polytechnicien qui cuit un œuf à la coque. Il fait bouillir de l’eau et lorsque l’eau bout il met l’œuf dans l’eau et le retire quatre minutes plus tard. On lui demande alors quel processus il adopterait si on lui donnait une casserole d’eau bouillante. Il répond : « c’est facile, j’attends que l’eau refroidisse et quand elle est froide, j’applique le mode opératoire précédent ». Le voyagiste a fait strictement le même chose. Au lieu de mettre les valises dans les espaces prévus des bus qui nous emmènent, et donc de nous emmener à l’hôtel avec nos bagages, il a demandé à chacun de laisser ses bagages en un endroit unique. Les valises ont été prises en charge par une société de transport qui les a manipulés indistinctement et livrés à l’hôtel où l’équipe bagages du voyagiste a dû les trier pour les livrer en chambre. De ce fait, comme pour chaque vol de notre voyage, il y a une excursion de trois heures ou plus qui est un « bouche-trou » destiné à permettre au voyagiste de livrer les valises dans chaque chambre. Bien sûr la visite de la ville au pas de charge n’est pas sans intérêt mais nous avions tous envie de nous reposer après cette journée très longue.

En bus nous avons regardé une jolie plage de sable blanc d’un kilomètre de long, à Bondi, et nous sommes passés en divers endroits pour regarder divers quartiers et prendre des photos lorsque le panorama le méritait. Photographier l’opéra de Sydney et le pont métallique est évidemment impressionnant.

Sur le programme il était prévu que l’on soit à l’hôtel à 17h30. C’est seulement à 18h15 que nous avons atteint l’hôtel Shangri-La. J’étais épuisé. Ma chambre est d’un honnête confort mais nettement moins spacieuse que celles de Panama, de Quito et de Tahiti. Je suis au 28ème étage du building.

Le dîner est au premier étage. Les plats sont excellents et les plus raffinés du voyage à ce stade. Pour compenser les fatigues de la journée, je commande un verre de Champagne Veuve Clicquot Brut sans année qui fait un immense plaisir car j’en avais besoin. Il est très bon et je double la mise. J’ai mangé de minuscules huîtres excellentes, des grosses crevettes roses superbes et un crustacé qui ressemble à une cigale mais n’en est pas. Je suis ensuite monté au dernier étage, le 36ème , pour faire des photos de la nuit à Sydney et je trouve le doyen de notre groupe, un infatigable globe-trotter. J’ai pris un limoncello qui est nettement moins bon que celui que fait mon épouse mais m’a fait du bien.

Lors de cette visite on est obligé de penser à la France. L’Australie est dynamique, prospère, avec un taux de chômage de 5%. Les rues sont propres, chacun protège la propriété privée des autres et respecte l’environnement. Et ça marche alors que la France se prend les pieds dans le tapis en privilégiant l’égalitarisme, en spoliant ceux qui créent de la valeur et en chouchoutant ceux qui ne veulent rien faire. Quand la France va-t-elle se réveiller ?

Il est temps de dormir. Jeudi 23 novembre

Je me réveille à 6h30 après une nuit courte mais entière, sans réveils qui l’entrecoupent. J’ai une belle bosse sur le front avec un trace rouge comme une estafilade. Le petit-déjeuner est copieux et les mets qui sont proposés sont d’excellente qualité. Nous partons en bus à 8h45 pour aller à l’héliport qui est dans l’enceinte de l’aéroport de Sydney. On nous montre une vidéo qui explique les gestes à faire pour porter un gilet de sauvetage et pour l’utiliser en cas de problème. On nous pèse, pour répartir les inscrits entre plusieurs hélicoptères en fonction du poids. Un grand hélicoptère prendra six inscrits. Je serai dans un petit hélicoptère à deux fois deux sièges. Un couple de voyageurs de Saint-Barth seront à l’arrière et je serai à la gauche du pilote. Un grand sérieux préside à notre mise en place dans l’hélicoptère. On en peut rien faire sans le feu vert du pilote en suivant ses instructions. Le nombre de contrôles est important. Nous partons vers les « montagnes bleues » qui sont situées à une centaine de kilomètres de Sydney et dont la couleur bleue qui apparaît lorsqu’on les regarde provient d’une sécrétion des feuilles d’eucalyptus qui éclairée par le soleil donne ce ton de bleu.

Nous survolons les nombreux canaux sur lesquels fleurissent des marinas ou des ports de plaisance, nous voyons les innombrables golfs qui se comptent en centaines à Sydney où le golf est un sport populaire ouvert à tous. Nous voyons des lotissements de magnifiques villas avec piscines. Puis, quittant la ville nous approchons de la forêt des montagnes bleues classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette forêt a été longtemps infranchissable pour les européens découvreurs de l’Australie jusqu’à ce qu’un explorateur ait l’idée d’emprunter un chemin qu’utilisent les aborigènes. Il y a dans ces montagnes des falaises qui évoquent le Grand Canyon du Colorado et un immense lac de retenue d’eau potable qui est nourricier en eau pour la ville de Sydney.

Au retour, nous passons au-dessus très près du pont métallique et de l’Opéra. Nous survolons ensuite les côtes escarpées le long du Pacifique, qui évoquent un peu les falaises de Bonifacio. Nous nous posons sur le terrain de l’héliport avec consigne de ne rien faire tant qu’on n’en a pas la permission. Nous rejoignons les bureaux, heureux d’avoir tenté une expérience unique. J’ai ressenti plus d’émotion à ce trajet de plus d’une heure que lors du survol en hélicoptère de la ville de Tokyo.

Nous allons déjeuner dans un restaurant de bord de l’eau le restaurant Doyles établi sur ce lieu en 1885. Nous avions été réparti en huit groupes ce matin en fonction des choix d’activités – j’étais dans le groupe 8 – et nous nous retrouvons tous pour le déjeuner.

Le menu prévu est : sélection de pinces de crabe royal, huîtres, saumon fumé en terrine et crevette rose / « selection of fried whiting, jumbo prawns, Tasmanian Bass strait scallops, salt and pepper calamari, grilles Barramundi, served with chips and garden salad » / tentation de chocolat avec noix de macadamia et gelée de vanille.  C’est très bon, goûteux et on comprend que ce restaurant ait pu vivre 132 ans s’il a cette qualité de produits.

Après le déjeuner nous prenons un taxi sur mer qui nous conduit directement à l’entrée de l’Opéra. Le pilote du taxi n’en revenait pas lui-même que nous ayons croisé un sous-marin qui avançait dans la rade avec plusieurs marins au garde-à-vous sur la plateforme du sous-marin. Nous sortons du taxi, entrons dans l’Opéra et rencontrons un guide français qui nous explique l’histoire incroyable et tragique de cet Opéra. Un concours d’architectes a été lancé en 1951. Après de longues hésitations, c’est le projet n° 218 qui a été retenu, d’un architecte danois Jørn Utzon en 1956. Mais s’il était de loin le plus original et correspondant aux souhaits des donneurs d’ordre, le projet n’était pas encore abouti et a dû être retravaillé avec des ingénieurs pour vérifier la faisabilité. Les travaux ont pris du retard, les coûts ont explosé, les fonds ne suivaient pas au point qu’un 1966, Jørn Utzon, dans l’incapacité de payer les ouvriers se fâcha avec les instances décisionnaires au niveau du district local de Sydney et quitta le chantier qui fut poursuivi par un groupe d’architectes qui ont essayé de coller au mieux aux intentions du danois. L’Opéra a été inauguré en 1973, avec un budget final près de dix fois supérieur à l’initial. Alors que tout le monde a salué le génie de cet opéra, Jørn Utzon n’a jamais voulu revenir sur place. Ce n’est qu’en 1999 qu’il a accepté de coopérer pour transformer une salle, la salle Utzon, mais sans jamais venir à Sydney. Il a eu la consolation d’avoir su que l’Opéra venait d’être classé au patrimoine mondial de l’humanité. C’est la première œuvre qui a été classée du vivant de son auteur. Le classement a été fait en 2007 et Jørn Utzon est mort en 2008 à 90 ans. Quelle tristesse que cette dispute qui a privé l’architecte de voir son œuvre achevée alors qu’elle est aujourd’hui le symbole de Sydney et de l’Australie comme la Tour Eiffel est le symbole de Paris et de la France.

L’Opéra étant en restauration nous n’avons pas pu voir la salle de l’Opéra fermée pour deux ans, alors que nous avons vu une magnifique salle de concert d’une conception avant-gardiste que je n’ai pas pu photographier puisque c’est interdit lorsqu’il y a des artistes sur scène, l’orchestre de Sydney étant en train de répéter. Notre guide nous a raconté tout ce qu’il y a de génial dans la conception et la réalisation de cette œuvre. La toiture compte plus d’un million de tuiles en céramique soumises aux agressions du climat et des fientes d’oiseaux. Elle n’a jamais été nettoyée en 50 ans car les tuiles ont été traitées pour être autonettoyantes, du fait des revêtements.

En sortant de l’Opéra, on longe des débarcadères qui accueillent des navettes mais aussi d’énormes bateaux de croisière. Sur les rives, des cafés à terrasses servent des milliers de consommateurs. Ce pays sait mêler avec un réel succès travail et loisirs, car il y a quasiment le plein emploi et tout le monde profite du climat pour des activités sportives ou ludiques.

Il était prévu de faire des petites visites sur le chemin de retour vers l’hôtel. Je me suis désolidarisé pour rentrer au plus vite à l’hôtel. J’ai annulé le dîner qui doit avoir lieu dans un restaurant panoramique dans la grande tour de Sydney car nous allons quitter l’hôtel demain à 4h45. La perspective de ne dormir que trois heures n’entre pas dans mes plans. Je fais donc école buissonnière.

Demain, c’est le départ pour Singapour. Le séjour à Sydney est très court, alors que ce pays est vraiment tentant. Il a épousé son siècle. Hélas comme pour tous les autres pays visités, la croissance de la population entraîne des travaux gigantesques pour offrir des moyens de transport nouveaux. Le guide, lucide, nous a dit que lorsque les travaux seront finis, il en faudra d’autres car les mesures prises ne seront pas à la hauteur des problèmes du jour de leur réalisation.

Longue vie à cette belle Australie. Malgré l’éloignement, j’ai bien envie d’y revenir.

Vendredi 24 novembre

Rappel de la veille : ayant annulé ma participation au dîner dans le restaurant panoramique, j’ai commandé une César salade en service de chambre. Je n’ai jamais vu un serveur aussi nul que celui qui m’a apporté ce plat. Il n’a pas ouvert ma bière alors qu’il aurait dû le faire et comme dans le minibar il n’y a pas de décapsuleur, je suis un peu gêné. Ayant remarqué que la lampe qui surplombe la table ne fonctionne pas, je lui dis de contacter un technicien pour qu’il fasse marcher la lampe. Il me répond : « comme ce n’est pas de notre responsabilité, ce serait mieux que vous contactiez les services techniques ». Tant d’incompétence m’a sidéré. La salade du Shangri-La n’est pas du statut de l’hôtel, le poulet étant d’une dureté qui le rend immangeable. Je suis resté zen comme le condamné à mort qui constate qu’il y a une panne d’électricité.

Se réveiller à 3h45 est assez particulier. J’ai dormi au mieux quatre heures et demie mais nos horloges internes dansent tellement la java que nous n’avons plus aucun repère. Aussi après une bonne douche suis-je frais et dispos. Un café nous attend dans le hall ainsi qu’un petit plateau de petit-déjeuner à manger dans le bus, ce que j’ai fait. A l’aéroport nous apprenons que notre départ aura lieu avec une heure de retard. Ma zénitude me surprend.

A ce propos, je m’étais préparé à affronter toutes les situations et à rester calme en toutes circonstances, car dans un groupe de 160 personnes la probabilité des incidents est importante et encore plus quand il s’agit de français, du pays le plus indiscipliné de la terre. J’ai entendu beaucoup de gens se plaindre de ceci, de cela et j’ai décidé de positiver. Mais voici un cas qui m’a mis à l’épreuve.

Lorsque nous sommes arrivés à Sydney, il fallait comme à chaque escale nous « occuper » pendant trois heures pour que nos valises puissent arriver à nos chambres grâce à l’équipe « bagages » du voyagiste. Nous passons de site en site pour faire des photos et lors d’un arrêt nous allons photographier l’Opéra. Après avoir mitraillé l’Opéra nous rentrons dans le car et une personne manque. On cherche et on s’aperçoit qu’il s’agit d’une femme légèrement handicapée qui marche avec des cannes. Elle est tout au bout du chemin que l’on voit car il est en pente, à environ trois cents mètres, plus loin que là où nous photographions. La guide locale qui nous accompagne va la chercher. Nous suivons des yeux la remontée de l’absente et au milieu de cette remontée la dame s’arrête, reprend son souffle, fouille dans son sac et demande à la guide de la prendre en photo devant l’Opéra, ce qui dure un certain temps. Elle reprend sa marche vers le bus et quand elle entre dans le bus après dix minutes de retard, elle ne prononce pas un mot pour s’excuser. Il se trouve que nous étions tous épuisés par un voyage en avion de 8h30 ce qui rend moins tolérant face à une telle absence de prise en compte des autres.

Revenons à nos moutons car ces petites situations sont bien marginales.

Nous volons pendant 8h20 de Sydney à Singapour. Alors que nous volons à 11.000 mètres, le pilote a accepté de descendre à 3.000 mètres et de faire le tour dans un sens et dans l’autre pour que chacun puisse photographier un site sacré des aborigènes, cette étrange pierre rouge aux bords arrondis qui semble plantée dans le sol comme une météorite survenue du cosmos, l’Uluru surnommé Ayers Rock. Quel cadeau !

Nous arrivons à 13 heures heure locale alors que nous nous sommes levés à 0h30 à l’heure de Singapour, qui est séparé de trois fuseaux horaires de Sydney. Pour permettre l’arrivée en chambre des bagages, on nous fait visiter le jardin botanique des orchidées. C’est beau mais comme on dit en anglais, cela a un air de « déjà vu » car toutes ces orchidées magnifiques se voient partout dans le monde. Nous avons vu l’orchidée François Hollande que nous avons moins aimée que l’orchidée Diana. Notre guide nous a bien expliqué le caractère très rigide du pays vis-à-vis de certains aspects de la vie en société. On risque la peine de mort avec la drogue. Le chewing-gum est interdit, comme de fumer en de nombreux endroits ou de jeter des saletés et les peines sont lourdes. Cela paraît caporaliste mais c’est accepté par tous et ça donne de bons résultats. On ne voit quasiment jamais de policier alors que la sécurité est quasi-totale. Cela tient au fait qu’il y a des caméras de surveillance partout.

Nous arrivons à l’hôtel et nous constatons que les problèmes d’ascenseurs sont aussi mal résolus à Singapour qu’à Sydney : attentes trop longues et arrêts à tous les étages ou quasi. Je suis au 21ème étage, j’ai donc le temps de regarder la vaste cour intérieure car les cabines d’ascenseurs sont à l’extérieur du bâtiment comme dans les films d’aventures.

Mes valises ne sont pas en chambre et j’attends. Au bout d’un certain temps je sors de ma chambre et je constate que je ne suis pas le seul à ne pas les avoir. Un agent de l’hôtel sonne et avec un large sourire m’annonce que voici mes bagages. Or il n’a qu’une seule valise. J’attends encore puis je décide d’aller voir. Au lobby il y a beaucoup de valises mais pas ma deuxième valise. Peut-être était-elle en route. Je remonte, et, pas de valise. Je croise un agent qui traîne une valise et redescend avec elle. Je lui demande pourquoi il ne la met pas dans la chambre et il m’apprend que n’ayant pas le passe général il ne peut pas la laisser à une chambre si la personne est absente.

Je redescends donc car il se pourrait que ma valise ait été montée puis descendue. Il n’en est rien. Je m’apprête à déclarer la perte de ma valise mais je vois qu’à l’extérieur de l’hôtel on décharge des valises. Il est 18 heures, heure locale, alors que notre avion a atterri à 13 heures. Il y a des cailloux dans l’organisation. Je vois ma valise. Quelqu’un me propose de la monter. Je refuse, je la prends en main et remonte à la chambre. Ma zénitude a été mise à l’épreuve.

Nous partons à 19 heures pour l’aquarium de Singapour. La ville est d’une activité incroyable. Le port maritime de containers est gigantesque et fonctionne 24 heures sur 24. Plus de mille navires sont en attente en mer pour se faire décharger par d’immenses grues qui fonctionnent de façon quasi automatique. En ville, comme c’est le Black Friday qui suit Thanksgiving, la ville est active. Notre bus arrive dans un parking aux dimensions titanesques car l’aquarium est situé dans le même espace qu’un parc d’attraction. Ici tout est hors de proportion.

Nous quittons le bus et entrons dans l’aquarium qui a été privatisé par notre voyagiste pour un dîner alors que ce site n’a pas vocation à faire des dîners. Comment notre voyagiste arrive-t-il  à obtenir de tels privilèges, je ne sais pas ?

Nous entrons par un tunnel en verre avec des requins qui s’ébattent au-dessus de nos têtes. Nous attendons dans un des immenses couloirs du site avec des aquariums impressionnants par la rareté des poissons qui y sont présentés. On a le choix entre un verre de Fanta ou un verre de Coca-Cola. De maigres canapés nous sont chichement proposés et on attend. On attend encore car apparemment la grand salle n’est pas prête. Quand elle l’est nous arrivons dans une salle immense comme une grande salle de spectacles à gradins, avec un aquarium qui fait bien 25 mètres de haut sur plus de cent mètres de large. Des poissons magnifiques font des rondes, les raies Manta, les requins à bosse et de moult autres espèces, un énorme mérou, des multitudes de raies diverses, et ces myriades de poissons se croisent en un magnifique ballet. Les tables sont installées sur les gradins.

Le menu est : coquilles Saint-Jacques avec artichauts, salade d’algues et crevettes roses / bisque de homard / Tenderloin de bœuf australien avec asperges et pommes de terre et réduction de vinaigre balsamique / parfait à la vanille avec un coulis de framboise, ganache de chocolat au lait en un biscuit. Nous sommes tous tellement fatigués que nous ne passons pas beaucoup de temps à analyser les mérites ou les faiblesses de cette cuisine de traiteur. J’ai aimé les coquilles et la viande.

On nous avait vanté les mérites du vin unique qui nous serait proposé emporté de France comme étant un vin de la cave du propriétaire de la société voyagiste. C’est un Baron Carl Saint-Emilion Baron Philippe de Rothschild 2014. Ce vin qui titre 12,5° n’a pas grand-chose à proposer que le fait d’avoir le mot Rothschild dans son nom ce qui peut être trompeur pour celui qui s’imagine boire du Mouton ou du Lafite mais boit un vin de négociant sans terroir, vin d’assemblage. Faute de grive j’en ai bu. Il est suffisamment bien assemblé pour qu’il puisse convenir à un public non averti.

Lors de notre passage à Quito, un des cadres du voyagiste nous avait chanté un Ave Maria. Lors de ce dîner, il a occupé notre espace sonore pendant presque la totalité du repas. Pas besoin alors de faire la conversation. Il a manifestement une belle voix mais qui s’exprime mieux sur des airs d’opérettes ou de variété que sur des airs d’Opéra où son chevrotement et une certaine timidité dans l’expression limitent le plaisir. De plus, était-il nécessaire de nous imposer ce concert alors que nous contemplions la sérénité des poissons qui dansaient devant nous ? Beaucoup de gens ont apprécié la performance d’un homme attachant qui a une voix juste et bien posée. J’ai regretté d’être pris en otage dans un concert non sollicité.

