Voyage aux USAvendredi, 21 mars 2003

Certains lecteurs me font l’aimable plaisir d’être sensibles à ce que j’écris. Je raconte ici par le menu mon voyage aux USA pour rencontrer un groupe d’amoureux du vin. Ils se connaissent au travers d’un forum sur le vin où j’écris. Certains amis étaient virtuels. Ils sont devenus réels. Pour ceux qui aiment New York, il y aura l’évocation de ce qu’ils aiment de cette ville si attachante. Pour d’autres il y aura l’évidence de l’invraisemblable générosité d’amateurs, mais aussi le gâchis de boire de si belles bouteilles dans des conditions qui ne sont pas dignes d’elles. J’ai retenu la générosité, et l’envie de perpétuer la stricte exigence de wine-dinners, où les plus belles bouteilles sont bues dans les conditions idéales.

Le voyage démarre à Roissy. Alerte à la bombe. Tout le monde est obligé d’attendre une demie heure avant que le bagage suspect ne soit neutralisé. Après l’enregistrement, attente de plus de trois quarts d’heure avant le passage en douane. On comprend que le plan Vigipirate impose des précautions. Il serait évidemment stupide de penser qu’on devrait en conséquence adapter les effectifs. Avec plus de 50% du PNB consacré à la fonction publique il est évident qu’on ne peut pas produire un douanier de plus. Ce délai me permit de faire la connaissance d’une jeune américaine d’Atlanta qui vit au Togo dans un village de 400 habitants, et les aide à organiser leur agriculture et leur éducation. Pas d’eau,de la viande quelques fois par an. On est loin du concept de wine-dinners. Beau dévouement, et brève rencontre d’une personne désintéressée. Bien sûr, dans l’avion, il faut attendre tous les passagers bloqués à la douane, ce qui fait une heure et demie de retard. Repas dans l’avion. Il faudrait comprendre pourquoi, sur la base de beaux produits, on mange si mal. C’est sans doute très lié au mode de cuisson à l’étouffé, qui étouffe tout. La coquille Saint Jacques semble sortie tout droit de Hollywood. Pas le studio, le chewing-gum. L’agneau a fait plusieurs guerres, et les légumes semblent passés par une essoreuse tant ils sont secs. Très agréable champagne Laurent Perrier, et honnête Aloxe Corton Remoissenet 2000 choisi par Philippe Faure Brac. Le plaisir vient en fait de Suduiraut 1995, bien jeune mais déjà prometteur. Service impeccable d’Air France. Quand des hôtesses ont le sourire, il faut le signaler. A l’arrivée à New York, les formalités de douane m’ont toujours donné l’impression d’un message subliminal : on préférerait que vous ne veniez pas chez nous. Tout est mis en oeuvre pour rebuter. Grand étonnement du nombre très important d’arabes qui viennent à New York. Dans cette période de guerre, cet afflux parait surprenant. Mon voisin d’avion, un entrepreneur américainqui construit des propriétés de luxe en Hongrie m’avait fort aimablement proposé de me conduire en ville. Devant les formalités si longues, différentes pour les étrangers, je l’ai libéré de sa proposition tant il aurait dû m’attendre. J’ai ainsi fait le bonheur d’un chauffeur de taxi mi-grec mi-égyptien qui a fait la recette de sa vie. J’ai la tête du gogo. Lorsque j’arrive, il y a toujours un type en quête d’un bon coup qui me repère. A peine ai-je émergé de la douane qu’on me dit : « taxi? ».J’ai le chic dans ces circonstances pour dire : « oui ». L’homme m’emmène dans un parking éloigné. Une voiture tenant de la poubelle est garée près d’une jolie Jaguar. Il me dit : « hier j’avais la même », ce qui prouve qu’il a un certain sens de l’humour.

