Une incroyable plongée dans le monde de la Romanée Conti avec 46 vins du domaine dont 15 Romanée Conti, dont 6 préphylloxériquesdimanche, 16 décembre 2012

Avertissement : il est apparu en 2014 que le « White Club » a eu l’habitude de pratiques frauduleuses. Certaines bouteilles ont été utilisées à plusieurs dégustations, ce qui conduit à penser qu’il y a eu des faux lors de cette dégustation. Les commentaires ne sont pas modifiés, mais cela montre que lorsque l’on est influencé par l’ambiance d’un événement que l’on croit authentique, on peut se laisser abuser. J’ai aidé les enquêteurs de cette affaire en fournissant mes témoignages et mes photos. Nul n’est à l’abri de ces faussaires.

1 – l’inscription
Au moment où j’écris ces lignes, je n’ai aucune connaissance de ce qui adviendra demain. Je connais un négociant en vins installé en Italie, dont le nom est français. De temps à autre, mais  de façon régulière, je lui achète des vins. Il a décidé depuis quelque temps de faire des dîners de vins rares, un peu dans l’esprit des miens. Un jour, je lui écris que je trouve ses prix décalés par rapport à ce qu’ils devraient être. Il me répond : « pourquoi  ? Vous les trouvez trop chers ? ». Ceci prouve qu’il n’a pas compris ma remarque, alors qu’il vend du vin et en connait les prix. Ma critique portait sur le fait qu’il est malsain d’offrir des vins introuvables et non reproductibles à des prix qui s’apparentent à ceux des manifestations les plus banales sur le vin.

Peu de mois se passent et je reçois une offre pour un dîner avec une liste invraisemblable de vins rarissimes. C’est un choc, de voir que l’on propose autant de millésimes de Romanée Conti dont 1929 et 1945. Et je tourne la page pour regarder le prix. Je vois que mes remarques ont porté, car le prix proposé est à de larges coudées au dessus de tout ce que j’ai pu proposer de plus cher. La proposition ne manque pas d’air, mais le programme aussi. Je rangerais volontiers cette offre dans la fosse des idées sans suite mais il m’appelle et me dit : « compte tenu de votre expérience de la Romanée Conti, je vous propose de remplacer votre contribution financière par une contribution en Romanée Conti ».

Là, mon oreille écoute. Et comme on a mis au programme Romanée Conti 1945, il faut que je sorte mes plus belles bouteilles. Je lui propose d’apporter Romanée Conti 1922 et 1944, deux vins des vignes préphylloxériques, qui correspondent à la rareté de la 1945. Ma proposition est acceptée. Quelques jours plus tard, j’apprends que mon ami Tomo est inscrit à ce dîner. J’en suis heureux, car partager des raretés avec des inconnus n’a pas le même sel que quand c’est avec des amis.

Je prends la route pour me rendre à l’Hostellerie de Levernois où se tiendra l’un des trois repas de ce week-end vineux, et au moment de faire le plein d’essence de ma voiture, je lis un SMS du négociant annonçant qu’un des convives ne viendra pas et me demandant si je pouvais trouver un convive de remplacement. Avec cette si courte échéance, il est exclu de trouver quelqu’un. Mais si celui qui ne vient pas est l’auteur de la Romanée Conti 1945, cela change la donne. Car mes deux raretés se conçoivent – dans mon esprit – si elles se marient à la 1945, puisque j’ai choisi l’année qui est la plus proche de 1945, juxtaposition dont on imagine l’intérêt.

Arrivé à l’hôtel, je retrouve Tomo et nous décidons de dîner ensemble. L’organisateur, que je ne connais que par échanges de mails, est dans sa chambre et a commandé une collation en chambre. Peut-être veut-il ne pas être dérangé. Le suspense reste donc entier. Que se passera-t-il dans cette gigantesque dégustation de Romanée Conti légendaires ? Nous le saurons demain.

