Vinexpo – dîner au Chateau Haut-Baillymercredi, 24 juin 2009

Le troisième dîner auquel je participe à l’occasion de Vinexpo est celui du Château Haut-Bailly. Lorsque j’arrive, Noémie Ruelloux, responsable de la communication du Château me dit : « bonjour monsieur Audouze ». Il est toujours agréable d’être reconnu quand on n’est pas connu. Robert Wilmers, propriétaire du château et son épouse accueillent les invités à l’entrée ce qui est une attention qui mérite d’être signalée. Véronique Sanders a un sourire dont le pouvoir est au moins aussi désarmant que celui de Sainte Geneviève matant les Huns. Elle dirige les arrivants vers les chais où les dix millésimes récents sont à déguster. Faisant mine de ne pas être foncièrement concerné par des millésimes si jeunes, le sourire impérieux me dicte : « tu dois ».

Le premier vin à boire est le Château Haut-Bailly 1999. La bouche de l’après-midi n’est pas encore prête et n’a pas ses repères. Mais je note que le vin de belle structure est plaisant avec beaucoup de charme. Les vins sont servis par toute l’équipe qui fait le grand Pessac-Léognan, que l’on sent passionnés. L’homme qui me sert le 1999 oublie de me diriger vers le 2000 et il fait bien. On verra pourquoi.

Le Château Haut-Bailly 2001 est très élégant. Son nez est végétal, évoquant du cassis qui n’est pas encore mûr. Le vin est frais et souple, glisse bien en bouche. C’est un vin de vrai plaisir. Le Château Haut-Bailly 2002 est plutôt une surprise. J’attendais un vin plus plat or il est assez nerveux. Même s’il n’est pas débridé, c’est un vin agréable.

Le Château Haut-Bailly 2003 a un nez très fort et poivré. Il est assez bizarre en bouche car il manque un peu de cohérence. Il demande quelques années encore pour s’exprimer vraiment. Le Château Haut-Bailly 2004 a un nez de pierre à fusil. La bouche râpe un peu, avec des notes végétales et vertes, mais c’est un vin de caractère que j’aime beaucoup. C’est une très belle surprise.

Le Château Haut-Bailly 2005 a un nez très racé. En bouche c’est un grand vin mais encore fermé. Il va se révéler et promet de montrer une grande élégance. Le Château Haut-Bailly 2006 a un nez épicé et une bouche gourmande. C’est un bel exemple d’un Haut-Bailly classique et généreux.

Le Château Haut-Bailly 2007 a un nez soyeux et riche. Mais en bouche le vin manque de corps. Il est assez faible et manque de complexité. Le Château Haut-Bailly 2008 a un nez très pur, combinant le poivre et le velouté. La bouche est très élégante, avec un peu d’astringence et un final rêche. Tout est réuni pour qu’il devienne grand.

Je me dirige alors vers le Château Haut-Bailly 2000 au nez superbe d’élégance que la bouche confirme. Ce vin est maintenant d’un génial accomplissement. Il est superbe, un peu râpeux, et follement excitant. C’est incontestablement celui que je classe en premier, mais, précision d’importance, c’est aujourd’hui, à ce stade de son évolution, comparativement au stade actuel d’évolution de ses puinés. J’en profite pour revenir au Château Haut-Bailly 1999 au nez superbe, qui même s’il n’a pas la largeur du 2000, constitue une belle surprise de plus.

Je croise plusieurs amis dont Andreas Larsson, meilleur sommelier du monde de la promotion 2007, Eric Beaumard, le truculent directeur du Cinq et sommelier à l’immense talent qui me raconte son dîner d’hier à Château Latour qui a failli m’étrangler de folle jalousie.

Sortant du chai je fais un salut militaire à Véronique pour lui signifier que la mission est accomplie et quêter un sourire de plus et je rejoins les beaux jardins du château face aux vignes et au soleil encore vivace où de délicats canapés se croquent sur un Champagne Pol Roger non millésimé toujours aussi plaisant à boire. On bavarde au soleil couchant avec un monde cosmopolite.

Le dîner est placé. Les tables ont des noms de fleurs et la mienne est « pensée ». A cette table deux québécois qui gèrent « SAQ », la société des alcools du Québec qui dispose d’un monopole de la distribution des vins au Québec, le jeune sommelier du Beau Rivage à Genève accompagné de son père, un négociant suisse de vin d’origine belge et son épouse, un journaliste du vin qui est aussi vigneron à Collioure, le représentant français d’un magazine qui se dit « the world’s best wine magazine » et l’acheteuse de vins du plus grand caviste européen avec qui j’avais déjà partagé le merveilleux dîner ici-même pour l’ouverture de Vinexpo il y a deux ans. Les discussions sont riches, animées et passionnées.