Nous sommes rentrés fourbus. Je suis resté éveillé pendant 23 heures de suite. Il est temps de plonger non pas dans l’aquarium mais dans mon lit.

Samedi 25 novembre 2017

J’avais mis mon réveil à 7h00 mais je me suis réveillé à 5h00 et je ne me suis pas recouché. Je voulais en effet finir le compte-rendu des évènements d’hier. A 7h00 je me présente au 3ème étage pour le petit-déjeuner, après une attente anormale de l’ascenseur et je suis impressionné par l’ampleur de l’offre aux buffets. Si on alignait tous les buffets sur une seule droite on dépasserait sans doute les cent mètres. Il y a en effet des stands pour tous les types de cultures, chinoise, japonaise, indienne, européenne, etc.. J’essaie d’être raisonnable car mon tour de taille a subi une expansion qui ressemble à l’explosion d’une supernova.

J’hésitais à faire les visites de ce jour et je coupe la poire en deux en décidant de faire les explorations du matin et pas celles de l’après-midi. Comme nous sommes répartis en quatre groupes qui feront les mêmes visites mais pas dans le même ordre je demande à l’un des animateurs d’être dans le groupe qui fait les plus belles explorations le matin. Je suis affecté au groupe 4 qui commence par une montée dans la grande roue de Singapour. La guide nous explique que cette roue a été pendant longtemps la plus grande au monde mais ne l’est plus depuis qu’un pays arabe en a construit une plus grande. La roue culmine à la hauteur d’un immeuble de 42 étages. Il y a 28 nacelles qui peuvent accueillir chacune 28 personnes et qui font le tour en continu en 28 minutes. La roue a coûté beaucoup d’argent et comme elle va dans un sens des aiguilles d’une montre qui suggère que les visiteurs vont vers la Malaisie on a dit pour faire image que cette roue prenait l’argent des singapouriens pour l’envoyer en Malaisie. Cette croyance devint si forte que le gouvernement a engagé des dépenses énormes pour faire tourner la roue dans l’autre sens et maintenant on peut dire que l’argent vient de l’étranger pour se consommer à Singapour. Nous en sommes la démonstration.

Le quai est incurvé comme la roue ce qui permet de monter dans chaque cabine sans aucun arrêt, comme on le fait pour un tapis roulant. La vue est époustouflante. Au point le plus haut, on est presque au niveau de la plateforme de l’hôtel Marina Bay Sands, mais pas tout-à-fait. Cet hôtel récent est devenu emblématique de Singapour comme l’Opéra pour Sydney. La vue est magique, des milliers de bateaux en attente de déchargement au port de marchandise jusqu’au circuit de Formule 1. Je n’avais jamais remarqué sur les photos que l’espèce de planche de surf posée sur les trois immeubles de l’hôtel n’est pas droite mais légèrement incurvée comme un boomerang, avec un angle plus doux. C’est fascinant de voir cette ville-Etat aussi vivante.

Après la visite de la Grande Roue, nous allons visiter la ville chinoise. Il faut savoir que les chinois représentent 74% de la population de Singapour. Nous visitons rapidement le temple chinois construit en 2007 avec un nombre important de petits autels et des statues innombrables. Je suis frappé par la ferveur des gens qui prient dans ce temple. Certains joignent leurs mains paume contre paume en signe de dévotion, d’autres font brûler des baguettes d’encens et d’autres enfin appliquent leurs mains sur une sphère en verre ou d’un autre élément transparent et l’énergie du Bouddha doit se propager en eux. Ensuite, c’est le passage obligé par les boutiques, pour dépenser des dollars comme nous y incite notre voyagiste.

Nous faisons ensuite une promenade en bateau au cœur de la ville sur un bassin que l’on peut voir à la télévision lors des compétitions de Formule 1. Nous sommes au cœur du quartier des plus grands buildings. On peut faire des tonnes de photos. Je dois en être à 2800 depuis le début du voyage.

Nous allons ensuite déjeuner dans le restaurant chinois Red House Sea food, très proche de l’embarcadère du bateau que nous avions pris. Le menu rédigé est : plateau Tim Sum : raviolis vapeur à la truffe sauvage, Siu Mai (ravioli vapeur porc et crevette, feuilleté de porc laqué, ravioli frit à la crevette) / soupe à la courge et à la chair de crabe / poulet sauce Thaï / riz aux fruits de mer Red House / mangue et pamplemousse frais aux perles de Sago.  C’est absolument délicieux, goûteux et léger. Ce fut un très beau repas.

Je suis rentré en taxi à l’hôtel car je dois rencontrer un français qui vit à Singapour et fidèle lecteur de mes bulletins. Après une pause épistolaire dans ma chambre je descends au niveau de la réception de l’hôtel Pan Pacific, dans l’espace Atrium et je rencontre un jeune français père de deux enfants qui vit à Singapour depuis onze ans. Il est le PDG d’une filiale d’un grand groupe international. Il s’intéresse au vin et lit assidûment mes bulletins et m’envoie de temps à autre des messages. L’occasion se présentait de se rencontrer. Il commande des compositions épicées à manger sur des beignets, des saucisses et du fromage et ouvre un Champagne Amour de Deutz 1999. Le champagne est clair, à la bulle active et montre une maturité un peu supérieure à son âge. Lorsqu’il s’ouvre dans le verre il gagne en personnalité mais il lui manque un peu de vivacité. Le bilan est positif et ce champagne est gastronomique.

Nous parlons de sujets de vins et de projets possibles en Asie et nos visions sont proches. A un moment il me demande si je suis allé à l’hôtel Marina Bay Sands et se propose de m’y conduire pour accéder à la partie la plus privée, l’immense plateau de 150 mètres de long avec une piscine à débordement qui a presque cette dimension.

Grâce à ce nouvel ami nous pouvons monter au dernier étage en passant devant toutes les files d’attente et nous avons une table au centre de l’espace, au-dessus de la piscine. Le gérant de cet espace vient voir cet ami et nous permet d’aller voir la piscine qui est normalement réservée aux clients de l’hôtel. Une pulpeuse serveuse russe vient nous servir deux verres de proseco offert par la maison, qui ne retiendra pas notre attention tant il est court et limité. Elle prend notre commande. J’offre à ce nouvel ami de partager deux verres de Champagne Billecart-Salmon rosé sans année qui est très agréable et convenable. Je prends beaucoup de photos de cet endroit qui est le plus prisé de Singapour, avec une population de tous horizons et de tous pays.

Je rentre à l’hôtel où se tient le buffet du dîner. Je n’ai pas faim mais j’y vais pour donner mon passeport et raconter mon épopée au petit groupe avec lequel je partage souvent des repas. Mes photos font évidemment leur effet. On m’offre une coupe de Champagne Laurent-Perrier brut sans année qui se marie merveilleusement avec le seul mets que je mange, des dés de melon blanc.

Remonté en chambre je me livre à l’épreuve la plus contraignante et énervante de ce voyage. Mes deux grosses valises que je dois mettre devant ma chambre avant de me coucher vont rester en soute pendant deux jours, et je dois faire un sac de ce dont j’aurai besoin sur ces deux jours, qui ne devra pas peser plus de 7 kilos. Autant me demander d’écrire la Bible sur un timbre-poste. Ces problèmes logistiques sont pénibles. Demain nous partons en Birmanie avec deux destinations différentes où nos valises auront des sorts divers. Allons vite sous la couette pour ne pas y penser.

dimanche 26 novembre 2017

De bon matin nous allons à l’aéroport de Singapour pour un vol vers Mandalay. Du fait des activités possibles nous sommes répartis en plusieurs groupes qui séjourneront tantôt à Bagan tantôt à Mandalay et rarement tous ensemble. Je fais partie d’un groupe qui arrivé à Mandalay va passer deux nuits à Bagan. Le voyagiste a choisi de ne pas faire suivre nos valises à Bagan et nous a demandé d’avoir seulement un bagage de cabine de moins de 7 kilos. Quadrature du cercle. Nous arrivons peu après 12 heures à Mandalay et nous aurions pu aller directement à Bagan profiter de l’hôtel et de la piscine car le lendemain nous nous réveillerons à 4 heures pour aller survoler en montgolfière les trois mille temples au lever du soleil.

Mais le voyagiste a rempli notre emploi du temps d’une façon qui excède toute le monde. Les propos râleurs sont de plus en plus fortement exprimés. Nous partons en effet en pleine nature visiter deux temples bouddhistes et quand nous revenons nous apprenons que notre vol Mandalay-Bagan aura deux heures de retard. C’est une navette qui va jusqu’à Rangoon en passant par Bagan et revient à Mandaly qui a pris du retard. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Car nous arrivons à l’hôtel de nuit et il est donc exclu de se baigner.

L’hôtel Aureum est prestigieux . Nous sommes logés dans de vraies petites maisons et la surface de chaque chambre est immense. Pour reconnaître sa chambre dans la jungle environnante il faut une lampe de poche. La personne qui m’accompagne à ma chambre en a une et quand je veux aller au diner, la lampe qui existe dans la chambre est déchargée.

Arrivés à 19h22 nous devons être au dîner à 19h30. Il s’agit d’un dîner servi  devant la piscine et non pas d’un buffet. On a mis les petits plats dans les grands, mais quand je vois le délai pour servir le premier plat délicieux de langoustines en tempura à la sauce au gingembre, je décide de ne pas poursuivre ce dîner pour espérer dormir un peu. Une femme qui fait partie du petit groupe de croisiéristes qui se retrouvent souvent ensemble arrive à table telle un furie, criant presque pour expectorer son énervement devant une organisation qui ne tient pas compte de la clientèle. Trop d’activités inutiles sont ajoutées, conduisant à des horaires inacceptables. Il n’y a pas eu de nuits dépassant six heures alors que les fatigues liées notamment aux écarts de température causés par des climatisations excessives, nous affaiblissent manifestement.

Les esprits grondent et c’est mauvais signe. Du fait des excès dans les programmes, demain, après le survol en montgolfière je vais annuler toutes les visites car mon corps est usé de tant de pression d’un calendrier trop chargé. Il y a de l’électricité dans l’air. Nous verrons demain.

lundi 27 novembre 2017 – le théorème de la tartine de beurre.

Tout le monde connaît le théorème de la tartine de beurre : quand une tartine de beurre vous échappe des mains, elle tombe toujours sur le côté beurré. Jacques Chirac l’avait formulé autrement : les emmerdements, ça vient toujours en escadrille.

Voici comment cela s’est passé. D’une part j’ai un rhume qui transforme mon nez en fontaine. Ma nuit a été saucissonnée car je me relevais toutes les dix minutes pour me moucher. Ayant écrit les péripéties d’hier je me suis mis au lit à 23h30 pour un lever à 4 heures.  Le réveil était à quatre heures mais je me suis levé bien avant. On prend un semblant de petit-déjeuner car le buffet n’est pas ouvert  et on nous appelle à 5 heures pour nous affecter dans des bus appartenant à la société de montgolfières. On attend des retardataires et le bus va chercher d’autres personnes d’un autre hôtel, qui ne font pas partie de notre groupe.

On nous fait descendre, on nous affecte à des groupes et on attend.  Un responsable du survol de Bagan en montgolfière nous affecte aux différentes nacelles, à raison de 16 personnes par nacelle, elle-même divisée en quatre quartiers puisque dans un espace ceint de barres, on a divisé en quatre groupes de quatre. On nous donne les consignes de sécurité et un nouvel appel est fait pour que quatre nacelles se retrouvent ensemble. A ce moment le chef de toute cette organisation nous dit : « j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, il n’y aura pas de vol aujourd’hui ». Il explique que les vents portent vers l’aérodrome de Bagan ce qui fait que l’aéroport a interdit tout vol. Je regarde autour de moi et ne vois aucune feuille d’aucun arbre qui frémisse. Mais il est inutile de discuter, nous nous sommes levés à 4 heures pour rien. Alors, après la journée foirée d’hier, ça fait beaucoup. Les déconvenues sont survenues en escadrille.

Lundi 27 novembre suite

De retour à l’hôtel nous prenons le petit-déjeuner, encore assommés par cette mauvaise nouvelle. Après cela je vais dans ma chambre. J’ai l’impression d’avoir beaucoup de fièvre. Je dors une heure et demie ce qui me fait le plus grand bien. Je cherche à joindre le médecin pour avoir des médicaments antigrippe car j’ai laissé tous les médicaments de précaution dans l’une de mes grandes valises, mais tous les numéros que j’ai conduisent dans le vide.

J’avais prévu de rejoindre mon groupe pour le déjeuner mais en fait je préfère aller à la piscine où je nage avec le sentiment d’un immense bonheur.

J’offre à quelques croisiéristes  de trinquer autour d’une bouteille de champagne. Les Taittinger et Moët étant aux abonnés absents sur la carte des vins il ne restait qu’une seule possibilité, le Champagne Didier Chopin. Sans véritable intérêt, il nous permet de trinquer et de profiter enfin d’un moment de calme, sans bus à attendre.

Une petite anecdote que j’aime beaucoup : notre ravissante guide, Julie, nous a expliqué pourquoi les lettres de l’alphabet birman sont toutes rondes ou courbes.  Lorsqu’on a créé l’écriture on écrivait sur des feuilles de palmier. Or écrire droit taillade la feuille et la déchire alors qu’écrire en rond ne déchire pas la feuille. Vrai ou non, c’est joli.

A propos de Birmanie, passer de Singapour où l’argent attire l’argent et le profit attire le profit dans une spirale positive qu’ignore délibérément la France, à la Birmanie, pays où le salaire minimum est de 80 €, où il n’y a pas de retraites ni d’indemnités, cela montre à l’évidence que le succès d’un pays résulte directement d’une politique fiscale favorable aux investissements et au maintien des riches au pays. Taudis insalubres, saleté permanente s’étalent à côté du luxe incroyable de notre hôtel.

Après avoir nagé et pris le soleil, j’ai fait une sieste salutaire et j’ai repris le cours des excursions et visites à 16h15. Ce qui est prévu est un voyage en bateau sur un des grands fleuves de Birmanie, l’Irrawady suivi d’un dîner buffet sur une plage de sable.

Nous partons sur une route qui est bordée d’une infinité de stupas dont des très anciens des 11ème et 12ème siècles. Dans la zone que nous devions survoler en montgolfières, il y a 3.000 temples ou stupas. Au bord du fleuve, des bateaux font penser à ceux de Bangkok avec l’hélice du moteur qui est au bout d’une longue perche que le pilote oriente comme il le ferait d’un taille-haies. Ce court voyage en bateau est amusant et nous débarquons sur une dune de sable où nous attend un buffet. C’est sympathique d’autant que nous rentrerons de nuit dans ces barcasses sans lumière. Nous avons pu voir de cette dune le coucher de soleil par-delà le fleuve.  C’est beau.

Mais le lien de sympathie et d’enthousiasme avec ce voyage est un peu tombé aussi je me demande la chose suivante : si des étrangers veulent visiter Paris et si on les invite à dîner sur une plage de sable sur la Marne, est-ce bien nécessaire ? C’est ce que j’ai pensé. J’ai trop l’impression qu’on cherche à nous occuper.

De retour à l’hôtel assez tôt j’ai pris avec des amis un cocktail Mai Thaï à base de rhum. Est-ce bon pour mon rhume, je ne sais pas, mais c’est bon.

Demain le premier rendez-vous est à 10 heures. Je crois rêver. L’hypothèse d’une vraie nuit semble crédible. Il est certain que mon humeur est aussi dictée par mon rhume. A voir demain.

Petite remarque à ce stade

Il est clair que mon enthousiasme s’est émoussé du fait de l’accumulation excessive d’activités « pour occuper le touriste ». De plus, mon rhume ne me pousse pas à l’enthousiasme. Mais il faut objectivement remarquer que j’ai vécu des moments rares : la visite d’un village d’amérindiens, la nage avec des requins dans une belle île de Tahiti, les retrouvailles avec les plus beaux sites de l’Île de Pâques, le survol de Sydney et des montagnes bleues en hélicoptère. Tout cela justifie mon voyage.

Mais ce voyage est la meilleure publicité possible pour que je n’en fasse plus sous cette forme. Attendre des bus, attendre le comptage des présents, entendre des guides qui hurlent dans les micros, faire la queue pour chaque activité, tout cela n’est pas fait pour moi. Il y a autour de moi parmi les croisiéristes deux attitudes : une franchement bienveillante car ce voyage concrétise un rêve et deuxième attitude, le rejet de ces programmes qui méconnaissent la capacité d’absorption des voyageurs.

Je ne referai plus de tels voyages, mais je suis content de quelques moments inoubliables.

Si je veux essayer d’être complet je vanterai les qualités de toute l’équipe d’organisation de nos déplacements qui est présente en toute circonstances : on ne se perd pas dans les aéroports, ils sont disponibles pour toutes les questions. Le voyagiste a mis le paquet sur cet aspect de nos migrations et c’est vraiment un point positif.

mardi 28 novembre 2017

Le départ est à 10 heures pour des excursions et le retour à Mandalay, mais je suis levé à 6h30 puisque nos corps n’ont plus aucune horloge interne. Il fait beau et en allant vers la réception de l’hôtel, je vois des centaines de montgolfières évoluant doucement dans un ciel parfait. Comme disent les enfants vexés, « même pas mal ».

Je vais payer ma note et je monte au 13ème étage d’une tour en forme de pagode construite par l’hôtel en 2005, qui permet une vue à 360° sur la plaine aux 3.000 pagodes. Alors on se dit, dépité : « à quoi ça sert de prendre une montgolfière puisqu’on peut voir tous les temples et les stupas de ce merveilleux observatoire ». Ça veut dire que la blessure est profonde de voir ces belles montgolfières dans un ciel splendide.

Après le petit-déjeuner j’ai deux heures devant moi. Je vais dormir un peu.

A dix heures nous partons visiter un très grand temple, le Ananda Phaya Temple. Dans ce temple du 11ème siècle il y a une particularité c’est quatre statues monumentales de neuf mètres de haut de Bouddha debout et non pas assis. Ces statues étaient primitivement en bois et recouvertes de feuilles d’or. Deux sont d’origine et les deux autres ont été refaites mais sans utiliser de bois. Ce temple est imposant.

Nous allons ensuite dans une campagne où la concentration de stupas est extrême. J’ai photographié de nombreux édifices et aussi des détails de crépis dont beaucoup ont disparu. Nous allons ensuite sur un monticule assez ridicule où l’on est censé voir beaucoup de stupas. On en voyait beaucoup plus de la tour de l’hôtel.

Nous déjeunons au restaurant Sunset Garden en bord de fleuve. C’est un site très simple et la cuisine est gourmande. J’ai beaucoup aimé une sauce à l’ail très salée, une sauce à la citronnelle très forte, de belles frites, un bœuf semi-bourguignon de bonne viande. Il n’y a pas de chichi et c’est bon.

Après déjeuner non nous fait visiter un village. Ça pue l’opération commerciale car des femmes passent comme par hasard avec des enfants en bas âge pour se faire photographier et quémander quelques billets. La plus active à ponctionner nos portemonnaies est une vielle birmane édentée qui fume la pipe. Tout ça évidemment est fait pour nous occuper en attendant d’aller à l’aéroport. Nous devions prendre l’avion à 16h05 et on nous annonce au moins deux heures de retard. Alors on nous occupe. J’étais tellement furieux que j’ai refusé la proposition d’aller faire un tour en calèche de 45 minutes. J’ai sans doute eu tort car des gens ont aimé, mais j’en avais vraiment assez de ces contrariétés et je n’avais pas le cœur à flâner dans une calèche. Resté quasiment seul près du car, j’ai fait couper une noix de coco par un marchand à la sauvette, édenté tant il chique du bétel. J’ai bu l’eau de coco qui est délicieuse.