2 – dîner avec Tomo
Tomo et moi sommes inscrits à un gargantuesque week-end de Romanée Conti. Il y a une incertitude sur le programme puisque celui qui ne vient pas, dont l’absence est annoncée il y a quelques heures, est-il l’apporteur de la Romanée Conti 1945 ? Dilemme. Nous dînons au restaurant de l’Hostellerie de Levernois. La carte des vins est copieuse et intelligente, puisqu’on y trouve des prix qui donnent envie de boire. L’apéritif se fait avec un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 d’un accomplissement réjouissant. Le vin est fumé, avec de belles évocations de fruits confits. Il est profond, intense. C’est un régal. Nous commandons un Chambolle-Musigny Les Amoureuses domaine Roumier 2007 dont nous savons que l’année est frêle, mais nous voulons profiter de sa délicatesse. Sur le risotto à la truffe noire, à la sauce d’une belle réduction, il apparaît que c’est le champagne qui est de loin le meilleur accompagnateur, alors que l’on aurait pu imaginer que le vin rouge eût convenu. Le terrain d’excellence du rouge, c’est le délicieux pigeon d’une qualité de chair remarquable. Mais une fois que l’on a vanté la délicatesse de ce vin tout en subtilité, force est de constater que ce n’est pas le manque de puissance qui gêne, puisque nous voulions cette année légère, mais c’est le manque de complexité. Et je dois dire que ce Roumier m’a un peu déçu. Et c’est sans doute la raison pour laquelle, alors que nous avons demain un programme surhumain, nous avons succombé au point d’aller dans le déraisonnable. Le chariot magnifique arrive et mon œil tombe sur le bleu de Termignon. Je fais une « fixation » chronique sur ce fromage qui me rend fou. Et j’ai l’intuition que ce qu’il nous faut, c’est un Château Grillet. La carte des vins a fort justement un 1987. Le bleu de Termignon avec le Château Grillet 1987, c’est une des preuves de l’existence de l’Himalaya gastronomique. Le vin est un chef d’œuvre et je dois bien avouer que jamais je n’aurais attendu un 1987 de Grillet a ce niveau stratosphérique. Le sommet de ce dîner, c’est le Château Grillet d’un équilibre que l’on croirait celui d’un riesling, d’une fraîcheur invraisemblable, et d’un équilibre hors norme. Ce vin fluide, droit, coulant comme une douceur coupable est une bénédiction. Je suis sûr que c’est lié à l’instant et que le même vin, un autre jour, n’apporterait pas la même émotion gustative. Mais il fut là, au bon moment, sur un bleu de Termignon exceptionnel. Alors, demain c’est l’inconnu du programme sur la Romanée Conti. Autant dormir et faire de beaux rêves.

3 – dégustation au domaine de la Romanée Conti
Le programme du week-end des inscrits au dîner de ce soir, commence par une visite au domaine de la Romanée Conti. Arrivé en avance, je bavarde avec Aubert de Villaine qui me demande combien nous serons. Lorsque je lui dis : « une quinzaine », il sursaute et me dit qu’il est exclu de boire les vins en fût si nous sommes quinze, car la distribution du vin à la pipette prendrait un temps trop long et serait difficile du fait de l’étroitesse des allées en cave. Dans la salle de réunion du siège du domaine, les visiteurs se présentent. Il y a des danois au sein desquels je reconnais avec plaisir Peter Siesseck, le vigneron propriétaire du célèbre vin espagnol Pingus, des italiens, des suisses, et peu de français.  Aubert de Villaine tient un aimable propos de bienvenue et nous conduit dans la cave où se tiennent traditionnellement les dégustations. A part Peter et Tomo, je ne connais personne et je fais la connaissance de René, danois vivant à Bâle, qui est en fait l’organisateur de la manifestation qui n’est pas un dîner comme je le croyais il y a quelques jours, mais un vrai week-end complet où le groupe, réuni sous la bannière du « White Club« , va boire les vins du programme et d’autres hors programme en trois repas officiels et trois repas informels.

Le seul vin qu’annoncera Aubert de Villaine, c’est le Vosne Romanée Domaine de la Romanée Conti 2004, car les autres seront bus à l’aveugle. Ce vin a un joli nez, un peu piquant et poivré. Il est de belle structure. C’est un vin généreux mais de petite longueur.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 a un nez plus intense et une bouche plus voluptueuse. C’est un vin raffiné, riche de bel équilibre. Je ressens sa finesse. Aubert de Villaine  dit qu’il est dans un moment d’adolescence. Il parle avec poésie de la colère du vin qui se sent enfermé dans sa bouteille et a envie de s’exprimer. J’aime beaucoup ce vin.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1999 est d’un style très différent. Il est plus court que le précédent mais plus riche. Je ressens de la verdeur dans le final. Le vin est un peu rêche mais l’on sent la finesse de la trame et du velouté.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992 a un nez très joli. Aubert de Villaine  nous dit que l’année a été condamnée par les critiques. On sent un vin plus vieux, très délicat. Il a de la rondeur, mais il est servi froid, ce qui limite un peu le plaisir. On sent quand même son beau fruit et sa belle complexité. C’est un vin que j’ai toujours apprécié.

