Verticale exhaustive des « quilles » du champagne Lanson et déjeuner aux Crayèressamedi, 25 mars 2017

Lors d’une récente visite à l’hôtel Les Crayères à Reims, lorsque je suis allé au bar avant un repas auquel je devais me rendre, quelqu’un de l’hôtel, était-ce un sommelier, a proposé de me présenter à un vigneron qui est assis à une table avec plusieurs personnes. Nous nous présentons. Philippe Baijot est président des champagnes Lanson. Je lui dis que dans ma famille, Lanson jouissait dans les années 50 d’une grande notoriété et on le retrouvait sur la table de mes grands-parents. Je signalai aussi que tout récemment, nous avions ouvert avec des amis des Lanson Red Label dont le 1971 et le 1961.

Cette introduction lui plaisant, Philippe Baijot m’invita à venir le rejoindre au siège de sa maison de champagne pour une dégustation extensive des champagnes qui ont utilisé la forme de quille si caractéristique de cette maison. Des mails se sont échangés et le jour dit je me présente au siège de la maison Lanson à Reims.

Le hall d’entrée présente des évocations d’un passé prestigieux et des touristes étrangers, surtout asiatiques, écoutent les explications. Marie-Albane d’Utruy me conduit directement dans la salle de dégustation puisque j’ai déjà fait la visite des chais il y a trois ans. Hervé Dantan, le maître de chais qui va conduire la dégustation me rejoint dans cette salle sombre entourée des impressionnantes cuves de stockage et de maturation. Seule la table est éclairée du plafond, formant un halo de lumière central.

Hervé va chercher les flacons, tous des quilles (c’est la seule fois où j’accepte qu’on utilise le mot quille car lorsqu’un amateur de vin utilise ce mot quille, ça me choque autant que lorsqu’on me dit que j’ai travaillé dans la ferraille, alors que les sociétés que je dirigeais vendaient de l’acier). Il y a face à nous, bien alignés, treize flacons, soit cinq magnums et huit bouteilles. Dix flacons ont été ouverts et dégorgés le matin même, et trois bouteilles ont encore leur bouchon et leur muselet car il s’agit de bouteilles dont le dégorgement est d’origine, c’est-à-dire fait au moment de leur commercialisation.

Je constate que certains niveaux sont assez bas. Il se peut que ces bouteilles aient été bues auparavant mais la fraîcheur lors de la dégustation montre qu’il s’agit de bouteilles ouvertes tout récemment. Pour trois années, nous allons comparer le champagne en magnum et en bouteille de dégorgement sur l’instant ainsi que la bouteille au dégorgement d’origine. Pour deux autres années où il n’y a pas en stock de bouteilles au dégorgement d’origine nous ne boirons que magnum et bouteille au dégorgement sur l’instant. L’alignement est impressionnant.

Marie-Albane voudrait nous laisser seuls mais Hervé fort aimablement lui permettra de goûter quelques-uns de ces trésors. Nous avons devant nous les seules années où les bouteilles en forme de quilles ont été utilisées, 1975, 1971, 1969, 1966 et 1964.

Les vins de tous ces champagnes sont à 51-52% pinot noir et 48-49% chardonnay, et sont tous des grands crus. Nous commençons par le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1975 et le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1975. Au nez, on sent tout de suite que la bouteille a vieilli plus vite ce qui paraît assez logique. Nous verrons plus tard que la logique ne sera pas toujours respectée.

Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1975 est gourmand, très pâtisserie. Il est complexe et d’une belle précision. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1975 est plus évolué mais gourmand. Le magnum est plus vif, pâtisserie, craie et minéral. La bouteille est plus gastronomique car plus évoluée et réclamerait un plat pour s’exprimer. Les deux vins se caractérisent par précision et noblesse.

