Yannick Alléno, le magicien des caudaliesmercredi, 23 mars 2016

Le 200ème dîner arrive à grands pas. Il se trouve que le 50ème dîner avait été organisé dans la suite Salvador Dali de l’hôtel Meurice avec la cuisine de Yannick Alléno. Le chef est maintenant à la tête du restaurant Ledoyen où de nombreux dîners mémorables ont été créés avec Christian le Squer. Yannick a été nommé récemment chef de l’année du Gault & Millau. Pourquoi ne pas faire le 200ème dîner au restaurant Ledoyen avec Yannick Alléno ?

C’est Thomas le fils de Yannick qui est mon correspondant. Je vais déjeuner au restaurant puis m’entretenir avec Yannick après le déjeuner pour mettre au point le menu. Mon emploi du temps ayant pris une vitesse de croisière indécente, je n’ai pas eu le temps de trouver un convive, mais ce n’est pas trop grave, car je peux mieux étudier la cuisine et bavarder avec Vincent l’excellent sommelier sur l’adéquation entre les plats et le futur dîner.

Yannick et Vincent ont concocté un menu. Je me laisse guider. Voici le plan de vol : guimauve à la châtaigne, chapelure de griottes et châtaignes / pétales de chou de Bruxelles, extraction de chou frisé / tuile aux algues, mousse d’anguille citronnée / gratiné des Halles moderne. Avec ça, nous sommes encore sur les pistes d’envol, loin d’avoir décollé.

Voici l’envol : avocats restés sur l’arbre 18 mois en millefeuille de céleri, extraction coco aux éclats de chia / dans une coque de pamplemousse brûlée une soupe d’oursin servie chaude, peau de canard croquante au foie gras de canard en amertume, langues d’oursins sur granité iodé / aile de pigeon élevé aux graines de lin et cuite au cédrat, grande sauce neuvilloise / filet de rouget « à la royale », boudins à la chair et encre de seiche, croustillants / bœuf Wagyu Gunma « grade 4 » en aiguillettes « onigris » iodé, langues d’oursin et anguille fumée, céleri rave en croûte d’argile à la cuiller / caillé de lait cru au sel de citron confit, pralin de coriandre et mimolette, bành choï tung croustillant / gavotte au cacao pur, xocolatl à boire, ananas en fruit déguisé, sorbet moderne à la poire et ses cristallines / bogue de coco meringuée en surprise / feuille cristalline chocolatée à croquer, cryo-concentration de lait à la noisette.

Il faut lire ce menu car il représente le fruit des recherches de Yannick Alléno. J’ai bien fait d’être seul car pour étudier tout cela il faut prendre des notes. Voici mes réactions qui sont orientées par un seul but, que les recettes s’adaptent aux vins que j’ai prévus pour le 200ème dîner. Ce n’est pas une critique du talent du chef, dont je suis un admirateur, mais des remarques sur la pertinence des adéquations aux vins anciens.

Ce qui frappe d’emblée, c’est que le chef a extrêmement mûri et atteint un niveau de cuisine exceptionnel. La guimauve ne sera pas adaptée aux vins anciens, ni les pétales de chou de Bruxelles. Il y a des saveurs trop intellectuelles. La tuile et le gratiné seront parfaits.

L’avocat est accompagné d’une gelée extraordinaire. On dirait un Porto. Ce qui est fascinant, c’est l’étagement des goûts que j’avais déjà perçu avec les amuse-bouche. Le goût en finale n’est pas le même que le goût à l’attaque de la bouchée. Et le goût ne finit pas, comme avec un très grand vin. Cette stratification des goûts est assez fascinante et ce qui est captivant c’est que les saveurs finales ne sont pas celles esquissées en début de bouche.

La peau de canard est assez désagréable. Dans la soupe d’oursin il y a des fumets étranges et les langues d’oursin sont trop marquées par les pamplemousses, dont le granité froid serait l’ennemi du vin. Il y a de telles complexités dans ce plat que cela me fait penser à Süskind et son livre le parfum où le héros arrive à trouver le parfum parfait. Souhaitons que Yannick ne connaisse pas son sort.

Ce que Yannick invente est assez fou et l’expression qui me vient est : « Yannick Alléno, le magicien des caudalies », car chaque saveur ne finit jamais.

La première bouchée du pigeon est sublime, et le plat se montre sous un jour de complexité et de cohérence. Les petits quignons de pain sont un peu durs. Le plat est gourmand, parfait pour les vins, mais il est trop fort pour de vieux bourgognes. Il y a trop de poivre et l’accompagnement étouffe un peu le pigeon. La sauce est superbe.

Le rouget est brillant et à l’attaque, tout est cohérent. Je l’aimerais un peu moins cuit. C’est le boudin qui est la vedette, et le rouget devient le faire-valoir du boudin. La sauce est diabolique et folle. Elle aussi a des saveurs à tiroir.

Le Wagyu est divin et avec l’anguille, l’accord naturel marche à fond. La galette de riz est superbe et gourmande. La purée de céleri est apaisante et glisse avec bonheur. Il faut absolument enlever l’oursin pour des bourgognes anciens. L’oursin apporterait quelque chose au plat si on ne s’intéressait qu’au plat. Ce sont les vins anciens qui le refuseront. La sauce est trop marine et pas assez gourmande et un peu trop salée.

On a préparé un dessert à la mangue pour un Yquem du 19ème siècle. La chair de la mangue est parfaite. Il faut supprimer le sorbet, qui rétrécit le palais et si le vinaigre de mangue est envisageable, il faut qu’il soit largement mis en sourdine.

Le dessert au chocolat est divin et au moment du café, une tartelette est un irrépressible péché mortel.

Nous avons commenté les plats avec Yannick et il est parfaitement conscient de la nécessité d’alléger la puissance des plats pour que les vins soient mis en valeur. Il a pris des notes, Vincent a entendu nos échanges, tout semble sur les rails. C’est donc avec Yannick Alléno que se fera le 200ème dîner.

Le repas a été accompagné par un Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1996 dégorgé en février 2015 que j’ai pris au verre. Il a une puissance impressionnante et les notes fumées ou caramélisées lui donnent un aspect de vin ancien. Il est manifestement de haute volée.

J’ai essayé plus tard dans le repas le Champagne Pol Roger Blanc de Blancs 2008 plus vif plus tranchant, plus champagne, ce qui n’enlève rien au charme du Moët.

Oublions un instant le futur dîner. La cuisine de Yannick Alléno montre une maturité très accomplie qui marque un saut par rapport à ce qu’il faisait au Meurice. Je suis fasciné par les déclinaisons de saveurs stratifiées qui iodlent dans la bouche. Ces surprises gustatives m’enchantent. Il y a parfois des saveurs un peu intellectuelles qui quittent le chemin de la gourmandise comme par exemple la sauce du Wagyu dont le caractère marin est trop affirmé. Mais globalement on est au sommet de la gastronomie, avec un voyage des papilles qui est hors du commun. Dans deux mois, nous allons nous régaler.

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