Il est à noter que des privilégiés ont eu l’avion de 16h05 et comme par hasard tous les cadres du voyagiste sauf un étaient du voyage. Un sentiment d’abandon m’a pris et j’ai échafaudé des hypothèses horribles telles que de ne pas pouvoir prendre l’avion. Notre jolie guide charmante ne donnait que des précisions extrêmement vagues. Quand allait-on partir, on ne le savait pas.

Nous sommes arrivés à l’aéroport où aucun cadre du voyagiste n’était là. On donne à la guide un paquet de cartes d’embarquement, non nominatives. Nouvelle panique. Par ailleurs cet aéroport n’a aucun affichage des vols en cours. Et comme les annonces se font en birman, impossible de savoir quand partira notre vol. Il est parti à 19 heures. C’est une honte. A noter qu’à chaque annonce je me mettais dans la file, mais deux fois ce ne fut pas le bon vol.

Bien sûr nous avons raté le dîner prévu dans les jardins du restaurant Green et nous sommes allés directement à l’hôtel qui s’appelait Sedona mais s’appelle maintenant Hôtel Hilton. C’est typiquement l’hôtel pour cadre ou représentant qui n’y passera qu’une nuit. La décoration est froide et la chambre, après celle de l’hôtel Aureum de Bagan produit un dur retour sur terre.

Trop c’est trop. Après les 2h30 de retard à l’aller de Mandalay à Bagan, l’absence de vol en montgolfière, ce retard de trois heures est de trop. Nombreux sont ceux qui comme moi sont excédés.

A l’arrivée à l’hôtel, aucune présence du voyagiste sauf notre accompagnateur peu aimable. Le patron de la société organisatrice arrivant à l’hôtel a dû être informé de notre humeur aussi étant en chambre j’ai reçu un coup de fil disant qu’on nous offrait un dîner de compensation. César salade, spaghettis à la sauce tomate et glace vanille n’arriveront sans doute pas à calmer ma colère. Trop c’est trop. La distance entre Bagan et Mandalay est couverte en une demi-heure en avion et en six heures en voiture. Si nous étions partis en car à 10 heures nous serions arrivés à Mandalay à 16 heures et nous aurions eu une soirée tranquille. Avec ces péripéties, j’ai angoissé, ce qui est fatiguant. Maintenant on se dit : vivement que ce voyage se termine, ce qui est quand même le signe d’un échec.

A propos de la Birmanie, elle s’appelle Myanmar que l’on prononce Myamar, sans prononcer le « n » et en prononçant le « My » comme en anglais. A chaque halte aujourd’hui sur la route des stupas et des temples, dès qu’on sort du car on est assailli de gamins ou femmes qui cherchent à vendre des articles en disant dans un bon français : « c’est pas cher » ou bien « c’est moins cher qu’à Leclerc », phrase sans doute suggérée par un touriste. Ces nuées de vendeurs agaçantes comme des mouches se répètent partout.

Sur la route, il y a beaucoup de gens qui circulent à mobylette à un, deux ou trois, sans casque, les femmes étant en amazone. La nuit les engins n’ont pas de lumière et les motos traversent les nationales sans ralentir, ce qui nous cause des frayeurs.

Demain nous allons une fois de plus faire des excursions dont j’espère un certain intérêt et il faudra une fois de plus mettre nos valises dans le couloir avant de nous coucher. L’aventure continue.

Quand tu crois que tu as touché le fond

Pour ma toilette du soir, j’ai utilisé de l’eau. Le débit est ridiculement faible et l’eau chaude n’est jamais arrivée. Ce matin au réveil je veux prendre une douche.

PAS D’EAU

Robinet ouvert, on entend des gargouillis et pas une seule goutte ne vient. Alors, tu te sens l’objet d’une malédiction divine. Ce voyage finit en apothéose. Descendu à la réception je vois un personnel affolé, on vient me donner la clef d’une autre chambre pour que je puisse me doucher, car le 5ème étage, le plus haut, n’a pas d’eau.

Rien ne m’aura été épargné. Il y a une promenade en bateau prévue. Je n’ai plus le cœur à rien.

mercredi 29 novembre 2017

J’ai pris le petit-déjeuner qui est particulièrement étriqué dans cet hôtel qui est en réfection et où tout semble sommaire. Doté de deux clefs pour deux chambres différentes, je remonte d’abord à la chambre où sont mes affaires et je constate que l’eau coule du robinet de ma chambre. Miracle ! La douche que je prends a une saveur particulière, comme si je me douchais après avoir passé des mois dans un désert. Alors que j’avais envie de ne pas participer aux excursions du jour je me suis dit que ce serait trop bête de me morfondre dans ma chambre. Je pars donc avec mon groupe visiter un monastère où tout est en bois sculpté. C’est beau, très particulier et les sculptures et bas-reliefs innombrables racontent des récits fabuleux de dieux imaginaires.

Nous partons ensuite faire une croisière sur le fleuve nourricier de Mandalay pour aller visiter une pagode unique située à Mingun. Les bateaux sont confortables et nous sommes une vingtaine par bateau. Pour descendre du bateau on marche sur une planche qui n’est pas très large et on se tient à un bambou tenu par deux marins. On passe devant une énorme pagode simple et carrée qui a été fendue lors du tremblement de terre qui a affecté la Birmanie. Cette pagode est dotée de deux énormes statues de lions face au fleuve, très abîmées par l’érosion.

Nous arrivons face à une pagode toute blanche qui ressemble à une gigantesque meringue avec des milliers de points qui émergent qui sont des petites chapelles comportant des statues de dieux qui protègent la reine morte pour laquelle cet édifice a été conçu par le roi son mari. Nous grimpons des marches d’escaliers très pentus pour accéder à un tour de ronde d’où l’on voit très loin les méandres du fleuve. Le long du chemin qui mène à pied du fleuve à cette pagode, des milliers d’échoppes proposent toutes sortes de choses pour touristes, photos, bijoux, tissus, chapeaux. On ne peut pas faire un pas sans être cerné par une nuée de femmes et enfants qui ne lâchent pas leur proie.

Nous reprenons le bateau et un repas nous est servi sur le pont supérieur du bateau. Pour chacun un apéritif à base de rhum va chauffer l’atmosphère. Des bières sont généreusement proposées. Les brochettes sont bonnes, accompagnées de sauces piquantes. C’est très agréable. Au retour et à l’endroit où les bateaux accostent, deux femmes se lavent dans l’eau boueuse du fleuve. C’est très probablement fait exprès.

Nous allons ensuite visiter un groupe de 729 pagodes (c’est trois puissance six, ce qui est curieux puisque l’arrangement de ces pagodes se fait sur la base d’un carré) où sont gravées dans le marbre les textes de la « Bible » de Bouddha, recueil complet de ses préceptes.

Nous avons le temps de passer à nos chambres mais à la réception on me dit : « pas d’eau avant 5 heures ». Nous partons ensuite vers Amarapura, la ville de l’immortalité où nous embarquons sur des pirogues pour aller regarder le coucher du soleil sur le pont d’U Bein, le plus long pont du monde qui soit fabriqué en teck. Il dépasse le kilomètre. A cette heure, la concentration de visiteurs de tous horizons est incroyable. Le pont est envahi de marcheurs qui voient le coucher de soleil en étant sur le pont alors que sur nos pirogues nous voyons le coucher de soleil sous le pont. C’est très beau.

On raconte que ce pont a été fait avec les poutres du palais royal lorsqu’il a été déplacé pour devenir un immense carré de 2 kilomètres de côté, entouré de douves selon le même schéma que la cité interdite de Pékin. Notre guide explique la dimension hors norme de ce palais par le fait que le roi avait 53 femmes et qu’il fallait les loger.

On nous annonce un dîner dans un golf proche, avec D.J. et danse alors que nous partons demain à 7h15. Je décide de ne pas y aller. Je commande une pizza pour ma chambre qui viendra avec une bonne heure de délai. Cet hôtel en reconstruction ne maîtrise pas grand-chose. Il est assez mal parti.

Demain nous quittons les climats chauds pour aller vers le froid de Samarcande. Le choc sera fort mais nous prépare au climat neigeux qui nous attend à Paris.

jeudi 30 novembre 2017

Après une nuit convenable j’ai commis l’erreur de me lever deux heures avant l’heure du départ vers l’aéroport. Je veux prendre ma douche et si le débit est faible, il y a de l’eau. Je me savonne et c’est à ce moment que l’eau s’arrête. Des plus intelligents s’étaient levés trois heures avant. Bêtement j’avais pensé que le problème de l’eau aurait été résolu la veille. Eh bien non. C’est donc à l’eau minérale que j’ai achevé ma douche.

Après un petit déjeuner sans grand intérêt, c’est la « manageuse » de l’hôtel elle-même qui est venue avec moi vérifier que l’eau était bien rétablie dans ma chambre. J’ai vécu l’une des plus belles douches de ma vie. Je précise à toutes fins utiles que la patronne était déjà redescendue. On est à un tel niveau de déconvenue que je n’ai pas fait la moindre remarque. Si je devais donner un conseil au patron du Hilton de Mandalay, je lui dirais de changer de métier. Il est assez frustrant de constater que le patron du voyagiste qui fait le voyage avec nous en avion n’ait pas pris la parole pour présenter les excuses de sa société. Il ne peut pas s’abriter derrière les impondérables.

Nous partons en car à l’aéroport et le trajet est fort long. Nous entrons enfin dans l’avion. Au cours du vol nous avons pu voir la chaîne de l’Himalaya et deviner l’Everest. Arrivés à Samarkand, cela fait tout drôle de voir que notre avion est le seul qui stationne. L’aéroport n’est peuplé que de nous-mêmes. Les excursions sont réparties sur deux jours, et en formant quatre groupes, l’ordre des visites ne sera pas le même pour tous.

La première chose qui frappe en arrivant, c’est la propreté. Quel contraste avec la saleté ahurissante qui règne en Birmanie puisque les gens jettent tout et vivent en gardant les détritus autour d’eux sans le moindre souci d’une présentation convenable. C’est sale et on vit avec. Ici, les rues sont ordonnées, les espaces sont propres. On sent l’influence russe passée. Ce pays de 33 millions d’habitants est à 84% musulman et à 10% chrétien. Presque tout le monde parle le russe.

Notre guide parle un français impeccable car il l’enseigne ici. Il a une certaine tendance à penser que l’Ouzbékistan est le centre du monde. Nous visitons le mausolée de Tamerlan considéré comme le grand homme de ce pays et dont le guide dit qu’il a constitué le plus grand empire qui ait jamais existé, plus grand que celui d’Alexandre le Grand. Ce monument est impressionnant par ses dimensions mais aussi par la beauté de ses mosaïques et céramiques aux dessins géométriques arabisants extrêmement sophistiqués. Avant d’entrer à l’intérieur on nous sert une petite collation. Le buffet est magnifique. Le choc thermique entre la Birmanie de ce matin à 28° et Samarkand avec 10° est significatif.

Dans le mausolée lui-même la décoration est raffinée et n’est pas ostentatoire. Amir Temur, surnommé Tamerlan, repose avec huit autres membres de sa famille. Ayant régné trente ans, ses fils ont régné une quarantaine d’années jusqu’à ce que des guerres fratricides mettent fin à cette dynastie.

Nous allons ensuite à la Place du Reghistan, et aucun superlatif ne pourrait rendre compte de l’importance et de la beauté de ces édifices. Il y en a trois en façade, dont un du 15ème siècle et deux du 17ème siècle, mais derrière chaque façade il y a comme un cloître carré avec des mosaïques de toute beauté. C’est très impressionnant et très riche. Il y a plusieurs tours très fines comme des cheminées dont certaines penchent comme si elles étaient en guimauve.

Je suis très impressionné car aucune photo ne pourrait rendre l’impression de gigantisme de tout cela. Sur la place des jeunes mariés se font photographier. Un jeune garçon s’est mêlé à notre groupe sans rien demander contrairement aux jeunes birmans. J’ai photographié son beau sourire et son regard intense.

Dans l’une des salles une coupole toute en or, jaune et bleu est un trompe-l’œil car la coupole est en fait en partie plate.

Nous partons vers l’hôtel. Le guide nous propose à la vente un livre sur la route de la soie et du caviar en pot de 113 grammes, caviar malossol à un prix attractif. Est-ce le rôle d’un guide ?

A l’hôtel Registan Plaza très soviétisant toutes nos valises sont dans le hall au lieu d’être dans les chambres. Tout le monde se précipite pour trouver les siennes. Les deux seuls ascenseurs ont du mal à nous transporter avec nos valises sans entraîner des files d’attente. Ma chambre est petite, de confort très incertain et extrêmement surchauffée même quand on coupe le chauffage.

A 18h30 dans l’immense hall un apéritif est servi. J’ai pris deux fois une vodka orange en demandant de diviser par deux la dose proposée. Une femme joue d’un piano mécanique accompagnée par une flûtiste qui pourrait être sa fille. On bavarde avec les croisiéristes de tout et de rien et à 19h30 on passe à table pour un dîner buffet. A peine sommes-nous assis qu’un samarkandais  vient nous proposer un caviar russe dont la boîte comporte les mentions suivantes : « Russian Caviar / Malossol / produced and packed for export by Joint-Stock Company Russian Caviar / Astrakhan, Avoustovskaia ». C’est le même caviar que celui proposé par le guide. Avec un membre de la table nous décidons d’en acheter une boîte de 113 grammes et de la partager, mais les autres membres de la table ont aussi envie d’essayer et participeront au coût. L’arnaque est belle, car ce que nous goûtons est tout sauf du caviar. En bouche j’ai le goût de tapioca qui aurait été coloré avec de la réglisse. Les grains sont tout petits et trop noirs. Cette chose n’a aucune longueur en bouche. Je suis allé voir le vendeur qui continue de prétendre qu’il s’agit de vrai caviar. Ça va être amusant d’avoir l’avis du guide demain. La seule chose agréable c’est que nous avons bu une vodka très plaisante à boire.

Comme nous n’en sommes pas à un gag près, je croise la femme du patron du voyagiste avec qui je n’ai jamais dû échanger plus de deux mots tant elle et lui vivent dans leur bulle. Je lui dis : « à toutes fins utiles je me permets de vous signaler que le caviar proposé est tout sauf du caviar ». Elle me répond : « mais on le sait depuis longtemps, c’est une arnaque totale ». Ça fait ‘plaisir’ de savoir qu’on ne cherche pas à nous éviter ces arnaques.

Pendant le cocktail, de deux sources différentes j’ai su que certains n’ont pas eu d’eau chaude dans leur chambre. En remontant du dîner je me suis dit qu’on ne pourrait quand même pas continuer le cauchemar. Étant sorti de table très tôt je me suis qu’il serait judicieux de prendre ma douche maintenant, avant le retour en chambre des autres voyageurs.

Après une petite frayeur créée par l’attente d’une eau chaude, j’ai senti que de l’eau chaude apparaissait. Ouf, je peux me doucher. L’eau ne sent pas bon, le gel de douche pue, ma serviette de bain pue, mais la vie est belle car il faut savoir se raccrocher à quelques plaisirs simples comme une douche chaude.

En écrivant ces lignes je me demande ce que seront certains pays dans vingt ans. Avec la natalité actuelle, beaucoup des villes que nous avons visitées vont exploser car les travaux pour l’accueil du surcroît de population vont être exponentiels et impossibles à réaliser. Partout on est aux limites. Dans vingt ans seulement on risque de trouver presque partout le chaos avec ce que cela entraîne de guerres civiles, de famines et de pollution. Sur ce plan, ce voyage m’a fait prendre conscience que ce que je croyais devoir arriver vers 2080 / 2100 va en fait se produire beaucoup plus vite, peut-être en 2040. La planète deviendra un incontrôlable champ de bataille pour la survie.

Pour sécuriser une douche demain matin, j’ai mis mon réveil à trois heures avant le départ en car. Sera-ce suffisant ? J’ai la nuit pour m’y préparer.

Samedi 1er décembre 2017

Parfois, je me dis que je devrais apprendre à lire. J’avais mis mon réveil à 5h30 soit trois heures avant le départ et j’ai effectivement pu prendre une douche à la bonne température, le pommeau de la douche distribuant l’eau selon la méthode guerrière des mines à fragmentation. L’important est d’être à un moment ou à autre à la rencontre de l’un des jets. Je m’habille, tout fier d’ouvrir la porte de ma chambre à 6h09. Et là, face à moi, le noir complet. Toutes les chambres donnent sur l’immense vide du hall, les couloirs étant des terrasses intérieures bordant ce grand espace. Face à ce noir, je recule et je regarde le programme : petit-déjeuner à partir de 7 heures. Il faudra que j’apprenne à lire.

Ayant quelques minutes c’est l’occasion de faire quelques remarques. Ce Tour du Monde est organisé au pas de charge. On dirait que le concepteur a peur que nous soyons à un moment ou à un autre inoccupés. Une phrase que j’ai souvent entendue au moment où on arrive dans un hôtel est : « ça vous laisse une heure, c’est largement suffisant ». La conception est donc : pas une minute de libre. Alors, comme pour un élastique trop tendu, à un moment ça casse et beaucoup de voyageurs ont ressenti ce désamour avec l’impression que trop c’est trop. Le lecteur de ces lignes pourrait penser que je râle trop souvent mais l’impression de mes compagnons d’aventure est l’inverse car face aux râleries généralisées j’ai tendance à positiver et à prôner la zénitude. Mais face à mon écran, je dis ce que je ressens. La rupture puis le désamour sont apparus après un enchaînement de nuits trop courtes et de jours trop longs. Dormir trois heures ne conduit pas à applaudir le voyagiste. Et quand le fil est rompu, le charme n’agit plus. Entendre autour de moi qu’on souhaite que ça s’arrête signe l’échec de quelque chose.

Fort heureusement, la nature humaine positive. C’est l’exemple classique du service militaire. On entendait en permanence « vivement la quille » et quelque années plus tard les râleurs se glorifiaient de cette période bénie. Il en sera de même de ce voyage où seuls subsisteront les beaux paysages et les grands moments.

Je vais prendre du temps pour trier les photos car je vais probablement dépasser les 4.000 photos. Je les mettrai progressivement sur le blog pour garder une trace de ce merveilleux périple. Il y a tant de grands moments que je chérirai ce voyage tout en me promettant de ne plus jamais en faire un sous cette forme.

Le petit-déjeuner est copieux, avec des buffets qui sont les mêmes que ceux du dîner d’hier. Certains racontent leurs déboires avec l’eau capricieuse qui ne veut pas être chaude. Le wifi est tout aussi capricieux. Nous allons partir en car pour le dernier jour d’excursion.

En sortant de l’hôtel je vois qu’il s’appelle aussi Hôtel President Mex Monxonasi du nom d’un président qui a été le premier élu au suffrage universel en 1991 et vient de mourir récemment. C’est aussi un hôtel qui fait étape sur la route de la soie.

