Vinexpo : le final, la fête de la Fleurjeudi, 21 juin 2007

Le point culminant et final de Vinexpo est la « Fête de la Fleur » qui tient sa 56ème édition au Château Smith Haut Lafitte. C’est aussi l’occasion de célébrer le 20ème anniversaire de l’appellation Pessac-Léognan. L’événement a de l’importance, aussi ce seront 1.500 personnes qui participeront, avec un nombre de prétendants déçus bien supérieur. Beaucoup de nations sont représentées, mais la fine fleur (c’est le cas de le dire) du vignoble bordelais est fidèle au rendez-vous.

Florence et Daniel Cathiard ont fait un gigantesque travail d’organisation car le dîner se tient dans les chais vidés de leurs 1.500 barriques déplacées pour peu de temps dans le hall de stockage des bouteilles.

Quel joli couple, exemplaire, qui a fait un travail exceptionnel pour que cette fête soit une réussite.

Lorsque l’on dépasse une certaine taille, les problèmes deviennent exponentiels. Les parkings sont très éloignés et c’est en petits trains comme ceux du jardin d’acclimatation du Bois de Boulogne que l’on rejoint le lieu de réception des invités. Malgré un petit balai passé sommairement sur les bancs en skaï, la poussière pénètre partout. Dans la cour d’entrée, des stands sont tenus par de ravissantes hôtesses habillées comme de carrés Hermès avec des couleurs vives toutes différentes, qui ne semblent pas apprécier qu’on les ait affublées d’espadrilles aux longs lacets. Sous une immense tente, les crus de Pessac-Léognan, beaucoup plus nombreux que lors de la soirée à Haut-Bailly où il n’y avait que les crus classés, sont offerts à cette belle assistance. Je goûte quelques vins déjà bus il y a cinq jours et Haut-Brion 2004 me semble refaire une partie significative de la différence que j’avais trouvée avec La Mission Haut-Brion 2004, alors à l’avantage de ce dernier. De délicieux canapés et petits toasts permettent de mieux déguster ces grands vins en dilettante, car l’important est de bavarder avec les personnes que l’on connaît : Sir Michael Broadbent et son épouse, mon idole dans le domaine des vins anciens, Andrée Médeville et son mari, Pierre Lurton et Carole, Olivier Bernard et Anne, Charles Chevallier et son épouse, Bernard Magrez que je vais saluer car je n’avais pu converser avec lui lors du dîner à Haut-Bailly alors que nous étions à la même table, Michel Bettane, très décontracté, Thomas Duroux de Palmer, et le Comte von Neipperg dont l’épouse ferait pâlir de jalousie toutes les impératrices Sissi, de très nombreux vignerons et des professionnels que je connais.

Pendant ce temps, sur une pelouse, la Commanderie du Bontemps, Médoc et Graves, Sauternes et Barsac sous l’efficace houlette de son président Jean-Michel Cazes, intronise à tour de bras de nouveaux Commandeurs. Il faut prononcer plusieurs fois avec des accents différents les noms de plusieurs impétrants asiatiques qui ne réagissent pas quand on les appelle.

J’ai vanté le sourire légendaire de Véronique Sanders, dans le compte-rendu du dîner à Haut-Bailly. N’ai-je pas raison ?

Jeff Leve, chez qui j’étais allé à Los Angeles pour partager des vins, est ému d’être intronisé. A ses côtés, le souriant Olivier Bernard qui nous avait reçus au Domaine de Chevalier

Cette cérémonie répétitive comme les mariages à Reno n’intéresse en fait que les petits groupes de gens concernés. On annonce qu’Alain Juppé et son épouse viennent d’arriver et tout devient plus fébrile, les journalistes et photographes sentant que c’est cela qui est important. Philippine de Rothschild, Patrick Poivre d’Arvor sont photographiés à qui mieux mieux ainsi que le prince du Danemark intronisé ce soir.

Tout cela prend un temps considérable.

Faire entrer mille cinq cents personnes qui bavardent dans un chai et les faire s’asseoir prend bien une heure et demie. A ma table il y a plusieurs journalistes, mais ce sera peine perdue de chercher à communiquer avec eux car le traiteur étant le même qu’à Haut-Bailly, ce sont les mêmes tables qui ne permettent de parler qu’à ses seuls voisins immédiats. Il y a là sans doute une piste de progrès. Je discuterai plus particulièrement avec un ami collectionneur qui a des séries impressionnantes de quelques vins de prestige et avec lequel nous avons bu quelques grands flacons dans de beaux endroits et je ferai connaissance avec un sympathique et dynamique jeune courtier en vin de la place de Bordeaux.

Jean-Michel Cazes fait un discours tonique et efficace (c’est-à-dire pas trop long) d’introduction tandis que le président de l’appellation Pessac-Léognan, moins entraîné à cette gymnastique, fait un discours particulièrement convenu qui se perd dans le brouhaha. Le Prince du Luxembourg conclut ces introductions par un speech précis et fait lire les remerciements du Prince Albert de Monaco au sujet du don que cette soirée fera pour les œuvres caritatives du Prince. Il est à noter que lorsque l’on annonça la présence d’Alain Juppé les applaudissements furent insistants, certains allant même jusqu’à vouloir lancer une standing ovation, ce qui fit dire à mon voisin de table : « la France aime les perdants, ce n’est pas gagné ! ».