Le menu est intitulé « Harmonies, Couleurs, Saveurs par Michel Roth », le talentueux jeune chef du Ritz. Il consiste en : foie gras infusé au vin de l’année / agneau en écrin d’herbes fraîches / gouda millésimé, recette de la maison / pêche à l’hibiscus. Nous commençons par le Château Haut-Bailly 1998. On ne goûte pas les vins de la même façon selon que l’on est debout dans un chai ou assis en début de repas. Le nez du vin est assez discret. Le goût est puissant, de belle structure. Je retrouve une jolie râpe et un gentil poivre. Ce vin est très intéressant et le mariage avec le foie gras est parfait.

La chance m’abandonne avec les deux vins suivants. Le Château Haut-Bailly en magnum 1988 est poussiéreux ce qui gâche le plaisir. Mon voisin sommelier n’a pas la même carafe et nous échangeons nos verres pour constater que le sien est nettement meilleur. Le Château Haut-Bailly en impériale 1978 a une couleur de thé fatigué. Le goût va vers le thé poivré. Le vin est plus fatigué qu’il ne devrait l’être. Il se réveille dans le verre et prend un autre corps. Curieux, je bénéficie de la générosité d’un convive d’une autre table pour vérifier que j’avais une mauvaise pioche car le 1988 et le 1978 qu’on me laisse boire sont nettement meilleurs. Le Château Doisy-Daëne 2005 a un nez incroyablement vert, de feuille d’artichaut. Tout cela présage un infanticide. Il n’en est rien, car la bouche est beaucoup plus amène. Le vin est fruit confit, ananas confit, très dense, avec une jolie fraîcheur. Servi bien frais il est extrêmement élégant Il se marie divinement à la pêche.

Robert Wilmers fait un sobre discours d’introduction, Véronique est aimable dans son propos et exhorte les journalistes et écrivains du vin à écrire sur son vin. Elle rend un hommage particulier à Eric Beaumard qui commente les vins du repas avec Andreas Larsson. Eric insiste sur le renouveau qualitatif apporté par la volonté de Robert Wilmers, par le talent et la sensibilité de Véronique Sanders et par l’apport conceptuel et œnologique de Denis Dubourdieu, tout sourire.

Michel Roth vient nous saluer. Il est chaudement applaudi pour la qualité de sa cuisine, dont Véronique et Eric disent qu’elle a produit des accords divins. Sans vouloir jouer à couper les queues de cerise en quatre je ferai quand même un commentaire parce que le sujet me tient à cœur. Les accords fondamentaux ont été d’une précision absolue. L’accord du foie gras avec le 1998 est absolument parfait. L’agneau est magistral et l’on comprend la pertinence des compliments, car le mariage avec le 1988 est parfait. Mais les à-côtés troublent ces divins mariages. Les trois cerises avec le foie gras font peur au palais qui se retire sous sa coquille, car la cerise, si elle devait équilibrer le foie, se justifierait, alors que c’est le rôle du 1998 de trouver la balance parfaite. Véronique avec qui j’en parlerai le lendemain me dira que les cerises forment une respiration du palais. C’est une conception qui n’est pas la mienne.

Les tranches de pomme et la confiture frottée au gouda très fort sont difficilement acceptées par le 1978. Les accords majeurs sont donc d’un art consommé, mais les ajoutes font reculer le palais de quelques cases. Une mention spéciale doit être donnée au dessert, dont la cohérence est parfaite avec le jeune liquoreux. Mon avis ne doit pas masquer le principal, car les accords majeurs sont divins. Le dîner a été d’une grande élégance et d’une grande justesse dans l’essence des plats.

Après le repas, les bavardages continuent sur la pelouse. Un café avec mignardises est servi aux couche-tard. Ce que je retiendrai de cette soirée, c’est d’une part l’élégance coutumière de la réception dans cette belle propriété. Tout est attentionné et délicat. Et je retiendrai une fois de plus l’élégance de ce vin de Bordeaux qui jamais ne surjoue, préférant la carte de la sincérité, de l’authenticité et de la cohérence. Mille mercis pour une belle soirée d’amitié et de générosité.

Les photos

Le petit dernier et le chai de dégustation

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le symbole de notre table – chaque château a une assiette à son nom sur le même modèle

les cerises et le foie gras – le délicieux agneau

le gouda et la somptueuse pêche dorée à l’or fin