Nous nous arrêtons devant un ensemble de mosquées et de mausolées. Certaines mosquées étant en activité, il faut respecter les rites musulmans. En entrant dans cet ensemble on entend un chanteur professionnel qui chante des textes du Coran pour des fidèles qui l’écoutent. Il n’est pas imam mais chanteur attitré. Accolé à cet ensemble il y a le cimetière municipal. Une partie de la ville est bâtie sur du sable et le cimetière aussi. Tous ces monuments ont été créés à la gloire de la famille de Tamerlan qui avait une manière bien particulière d’annexer les pays conquis : il tuait tout le monde, sauf les artisans qui venaient à Samarcande pour travailler aux monuments érigés à sa gloire.

Nous allons ensuite visiter une mosquée qui est la plus grande jamais construite dans l’Asie Centrale. C’est à l’initiative de Tamerlan, qui a fait conduire les travaux par sa femme pendant qu’il allait annexer plusieurs pays comme l’Iran ou l’Egypte. L’édifice construit trop vite pour être achevé à son retour s’est effondré après sa mort. Il est en réhabilitation. On voit notamment un lutrin en pierre fait pour tenir un exemplaire particulier du Coran, rarissime. Le lutrin doit bien peser entre cinq et dix tonnes.

Nous allons ensuite dans un très grand marché couvert, le bazar de Samarcande où l’on voit à profusion des pains, des sucreries, des épices et aussi des tissus des bijoux et toutes autres sortes de biens à vendre. Avec un des voyageurs je vais prendre un café dans un endroit qui ne doit pas recevoir beaucoup d’étrangers. La salle est froide, les bancs sont comme ceux d’une école. La patronne aux dents recouvertes d’or nous montre des dosettes genre Nescafé d’il y a cinquante ans et nous buvons un café insipide mais dans une atmosphère spéciale justifiant notre intérêt. A la table voisine deux personnages coiffés de toques d’astrakan aux visages burinés d’hommes des montagnes trempent leur pain dans du thé sans dire un mot.

Nous nous rendons ensuite au restaurant Samarkand qui est dans un bâtiment à la décoration extérieure très chargée d’or. Quatre musiciens avec des trompes de différentes longueurs nous accueillent avec une musique dissonante et disgracieuse qui donne envie d’entrer à l’intérieur. La salle est immense et accueillera tout notre groupe, plus les animateurs et pour la première fois aussi tout l’équipage portugais. La décoration est très chargée mais cela donne une atmosphère conviviale.

On nous sert un verre de vodka et l’on peut boire soit de l’eau soit le bordeaux apporté par le patron du voyagiste. Je demande une bière et j’apprends qu’elle m’est offerte par le voyagiste, ce qui fait plaisir. On peut grignoter des salades, des concombres marinés à l’allemande comme des oignons et des tomates marinées de la même façon. Il y a aussi des pastillas et une sorte de composé de pâtes fines et fromage, ainsi qu’une crème de lait acide.

A propos de caviar, le guide a été prévenu par le téléphone arabe local des critiques qu’un voyageur et moi avons faites sur le caviar qui est une imposture. Comme il tenait à en vendre il a dit que son caviar est très différent de celui que nous avons mangé et de qualité très supérieure. Des membres de notre groupe ont fait comme nous à 12 heures d’intervalle, ils ont acheté une boîte avec l’intention de la manger. J’ai regardé leur boîte et leur ai dit qu’il s’agit strictement du même caviar. Nous sommes à la même table au déjeuner aussi m’ont-ils proposé de le goûter. C’est strictement le même, avec ce goût fadasse de tapioca. Ils sont arrivés à la même conclusion que moi. Ils ont offert aux autres membres de notre table d’essayer et il est resté une bonne moitié de la boîte non consommée. Ils nous ont dit avec humour que si le caviar avait été bon, ils n’auraient pas partagé et rien ne serait resté.

Le déjeuner se poursuit avec un bouillon de légumes avec deux morceaux de bœuf de pot-au-feu. Le clou, c’est le « plof », plat traditionnel fait de viande de type pot-au-feu avec du riz, des carottes et du poivron jaune. C’est délicieux et j’apprécie que nous ayons un endroit typique et une nourriture typique traditionnelle. On finit si on en a le courage par une pâtisserie qui est du sucre, encore du sucre et toujours du sucre. Le café tardant à arriver nous reprenons le car pour aller visiter l’endroit où il y avait un observatoire céleste, l’observatoire d’Ouloug Beg (Mirzo Ulugbek 1394-1449), savant qui a décrit le ciel et les trajectoires des étoiles au 15ème siècle, bien avant les équivalents européens. On voit notamment les restes d’un astrolabe qui devait faire trente mètres de long et de haut destiné à suivre avec une précision extrême la route des étoiles et du soleil.

Comme je ressentais de la fatigue, j’ai demandé au guide de pouvoir rentrer en taxi. Quelle aventure ! Le guide lui avait donné le nom de l’hôtel et malgré quelques mots qu’il comprend, le mur de la langue est épais. Il conduit comme tout le monde au culot et quand j’ai voulu mettre la ceinture puisque je suis à côté de lui, il m’en a dissuadé. Je n’ai pas de passeport resté entre les mains du voyagiste, je ne sais pas si le taxi a compris où nous allons, j’ai l’impression qu’il va dans les tous les sens. A un moment donné il me demande si mon hôtel c’est celui-là. Panique. Je lui montre la photo que j’ai prise de l’hôtel et il sourit. Mon cœur bat fort. J’ai quand même fini par arriver, ouf !

J’ai le temps de me préparer pour le dîner qui s’appelle soit « dîner de gala », soit « dîner d’au revoir » et que je nommerais doute « dîner de merci et d’adieu ».

A 18h45 le bus de notre groupe nous emmène sous une pluie battante sur la belle Place du Reghistan, pour assister à un spectacle en plein air. J’essaie de me protéger sous un arbre mais ma parka sera toute trempée. Sur cette immense place un film est projeté sur les murs des mausolées d’une des faces. Les commentaires sont en français. C’est joli, coloré, au rythme entraînant avec une belle musique et cela vante l’histoire et les mérites de l’Ouzbékistan. C’est suffisamment consensuel, non polémique et donne une belle image de ce pays et de son histoire. Cela dure vingt minutes et j’ai beaucoup apprécié.

Nous allons ensuite dîner au restaurant Shoh Saroy. Ce restaurant est fait pour des poupées Barbie. C’est tellement kitsch, guimauve, meringue, avec des stucs inouïs et des lustres clinquants qu’on est comme dans un conte de fées.

Le summum du kitsch sera atteint lorsqu’au premier étage où se tient le dîner on verra qu’une table a été attribuée à deux membres de notre groupe qui fêtent en ce voyage leurs 60 ans de mariage. Imaginez un mur derrière eux où il y a des milliers de roses, roses et blanches à touche-touche. Les fêtés sont côte à côte en surélévation, comme sur la nacelle que l’on pose sur le dos d’un éléphant. Ils font face à la salle et on ne les voit presque pas tant ils sont cernés de montagnes de roses. Plus guimauve tu meurs. Fort heureusement ils ont un sourire permanent et profitent de l’honneur qui leur est fait. Ils inaugureront le bal qui suit le dîner, tout souriants.

Revenons au rez-de-chaussée à l’arrivée. Tout est clinquant. Le verre de champagne qui m’est proposé est ceint d’un anneau doré. Il y a d’aimables victuailles et des fruits dont la découpe est sculptée avec un art consommé. A l’entrée il y avait un homme et une femme en costumes locaux et sur les marches de l’escalier trois hommes et trois femmes en habits chamarrés.

A l’étage quatre musiciens jouent des airs de musique classique. Nous nous asseyons. Un spectacle de danses folkloriques avec de splendides costumes d’apparat est joli à voir. Nous grignotons avec du champagne des mets variés car la table est remplie d’assiettes à se partager.

Vient alors la sempiternelle cérémonie des remerciements et des autocongratulations inhérentes à ces dîners de gala. La brosse à reluire marche à rythme soutenu. L’animateur qui est celui qui nous a chanté des airs d’Opéra est à la manœuvre. Quand il a voulu faire applaudir le patron de la société voyagiste et son épouse, notre table est restée muette.

Comme on grignote sans cesse, il reste peu de place pour les plats. Il y a eu un velouté de champignons excellent puis des côtelettes de mouton très typées et fortes que je n’ai fait qu’entamer. Le dessert au chocolat m’a fait atteindre mes limites. La vodka de ce pays est délicieuse car elle n’est pas trop forte. Elle se boit sans danger.

Un très bon chanteur a animé la soirée et les danses. Ce fut réussi, chacun profitant de cet instant de joie partagée. De retour à l’hôtel il faut mettre les valises de soute dans le couloir pour qu’elles soient acheminées à l’aéroport. De ma fenêtre je vois qu’il neige. Pourvu que notre vol de retour à Paris ne soit pas retardé.

Samedi 2 décembre 2017

Dans toutes les histoires bien ficelées, il y a des rebondissements, même quand on croit avoir trouvé l’énigme. Etant dans le premier bus qui a quitté la réception pour retourner à l’hôtel, je m’étais accordé du temps pour écrire mon compte-rendu. Vers 23h30 il est temps de me laver et de me coucher. Le robinet du lavabo fait le bruit d’une cocotte-minute lorsque l’eau bout. Pas un gramme d’eau. Il est exclu de faire ma toilette et de me brosser les dents. Un signe indien me poursuit.

Je mets mon réveil à 5h30 pour un départ à 8h45 et un petit-déjeuner à partir de 7 heures. Je devrais donc avoir peu de concurrence pour la douche et les ablutions du matin. C’est ce qui se passe. Je jette un œil sur l’extérieur. Une belle couche de neige recouvre le sol.

Si jamais l’aéroport est fermé et retarde notre départ, je vais faire un long travail de recherche pour savoir quel est le dieu qui me poursuit de sa colère divine et j’entrerai en repentance. En attendant l’heure du petit-déjeuner, je trie quelques photos. Au petit-déjeuner on entend les péripéties des étages qui n’ont pas d’eau. Il faut faire la queue pour obtenir une mini-tasse de café. Ça sent les fins de voyage.

Ayant récupéré ma carte d’embarquement dans les premiers j’arrive en tête à l’aéroport où le seul avion présent est le nôtre. Les formalités de douane prennent un temps considérable. Il faut ensuite charger les bagages. Nous entrons enfin dans l’avion, avec un délai extrêmement long entre les groupes. Une fois assis, et c’est seulement à ce moment-là, on nous annonce qu’on va dégivrer l’avion. Nous sommes partis avec deux heures de retard, dont nous compenserons la moitié.

Dans l’avion nous avons eu droit à une nouvelle séance d’autocongratulation à la gloire du voyagiste. Encore une fois, c’est la loi du genre. Depuis trois jours, dans les bus et dans l’avion ce fut une surenchère de toux, plus fortes les unes que les autres. Comme le français a peu l’habitude de mettre la main devant sa bouche, ce fut le grand partage des microbes.

A l’arrivée sur le macadam de Roissy, c’est un ouf de soulagement. Ça y est, on est de retour au pays. L’attente des bagages est un grand classique des aéroports français. Je n’ai pas eu la moindre attente pour prendre un taxi. Vite au nid.

Conclusion à chaud

Il n’y aura pas de conclusion à chaud. Ce n’est qu’après avoir trié les photos que je mettrai aussi de l’ordre dans mes idées. Il y a des myriades de belles images dans ma tête et dans mon cœur et des milliers de scories qu’il faudra épousseter. Paris nous attend. Dans quelques jours j’y verrai plus clair. Le bon doit triompher du mauvais mais le mauvais ne doit pas être ignoré.

A suivre avec les photos. dimanche 3 décembre 2017

Après une nuit de sommeil réparatrice, j’ai une vision plus claire du bilan de ce voyage. Tout d’abord le programme, même s’il n’explore pas que des sites de premier plan, est un très beau programme. Trop dense sans doute, mais je porte une part de responsabilité, puisque j’ai choisi d’ajouter quatre programmes optionnels qui ont limité, de facto, la possibilité d’avoir des temps morts.

Ensuite, l’organisation a été parfaite. Le balisage de nos déplacements dans les aéroports, les formalités, les transferts, tout était dirigé de façon efficace avec un grand professionnalisme. De plus tous les moyens logistiques étaient présents quand il le fallait. Il y a donc eu un sans-faute sur beaucoup de points.

Un personnel toujours souriant et accueillant, un service de bord dans l’avion de qualité totale, tout cela a joué un rôle important.

Mais hélas, la conjonction de ratages à répétition a tout gâché. Fort heureusement ce fut sur la fin. Coup sur coup nous avons eu, dans le groupe où j’étais : le vol Mandalay – Bagan qui est en retard de 2h30 ce qui supprime des activités et cause des retards. Le lendemain lever à 3 heures pour entendre quatre heures plus tard que le vol en montgolfière n’aura pas lieu (ce n’est pas la faute du voyagiste mais c’est une déconvenue). Le lendemain, retard de 3 heures du vol Bagan – Mandalay qui nous prive du dîner prévu. Le même soir, pas d’eau à l’hôtel, sans qu’on l’annonce or d’autres groupes étaient à cet hôtel depuis trois jours et le voyagiste devait être au courant mais n’a rien dit. Le lendemain alors que l’eau devait être remise, elle est coupée. Le surlendemain, à l’hôtel de Samarkand, même déconvenue avec l’eau qui ne fonctionne pas dès qu’il y a trop de ponction.

C’est cette accumulation de déconvenues au rythme d’une par jour sur six jours qui a cassé l’image du voyagiste d’autant plus qu’il est resté muet. Il est impensable que le patron qui était là n’ait pas présenté les excuses de sa société.

L’image du voyage est donc bien claire : une partie enthousiasmante avec une organisation parfaite et une fin de voyage aux pépins quotidiens et un mutisme insupportable du voyagiste.

Le mieux l’emporte sur le moins bon et les photos montreront les trésors que j’ai eu la chance de découvrir. Vive ce tour du monde.

Dernier point futile mais amusant : j’ai eu l’impression de me gaver tout au long du voyage. Les petits déjeuners trop copieux, les buffets dont on se sert plus qu’il ne faudrait, j’attendais que ma bascule m’annonce une catastrophe. Le bilan est de moins de un kilo, ce qui me semble incompréhensible. Il est vrai que l’on a beaucoup marché et que le début de grippe m’a fait transpirer. Mais après ces excès, c’est un miracle. Il en fallait un, c’est celui-là.

Voyage autour du monde – jour 1 – départ et Panama dimanche, 12 novembre 2017

Dimanche 12 novembre 2017

L'histoire commence il y a huit mois. Je recevais systématiquement les publicités d'un voyagiste parce que j'avais fait avec ma femme il y a environ vingt ans la croisière gastronomique du paquebot France.

La publicité pour un tour du monde en avion me donnait des envies. J'en parle à ma femme et à des amis, et nous sommes quatre, prêts à nous inscrire. Mais en fait, les hésitations se sont multipliées et je me suis retrouvé seul à vouloir confirmer une inscription. Avec l'accord de ma femme j'ai donc décidé de faire le tour du monde proposé sur trois semaines.

Je commande un taxi pour 6h30 un dimanche matin, à une heure où les rues sont vides. Le taxi arrive avec huit minutes de retard, ce qui a le don de m'énerver et le chauffeur, avec une naïveté touchante, me dit qu'il m'avait déjà conduit il y a quelques années à Roissy et qu'il était déjà arrivé en retard.

Au terminal 3 de l'aéroport de Roissy la présence du voyagiste est forte et l'on offre des viennoiseries aux arrivants ce qui est très agréable et gentil. Nous sommes environ 160 à voyager dans un avion portugais, au personnel portugais, qui va nous suivre pendant les trois semaines. Nous embarquons pour un vol direct vers Panama distant de 8.700 kilomètres. Le vol sera de plus de onze heures et le décalage horaire est de six heures.

Comme il est fréquent, il y a beaucoup trop d'annonces tant l'animateur de notre groupe veut nous séduire et nous persuader du caractère unique de ce voyage.

A l'apéritif, on nous sert un petit coffret Kaviari qui contient une « ligne » de caviar qui constitue une aimable mise en appétit. Je goûte cet agréable caviar bien équilibré avec un Champagne Ruinart Brut sans année qui convient à cet exercice. Voilà une belle façon de nous recevoir.

Le déjeuner est très acceptable pour un repas en avion. Je bavarde avec mes voisins qui sont d'Albertville et d'Annecy et connaissent le restaurant Les Morainières à Jongieux. Nous sommes donc en terrain de connaissance. La discussion se poursuit et il s 'avère que Didier a été dans le même métier que moi, celui de l'acier. Beaucoup de noms et de souvenirs surgissent au détour de nos échanges.

Le voyage étant fort long je regarde le film ''La La Land'' qui est joliment romantique. Que du bonheur.

Le voyagiste s'est attaché les services d'un historien qui nous racontera des anecdotes tout au long du voyage. Il prend la parole pour parler du canal de Panama mais surtout pour mettre en valeur, avec une insistance particulière , les turpides de Ferdinand de Lesseps qui a ruiné des milliers de souscripteurs et n'a jamais pu achever le canal après moult faillites. Il a même égratigné Gustave Eiffel qui aurait financé la tour Eiffel avec de l'argent détourné des fonds versés par des souscripteurs au canal de Panama. Cet exposé fut beaucoup trop long, avec des redites sans cesse mais j'ai noté une citation qui m'a frappé sur le rôle de la presse : « la presse lèche, lâche et lynche ». Chacun peut trouver des situations où ce fut le cas, Tapie par exemple et bien d'autres.

Nous arrivons à Panama et à la douane on procède comme aux Etats Unis, avec photographie et prise des empreintes des dix doigts.

Nos bagages sont pris en charge par le voyagiste et nous les trouverons plus tard dans nos chambres. Nous partons pour un tour en ville en bus. Notre guide est José qui parle un bon français. Il nous explique une chose absolument astucieuse. Ferdinand de Lesseps ayant creusé avec succès le canal de Suez n'avait trouvé que du sable à enlever. A Panama, sur la chaîne des Cordillères, c'est de la roche qu'il n'a jamais réussi à percer avec les budgets dont il disposait. Quand les Etats Unis sont intervenus après les faillites françaises, au lieu de creuser ils ont créé le plus grand lac artificiel du monde, à une hauteur de 26 mètres au-dessus des niveaux des deux océans. Les écluses servent donc à monter les bateaux sur ce lac en hauteur et à les redescendre ensuite. Il n'y avait donc quasiment rien à creuser mais juste à consolider les rives du lac. C'est assez génial.

Le bus nous montre quelques aspects de la ville où les buildings montent jusqu'au ciel avec une densité aussi forte qu'à Miami. Le bus s'arrête devant un site d'attrape-touristes pour du shopping sans intérêt. Nous passons devant le musée de la biodiversité que nous visiterons demain, fait par Frank Gehry, l'architecte de nombreux monuments dont celui de la fondation Vuitton et du musée Guggenheim de Bilbao. Le bâtiment est assez surprenant avec un patchwork de couleurs.

Nous arrivons à l'hôtel Trump Ocean Sun Casino de Panama situé sur la côte Pacifique. L'immeuble est gigantesque. Ma chambre est spacieuse et fonctionnelle. Je suis au 33ème étage et comme je suis sujet au vertige, je m'approche avec prudence de la balustrade de la terrasse de ma chambre.