Les vins viendront aux tables en processions rythmées par un jeune tambour. Voici le menu : tartare de bar en surprise au caviar d’Aquitaine / jarret d’agneau « oublié au four » / l’ardoise du maître fromager / diagonale sucrée. Donner du poisson cru à une telle table et par une telle chaleur est un risque certain. Comme l’air circulait mal dans les chais, les bougeoirs brûlant tout l’oxygène, j’eus peur de ressentir les symptômes des mêmes maux que ma femme à El Bulli, mais les vins de Bordeaux font des miracles. Nous avons bien dîné.

Le Smith Haut Lafitte blanc 2000 a un nez d’une puissance invraisemblable, presque excessive. En bouche, le vin est plus civilisé et c’est un agréable blanc fruité à consommer avec modération car il pourrait être entêtant. Dans cette atmosphère chaude et moite, le Château de Pez 2001 ne me parle pas. Je ne vois aucune aspérité à laquelle m’accrocher. Le Smith Haut Lafitte rouge 2000 pourrait m’attirer plus, mais décidément, après cette semaine, je n’ai pas l’esprit à ces vins là, à rejuger dans d’autres occasions.

Le Rauzan-Ségla 1996 ne m’attire pas beaucoup plus ce qui montre bien que la lenteur obligée du service, la chaleur des chais, pèsent sur mon jugement.

C’est en fait le Château Haut-Brion rouge 1998 qui marque mon retour à la vie, car je me dis, sans autre forme de procès : « ça c’est du vin ». Qu’on ne se méprenne pas, c’est l’observant qui n’est pas en forme, pas les observés, tous vins de qualité. Les fromages sont délicieux, les serveurs très attentifs, la vie est belle. Comme l’on finit le repas sur Yquem 1998 je vois à ma table mais fort loin car il est impossible de se parler une journaliste au visage fermé pendant le repas qui s’anime enfin comme une gamine qui aurait gagné le titre de Miss Léognan, car pour elle Yquem, c’est un vrai cadeau du ciel. Elle a cette réflexion que j’ai entendue souvent lorsque certaines personnes atteignent enfin de tels vins de légende : « c’est peut-être la seule fois de ma vie que j’en boirai ». J’espère qu’elle l’aura trouvé à son goût. Yquem sera toujours Yquem, il est toujours présent au rendez-vous, même dans une année qui n’est pas la plus célébrée.

Le dessert est en trois parties dont une est un ennemi déclaré des sauternes (boule de glace enserrée dans une coquille en chocolat) mais est-ce important quand ce qui compte, c’est l’immense générosité de toute une profession.

A noter, car c’est plus amusant que critique, qu’à ma table, l’enveloppe en chocolat a été délaissée par tous.

On remonte les marches en constatant l’incroyable écart de température pour assister à un feu d’artifice absolument spectaculaire et d’une rare émotion car la musique ponctue les envolées irréelles qui nous font redevenir de tout petits enfants pendant qu’une danseuse crée elle-même un feu d’artifice par ses mouvements gracieux. Le serveur qui officiait à notre table est près de moi et me dit qu’il emmagasine tous ces souvenirs pour les raconter à ses enfants. Son enthousiasme et sa fraîcheur, ses yeux qui brillent me ravissent le cœur autant que la féerie qui embrase les vignes. Si le Smith Haut Lafitte 2007 a un goût de pierre à fusil, on saura pourquoi !

Les discussions vont bon train avec du champagne Gosset délicieux qui sera vite épuisé tant il provoque une soif d’en reprendre et avec un cognac Tesseron 1953 absolument remarquable de maturité. Je bavarde avec mes amis de Las Vegas et avec une jeune femme qui m’interroge sur certains de mes récits. Je crois qu’il s’agit d’une journaliste qui s’informe. La rusée joue de mon ignorance, car c’est la fille d’un des vignerons emblématiques de Bordeaux. Nous avons discuté pendant de belles heures pendant qu’un orchestre jouait très fort des hits d’une autre époque pour des danseurs courageux. Son intelligence est aussi brillante que la réussite de son vigneron de père, entrepreneur de génie. Le retour aux voitures est une expédition qui fait de Livingstone un explorateur de square. Quand je me jette dans mon lit à l’heure où le soleil se demande pourquoi il doit se lever si tôt uniquement parce qu’il est écrit sur le calendrier que c’est le jour le plus long, j’ai un sourire heureux car en une semaine j’ai rencontré de grands vignerons que j’apprécie et dont j’adore les vins. Se trouver au milieu d’un secteur économique qui se porte bien, qui innove et garde ce sens de l’accueil unique au monde, c’est un plaisir que je ne boude pas.

Quels sont les flashes que j’aimerais mettre en avant de cette riche semaine ? C’est tout d’abord le sourire de Véronique Sanders et son discours élégant, c’est la générosité souriante d’Olivier et Anne Bernard, avec de beaux vins de toutes régions, c’est l’éblouissante présentation des premiers grands crus classés de 2001 dans le musée d’art contemporain, c’est le raffinement d’Alexandre de Lur Saluces, c’est l’Yquem 1954 au charme d’une rare subtilité, c’est le rayon de soleil qui se couche sur les vignes d’Yquem, le charme de Bérénice Lurton, la grâce de May Eliane de Lencquesaing, le sourire d’Andrée Médeville, la tonicité de Florence Cathiard qui aura organisé une fête spectaculaire où chaque détail a participé à la réussite, c’est ce feu d’artifice et cette discussion finale avec une jeune femme à qui je prédis un grand avenir dans le monde du vin ou le monde qu’elle se choisira.

Bordeaux sait recevoir, Bordeaux sait faire vivre son image de perfection. Tout aura contribué en cette semaine à faire aimer encore plus ses vignobles, ses vins, et les hommes et les femmes qui créent les nectars qui embellissent notre vie. Merci, mille mercis à ces vignerons généreux qui font l’excellence française.