Je veux me ranger à l’arrière et me vois forcé de m’asseoir devant. Je me mettais à avoir peur, tant le concept de taxi avec compteur officiel agréé s’effondrait. Où avais-je posé mon séant ? La poubelle part, et mon chauffeur me dit : « on va éviter les bouchons ». Nous partons dans des ruelles obscures et il me dit : « ici, c’est mal famé ». Mon goût de l’aventure s’estompe. Il rend l’âme quand le taxi fait une embardée insensée que j’ai analysée comme une volontéde m’envoyer sur un arbre. J’ai tellement crié que je l’ai tétanisé. « You scared me » dit-il. Il avait voulu éviter un trou dans la chaussée, phénomène assez usuel à New York, de taille telle que sa voiture eut péri. Ce n’est qu’après ce cri – qui l’a traumatisé – que j’ai compris que ce faux chauffeur de taxi voulait réellement aller à destination.

Juste avant d’arriver, ayant sorti de lourds billets que je glisse dans sa main, je le vois sourire explicitement et me dire : « je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sourire ». Je savais : quand on donne à un chauffeur de taxi l’équivalent du budget d’Arianespace pour dix ans, on comprend aisément que le vieux papier peint en fausse toile de Jouy de sa chambre va se métamorphoser en chintz ! C’est écrit.

Le tarif du retour, en taxi normal, m’a fait comprendre le prix de son sourire.

Pendant tout le trajet, une idée me venait. Je pense souvent aux étrangers qui arrivent à Roissy et foncent vers la capitale sur une autoroute jonchée d’immondices. Quelle image donne la France, quand elle n’est pas capable de nettoyer le chemin qui mène à Paris ! D’autant que les visiteurs, le plus souvent en taxi, quand ils en trouvent un, ont le temps de regarder nos bas-côtés si sales. Mais que dire de New York, qui voudrait imposer sa vision au reste du monde, et qui offre une arrivée si laide sur la ville la plus cosmopolite et magique qui soit.

Arrivée à l’hôtel Plaza. Petits problèmes habituels de prise en main de ma chambre. Ces palaces sont des machines difficiles à remuer. Je demande un restaurant. Un concierge sans grande imagination me propose Smith & Wollenski que je connaissais et où j’avais bu des Opus One mémorables. Fatigué de chercher une nouveauté, je dis oui. A l’entrée, la même impression que dans des brasseries allemandes ou suisses : on fait nombre, il y a des salles partout, et il y a un bruit épouvantable. Une volière. Je commande Ridge Montebello 1997, en souvenir d’un cadeau magnifique d’un ami américain. Cette commande donne lieu à un joli dialogue de sourd : je commande un Ridge 1993. Le garçon revient et me dit : « est-ce que vous avez pris conscience du prix qui est marqué sur la carte des vins? », car on est évidemment en dehors des normes traditionnelles de l’endroit. Je dis oui. Il revient avec un Ridge 97 et je lui dis : j’ai commandé un 93. Or c’est moi qui faisais l’erreur. Le 93, c’est la note du Wine Spectator ! Il faudrait être obtus pour penser que ce Ridge n’est pas flatteur. Mais c’est typiquement le vin que je n’aime pas. C’est tout en chêne, comme cet Almaviva que j’ai tant éreinté, et c’est complètement fumé. Plaisant bien sûr, mais dans une direction qui n’est pas la mienne.

La nourriture de Smith & Wollenski (un nom d’armurier mâtiné de dessinateur) a quelque chose d’achevé : c’est calibré sur la base d’une belle qualité et d’une idée simple. La viande est bonne, goûteuse, et la pomme de terre existe. On comprend le succès de l’endroit. Le sommelier ou plutôt le serveur,intrigué par ce buveur de vins inhabituels, m’offre un cognac que seul un palais américain peut adorer (au nom de la loi sur la condamnation des propos racistes, j’admets être et responsable et coupable de ce propos injurieux). Dieu, dans sa sagesse si souvent peu évidente, a-t-il décidé de punir Napoléon en l’affublant de cognacs le plus souvent imbuvables. Mais pourquoi le faire subir aux américains ?