Après une douche réparatrice car cela fait 21 heures que je suis levé, je me rends au 13ème étage. Le dîner se tient devant les nombreuses piscines de cet étage. Le buffet est de qualité moyenne, les saveurs étant passe-partout. On nous offre à tous des chapeaux panamas, ce qui est une attention charmante. Il est temps d'aller dormir.

notre vol annoncé à Roissy notre avion, qui nous a transportés pendant trois semaines l'instant Caviar avec Kaviari et un Ruinart le repas et la mignonne petite salière (que ma voisine de cabine a collectionnée !)   l'arrivée à Panama le pont des deux amériques, le seul qui relie les deux continents le musée de la biodiversité que nous visiterons demain la halte shopping assez inutile vue sur la ville côté buildings l'immeuble en vert et en verre est emblématique de Panama mais il y a aussi de la pauvreté l'hôtel Trump et son casino vues de ma chambre (c'est assez gigantesque) ma chambre ne dites pas que j'ai craché du Trump, ce n'est que pour l'hygiène buccale !

17ème dîner de vignerons jeudi, 9 novembre 2017

Comme chaque année lors de la visite en France de Bipin Desai, grand amateur de vins, j’organise un dîner de vignerons. C’est le 17ème dîner de vignerons appelé le « dîner des amis de Bipin Desai » et comme il est organisé à la façon de mes dîners je le compte comme le 219ème de mes dîners.

Les participants de ce dîner sont : Guillaume d’Angerville (domaine d’Angerville), Véronique Boss et Michel Boss (domaine Drouhin), Dominique Demarville (champagne Veuve-Clicquot), Jacques Devauges (Clos de Tart), Jean Luc Pépin (domaine Georges de Vogüé), Charles Philipponnat (champagnes Philipponnat), Gilles de Larouzière (champagnes Henriot), Pierre Trimbach (maison Trimbach), Bipin Desai et moi. Richard Geoffroy (champagne Dom Pérignon) ayant été empêché de venir a demandé que son vin soit servi. Nous sommes onze avec un lourd programme : douze bouteilles et quatre magnums.

J’arrive à 17 heures au restaurant Laurent et Ghislain, le chef sommelier, a déjà présenté, pour une photo de groupe, tous les vins dans l’ordre de service. Il me présente Aurélien, jeune sommelier qui sera en charge de notre table. A l’ouverture des vins, le riesling 1985 a un parfum glorieux, pur, parfait. Le Montrachet a 1990 un nez incroyable car je  ressens des fruits rouges confiturés que Ghislain ne perçoit pas comme moi. Le vin paraît très riche. Le Musigny blanc 1986 qui a été rebouché en 2002 a un nez qui sent fort le soufre.

Le Volnay 1992 a un nez de vin de vigneron collé à sa terre. C’est un parfum sans concession, très jeune. Le Clos de Tart a un nez qui a toute la noblesse de la Bourgogne. L’amertume et la râpe que l’on sent sont superbes.

Le Bonnes Mares 93 a un bouchon qui semble neuf mais aucune indication de rebouchage n’est inscrite. Jean-Luc Pépin me dira plus tard que s’il n’y a pas d’indication, c’est que le bouchon n’a pas été changé. Le nez me plait beaucoup. Le vin semble franc et joyeux. Le parfum du Muscat 1897 me tétanise et me renverse. Il a une complexité invraisemblable car il a à la fois de la douceur mais aussi une acidité citronnée diabolique. Ce vin est l’expression de la quête permanente de l’ultime. Le bouchon très court comme celui des Chypre 1845 est d’un liège parfait. Je rebouche tout de suite la bouteille pour que ce parfum unique ne s’évapore pas.

Pendant que j’officie Ghislain me propose un verre de Champagne rosé Pierre Paillard les Terres Roses Bouzy Grand Cru. Cet extra brut est très agréable et de belle construction.

Ghislain a ouvert à 18h30 le Champagne Henriot Cuve 38 magnum La Réserve Perpétuelle Blanc de Blancs qui est fait selon la méthode de la solera. Je demande à le goûter et si sa construction est parfaite, sa légère amertume en fait un champagne un peu strict.

Les vignerons amis arrivent à 19h30 et nous trinquons sur le champagne Henriot. Lorsque j’évoquerai avec mes amis l’amertume qui me gêne un peu, celui qui prendra la défense de ce champagne, avec des accents enthousiastes, c’est Dominique Demarville, de Veuve Clicquot. Le voir défendre ainsi ce champagne me plait beaucoup et montre que ma réserve n’a sans doute pas lieu d’exister.

Le menu qui a été créé par Alain Pégouret pour les vins de ce soir est : Amuse-bouche : rôtie au thon, gougère, pâté en croûte / Saint-Jacques marinées, radis en aigre-doux et salade potagère aux noisettes, gelée de "granny smith" / Turbot nacré à l'huile d'olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / Noix de ris de veau grillotée à la plancha et relevée à l’ail noir, purée de topinambour et céleri / Carré d’agneau, pommes soufflées « Laurent », jus / Chaource, Camembert / Pomme fondante au caramel façon « Tatin », arlette croustillante, crème d’Isigny / Palmiers.

Un vin et un champagne cohabitent sur les coquilles. Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1979 dégorgé en 2010 est d’une puissance et d’une largeur qui sont impressionnantes. Ce champagne est goûteux de fruits jaunes et noble. Il est vraiment exceptionnel et Charles Philipponnat nous dira que venant pour la première à ce dîner de vignerons il a choisi une année qu’il considère une des plus grandes pour le Clos de Goisses. Il a raison car ce champagne expressif est percutant.

Il faut bien cela car le Riesling Cuvée Frédéric Émile Maison Trimbach magnum 1985 est tonitruant. Son parfum est intense, riche et en bouche c’est un Etna qui envahit. Ce riesling a une pureté extrême et une précision inégalable. C’est le riesling au sommet de son art et le format magnum aide à lui donner une rondeur particulière. Et ce qui me plait c’est qu’on peut passer du champagne au riesling et inversement sans aucune gêne. L’aigre-doux du plat ainsi que l’acidité sont un peu trop prononcés mais avec les coquilles seules, délicieuses, on se régale des deux vins.

Le turbot accueille deux vins blancs. Le Montrachet Marquis de Laguiche  Joseph Drouhin 1990 est plein et généreux. C’est une force tranquille qui n’est pas mitterrandienne. Il est joyeux et solaire et même gourmand.

A ses côtés le Musigny blanc Domaine Comte Georges de Vogüé 1986 a un nez très discret qui pose même des questions à Bipin Desai qui se demande s’il n’est pas dévié. Mais en fait ce vin a besoin de s’ouvrir, ce qu’il ne fera que lentement. Longtemps une énigme il délivrera un message d’une rare subtilité que j’ai appréciée en fin de verre. Difficile à comprendre il me plait beaucoup car il est raffiné. L’accord avec le turbot se trouve surtout avec la divine sauce. Le plat est excellent.

La noix de ris de veau est d’une grande qualité. Le Volnay Clos des Ducs Domaine Marquis d'Angerville magnum 1992 qui avait des accents un peu « les pieds dans la glaise » se présente sous un jour complètement différent. Il éclate de jeunesse et l’effet magnum lui donne une générosité rare. C’est un jeune chevalier conquérant qui ne doute pas de la victoire. Il est riche, gouleyant et pétulant.

Le Clos de Tart Mommessin 1978 est son strict opposé. Il est d‘un charme rare, très féminin, fait de rose fanée et de sel, ce qui évoque bien assez naturellement les vins du domaine de la Romanée Conti. Elégant et subtil, il est un peu plus vieux que son âge mais ça lui va bien. C’est un très grand Clos de Tart dont la superbe râpe est follement bourguignonne. Guillaume d’Angerville corrigera ma formulation en disant « follement Côte de Nuits » pour que ma remarque ne concerne que la Côte de Nuits. Les deux vins sont si dissemblables qu’on les aime tous les deux, riches de complexités et de grand intérêt.

Le carré d’agneau est goûteux et d’une chair gourmande. Le Musigny Joseph Drouhin 1978 est très particulier. Il est puissant, riche, dominateur, dans une version assez guerrière du Musigny. J’aime sa richesse.

Sur le même plat, le Bonnes Mares Domaine Comte Georges de Vogüé 1993 est d’une jeunesse débridée et cultive comme le blanc du même domaine le goût pour l’énigme, car ce vin est très difficile à saisir. Jean-Luc Pépin, fidèle de ces dîners, avait toujours apporté des Musigny rouges et c’est la première fois qu’il apporte un Bonnes-Mares. Je le mets bien volontiers sur un pied d’égalité avec le Musigny. Mes convives proches m’ont demandé pourquoi je n’avais pas mis les deux 1978 sur un plat et les 92 et 93 sur un autre plat. J’ai défendu mon choix car dans cette solution il y aurait eu des confrontations directes que je ne cherche pas à créer de front. Je préfère que sur chacun des plats il y ait des vins très différents, ce qui évite d’avoir des préférences trop immédiates.

Nous levons nos verres à la santé de Richard Geoffroy en buvant le Champagne Dom Pérignon P3 magnum 1975. Ce champagne c’est les All Blacks faisant le haka. Il a une puissance impérieuse. Il est riche puissant et j’aurais tendance à penser qu’au-delà de son extrême plaisir, on est loin d’un 1975. C’est un autre être. Mais Charles Philipponnat va vanter les mérites de ce champagne fait par son père qui s’occupait à l’époque de Moët et Dom Pérignon en disant qu’il est authentiquement Dom Pérignon et Pierre Trimbach va signaler la proximité de saveurs et de parfums entre ce 1975 et des rieslings de Trimbach. J’adore quand les vignerons vantent les mérites de leurs pairs et dans ce cas de leurs pères aussi. Ce champagne est impressionnant.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cave Privée Rosé 1978 est dans une ligne qui me correspond plus car malgré un dégorgement fait il y a moins de dix ans, on est en plein dans la ligne de ce qu’est un 1978. Il se trouve que j’ai bu il y a une semaine ce champagne au dégorgement d’origine et je retrouve le même plaisir avec ce 1978 Cave Privée. Il est délicieux, à la personnalité forte et c’est l’expression aboutie d’un champagne rosé. Un convive ayant dit en le buvant : « ce qui faudrait c’est une tarte Tatin », j’ai souri puisque c’est ce qui a été servi.

Jusqu’ici nous avons bu des vins faits par les vignerons invités et presque tous présents. Nous allons maintenant remonter le temps avec le vin que j’ai apporté, un Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897. Ce vin est tellement parfait, exceptionnel, aux complexités infinies que mes amis sont tous subjugués qu’un vin de plus de 120 ans, puisque la mise en bouteille a dû être faite avec des vins qui ont eu plusieurs année de maturation, puisse avoir autant de force, de charme et de complexité. Ce qui subjugue c’est l’équilibre entre l’extrême douceur, la suavité et une acidité d’une rare élégance. Nous sommes tous sous le charme de ce vin à la longueur infinie qui s’accorde bien au dessert et aux palmiers légendaires du restaurant Laurent.

La cuisine a été parfaite. Les chairs du turbot, du ris de veau et de l’agneau sont de toute première qualité, la sauce du turbot est magique. Ce fut du grand Alain Pégouret. Aurélien a fait un service du vin que tous mes amis ont jugé remarquable. Le temps entre les plats a été assez long mais non gênant tant les discussions étaient enjouées, et comme de plus aucun convive ne voulait mettre un terme à ce moment de communion, nous avons quitté le restaurant très tard, sentant tous que nous avions vécu un moment d’amitié rare, unique, avec des vins très différents et tous d’un intérêt gastronomique majeur. Ce 17ème dîner des amis de Bipin Desai a été une réussite complète.

Champagne Henriot Cuve 38 magnum La Réserve Perpétuelle Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1979 dégorgé en 2010   Riesling Cuvée Frédéric Émile Maison Trimbach magnum 1985 Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1990 Musigny blanc Domaine Comte Georges de Vogüé 1986 Volnay Clos des Ducs Domaine Marquis d'Angerville magnum 1992 Clos de Tart Mommessin 1978 Musigny Joseph Drouhin 1978 Bonnes Mares Domaine Comte Georges de Vogüé 1993 Champagne Dom Pérignon P3 magnum 1975 Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cave Privée Rosé 1978 Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897 photo de groupe dans ma cave photo de groupe sur le bar photo de groupe dans la rotonde les bouchons des vins, dans l'ordre de service

Déjeuner au restaurant Pierre Gagnaire jeudi, 9 novembre 2017

J'ai envie de refaire un dîner avec Pierre Gagnaire, car celui que j'avais fait avec lui en 2007, le dîner n° 91, a laissé dans ma mémoire une trace très positive et excitant ma curiosité et mon envie de recommencer. Un rendez-vous est pris avec lui en son restaurant gastronomique parisien, le restaurant Pierre Gagnaire, à midi. C'est évidemment une perche que je me suis tendue pour que je réserve une table pour le déjeuner, ce que je fais.

Nous travaillons dans un recoin de la cuisine, évoquant mille idées sur une liste de vins que j'ai préparée. Pierre Gagnaire est d'une infinie gentillesse et d'une ouverture d'esprit rare. Nous nous reverrons dans quelques semaines pour continuer les mises au point. Au cours de notre discussion Pierre me fait goûter un fromage que je ne connais pas, le Stichelton, qui me semble encore meilleur que le Stilton pour les sauternes.

Au lieu de déjeuner dans l'agréable recoin créé dans la cuisine je vais déjeuner en salle. Je suis seul, je commande le menu du déjeuner et je vois à une table de l'autre côté de la salle un ami gastronome et gourmet. Il déjeune avec une personnalité politique. Je lui fais tendre ma carte et il me propose de me joindre à leur repas. Ils ont pris le lièvre à la royale en trois services et ont déjà fini le premier aussi vais-je gérer mon repas sans le synchroniser avec le leur. Ils me font servir un verre d'un Côtes du Roussillon rouge cuvée vieilles vignes domaine Gauby 2005 que je trouve chaleureux et généreux et dont le relatif manque de longueur, peu marqué, se remarque à peine. L'impression est positive.

Le menu classique du déjeuner est enrichi de quelques préparations que Pierre Gagnaire veut me faire goûter : eau de betterave rouge fumée, sablé de crevettes grises , couteaux et maquereau au sel / crème de maïs, quartiers d'artichaut, copeaux de foie gras de canard pochés / aile de raie bouclée voilée de farine de maïs, poêlée de câpres La Nicchia et cornichons maison, oignons cébettes grillées / Tomatillo, chou-fleur, vuletta / velouté vert, coquillages du moment, algues sauvages du Croisic / Pepe bucato, avocat, sirop gluant de pamplemousse rose.

La cuisine de Pierre Gagnaire est élégante, complexe et les goûts sont enthousiasmants. Certaines associations sont d'une rare richesse mais d'autres sont déroutantes. J'avoue que les algues sauvages m'ont heurté. Il faudra travailler les plats pour assurer une cohérence des à-côtés et Pierre Gagnaire y est prêt. L'aile de raie est superbement présentée mais les légumes verts ne lui conviennent pas. Il y a tant de talent dans cette cuisine que la bonne voie s'imposera d'elle-même.

J'ai tenu à honorer mes convives impromptus en leur offrant de boire ensemble un Champagne Pierre Péters Les Chétillons Blanc de Blancs 2000. Le nez de ce champagne est impressionnant. Il est d'une profondeur et d'une richesse très au-dessus de ce que l'on pourrait attendre. Et la bouche est gourmande, pleine, joyeuse. C'est un très grand champagne.

Mes hôtes ayant des rendez-vous à honorer je me suis retrouvé seul pour poursuivre mon repas. Un maître d'hôtel vient me dire qu'un client, assis seul à une table, souhaite me rencontrer. Je le rejoins et il m'explique qu'ayant entendu une discussion sur le dîner des Romanée Conti que j'ai en projet, il souhaitait en savoir plus. Nous commençons à bavarder, le contact est sympathique aussi suis-je convié à m'asseoir à sa table. Lui aussi avait pris le lièvre à la royale et allait être servi de la tourte que mes convives précédents m'avaient proposé de goûter.

Me voilà parti pour une troisième table au restaurant, comme dans jeu de chaises musicales et mon nouveau convive partage avec moi sa tourte, ce qui fait que mon menu se complète ainsi : tourte feuilletée traditionnelle / confiture d'églantine, prunelles sauvages / sorbet ananas / papaye à la cardamome, kaki / quelques desserts Pierre Gagnaire.

La tourte est accompagnée d'un verre de Château Rayas Châteauneuf-du-Pape rouge 2003 qui est dans un état de grâce absolu avec une râpe très bourguignonne. Quelle énergie, quelle élégance dans ce vin du Rhône qui sourit à la tourte comme après un premier baiser. Mon nouveau convive a quatre-vingts ans, habite Dinard et fait une fois par mois la tournée des grands restaurants pour boire de grandes bouteilles. Il est hautement probable que nous nous reverrons pour partager des vins de la Romanée Conti dont il est friand.

La cuisine raffinée de Pierre Gagnaire ainsi que sa personnalité de chef me plaisent énormément.

218th dinner in restaurant Taillevent vendredi, 27 octobre 2017

Dinner is held at the Taillevent restaurant. For the opening session of the wines at 5:30 pm, two journalists including a Canadian who had visited my cellar come to photograph and ask questions about the opening method. I officiate and very curiously, the situation of the corks is the opposite of that of a dinner last week. At the previous dinner, the corks, as swollen, were extremely hard to remove. Tonight, on the contrary, several corks seem to retract and rise without difficulty. The atmospheric pressure would have as much effect, I do not know, but the contrast is very clear between the two dinners. One of the journalists having come with two friends just for this session, I make them smell the wines. The most spectacular perfumes are Y d'Yquem 1980 and Yquem 1959. The most uncertain is that of the Grands Echézeaux 1982. There are beautiful promises with the Palmer, La Landonne and Musigny.

The guests are punctual. We are ten, only men, which is extremely rare. There is a Canadian, a Japanese, three amateurs of province and five Parisians. We take the aperitif standing while toasting with a Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1983 magnum disgorged in 2010 brought by one of the guests. The champagne is very nice, full and greedy and relatively simple in its message. As it is easy to drink it is drunk with ease. I had envisioned that we now only drink half of the magnum, to finish it after the sauternes, but the champagne is drunk so well especially with the gougères more than with the ham toasts that the magnum is quickly finished.

We sit down to table. The menu created by Alain Solivérès is: gougères and toast of ham / oysters in seawater jelly / cod (bar) of steamed line, Brittany bouquet in velvety end / blue lobster, red wine sauce / pstry of pigeon and foie gras, cèpes and roasted pear / hare "à la" royale by a spoon / crunchy mango-passion / madeleines.

The Vintage Champagne Krug 1982 is a slightly amber color and Adrien the very concerned and motivated sommelier tells me that at the opening an hour ago, the bubble state was almost nonexistent. But the sparkling is there. We immediately feel that it is a racy champagne, lively, perhaps less romantic than other Krug 1982 that I have drunk. The oyster jelly is a marvel with this champagne but we must avoid the small cream with shallot too vinegary for this beautiful champagne of extreme refinement. It is a gallant musketeer. It's the aristocracy of champagne.

The next wines will come in pairs, two on the same dish and for the three series we will see a rather particular phenomenon. In all three cases, one wine behaves very much above what one can expect and the other wine is a little weaker than one would expect.

The fish is delicious, a little cooked for my taste, but it will be a beautiful stooge of the two gourmet whites. The Y of Yquem Bordeaux Superieur white 1980 is of a very pale color for its 37 years. It is a blonde color of summer wheats. Its nose has unbelievable power. It is invasive. In the mouth it is a blinding sun as it takes possession of the palate. It is rich with unbridled generosity. It is also of a rare greediness and I perceive as in the successful Y d'Yquem botrytized grape berrys mash behind the screen.