En sentant à l’aveugle la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1956, j’ai une illumination. Alors que je ne pratique pas la dégustation à l’aveugle et que je n’y excelle pas, cette illumination est incroyable : je suis sûr d’avoir reconnu le vin que nous buvons. Et ce qui est curieux, c’est que je n’ai pas le moindre doute. J’ose dire : « je sais ce que c’est » et c’est bien la Romanée Conti 1956 que j’ai déjà bue. Le nez est pour moi totalement Romanée Conti, avec cette suggestion de pétales de roses fanées. Le final est extraordinaire. Ce vin rebouché en 1995 est absolument immense. Son élégance est extrême. Aubert de Villaine  nous dit que c’est un vin dont la chair a disparu, qui vit dans une autre dimension, celle de l’esprit du vin. Pour moi, c’est l’âme de la Romanée Conti.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1977 a une couleur déjà marquée par l’âge. Le nez me gêne un peu. L’attaque en bouche est citronnée, très jolie, avec un petit manque de vivacité. Il faut attendre qu’il se réchauffe, car le miel apparaît. Le vin s’améliore et devient même grand. J’ai senti qu’Aubert de Villaine  était heureux de retrouver ces vins dont certains n’avaient été ouverts par lui qu’il y a longtemps. Tout le monde a apprécié la justesse et la pertinence de ses propos sur ses vins et son domaine. Chacun a été sensible a sa grande  générosité.

4 – déjeuner dans un petit château à Mercurey
En groupes dispersés nous nous rendons dans une grande demeure bourgeoise à Mercurey, qui loge tout le groupe à l’exception de mon mentor le négociant en vin, Tomo et moi.

Dans le grand salon aux papiers peints exotiques évoquant des richesses tropicales à la Douanier Rousseau, je vois sur une table un Chateau Palmer double magnum 2003 qui est ouvert. Alors que ce vin n’était pas inscrit au programme, j’imagine volontiers que nous irons de surprise en surprise. Je ne fus pas trompé ! Boire ce Palmer après la visite à la Romanée Conti, ce n’est pas un service à lui rendre ! Car le vin a des tannins très durs et fait un peu rustaud après les vins du domaine. On voit ainsi l’influence des conditions de dégustation.

L’apéritif, c’est en fait le Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1985. Ce qui vient en premier avec ce champagne, c’est l’acidité. Quelques minutes plus tard, c’est le dosage qui apparaît. Ce champagne est normalement meilleur que celui que nous buvons ici.

Nous passons à la salle à manger où une grande table a été apprêtée, avec des verres de la maison Lalique dont le propriétaire fait partie du groupe. Il est l’un des sponsors de « White Club« , comme un fabricant de montres suisses et un producteur d’eau minérale, ce qui est pour le moins original.

Le repas est joliment réalisé, mais on ne cherche aucun rapport avec les vins. C’est un support de nourriture. Les vins sont servis en séries de cinq.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989 a un nez assez fermé. Il faut dire que les verres Lalique, à mon avis, enferment les parfums au lieu de les épanouir. La bouche est d’une extrême délicatesse. C’est grand.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1996 est très joli, plus précis, plus tendu, plus vif.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2003, c’est le charme, l’élégance. Il est enjôleur, envoûtant. Il est plus strict dans le final. C’est à l’attaque qu’il gagne les cœurs. Quand il s’étend dans le verre, il est d’un velours extrême. Ce vin est fantastique.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2003 me frappe par sa profondeur. Il y a une belle complexité et la rose fanée que l’on n’est pas obligé de chercher. Elle est là. C’est incroyable comme elle est déjà expressive et longue. C’est une très belle réussite. Ce vin, c’est la longueur et la profondeur. Sa rémanence en bouche est infinie. La Tâche 2003 est plus généreuse et a un final plus glorieux, mais le vin est moins profond que la Romanée Conti 2003.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2005, c’est la joie de vivre, la tension extrême. Ce vin claque. Il n’est pas féminin, il fonce. Son final est magnifique.