Pour le millésime 1971 nous avons les trois versions. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1971 a un nez plus pointu et plus noble. La matière est superbe, florale et je sens une pointe végétale d’anis et de fenouil. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1971 a un nez de champignon frais. En bouche ça va, mais les notes de champignon et de sous-bois limitent l’amplitude du champagne. Le Champagne Lanson dégorgement d’origine bouteille 1971 a un rythme très dansant. C’est un vin très rond, mais marqué aussi d’un peu de champignon. Le magnum est superbe de jeunesse. Champagne très grand, il a la fraîcheur, la précision et une belle minéralité. La bouteille devient meilleure, avec des évocations salines d’huître. Le vin est tendu et strict mais il y a quand même le champignon dans le finale. La bouteille au dégorgement d’origine n’est pas parfaite. Il faut peut-être attendre qu’elle se reconstitue. On note cependant une petite pointe de bouchon qui fait douter de son retour à l’excellence.

Pour le millésime 1969 nous avons aussi les trois versions. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1969 a un nez qui très semblable à celui du 1971 magnum. C’est le champagne parfait. Dès le premier contact, il est parfait. Il a tout pour lui. Il combine la tension et la douceur. Je note : « c’est le gendre idéal ». Il a des fleurs blanches et il est gourmand. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1969 est une très belle bouteille, avec une belle tension. Pour moi il serait presque meilleur que le magnum. Le Champagne Lanson dégorgement d’origine bouteille 1969 est assez intéressant mais on ressent l’âge. De plus il est un peu champignonné. Le magnum est plus vif et la bouteille au dégorgement sur l’instant est plus sexy et plus large. Je préfère la bouteille au magnum parce que j’aime les vins plus évolués. Hervé est plus hésitant sur cette préférence. La bouteille au dégorgement d’origine montre des notes liégeuses qui la condamnent.

Pour le millésime 1966 nous avons aussi les trois versions. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1966 a une couleur particulièrement claire, signe de jeunesse. Cette couleur est incroyable. Le nez du magnum est fabuleux. Il est inutile de décrire ce parfum car c’est la perfection absolue, l’archétype du parfum parfait ou du parfait parfum. Il est tout en finesse et équilibre, tout simplement immense. L’attaque est belle, le champagne est floral avec de petits fruits jaunes, mais il est trop strict. C’est un champagne qui n’est pas sexy et qui ne se livre pas, la bouche ne suivant pas la magie du nez.

Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1966 est bouchonné. Curieusement j’avais dû utiliser mon tirebouchon pour retirer le bouchon provisoire mis ce matin, qui s’est cassé au moment où Hervé a voulu servir ce champagne. Le nez de bouchon ne se retrouve pas en bouche mais le vin n’est pas parfait.

Le Champagne Lanson dégorgement d’origine bouteille 1966 a un nez plus grand que celui de ses conscrits et il n’a pas de signe de vin passé. Il est gourmand, joyeux, fruité, au finale un peu amer mais sans que cela gêne. C’est un très joli champagne ancien. Fort curieusement le nez du magnum si extraordinaire se referme.

Entretemps, le magnum de 1969 est repassé dans mes classements devant la bouteille.

Pour l’année 1964 il n’y a que les deux bouteilles de dégorgement sur l’instant. Les couleurs des deux champagnes sont très belles et très claires. Le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1964 a un nez très floral. Ce nez est superbe. La bouche est brillantissime. C’est à mon avis, partagé par Hervé, de loin le gagnant de cette verticale. Le finale est de fruits roses. C’est le plus abouti de tous les vins et le finale le plus beau. Il a une grande fraîcheur, il est romantique, avec des évocations de groseilles blanches. Son finale est unique par rapport aux vins des années précédentes.

Très curieusement, le Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1964 est strictement identique au magnum avec un nez plus discret mais une bouche que je trouve encore plus aboutie.

Le classement final sera : 1 – Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1964, 2 – Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1964, 3 – Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1969, 4 – Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1969, 5 – Champagne Lanson dégorgement d’origine bouteille 1966, 6 – Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1966. Les 1964 sont très au-dessus des autres champagnes car ils n’ont pas les amers aussi prégnants que ceux des vins plus jeunes.