It could be difficult for Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1972 to be associated with the Y but in fact this wine plays on a register so different that it is possible to go from one wine to another without any discomfort. The scent of this wine is elusive as the eyes of an oriental dancer who plays with her veils to hide them. There are thousands of exotic aromas. In the mouth it is all in suggestion, slender but devilishly charming. We are not at all in the register of powerful Corton-Charlemagne, we are in the territory of expressive wines. I am glad that this wine received a vote of first by one of the faithful of my dinners.

The lobster is absolutely superb and will stick perfectly to both Bordeaux. Château Palmer Margaux 1964 is thundering. This is the absolute success of Bordeaux wine. It is sunny, beautiful red fruits full of sun, it is full, it is long, with infinite end, and it is just the pleasure of an absolutely readable wine.

Château Haut-Brion 1928 is much more difficult to understand. Its dress is a black red. The disc in the glass has a pigeon blood red of very beautiful expression. In the mouth it is a monolith. It reminds me of an anvil, it is so heavy, powerful, and terribly ingambe for its 89 years. But it lacks a little desire to charm. Too rigid in its taste of truffles, it remains stuck on this message. In some ways it takes advantage of the exceptional vintage that is 1928, but it will disturb a little some guests to the point of not having a vote.

The pigeon chausson is a rare treat. The Grands Echézeaux Domaine Romanée Conti 1982, which had an uncertain nose at the opening now has a nose that evokes a little soap. It's fleeting but it discourages guests. There are all the components of what makes the charm of the wines of the DRC Domaine, but it lacks the rhythm and a supplement of soul which makes that one would have liked it. He too will have no vote.

So there is no fight possible with the Red Musigny Comte Georges de Vogüé 1966 which is the absolute definition of a large Musigny. What a richness in this joyous, welcoming and charming wine like a Franck Sinatra. We are well with this wine and the heavy and delicious sauce of the chausson gives this Musigny an exemplary liveliness. Everyone would be happy to make this Musigny be his ordinary, his daily wine and four guests will rank it first. Burgundy at this level is only happiness.

The hare à la royale is a compromise between the wise hare of Michel Rostang and the savage of l'Ami Jean. It is perfect, associated with a Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 which surprises the whole table, because who would say that a 1984 can have this charm and this power. It's clear that this is not a Côte Rôtie of a powerful year, but the charm acts, the juicy wine just playing, like a Jeff Bridges or a Clint Eastwood. I love this Côte Rôtie that matches the hare.

The waiters who followed us tonight have laughed because I have made many compliments for dessert as it is successful, with an acidity that sticks to the millimeter to the sublime Château d'Yquem 1959. If they have laughed, this is because I am not the last to criticize desserts, which are so difficult to associate to old sauternes. But here I wanted to emphasize this great success. This wine is first of all a color, as rich and deep as the alcohol that we will drink just after. It is then an intoxicating perfume, diabolical, of an infinite charm. Finally on the palate there is both a nice sweetness but especially an extraordinary acidulous freshness. We eat the grapes. This wine is a perfect Sauternes. Glorious, accessible, it is only pleasure and leaves a mark indelible in the mouth.

This is why it is imperative, before tasting cognac, that the palate is calm. This is the mission of Champagne Delamotte Collection 1985 which is ideal because it has both the liveliness of the blanc de blancs and a beautiful depth. Not only does it recalibrate the palate, but it makes us happy. So let's take advantage of its well-typed personality.

It's now time to taste the Cognac Louis XIII Rémy Martin presented in a beautiful carafe Baccarat. I had tasted it a few days ago to check if this cognac could find its place in such a dinner. There are many features that I liked a few days ago. Velvet, nobility and accomplishment. But it is certain that after so many wines drunk during this dinner, the palate is less receptive than it would have been if we had shared fewer wines. It is however of a rare nobility, appreciated by many guests. I had asked Alain Solivérès small madeleines neutral to be a support tasting. A guest will note that larger madeleines would probably be more adequate. Whatever, this cognac is masterly, with refined sweetness.

We are ten to vote for four favorite wines among eleven wines since voting for the alcohol would not make much sense. Eight wines out of the eleven had votes and the number of wines that had the honor of being named first is five. The 1966 Musigny had four first votes, the 1964 Palmer had three first votes. Had a first vote Y of Yquem 1980, Corton Charlemagne 1972 and Château d'Yquem 1959.

The compilation of the votes would give this ranking: 1 - Château Palmer Margaux 1964, 2 - Musigny red Count Georges de Vogüé 1966, 3 - Château d'Yquem 1959, 4 - Y of Yquem 1980, 5 - Champagne Krug Vintage 1982, 6 - Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1972.

My vote is: 1 - Château Palmer Margaux 1964, 2 - Red Musigny Count Georges de Vogüé 1966, 3 - Château d'Yquem 1959, 4 - Y of Yquem 1980.

It's pretty rare that my vote is strictly the same as that of the consensus but it happened, probably for a dozen dinners.

The atmosphere of this dinner was cheerful, the fascinating discussions between guests of professional and geographical horizons very different. The Palmer, the Musigny and the Y have largely "outperformed", by presenting themselves well above what could be expected. The cuisine of Taillevent is always relevant for old wines. The service of wine and dishes is exemplary, it is the strength of Taillevent. This happy dinner is a great dinner.

218ème dîner au restaurant Taillevent jeudi, 26 octobre 2017

Le 218ème dîner se tient au restaurant Taillevent. Les vins ont été livrés il y a une semaine et deux convives vont ajouter chacun une contribution, ce qui fait que nous ne manquerons pas de vin ce soir. Un journaliste canadien qui participe au dîner est venu peu après le déjeuner faire des photos dans ma cave.

Pour la séance d’ouverture des vins à 17h30, deux journalistes dont le canadien viennent photographier et poser des questions sur la méthode d’ouverture. J’officie et fort curieusement, la situation des bouchons est l’inverse de celle du 217ème dîner. Lors de ce dîner précédent, les bouchons, comme gonflés, étaient extrêmement durs à extirper. Ce soir au contraire plusieurs bouchons semblent rétractés et se soulèvent sans difficulté. La pression atmosphérique aurait-elle autant d’effet, je ne sais pas, mais le contraste est très net entre les deux dîners séparés d’une semaine. L’un des journalistes étant venu avec deux amis, je fais sentir les vins à cette studieuse assemblée. Les parfums les plus spectaculaires sont celui de l’Y d’Yquem 1980 et celui d’Yquem 1959. Le plus incertain est celui du Grands Echézeaux 1982. Il y a de belles promesses avec le Palmer, La Landonne et le Musigny.

Les convives sont ponctuels. Nous sommes dix, seulement des hommes, ce qui est extrêmement rare. Trois sont des habitués et six sont des nouveaux dont trois journalistes. Il y a un canadien, un japonais, trois provinciaux et le reste de parisiens. Nous prenons l’apéritif debout en trinquant avec un Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1983 magnum dégorgé en 2010 apporté par l’un des convives. Le champagne est très agréable, plein et gourmand et relativement simple de message. Comme il est gouleyant il se boit avec facilité. J’avais envisagé que l’on ne boive maintenant que la moitié du magnum, pour le finir après le sauternes, mais le champagne se boit si bien surtout avec les gougères plus qu’avec les toasts de jambon que le magnum est vite fini.

Nous passons à table. Le menu créé par Alain Solivérès est : gougères et toast de jambon / huitres en gelée d’eau de mer / bar de ligne étuvé, bouquet de Bretagne en fin velouté / homard bleu, sauce au vin rouge / chausson feuilleté de pigeon au foie gras, cèpes et poire rôtie / lièvre à la royale à la cuillère / croustillant mangue-passion / madeleines.

Le Champagne Krug Vintage 1982 est d’une couleur légèrement ambrée et Adrien le sommelier très concerné et motivé me dit qu’à l’ouverture il y a une heure, la bulle état quasi inexistante. Mais le pétillant est là. On sent tout de suite que c’est un champagne racé, vif, peut-être moins romantique que d’autres Krug 1982 que j’ai bus. L’huître en gelée est une merveille avec ce champagne mais il faut bien éviter la petite crème à base d’échalote trop vinaigrée pour ce beau champagne d’un raffinement extrême. C’est un mousquetaire galant. C’est l’aristocratie du champagne.

Les prochains vins viendront en couple, deux sur un même plat et pour les trois séries nous allons constater un phénomène assez particulier. Dans les trois cas, un vin se comporte très au-dessus de ce que l’on peut en attendre et l’autre vin est plutôt un peu plus faible que ce que l’on pourrait espérer.

Le bar est délicieux, un peu cuit pour mon goût, mais il sera un beau faire-valoir des deux blancs gastronomiques. L’Y d'Yquem Bordeaux Supérieur blanc 1980 est d’une couleur très pâle pour ses 37 ans. Il est d’un blond de blés d’été. Son nez est invraisemblable de puissance. Il est envahissant. En bouche c’est une soleil aveuglant tant il prend possession du palais. Il est riche avec une générosité débridée. Il est aussi d’une rare gourmandise et je perçois comme dans les Y réussis la mâche de grains de raisins botrytisés d’Yquem en fond d’écran.

Ce pourrait être difficile pour le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1972 de passer à côté de l’Y mais en fait ce vin joue sur un registre tellement différent qu’il est possible de passer d’un vin à l’autre sans aucune gêne. Le parfum de ce vin est insaisissable comme le regard d’une danseuse orientale qui joue de ses voiles pour le masquer. Il y a des milliers d’arômes exotiques. En bouche il est tout en suggestion, gracile mais diablement charmeur. On n’est pas du tout dans le registre des Corton-Charlemagne puissants, on est sur le territoire des vins expressifs. Je suis content que ce vin ait reçu un vote de premier par l’un des fidèles de mes dîners.

Le homard est absolument superbe et va coller parfaitement aux deux bordeaux. Le Château Palmer Margaux 1964 est tonitruant. C’est la réussite absolue du vin de Bordeaux. Il est ensoleillé, de beaux fruits rouges gorgés de soleil, il est plein, il est long, au finale infini, et ce n’est que du plaisir d’un vin absolument lisible.

Le Château Haut-Brion 1928 est beaucoup plus difficile à saisir. Sa robe est d’un rouge noir. Le disque dans le verre a un rouge sang de pigeon de très belle expression. En bouche c’est un monolithe. Il m’évoque une enclume, tant il est lourd, puissant, et terriblement ingambe pour ses 89 ans. Mais il lui manque un peu de volonté de charmer. Trop rigide dans son goût de truffe, il reste bloqué sur ce message. Par certains côtés il profite du millésime exceptionnel qu’est 1928, mais il troublera un peu les convives au point de ne pas avoir de vote.

Le chausson de pigeon est d’une rare gourmandise. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1982 qui avait un nez incertain à l’ouverture a maintenant un nez qui évoque le savon. C’est fugace mais cela rebute des convives. Il y a toutes les composantes de ce qui fait le charme des vins du domaine, mais il lui manque du rythme et d’un supplément d’âme qui fait qu’on l’eût aimé. Lui aussi n’aura aucun vote.

Il n’y a donc aucun combat possible avec le Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1966 qui est la définition absolue d’un grand Musigny. Quelle richesse dans ce vin joyeux, accueillant et charmeur comme un Franck Sinatra. On est bien avec ce vin et la lourde et délicieuse sauce du chausson donne à ce Musigny une vivacité exemplaire. On ferait volontiers de ce Musigny son ordinaire et quatre convives le classeront premier. La Bourgogne à ce niveau n’est que du bonheur.

Le lièvre à la royale est un compromis entre le sage lièvre de Michel Rostang et le sauvage de l’Ami Jean. Il est parfait, associé à une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 qui surprend toute la table, car qui dirait qu’un 1984 peut avoir ce charme et cette puissance. On voit bien que ce n’est pas une Côte Rôtie d’une année puissante, mais le charme agit, le vin juteux à souhait jouant juste, comme un Jeff Bridges ou un Clint Eastwood. J’adore cette Côte Rôtie qui fait jeu égal avec le lièvre.

Les maîtres d’hôtel qui nous ont suivis ce soir ont ri car je n’ai pas tari d’éloge pour le dessert tant il est réussi, avec une acidité qui colle au millimètre au sublime Château d'Yquem 1959. S’ils ont ri, c’est parce que je suis volontiers critique pour les desserts, si difficiles à doser pour de vieux sauternes. Mais là, j’ai voulu signaler cette belle réussite. Ce vin est d’abord une couleur, aussi riche et profonde que l’alcool que nous boirons tout à l’heure. C’est ensuite un parfum enivrant, diabolique, d’un charme infini. Enfin en bouche il y a à la fois une belle douceur mais surtout une fraîcheur acidulée extraordinaire. On croque les grains de raisin. Ce vin est un sauternes parfait. Glorieux, accessible, il n’est que plaisir et laisse une trace en bouche indélébile.

C’est pour cela qu’il est impératif, avant de goûter le cognac, que palais se calme. C’est la mission du Champagne Delamotte Collection 1985 qui est idéal car il a à la fois la vivacité du blanc de blancs et une belle profondeur. Non seulement il recalibre le palais, mais il nous fait plaisir. Alors profitons de sa personnalité bien typée.

Il est temps maintenant de goûter le Cognac Louis XIII Rémy Martin présenté dans une belle carafe Baccarat. Je l’avais goûté il  a quelques jours pour vérifier si ce cognac pouvait trouver sa place dans un tel dîner. On retrouve beaucoup des caractéristiques qui m’avaient plu il y a quelques jours. Velours, noblesse et accomplissement. Mais il est certain qu’après autant de vins bus lors de ce dîner, le palais est moins réceptif qu’il ne l’aurait été si nous avions partagé moins de vins. Il est toutefois d’une rare noblesse, appréciée par beaucoup de convives. J’avais demandé à Alain Solivérès des petites madeleines neutres pour être un support de dégustation. Un convive fera remarquer que de plus grosses madeleines seraient probablement plus opportunes. Qu’importe, ce cognac est magistral, fort de douceurs raffinées.

Nous sommes dix à voter pour quatre vins préférés parmi onze vins puisque voter pour l’alcool n’aurait pas beaucoup de sens. Huit vins sur les onze ont eu des votes et le nombre de vins qui ont eu l’honneur d’être nommés premiers est de cinq. Le Musigny 1966 a eu quatre votes de premier, le Palmer 1964 a eu trois votes de premier. Ont eu un vote de premier l’Y d’Yquem 1980, le Corton Charlemagne 1972 et le Château d’Yquem 1959.

La compilation des votes donnerait ce classement : 1 - Château Palmer Margaux 1964, 2 - Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1966, 3 - Château d'Yquem 1959, 4 - Y d'Yquem 1980, 5 - Champagne Krug Vintage 1982, 6 - Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1972.

Mon vote est : 1 - Château Palmer Margaux 1964, 2 - Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1966, 3 - Château d'Yquem 1959, 4 - Y d'Yquem 1980.

C’est assez rare que mon vote soit strictement le même que celui du consensus mais cela est arrivé, pour probablement une dizaine de dîners.

L’ambiance de ce dîner a été enjouée, les discussions passionnantes entre convives d’horizons professionnels et géographiques très différents. Le Palmer, le Musigny et l’Y ont très largement ‘’surperformé’’ comme on dit, en se présentant très au-dessus de ce qu’on attendait. La cuisine du Taillevent est toujours aussi pertinente pour les vins anciens. Le service du vin et des plats est exemplaire, c’est la force de Taillevent. Ce dîner joyeux est un grand dîner.

Champagne Moët & Chandon Grand Vintage 1983 magnum dégorgé en 2010 Champagne Krug Vintage 1982 Y d'Yquem 1980 Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1972 Château Palmer Margaux 1964 Château Haut-Brion 1928 Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1982 Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1966 Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 Château d'Yquem 1959 (dans la caisse d'Yquem 1959 une bouteille s'était brisée, tachant les étiquettes des autres bouteilles et un papier bulle a marqué l'étiquette de cette bouteille)

Champagne Delamotte Collection 1985

  les vins dans ma cave les vins au restaurant

Réponses à l’énigme du 24 octobre (il y a une bonne réponse) mardi, 24 octobre 2017

Jacques Martin dans l'école des fans, disait "les enfants sont formidables". Eh bien, les lecteurs de mon bulletin sont formidables !

Il y a des réponses tellement belles ou tellement poétiques que j'ai eu envie de montrer les plus belles.

La réponse a été trouvée et ce qui a encore plus de sel c'est que celui qui a trouvé a énoncé la réponse pour l'écarter aussi vite. Je vous avoue que je jubile.