Nous passons à la deuxième série.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1959 a un nez un peu évolué. Le vin est un peu coincé et je sens qu’il faut attendre, car la complexité est encore un peu timide. Elle est un peu décevante, car on en attend trop, un peu comme le Richebourg 1959 que j’ai ouvert récemment et qui m’a déçu. Mais quand il s’étend, il montre qu’il est grand.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1957 a un nez plus vivant. Le vin est plus vivant que le 1959. Sa trame est très belle. Le vin est très beau, vivant et expressif. Le vin est toutefois nettement moins émouvant que le 1956 ouvert à la dernière minute et froid dans les caves du domaine.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1947a un nez très beau. Sa bouche est d’une extrême présence. Il est un peu abîmé dans le final mais c’est un très beau vin. Quand il s’épanouit, il devient fantastique et je note : « ce vin vaut plus de 100 points ». Je note encore : « ce vin est fou ». C’est probablement l’un des plus grand vins de ce voyage dans la Romanée Conti. Son velours est légendaire. Je note toutefois que ce vin est moins complexe que la Romanée Conti 2003 qui me plait énormément.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1944même si elle est fatiguée est intéressante. Sa couleur est très brune. C’est un très beau vin avec un peu de café dans le goût.

La Tâche Romanée Chevillot négociant 1928 est un vin qui m’est totalement inconnu. C’est un vin mis en bouteille par un négociant, qui avait le droit d’embouteiller La Tâche et l’appelle Tâche Romanée. La couleur est très brune. Le nez est de charbon et de terre. La bouche est superbe, qui contraste avec l’œil et le nez. Le final est un peu vieux, mais le milieu de bouche est très émouvant. Le vin est très joli, même s’il a un peu de fatigue, car le message est intact et la trame est riche. Toutefois, ce vin est plus historique que réel.

Nous passons à la troisième série.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1997 est très généreuse et très Romanée Conti. C’est une Romanée Conti « naturelle », facile à vivre. Ce vin est « top ». Il est si facile !

Le vin joker est très joli. Je trouve des similitudes avec le vin précédent de 1997. C’est un  vin très beau et lui aussi très naturel. Je ne l’ai pas reconnu. C’est un Vosne Romanée  Cros Parantoux Henri Jayer 1988 un peu serré.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1978 a un bel équilibre et une belle opulence. Le vin est un peu torréfié et je commence a éprouver mes limites de dégustateur. Je le trouve lui aussi un peu serré.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti magnum 1982 magnifique est un vin généreux et opulent. Elle est très domaine de la Romanée Conti. C’est un vin magique. Quand il s’épanouit il devient fantastique. Il a l’âme du domaine de la Romanée Conti. Il est émouvant au possible.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un nez intense de truffe. C’est un joli vin. Au fil du temps il montre un peu sa fatigue. Au troisième passage, son final est fatigué.

L’intérêt des vins surprise, c’est qu’ils donnent une grande humilité au dégustateur. On reconnait assez facilement que c’est un bordeaux. A un moment, j’ai pensé Cheval Blanc, mais je n’ai pas gardé l’idée, car je ne le trouvais pas assez grand. Or il s’agit d’un vin mythique, Chateau Cheval Blanc 1982. Il faut dire qu’après des bourgognes, les choses ne sont pas faciles. Je ne peux pas dire que j’ai capté en le buvant ce qu’il représente en fait.

Et un nouveau point d’interrogation nous est servi. Le nez un peu camphré me fait penser à celui de l’Yquem 1941 que j’avais écarté, tant il me déplaisait, mais ici, le vin n’a pas souffert. Je pense à Lafaurie Peyraguey 1964, car il y a une richesse de botrytis qui me fait penser à ce vin. Et j’ai tout faux, car il s’agit de Chateau d’Yquem 1929. Honte sur moi. Mais il faut dire que je n’ai pas l’émotion que porte normalement ce vin immense.