J’ai particulièrement apprécié cette verticale pour plusieurs raisons. Pour moi, la décennie la plus passionnante en champagne est celle des années 60. Dans cette décennie, je classe 1964 et 1966 en haut, avec deux personnalités très différentes, puis il y a 1969, 1962 et 1961 toutes intéressantes. J’ai donc pu aborder des vins que j’aime. Je suis un peu étonné que les vins de dégorgement d’origine ne se soient pas mieux comportés et je me demande s’il n’y a pas un problème de conservation qui est apparu à un moment ou à un autre dans les caves de Lanson, de température ou d’hygrométrie. Il est aussi à noter que les amers sont plus importants dans les plus jeunes vins comme 1971 et 1975. On a donc bien fait de boire les vins dans l’ordre du plus jeune au plus ancien.

Il faut décider de ce que nous apporterons à table puisqu’un déjeuner est prévu avec le président, Hervé et moi. Ayant le choix je retiens Champagne Lanson dégorgement sur l’instant bouteille 1964, Champagne Lanson dégorgement sur l’instant magnum 1964, Champagne Lanson dégorgement d’origine bouteille 1966 et Hervé se souvient qu’en 2013 lors d’une autre dégustation ici-même, j’avais retenu les 1964.

Nous nous rendons à l’hôtel Les Crayères et nous allons directement au restaurant sans faire d’arrêt par le bar car ce que nous avons bu représente un apéritif consistant.

Nous choisissons le menu « La Découverte » qui comporte : asperges vertes et couteaux cuits à l’eau de mer, champignons roulés dans un dashi au beurre de salicorne / cabillaud de ligne à la vapeur d’agrumes, radis et betteraves multicolores au poivre Timut / magret de canard doré au sautoir, pomme fondante et duxelles de morilles / chaource foisonné à l’huile de noisette, coulis de cresson, dés de brioche craquante / soufflé chaud au praliné amandes, sorbet et confit de citron.

J’ai apporté un vin à partager avec mes hôtes pour montrer les ponts qui peuvent exister entre les saveurs et les énergies des champagnes et d’autres vins. Philippe Jamesse me demande si je veux faire découvrir le vin à l’aveugle mais comme je vois qu’il y a des champignons dès le premier plat, je préfère que nous buvions le vin à découvert. C’est un Vin Jaune Château l’Etoile JH. Vandelle & Fils 1969 dans une jolie bouteille clavelin. Les quatre vins sont donc servis ensemble. Il est absolument fascinant de voir à quel point le vin jaune élargit les champagnes lorsqu’on les boit juste après avoir bu une goutte de vin jaune. Celui-ci est particulièrement puissant et de forte personnalité. Il est incroyablement imprégnant mais sait aussi se faire gastronomique. Sur toutes les saveurs secondaires comme les champignons, il est merveilleux, à la longueur infinie. Et les champagnes en profitent. La couleur du vin jaune est la plus dorée des quatre vins.

Déjà, tout naturellement, les champagnes à table ont pris une largeur qu’ils n’avaient pas en cave car la superbe cuisine de Philippe Mille leur donne plus de personnalité. J’avais demandé à Philippe Jamesse de changer le fromage pour un plat qui conviendrait mieux au vin jaune et nous avons eu la chance et la bonne surprise d’avoir un saint-nectaire farci de noix de Pécan puis des champignons et gnocchis au vin jaune. L’accord fut à se damner. Qu’il est agréable d’avoir un restaurant où la cuisine est aussi réactive. Les trois champagnes ont été parfaits, aux robes beaucoup plus dorées qu’elles ne l’étaient en cave, ce qui a fait rêver le jeune japonais qui mangeait seul à la table voisine. L’harmonie des quatre vins bus ensemble était totale. Et mes hôtes ont pu constater à quel point le vin jaune est comme la perche qui propulse le sauteur à la perche. Il apporte un supplément d’énergie.

J’avoue que j’étais sur un petit nuage de participer à une telle expérience gastronomique avec des vins de cette qualité.

Tout fut parfait, depuis cette exploration d’une période bénie pour les champagnes Lanson jusqu’à ce repas d’une grande harmonie. Grand merci à la générosité des dirigeants du champagne Lanson.

le bouchon du Lanson 1971 dégorgement d’origine

avec Hervé Dantan

on voit les couleurs des champagnes, plus dorées qu’en cave et le vin jaune est au premier plan