Lisez toutes ces réponses car il y a une imagination et une culture qui sont spectaculaires et seulement enfin allez à la fin de cet article où figure la réponse.

mar. 24/10/2017 22:19 - je pense voir un parallèle entre le mode de découverte de la Venus de Milo et sa "non-restauration" d'une part, et votre expérience avec les bouchons, et la qualité des vins d'autre part. En effet : - la vénus de Milo a été sortie de terre et mise au jour difficilement, et était fortement endommagée (pas de bras, nez endommagé...), ce qui fait penser à l'extraction de vos bouchons : extraction difficile, bouchons particulièrement endommagés/cassés… - malgré un projet de restauration complète (ajout de bras et d'autres éléments…), elle a finalement été conservée en l'état, ce qui permet d'apprécier sa beauté antique et authentique. C'est également le cas des vins que vous avez évoqué, notamment le Musigny, qui semblait mal parti, et qui pourtant a su exprimer sa beauté de vin ancien, en laissant simplement faire l'oxygénation, sans agir d'aucune sorte. Ces parallèles sont par ailleurs renforcés par vos propres métaphores féminines (Sissi impératrice, Gene Kelly, ballerine), qui rappellent la déesse Aphrodite, que la Vénus de Milo est censée représenter. Et à 22h25 une suite : En y repensant, j'ajoute un autre parallèle : - nez et bouche de la Vénus de Milo étaient en partie endommagés, et on finalement été restaurés / - nez et bouche du Musigny étaient en partie endommagés au départ, et se sont finalement restaurés...tout seuls

mar. 24/10/2017 18:38 - je te propose: devant un tel repas et de tels vins je peux dire comme "la Venus de Milo": "les bras m'en tombent" ! Je ne suis pas sûr que ce soit l'explication que tu attends, je vais étudier la question d'un peu plus près et la serrer à bras-le-corps... Bonne Soirée, François !

mar. 24/10/2017 17:14 - J’ai beau connaître la logique de tes énigmes, je ne trouve pas du tout !!! L’avenue de Millau, la veine eu deux mille hauts, ils sont venus de Millau,… rien qui fait le lien avec le repas de Rostang… je vais essayer encore

mar. 24/10/2017 17:13 - Bonjour et tout d'abord bravo pour votre blog et vos récits. Je me permets de proposer une solution concernant l'énigme de la Vénus de Milo : Vénus est la déesse de l'amour, de la séduction et de la beauté dans la mythologie romaine. Son étymologie classique est le verbe latin vincire (lier, enchaîner). Elle unirait d'après Varron le feu mâle à l'eau femelle, ce qui donne la vie. Ainsi lors de ce dîner la liaison entre les plats et les vins serait le symbole de la vie, de la renaissance,tel le phénix qui renaît de ses cendres ou la résurrection de Vénus qui par ses pièces éparpillées et le génie de passionnés donnera l'une des plus grandes sculptures. L'un sans l'autre ne pourrait produire ce moment magique. La symbiose, le lien des vins et des plats de ce dîner formant un grand moment représentant la vie donné par Vénus

mar. 24/10/2017 16:47 - ma réponse au mail de 16/38 . Vous avez gagné mais vous ne savez pas pourquoi. Attendez la réponse et vous verrez.

mar. 24/10/2017 16:38  - Pardonnez ma témérité mais la perspective de partager un vin ancien en votre compagnie étant une motivation solide, je récidive en proposant une dernière interprétation plus terre à terre. Dans votre carnet de route (votre blog), vous faites trois fois mention de la Vénus de Milo si l’on exclut l’énigme de ce jour. D’abord en rapport avec une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991. Je vous cite « Ce vin, c’est la Vénus de Milo avec des bras. C’est Grace Kelly, Gisele Bundchen, ou toute autre symbolisation de la beauté parfaite. Le nez est un parfum pur, enivrant, qui donne l’image de la perfection. » Ensuite, lors d’un dîner au Carré des Feuillants, le restaurant du chef Alain Dutournier où « Lorsque l’on descend aux toilettes (mesdames, ne lisez pas plus loin), il n’existe qu’un urinoir. Et lorsque l’on est devant la vasque pour satisfaire un besoin traditionnellement qualifié de naturel, une Vénus de Milo nous regarde. Elle semble impressionnée par la vision qu’offre l’entrebâillement de notre pantalon, et son sourire en dit long. Elle est tellement impressionnée que les bras lui tombent. On se rebraguette avec un regain de masculinité. » Puis enfin en rapport avec un Château d’Yquem 1949 bût au restaurant Laurent sur lequel vous disiez « C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. » Ayant déjà proposé une réponse avec comme thèse la beauté féminine, j’ai immédiatement pensé à la présence possible d’une réplique de la Vénus de Milo dans le restaurant de Michel Rostang mais voilà une intuition que même Sherlok Holmes ne pourrait soutenir sans une enquête sur place. J’ai ensuite pensé à un lien géographique car en traçant une ligne droite depuis le restaurant de Michel Rostang jusqu’au musée du Louvre, le tracé passe presque parfaitement par le Carré des Feuillants où une seconde Vénus de Milo trône dans les toilettes… Mais cette hypothèse de solution est sans doute un peu trop ésotérique et davantage digne du Da Vinci Code. J’ai ensuite regardé la photo d’alignement des bouteilles au restaurant (dans le récit de votre 217ème diner) et l’on aperçoit la tête d’une jeune femme qui ressemble étonnamment à la Vénus de Milo… Mais j’imagine que mon désir ardent de trouver la solution à votre énigme me fait prendre des vessies pour des lanternes… J’ai donc décidé de revenir aux fondamentaux. D’abord la Vénus de Milo, sculpture incomplète mais néanmoins icône de la beauté féminine, découverte au XIXème siècle (1820) et fièrement exposée au Louvre grâce au don de Louis XVIII l’ayant lui-même reçu en don du Comte de Rivière en 1821. Ensuite le 217ème dîner au restaurant Michel Rostang, un dîner d’émotions et de résurrection, avec comme point culminant un vin du XIXème siècle, le Sigalas Rabaud 1896. Alors peut-être que le XIXème siècle est le point commun que je recherche, faisant également référence à l’une des originalités de votre 217ème diner puisque vous avez choisi de positionner un foie gras poché durant le repas à une place qu’il occupait dans les menus au XIXème siècle. Peut-être que le Sigalas Rabaud possède les qualités que vous associez à la Vénus de Milo, tout comme le Château Yquem 1949 au restaurant Laurent incarnait ces qualités également. Et peut-être que votre passion des vins anciens trouve une émotion particulière dans les vins du XIXème. Enfin, peut-être que je me trompe entièrement (c’est fort probable d’ailleurs) mais j’aurai au moins le plaisir de vous avoir diverti par cette lecture, tout comme je m’enrichis à chaque fois que je lis vos écrits. Au plaisir de vous revoir pour de nouvelles aventures.

mar. 24/10/2017 16:07  - Je tente ma chance à votre énigme... La cave du restaurant Michel Rostang possède une belle collection de chartreuses. Or, il s'avère que le massif de la chartreuse "détient" une des plus importantes concentrations de sabots de Vénus d’Europe (Cypripedium calceolus L.). Il s'agit d'une des fleurs les plus rare de France. J'ai trouvé sur Internet que : "La légende raconte, qu'un jour d'été, Vénus fût surprise par l'orage. En errant dans les bois, elle perdit l'un de ses brodequins orné d'or et de pourpre. Le lendemain, une jeune bergère, qui se rendait à la montagne avec son troupeau de moutons, passait par le bois et vit le beau petit soulier. Très émue, elle voulut le ramasser, mais le trésor disparut et à sa place elle ne trouva qu'une fleur ayant la forme d'un petit sabot". "Cette orchidée montagnarde  se sert de son impressionnant labelle jaune pour piéger les insectes pollinisateurs. Attirés par la couleur vive du sabot de Vénus, ils entrent dans le labelle à la recherche de nectar. En vain, car il n’y en a pas !" Quoique n'étant pas des insectes pollinisateurs, certains êtres humains sont également à la recherche de (divin) nectar ! Voici peut-être une piste...

mar. 24/10/2017 14:04  - Merci de votre reconnaissance à travers la diffusion sur votre blog de ma première proposition. Je ne m’avoue toutefois pas vaincu et je désirerais vous soumettre une nouvelle interprétation de votre énigme, davantage philosophique... Du point de vue philosophique (et pardonnez-moi si je vais un peu loin…), la Vénus de Milo nous permet de réfléchir sur le statue de l’œuvre en tant qu’œuvre vivante d'émotions et symbole de beauté alors que partiellement détruite car amputée de ses deux bras. Une question paradoxale qui pose la problématique de l'amputation ou de la destruction d'une chose pour mieux la rendre vivante. Votre 217ème dîner a amputé votre cave de plusieurs paires. Une paire de Champagne (le Mumm cuvée René Lalou et le Dom Pérignon), une paire de prestigieux Bourgogne (le Bâtard-Montrachet et la Romanée Saint-Vivant), une paire de prestigieux Bordeaux (le Château Mouton Rothschild et le Château Haut-Brion), une paire de Musigny (autre paire de prestigieux Bourgognes) et une paire de Sauternes (le Château Yquem et le Château Sigalas Rabaud). Pour autant, cette amputation n’est pas un mal car elle fait vivre votre passion et celle d'autres amateurs. De plus, votre récit de la dégustation de ces vins (dégustation qui peut s'apparenter à une forme de destruction) est une belle preuve vivante que la passion des vins anciens est une source forte d'émotions (le Sigalas Rabaud 1896 en est l'illustre exemple). Au même titre que la Vénus de Milo est une œuvre incroyablement vivante émotionnellement car amputée de ses deux bras, votre collection et votre passion sont d’autant plus vivantes à mesure que vous les amputez régulièrement de vos précieux flacons. Comme le disait M. Philippe Bourguignon (du restaurant Laurent) dans un numéro de la Revue des Vins de France « Le vin est la seule collection qu’il faut savoir sacrifier pour la faire vivre ». Votre 217ème dîner pourrait donc représenter ce paradoxe philosophique qui veut que l’on détruise l’existant pour finalement faire vivre ce qu’il représente. Ceci en opposition avec d’autres approches comme par exemple celle de M. Michel Chasseuil, qui préfère figer une collection qui finira par mourir d’elle-même... Est-là la réponse à votre énigme ? Je l'ignore. Mais j'ai la satisfaction d'avoir aimablement philosophé sur la question =).

mar. 24/10/2017 13:26  - je ne me sens aucunement légitime pour m'adresser à vous mais je ne résiste pas à la tentation de tenter ma chance. Je goute parfois certains vieux vins et j'ai pu admirer cette statue. Aussi vais-je exprimer ce qui selon ma sensibilité peut rapprocher ces deux expression de l'art... A mon sens vous pouvez faire référence à une forme d'épanouissement partagé par le corps et le cœur. Un sentiment magnifique de joie profonde et pure, hors du temps, hors du monde... De même que se sentir tellement chanceux de pouvoir vivre ces moments intellectuels et pourtant si proches du corps... Votre énigme me fait fichtrement penser à l'"esthétique" de Hegel. Merci de partager votre passion.

mar. 24/10/2017 12:35  - Après recherche, il apparaît que la plupart des millésimes ouverts lors de ce dîner ont également été des millésimes de "réinterprétation" de la fameuse Vénus de Milos.  Pour preuve: Vénus de Milo hystérique par Salvador Dali, 1983 - Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, / Vénus de Milo aux tiroirs par Salvador Dali, 1971 - Château Mouton Rothschild 1971, / Venus de Milo, titre de Miles Davis, enregistré le 22 1949 - Musigny Duvergey-Taboureau 1949, / ... ou encore l'année 1966 qui a vu la naissance de l'artiste français Richard Orlinski ayant sculpté en 2015 la Vénus de Milo bleue!

mar. 24/10/2017 12:11  - Bonjour, la rapport entre votre rapport du 217 ème dinner et la Vénus de milo ne serait pas tous les bouchons cassés, et émiettés, semblables au bras de la fameuse Vénus qui sont eux aussi cassé?

mar. 24/10/2017 11:11  - J’espère avoir décrypté votre énigme selon votre pensée. Selon moi, la Vénus de Milo s’incarne dans le récit de votre 217ème dîner à travers la référence à la célèbre actrice Danielle Darrieux, qui s’est éteinte à l’âge de 100 ans et qui se définissait comme « une amoureuse », l’archétype de la beauté féminine d’avant-guerre, égérie d’Henri Decoin qui l’a filmé dans une demi-douzaine de films. Dès lors, la Vénus de Milo, censée représenter la déesse Aphrodite, la déesse de l’amour, est le symbole de la beauté féminine selon la culture Grec. De plus, au même titre que Madame Danielle Darrieux a rejoint il y a quelques jours son créateur, la Vénus de Milo pourrait faire de même puisque la Grèce revendique désormais cette œuvre d’art car des élus de l’île Grec de Milos ont lancé une campagne pour orchestrer son possible retour au source et donc au pays de son créateur. Enfin, le récit de votre dîner fait référence à plusieurs icônes féminines célèbres (Gene Kelly, Sisi Impératrice, la ballerine à l'Opéra et Danielle Darrieux). Ainsi, il semble clair que votre dîner fût placé sous le sceau de la beauté, à la fois de ces femmes que vous avez cité mais également des vins que vous avez présenté et dégusté et qui furent splendides.

mar. 24/10/2017 10:48 - la Vénus de Milo est visible au musée du Louvre, aussi nommé la Pyramide du Louvre. La Pyramide est aussi le nom du restaurant du célèbre chef de Vienne en Isère Fernand Point, époux de Madame Point à laquelle fait référence la petite étiquette du Champagne Mumm Cuvée René Lalou

mar. 24/10/2017 05:51 - Voici le lien selon moi entre votre dîner #217 et la Vénus de Milo : Il s'agit du Château d'Audour de la commune de Dompierre les Ormes où la vénus de milo a fait un séjour au début des années 1820. La commune est en Bourgogne du sud comme certains vins servis lors de ce repas.

mar. 24/10/2017 02:22 - Tout d'abord, il existe une version "à tiroir" de la Vénus de Milo, conçue par Dali, exposée au musée Dali de Beaune. - Bien sûr plusieurs vins de votre 217e dîner sont originaires des côtes de Beaune. - Mais surtout, l'étrange hommage à Mme Point pourrait faire référence à Mme Jeanne Marie Point dont le négoce, géré maintenant par ses descendants, est installé à Beaune, "résidence" de la fameuse Venus de Milo à tiroirs. En espérant toucher du clavier la vérité, je vous remercie pour les agréables lectures que votre blog propose.

mar. 24/10/2017 01:40 - À l'instar de l'ouverture des vins anciens, où rien n'est joué d'avance (tout comme ces bouchons successivement brisés lors de votre dîner!), la Vénus de Milo démontre par sa singularité et son histoire que les aspérités de la découverte ne ternissent jamais la beauté enfouie.

mar. 24/10/2017 01:08 - J'aurais pu dire que le rapport entre le compte-rendu du dîner et la Vénus de Milo se trouvait entre le magnifique Dom Pérignon dégusté et la "sculpture" qu'avait faite Jeff Koons pour ladite marque, nommée "Balloon Venus" et inspirée de la Vénus de Milo. Mais je penche quand même davantage pour une explication plus poétique qui est celle de tous ces bouchons brisés en mille morceaux et cette Vénus malheureusement brisée elle aussi. Sans oublier que Vénus (Aphrodite pour être précis) fut l'amante de Dionysos, dieu de la vigne et du vin.

mar. 24/10/2017 01:04 - je ne peux, pour répondre à l'énigme, qu'imaginer comparer l'émiettement et la fragilité des bouchons (dont nombre d'entre eux, vous le dites, étaient abîmés) à la fragilité de la Vénus. Mais en même temps, que de grâce, que de merveilles, sous la terre d'où elle a été extraite... Puissé-je avoir quelque chance d'avoir été l'archéologue de votre secret...

mar. 24/10/2017 00:45 - Comme la Vénus de Milo, mais dans des circonstances très différentes, les bras vous en tombèrent à la première gorgée de Dom Pérignon 1966...

LA RÉPONSE A L’ÉNIGME

Lorsque j'ai mis les photos sur le blog qui accompagnent le récit du 217ème dîner, j'ai ajouté cette photo :

Et j'ai été immédiatement frappé par le fait qu'entre le Haut-Btion 1926 et le Musigny de Voguë 1978 il y a une jeune personne qui travaille en cuisine dont la tête m'imposa un flash : c'est la Vénus de Milo.

et je vous avais donné un indice que vous n'avez pas saisi : si je parle de la Vénus de Milo, j'ai une photothèque pléthorique utilisable où on la voit splendide et nue, avec ses bras manquants. Or je n'ai mis dans l'énigme que la photo de la tête. Je ne mettais donc pas en valeur ce qui fait la spécificité de la Vénus de Milo, mais seulement sa tête, qui est la tête de cette cuisinière.

Et je suis particulièrement heureux, car on m'attendait sur une énigme hyper sophistiquée, alors qu'il s'agissait surtout de cette coïncidence incroyable qu'une cuisinière saisie sur ma photo ait, un court instant, le visage de cette si divine beauté.

Au vu des premières réponses, j'ai pensé que vous partiez sur des fausses pistes. Le fait que le vainqueur ait trouvé la réponse pour la réfuter est une jouissance de plus pour moi. Je vous raconterai mon repas avec lui autour d'un Haut-Brion 1970.

Merci à tous.

217th dinner at the restaurant Michel Rostang samedi, 21 octobre 2017

The 217th dinner is held at the restaurant Michel Rostang. The development of the menu was made with the chef Nicolas Beaumann in a very pleasant atmosphere of mutual understanding. We looked for the consistency of the dishes, not to disturb with additions that would contradict the main message and we decided that the sauces, whenever possible, would be served separately, in a small container for each guest, to side of the dish plate.

The wines were delivered a week ago, reassembled at 17 hours for the opening of the wines. Baptiste, the intelligent and competent sommelier, accompanied me throughout this crucial operation. A phenomenon occurred that surprised me: almost all the corks were extremely difficult to remove, as if they were blistered by a climatic event such as, probably, a change in atmospheric pressure. An unusually high number of corks tore or crumbled on the ascent. I took a lot longer than usual to remove the corks. The odors of the wines are encouraging, the most beautiful being that of the 1961 Yquem, perfume of a rare sensuality, followed by that of a moving bottle to open because it is 121 years old, a Sigalas-Rabaud 1896. The only wine which worries me is the Musigny de Vogüé 1978. At the opening the nose is deliciously Burgundian, with a rough and earthy character. But feeling the bottleneck again, I wonder if there is not a risk of cork. I pour some wine in a glass and there is no cork nose but an imprecise nose. The wine I taste is bland and flat. I will have to monitor its evolution. All other wines do not bother me.

We are ten, including two women, and there is a professional relationship between all, the table having been formed at the initiative of a friend used to my dinners. Michel Rostang and his wife whom my friend Stéphane knows well welcome us with wide smiles.

We take the aperitif standing with a Champagne Mumm Cuvée Rene Lalou magnum 1973. The bottle is very beautiful and marked on a small golden label of the words "Tribute to Madame Point" the wife of the famous chef of Vienne in Isere . The opening made by Baptiste in cellar more than an hour ago had delivered no pschitt. The champagne has no bubble but the sparkling is there. The champagne is very round, welcoming, open and sweet. It is a champagne of pleasure, comfortable. Small canapes with sardines give it a spectacular length.

I give the usual instructions to enjoy the dinner and we go to the table. The Mumm continues to be drunk on other small preparations that do not have as much effect as sardines. The one that represents an onion soup in a cromesquis on the contrary shortens the champagne which is nevertheless very pleasant. It opens a pleasant door on the world of old wines by being reassuring and coherent.

The menu made by Nicolas Beaumann with his team that we see through the glass that separates our room from the kitchen is: Artichoke soup with white truffle flavor / Minced raw porcini and langoustines, Daurenki caviar and shellfish consommé / Selle of lamb's breast, death trumpets and roasted artichokes / king hare (lièvre à la royale) / stilton cheese / pickled mango 'lime vanilla', almond shortbread and light foam opaline.

While in the program there are two champagnes, the first will be followed by white wine to ensure the consistency of the menu, because inverting the dishes would not have been possible. The Bâtard-Montrachet Chanson Father & Son 1959 is especially distinguished by an absolutely exemplary perfume. We could be content to smell this wine forever without drinking it. What begins to shake the certainty of many of the guests is that a white wine of 58 years old may seem so young. Storm under the skulls! The wine is merry, with a calm and serene fruit and a gourmand chew. It forms with the white truffle a very nice agreement. I found the white truffle a little earthy and relatively un-sunny, but the agreement is a great gastronomic pleasure with this wine full of plenitude.

I went to see Baptiste at around 7:30 pm when he was going to open in cellar Champagne Dom Pérignon Vintage 1966 and I clearly heard the strength of the bubble when it explodes when the cap releases it. It was a beautiful sign. When I am served, I am dazed. The 1966 that I have already drunk twenty times is for my taste one of the greatest Dom Pérignon and I'm in front of the biggest 1966 and probably one of the biggest Dom Pérignon I've been given to drink. He is simply extraordinary and carries an infinite emotion. Everything about him is perfect. He is vibrant, his bubble is conquering, he is charming but also a warrior, taking possession of the palate and taming it I cannot believe it and I lock myself in my bubble (dare I say) to enjoy it. The conjugation cepes and caviar gives champagne a glory that delights me. I have just experienced a great moment with a sharp champagne, scathing, infinite length.

The saddle of lamb accompanies the two Bordeaux very dissimilar. The Château Mouton Rothschild 1971 has a very pretty light red-blood color. All in this wine is graceful. His speech is a gourmet madrigal.

Beside, the Château Haut-Brion 1926 is almost black in color. On the palate, this conquering wine is heavy with truffles and charcoal. This wine is like a worker whose face became black, the proud worker working in his Coal mine. But the wine is also noble and profound. It is rich and full and here too the certainties fall because this wine of 91 years has an extreme liveliness. I have long considered 1926 as the greatest High-Brion. This one is part of this line of excellence but it is not the biggest 1926 of the seven that I had the opportunity to drink. He holds his rank as we will see in the votes.