5 – dîner à l’hostellerie de Levernois
Il est tard dans l’après midi après cette éblouissante présentation de vins rares. J’aurais aimé faire une sieste à l’hôtel, mais le devoir m’appelle, car je vais devoir ouvrir un très grand nombre de vins pour le dîner de ce soir. Nous rentrons Tomo et moi à Levernois. J’ai à peine le temps de me retirer dix minutes, et le plus invraisemblable amoncèlement de vins du Domaine de la Romanée Conti va passer entre mes mains, pour l’ouverture des bouchons. Si la qualité des bouchons des années récentes est irréprochable, il n’en est pas de même des bouchons anciens avec lesquels j’ai bataillé au point d’avoir très mal aux doigts de la main droite qui est celle qui tire doucement les bouchons. Pour la Romanée Conti 1983, le bouchon est aussi serré que tous ceux que j’ai ouverts et il me faut lutter comme un fou pour arriver à le sortir. Je suis bien évidemment intéressé par les deux vins que j’ai apportés. La Romanée Conti 1922 sent affreusement mauvais. Je suis triste car elle me semble perdue. La Romanée Conti 1944 au contraire a un parfum qui me plait. Souvenez-vous de ce que vous venez de lire, car le monde des vins anciens est un monde à surprises.


Et la Romanée Conti 1945, où est-elle ? Car c’est pour elle que je me suis inscrit. Lorsque nous étions à la Romanée Conti, Aubert de Villaine avait posé des questions sur son origine et René, l’animateur de White Club l’avait rassuré. Mais je ne la vois pas. Romain, le négociant qui m’avait fait m’inscrire à ces repas me demande de rejoindre René, qui m’explique que la bouteille qui lui a été vendue n’étant pas conforme à la photo de la bouteille qu’il voulait acheter, il l’a laissée sur place pour se faire rembourser. Conscient que je m’étais inscrit pour la 1945, il me promet qu’il fera un autre repas où figurera une 1945. Tout m’incite à faire confiance, et je continue à ouvrir les vins. Alors que je n’ai pas fini, les membres du groupe qui logent à Mercurey arrivent. Ma sieste passe aux oubliettes.

J’ai à peine le temps de me changer et je redescends dans un caveau où tout le monde prend l’apéritif avec un Champagne Perrier-Jouët jéroboam 1961. Puisqu’on est dans l’excès, pourquoi pas un jéroboam ! La couleur est trouble. Le champagne n’est pas désagréable, mais il n’est pas du tout ce qu’il devrait être. Je n’y touche qu’à peine, car il ne me plait pas. Avec Peter Sisseck, nous disons en plaisantant que c’est un vin qui a dû être stocké en évidence dans une boîte de nuit où il a souffert de la chaleur.

Quand on voit les choses en grand, ça vaut aussi pour la nourriture. Voici le menu dont ma balance se souvient encore, deux jours plus tard : huitre Gillardeau et Panna cotta d’oursin au caviar osciètre / marinière de coquillages et croustillant mimosa / l’œuf parfait aux cèpes, jambon Belotta et crème de poule faisane / coquilles Saint-Jacques aux truffes, poireau et céleri / homard cuit en carapace, Paccheri de King crabe au citron confit et artichauts / risotto Acquarello à la moelle et truffes noires / boudin blanc de perdreau aux châtaignes, foie gras de canard des Landes en infusion de cèpes / lièvre à la royale, chartreuse de chou et champignons des bois / fromages frais et affinés / variation de poire comice et caramel confiseur / tarte au chocolat Manjari, crème brûlée vanille Bourbon et glace ivoire.

Ce repas n’a pas du tout été pensé pour les vins, mais les plats ont été délicieux et bien exécutés. Ce fut largement trop copieux, mais nécessaire pour soutenir le rythme des vins.

Le programme n’avait prévu que des vins rouges et c’eût été difficile avec le début du menu, aussi René a ouvert un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2007. Il est magnifique et l’on sent le lait et la pâtisserie. Il est riche, généreux, au final gourmand. Ce vin a une longueur extrême. Il est l’élégance incarnée.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2008 a un nez très élégant. Il est plus pétrole. Il est plus minéral et a plus de botrytis que le 2007. Ce vin est profond. On sent le miel. Autant le 2007 est prêt à boire maintenant avec plaisir autant il faut garder encore les 2008.

Les bouteilles que j’avais ouvertes étant manipulées dans tous les sens, je demande à René de les ranger dans l’ordre qu’il a prévu. Il y a sur une table 27 vins du domaine de la Romanée Conti. Nous nageons dans l’irréel.

Et, comme pour en ajouter une couche, René nous sert un vin mystère. Il est bu à l’aveugle par une table de quinze amateurs. Pratiquement tous ceux qui se sont exprimé ont proposé Pétrus. Et pour Pétrus, la plupart ont proposé 1961. Mon ami Tomo a proposé Pétrus 1998 et j’ai proposé Pétrus 1990. Quand on a la réponse, quelle surprise !!!  C’est Château Margaux 1900, à l’étiquette de Barton & Guestier, rebouché en 1999 sans que le nom Margaux ne figure sur le bouchon ce qui est curieux. Peter Siesseck me dit : ce vin est tellement jeune que si ce n’est pas Margaux 1900, il faudrait donner une médaille au vigneron qui a pu fabriquer un vin jeune aussi phénoménal.

Force est de dire que ce vin est hors du commun. C’est du 100/100 Parker, de façon évidente, mais c’est plus que cela. Equilibre, émotion, longueur, profondeur, tout y est. Et effectivement, je me suis trompé sur l’âge, mais ce n’est pas la première fois que des vins sublimes du passé bluffent tout le monde. Ce qui a conduit à Pétrus, c’est cette sensation de truffe, d’une rare précision. C’est une belle leçon et un vin splendide. Il a une perfection inimitable et une élégance absolue. Il pourrait bien être le gagnant de cette journée.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2007 a un nez très domaine de la Romanée Conti. La bouche est élégante mais aussi stricte et mesurée. C’est un vin élégant qui reste mesuré et courtois. C’est un grand vin.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 a un nez puissant de folle jeunesse. En bouche il est joyeux, tout en charme, mais aussi puissant. Il a tout à fait le style du domaine. Ce vin est glorieux.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1993 a un nez discret. La bouche se marie magnifiquement avec les cèpes. Ce vin est élégant, sans avoir la personnalité de La Tâche. Avec le temps il gagne du corps.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1997 reste stricte mais très domaine de la Romanée Conti.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1990 a un nez d’une pureté remarquable. Il est d’une élégance extrême. Il marie accomplissement et cohérence. Ce vin est dans un état de grâce. Il a une longueur infinie.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 a un nez subtil. Sur la Saint-Jacques à la truffe, le vin est glorieux. Il a une longueur infinie. J’aime cette Romanée Conti que j’ai bue de nombreuses fois. On voit que ce n’est pas une année de puissance mais le vin a une élégance à la Coco Chanel. La rose et le sel sont là.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1981 a un très joli nez. C’est beau en bouche même si l’on est très loin de la Romanée Conti 83.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1975 a un nez très domaine de la Romanée Conti. Il y a beaucoup de sel. En bouche le vin est beaucoup plus gourmand que ce que le nez suggère. Ce vin se comporte nettement au dessus de ce qu’on en attendrait.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1973 a un nez très joli et une bouche gourmande. Quelle belle surprise pour un vin de cette année ! Les quatre derniers vins sont surprenants, car de petites années et brillants. La Romanée Conti 1983 a quelque chose de plus que les autres par la complexité de son final. Mais le plus incroyable et le gagnant de ces quatre est pour moi le 1975, contre toute attente et je suis ravi de voir qu’autour de la table, on pense comme moi.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 a un nez très domaine de la Romanée Conti avec une puissance rare. Il a des points communs avec la Romanée Conti 1956 de ce matin, mais servi à table, il est plus opulent. Il a un peu d’amertume en fin de bouche, mais le vin est très joli.

Le nez de la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954 n’est pas parfait. En bouche, il est un peu fatigué, un peu « amantillado ». Il fait brûlé, mais il a quand même quelque chose à dire, ce qui rend la 1956 plus vivante encore.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1944 qui est mon apport a une couleur bien moche. Le nez est un peu vinaigre. En bouche le vin n’est pas stupide mais il est notoirement insuffisant. On sent un peu de chocolat. Il n’est pas mort en bouche, mais je suis furieux.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1945 a un nez un peu camphré. La bouche est belle même si un peu chimique. René est beaucoup plus tendre avec ce vin que je ne le suis. Cette série de quatre vins est faible, le 1956 étant le plus vivant, très beau.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1943 ajouté pour me faire plaisir puisque c’est mon année a une belle couleur. Le nez a du champignon, dont l’intensité ne va jamais baisser. Il faut attendre pour le goûter, mais il ne deviendra jamais ce que j’ai connu de ce vin, un des plus grands du Domaine de la Romanée Conti que j’aie bu. L’odeur de champignon empêche de l’aimer.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti magnum 1940 a une couleur très brune. Le nez est correct mais limite. Le vin n’est pas mal, mais montre un peu trop de fatigue. Le final est trop fatigué.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti magnum 1940a une couleur aussi très fatiguée. Le nez est meilleur. En bouche, c’est très buvable même si c’est un peu fatigué. Le final est très limité.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1937 a une couleur beaucoup plus belle, même si elle est un peu trouble. Il y a un peu de tabac dans le nez de ce vin. Le vin a une belle attaque et un final un peu imprécis à ce stade.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Van der Meulen 1929 a une couleur foncée. Le nez est très joli. On sent un vin un peu fortifié, un peu torréfié. C’est un beau vin, mais ce n’est pas la légende.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Van der Meulen 1923 a une couleur aussi foncée. Le nez est très velouté et c’est le premier vin dont je sens la fraîcheur mentholée. C’est le 1929 en nettement mieux. C’est un très grand vin et l’expression d’un vin préphylloxérique.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1922 qui est mon deuxième apport a une couleur claire. Il est magnifique. C’est le meilleur des vins de cette série à quatre Romanée Conti. Il a la fraîcheur et une tension extrême. Je suis tellement content que ce vin rattrape le 1944.