The royal hare (lièvre à la royale) of Michel Rostang is an institution. It is eaten with a spoon and despite its strength it seems "light". Before the arrival of the guests, I went to the cellar with a glass to taste once again the Red Musigny Comte Georges de Vogüé 1978 and I found it flat, almost as at the opening. I warned the guests. But at the moment of serving it, Baptiste tells me: "you will see" and the miracle occurs, the Musigny has found its grace, its delicious Burgundy message made of subtlety. It is a very beautiful elegant Musigny that we drink now, without the shadow of a defect. What always amazes me is that in case of return to life, the resurrection is most often total, that is to say that the miracle doctor which is slow oxygenation, plays its role at 100% .

The second Musigny of the dinner, the Musigny Duvergey-Taboureau 1949 is very different from the Vogüé. He is rich, round and greedy. One could say that it is a little less noble than the 1978, but the year 1949 is so generous that it gives a gluttony to this wine of négociant and a generosity which delight me. We are with a round and happy wine, happy to live.

I had already had the experience of putting a wine from the Romanée Conti estate at the end of the meal and pairing it with a poached foie gras to a place on the menu of the meal that it had in the 19th century. The agreement between the poached foie gras and the Romanée Saint-Vivant Domaine Romanée Conti 1983 is simply masterful. The agreement is with the liver alone but also with the liver and its broth. And I like that we have the opportunity to taste both versions. The wine of Romanée Conti has a distinction, charm and complexity that make it elegant and subtle. He is pure grace, like a ballerina walking on the stage of the Opera Garnier. The wine is long, Burgundian. Its color is nicely clear. The markers of the domain, the rose and the salt, are there but rather discreet. We are in the presence of a wine of grace.

The stilton is perfect, slightly salty, slightly unctuous. It's exactly what's needed for Château d'Yquem 1961. This wine is Fred Astaire, it's Gene Kelly in "Singing in the Rain", it's the ultimate talent of talent. It's the absolute Yquem, without too much force or too much sweetness. This is the one we would invite to each dinner if we had the opportunity. It is so comfortable and so much above anything sweet. There are Yquem more typical, heavier, more percussive, but this one is a Yquem of happiness.

But my heart will lean towards an exceptional wine. The Château Sigalas Rabaud 1896 had its original cork on which was clearly read the year, as on the label very tired and attacked by time. The nose of this wine is deep and subtle. It is a rich but calm sauternes. In the mouth he is noble. It is Sissi Empress presenting herself at the ball with a dress with infinite crinolines. The length in the mouth is extreme, with fat and silky. There is an affirmation, followed immediately by grace and charm. The wine is very dark, mahogany brown, but it does not have any sign of fatigue or age. He is tall and the dessert with mango suits him perfectly highlighting its beautiful acidity. I concentrate and forget the external world to enjoy this wine as I did for Dom Pérignon and even more the day we just learned the death of Danielle Darrieux a French actress at 100 years of age. She was loved by everyone. To have in hand a wine of 121 years which has no age but on the contrary has all of a young handsome prima dona, it moves me.

We will now vote for four wines out of the ten of the meal. We are ten to vote. What is always a reward for me is that the ten wines had at least one vote. None were discarded. Even stronger, six of the ten wines were named first. Haut-Brion 1926 was nominated three times first, Romanée Saint-Vivant 1983 and Yquem 1961 were named twice first and Dom Pérignon 1966, Musigny 1949 and Sigalas Rabaud 1896 were named once first.

The consensus vote would be: 1 - Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanee Conti 1983, 2 - Château Haut-Brion 1926, 3 - Château d'Yquem 1961, 4 - Musigny Duvergey-Taboureau 1949, 5 - Château Mouton Rothschild 1971, 6 - Champagne Dom Pérignon Vintage 1966.

My vote, very different from the one that compiles the votes of all, is: 1 - Château Sigalas Rabaud 1896, 2 - Champagne Dom Pérignon Vintage 1966, 3 - Château Haut-Brion 1926, 4 - Musigny Duvergey-Taboureau 1949.

The cook has been remarkable, very readable, very adapted to the wines. The service of wines by Baptiste was perfect. The service of the dishes was discreet and airy. We even had the chance to taste, offered by the restaurant, a Green Chartreuse of the early 40s, masterful and very strong, with a degree of alcohol imposing the diabolic sweetness.

In a happy and laughing atmosphere, we had a remarkable dinner in every way.

217ème dîner au restaurant Michel Rostang jeudi, 19 octobre 2017

Le 217ème dîner se tient au restaurant Michel Rostang. La mise au point du menu s’est faite avec le chef Nicolas Beaumann dans une ambiance très agréable de compréhension mutuelle. Nous avons recherché la cohérence des plats, à ne pas troubler par des ajoutes qui contrediraient le message principal et nous avons décidé que les sauces, chaque fois qu’on le pourrait, seraient servies à part, dans un petit récipient pour chaque convive, à côté de l’assiette du plat.

Les vins ont été livrés il y a une semaine, remontés à 17 heures pour l’ouverture des vins. Baptiste, l’intelligent et compétent sommelier m’a accompagné tout au long de cette opération cruciale. Un phénomène s’est produit qui m’a étonné : presque tous les bouchons ont été extrêmement difficiles à retirer, comme s’ils étaient boursoufflés par un événement climatique tel que, probablement, une variation de pression atmosphérique. Un nombre anormalement élevé de bouchons se sont déchirés ou émiettés à la remontée. J’ai mis beaucoup plus de temps que d’habitude pour retirer les bouchons. Les odeurs des vins sont encourageantes, la plus belle étant celle de l’Yquem 1961, parfum d’une sensualité rare, suivie de celle d’une bouteille émouvante à ouvrir car elle a 121 ans, un Sigalas-Rabaud 1896. Le seul vin qui me préoccupe est le Musigny de Vogüé 1978. A l’ouverture le nez est délicieusement bourguignon, avec un caractère rêche et terrien. Mais en sentant de nouveau le goulot, je me demande s’il n’y a pas un risque de bouchon. Je verse un peu de vin dans un verre et il n’y a pas de nez de bouchon mais un nez imprécis. Le vin que je goûte est fade et plat. Il faudra que je surveille son évolution. Tous les autres vins ne me soucient pas.

Nous sommes dix dont deux femmes, et il existe un lien professionnel entre tous, la table ayant été constituée à l’initiative d’un ami habitué de mes dîners. Michel Rostang et son épouse que mon ami Stéphane connaît bien nous accueillent avec de larges sourires.

Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Mumm Cuvée René Lalou magnum 1973. La bouteille est d’une grande beauté et marquée sur une petite étiquette dorée de la mention « Hommage à Madame Point » l’épouse du célèbre chef de Vienne en Isère. L’ouverture faite par Baptiste en cave il y a plus d’une heure n’avait délivré aucun pschitt. Le champagne n’a pas de bulle mais le pétillant est bien là. Le champagne est très rond, accueillant, ouvert et doux. C’est un champagne de plaisir, confortable. Des petits canapés à la sardine lui donnent une longueur spectaculaire.

Je donne les consignes habituelles pour bien profiter du dîner et nous passons à table. Le Mumm continue d’être bu sur d’autres petites préparations qui n’ont pas autant d’effet que la sardine. Celle qui représente une soupe à l’oignon en un cromesquis au contraire raccourcit le champagne qui est malgré tout très plaisant. Il ouvre une porte agréable sur le monde des vins anciens en étant rassurant et cohérent.

Le menu réalisé par Nicolas Beaumann avec son équipe que nous voyons à travers la vitre qui sépare notre salle de la cuisine est : Soupe d’artichaut parfum truffe blanche / Emincé de cèpes et langoustines à cru, caviar Daurenki et consommé de crustacés / Selle d’agneau « allaiton », trompettes de la mort et artichauts rôtis / Lièvre à la royale / Fromage stilton / Mangue marinée « vanille citron vert », sablé aux amandes et opaline mousse légère.

Alors que dans le programme il y a deux champagnes, le premier sera suivi du vin blanc pour assurer la cohérence du menu, car inverser les plats n’aurait pas été possible. Le Bâtard-Montrachet Chanson Père & Fils 1959 se signale surtout par un parfum absolument exemplaire. On pourrait se contenter de sentir ce vin éternellement sans le boire. Ce qui commence à bousculer les certitudes de plusieurs des convives, c’est qu’un vin blanc de de 58 ans puisse paraître aussi jeune. Tempête sous les crânes ! Le vin est joyeux, d’un fruit calme et serein et d’une mâche gourmande. Il forme avec la truffe blanche un très bel accord. J’ai trouvé la truffe blanche un peu terrienne et relativement peu ensoleillée, mais l’accord est un accord de grand plaisir gastronomique avec ce vin de belle plénitude.

J’étais allé voir Baptiste vers 19h30 au moment où il allait ouvrir en cave le Champagne Dom Pérignon Vintage 1966 et j’avais nettement entendu la force de la bulle au moment où elle explose lorsque le bouchon la libère. C’était un beau signe. Quand on me sert, je suis hébété. Le 1966 que j’ai déjà bu vingt fois est pour mon goût l’un des plus grands Dom Pérignon et je suis en face du plus grand 1966 et probablement de l’un des plus grands Dom Pérignon qu’il m’ait été donné de boire. Il est tout simplement extraordinaire et porteur d’une émotion infinie. Tout en lui est parfait. Il est vibrant, sa bulle est conquérante, il est charmeur mais aussi guerrier, prenant possession du palais et le domptant. Je n’en reviens pas et je m’enferme dans ma bulle (si j’ose dire) pour en jouir. La conjugaison cèpes et caviar donne au champagne une gloire qui me ravit. Je viens de vivre un très grand moment avec un champagne vif, cinglant, de longueur infinie.

La selle d’agneau accompagne les deux bordeaux très dissemblables. Le Château Mouton Rothschild 1971 a une très jolie couleur rouge-sang claire. Tout en ce vin est gracieux. Son discours est un madrigal gourmand.

A côté, le Château Haut- Brion 1926 est d’une couleur presque noire. En bouche, ce vin conquérant est lourd de truffe et de charbon. Ce vin est une « gueule noire », l’ouvrier fier de travailler dans sa mine. Mais le vin est aussi noble et profond. Il est riche et plein et là aussi les certitudes tombent puisque ce vin de 91 ans a une vivacité extrême. J’ai depuis longtemps considéré 1926 comme le plus grand Haut-Brion. Celui-ci s’inscrit dans cette ligne d’excellence mais ce n’est pas le plus grand 1926 des sept que j’ai eu l’occasion de boire. Il tient son rang comme on le verra dans les votes.

Le lièvre à la royale de Michel Rostang est une institution. Il se mange à la cuiller et malgré sa force il paraît « léger ». Avant l’arrivée des convives, j’étais allé en cave avec un verre pour goûter une nouvelle fois le Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1978 et je l’avais trouvé plat, presque comme à l’ouverture. J’en avais prévenu les convives. Mais au moment de le servir, Baptiste me dit : « vous allez voir » et le miracle se produit, le Musigny a retrouvé sa grâce, son délicieux message bourguignon fait de subtilité. C’est un très beau Musigny élégant que nous buvons maintenant, sans l’ombre d’un défaut. Ce qui me trouble toujours c’est qu’en cas de retour à la vie, la résurrection est le plus souvent totale, c’est-à-dire que le docteur miracle qui est l’oxygénation lente, joue son rôle à 100%.

Le deuxième Musigny du dîner, le Musigny Duvergey-Taboureau 1949 est très différent du Vogüé. Il est riche, rond et gourmand. On pourrait dire qu’il est un peu moins noble que le 1978, mais l’année 1949 est tellement généreuse qu’elle donne une gourmandise à ce vin de négoce et une générosité qui me ravissent. On est avec un vin rond et joyeux, heureux de vivre.

J’avais déjà fait l’expérience de mettre un vin du domaine de la Romanée Conti en fin de repas et de l’associer à un foie gras poché à une place dans le menu du repas qu’il avait au 19ème siècle. L’accord entre le foie gras poché et la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 est tout simplement magistral. L’accord se trouve avec le foie seul mais aussi avec le foie agrémenté de son bouillon. Et j’aime bien que l’on ait la possibilité de goûter les deux versions. Le vin de la Romanée Conti a une distinction, un charme et une complexité qui le rendent élégant et subtil. Il est d’une grâce pure, comme une ballerine qui marche sur la scène de l’Opéra Garnier. Le vin est long, bourguignon. Sa couleur est joliment claire. Les marqueurs du domaine, la rose et le sel, sont là mais plutôt discrets. On est en présence d’un vin de grâce.

Le stilton est parfait, légèrement salé, légèrement onctueux. Il est exactement ce qu’il faut pour le Château d'Yquem  1961. Ce vin, c’est Fred Astaire, c’est Gene Kelly dans « Chantons sous la Pluie », c’est la facilité du talent ultime. C’est l’Yquem absolu, sans trop de force ni trop de douceur. C’est celui qu’on inviterait à chaque dîner si on en avait le loisir. Il est tellement confortable et tellement au-dessus de tout ce qui se fait de liquoreux. Il y a des Yquem plus typés, plus lourds, plus percutants, mais celui-ci, c’est un Yquem de bonheur.

Mais mon cœur va pencher vers un vin exceptionnel. Le Château Sigalas Rabaud 1896 avait son bouchon d’origine sur lequel on lisait distinctement l’année, comme sur l’étiquette très fatiguée et attaquée par le temps. Le nez de ce vin est profond et subtil. C’est un sauternes riche mais contenu. En bouche il est noble. C’est Sissi Impératrice se présentant au bal avec une robe aux crinolines infinies. La longueur en bouche est extrême, avec du gras et du soyeux. Il y a une affirmation, tout de suite suivie par de la grâce et du charme. Le vin est très foncé, acajou brun, mais il n’a pas le moindre signe de fatigue ou d’âge. Il est grand et le dessert à la mangue lui convient à merveille mettant en valeur sa belle acidité. Je me  recueille pour boire ce vin comme je l’ai fait pour le Dom Pérignon et encore plus le jour où l’on vient d’apprendre le décès à cent ans de Danielle Darrieux. Avoir en main un vin de 121 ans qui n’a pas d’âge mais au contraire a tout d’un jeune premier, cela m’émeut.

Nous allons maintenant voter pour quatre vins sur les dix du repas. Nous sommes dix à voter. Ce qui est pour moi toujours une récompense, c’est que les dix vins ont eu au moins un vote. Aucun n’a été écarté des votes. Plus fort encore, six des dix vins ont été nommés premier. Le Haut-Brion 1926 a été nommé trois fois premier, la Romanée Saint-Vivant 1983 et l’Yquem 1961 ont été nommés deux fois premier et le Dom Pérignon 1966, le Musigny 1949 et le Sigalas Rabaud 1896 ont été nommés une fois premier.

Le vote du consensus serait : 1 - Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 - Château Haut- Brion 1926, 3 - Château d'Yquem  1961, 4 - Musigny Duvergey-Taboureau 1949, 5 - Château Mouton Rothschild 1971, 6 - Champagne Dom Pérignon Vintage 1966.

Mon vote, très différent de celui qui compile les votes de tous, est : 1 - Château Sigalas Rabaud 1896, 2 - Champagne Dom Pérignon Vintage 1966, 3 - Château Haut- Brion 1926, 4 - Musigny Duvergey-Taboureau 1949.

La cuisine a été remarquable, très lisible, très adaptée aux vins. Le service des vins par Baptiste a été parfait. Le service des plats a été discret et aérien. Nous avons même eu la chance de goûter, offerte par le restaurant, une Chartreuse Verte du début des années 40, magistrale et très forte, d’un degré d’alcool imposant au sucré diabolique.

Dans une ambiance joyeuse et riante, nous avons vécu un dîner remarquable en tous points.

Champagne Mumm Cuvée René Lalou magnum 1973 (avec une intéressante étiquette "Hommage à Madame Point")

Champagne Dom Pérignon Vintage 1966 Bâtard-Montrachet Chanson Père & Fils 1959 Château Mouton Rothschild 1971 Château Haut- Brion 1926 Musigny rouge Comte Georges de Vogüé 1978 Musigny Duvergey-Taboureau 1949 Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 Château d'Yquem 1961 Château Sigalas Rabaud 1896 lorsque j'ai ouvert les trois premiers vins, je me suis demandé pourquoi tant de bouchons brisés ? il y a beaucoup de bouchons cassés ou brisés qui m'ont résisté Les bouteilles alignées en cave et alignées au restaurant : cadeau du restaurant : les verres en fin de repas

Anniversaire en famille samedi, 7 octobre 2017

C'est l'anniversaire de ma fille cadette ou du moins les préliminaires de son anniversaire car nous le fêterons à nouveau quand mon fils venant de Miami sera présent. Ma femme a prévu des choses simples. A l'apéritif, une mimolette un peu âgée et une tarte aux oignons avec des tranches de fromage de chèvre qui donnent à la tarte, à la cuisson, l'image de la planète du petit Prince. Les tranches rondes sont comme des pustules évoquant les volcans de la planète de Saint-Exupéry. Il y aura ensuite deux poulets accompagnés d'une purée et de fausses frites, fines tranches de pommes de terre délicieuses et croquantes, puis des fromages.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1971 a un bouchon de belle qualité qui vient assez facilement. Le pschitt est faible mais le pétillant est là. La couleur est d'un orange à peine rosé. La bulle est presque absente. Le nez est pur d'un champagne vineux où l'alcool est contenu. En bouche, ce qui apparaît immédiatement est le confort et le plaisir. Ce champagne est précis, doux, velouté, évoquant des fruits oranges, comme la couleur du vin, tels la pêche et l'abricot. Tout en ce champagne est sympathique. Il est confortable, rassurant. Bien sûr il n'a pas la complexité des champagnes plus typés mais il a une cohérence et une fluidité qui en font un champagne de vrai plaisir. C'est un plaisir franc et direct que nous offre ce Moët. Il y a un peu de râpe, liée à l'alcool, mais c'est le fruit doux et doucereux qui est porteur de plaisir. Sa seule limite est une légère monotonie dans un message un peu trop constant. Ma fille l'a beaucoup aimé ce qui est le principal.

J'avais ouvert à 17 heures un Beaune Grèves Vigne de l'Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1974 de l'année de ma fille, acheté en pensant à elle. Le vin a un niveau à moins d'un centimètre sous le bouchon. Le bouchon se craquèle à la remontée mais vient entier. Le nez à l'ouverture était divin, expression bourguignonne subtile, racée, toute en suggestion. Au moment où je verse le vin, le parfum a gagné en puissance mais a toujours cette subtilité énigmatique de la Bourgogne. Il y a des intonations qui ressemblent à celles des vins du domaine de la Romanée Conti, tant le récit bourguignon est authentique. Il manque un peu de volume à ce vin pour qu'il exprime du velours, mais on n'en est pas loin. C'est un vin qui me séduit car il a toutes les subtilités des années discrètes. 1974 montre une fois de plus que c'est une année qui, en Bourgogne, se révèle d'une immense subtilité. Je suis très heureux que ce vin qui n'est pas tonitruant mais pianote ses subtilités soit d'une si grande précision. Il y a une profondeur dans ce vin que je n'aurais jamais attendue à ce niveau. Sa longueur défie les annales pour ce millésime.

Le dîner se poursuit avec une reine de Saba qui porte les bougies de circonstance et par une mousse au chocolat traditionnelle pour les anniversaires. Le vin et le champagne ont correspondu à mes attentes.

les bougies se soufflent