La Romanée Conti 1937 s’améliore et on peut constater que les 22 et 37 ont des couleurs claires et sont définitivement ce que la Romanée Conti doit être, alors que les 23 et 29 ont des couleurs plus foncées et donnent l’impression que les vins ont été fortifiés par Van der Meulen. Le 1937 s’est amélioré et ressemble beaucoup au 1922 qui est maintenant royal. Si on se souvient bien, le 1922 sentait la mort et le 1944 avait un beau parfum. Les voies du vin sont impénétrables.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1935 a un très joli nez de Romanée Conti. En bouche, c’est une très grande Romanée Conti. Le match est ouvert entre 1922, 1935 et 1937. C’est peut-être le 1935 qui est le plus riche, mais il est peut-être aussi légèrement fortifié. C’est donc le 1922 qui gagne devant 1937 et 1935 cependant que le 1923 devient de plus en plus charmant.

Peut-on imaginer que nous venons de boire six vins de Romanée Conti de vignes préphylloxériques : 1922, 1923, 1929, 1935, 1937, 1944 ! Le 1935 a une grande puissance, de l’alcool, mais c’est un beau vin, le 1923 devient plus élégant, poivré, c’est un grand vin même s’il a été un peu aidé. Le 1922 est l’élégance absolue, avec le raffinement et la pureté de la Romanée Conti. Le 1937 est la délicatesse, le petit frère du 1922 même s’il est un peu moins beau. La fraîcheur mentholée du 1935 est étonnante car inhabituelle.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1962 a une couleur entre brun et rouge. Le nez est grandiose. Le vin est doux mais profond. C’est un très grand vin mais ce n’est pas la légende que j’attendais.

La dernière goutte du 1922 est de la rose pure. Je suis ému.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1959 a la même couleur que le 1962. Le nez est imparfait. La bouche est beaucoup plus gourmande. Il est généreux mais il n’est pas parfait. Décidément, je n’ai pas de chance avec les 1959.

Ce qu’on peut constater, c’est que tous les vins jeunes et les plus vieux sont spectaculairement bons. Ce sont les vins des âges intermédiaires des années 40 et 50 qui ont posé des problèmes. Quand on constate que la Romanée Conti 1956 bue en cave est sans doute l’une des plus belles de ce jour, cela montre qu’il y a un vrai problème de conservation des vins des années des décennies 40 et 50. Mais le positif gagne tellement devant le négatif que je vis un moment unique.

René, en mal de générosité, demande si nous avons encore de l’énergie. Je dis oui. Et arrive le vin que j’appelle « le vin John Wayne ». Dans tous les westerns de cet acteur américain, la victoire arrive toujours au dernier moment du film.  Eh bien, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, c’est un peu ça. Elle a une couleur claire, un nez authentique de Romanée Conti. Elle est parfaite, élégante, belle, même s’il y a un petit manque de tension. Au point où nous en sommes, elle cohabite avec le dessert au chocolat, mais à ce stade, nous sommes capables de nous consacrer au vin uniquement, l’un des plus beaux de ce soir.

6 – commentaires et conclusions
Un tel rythme est tellement déraisonnable que j’avais annoncé que je ne viendrai pas au déjeuner du lendemain prévu au programme pour lequel je m’étais engagé. L’idée d’abandonner un repas où 17 vins du Domaine de la Romanée Conti vont être ouverts incluant La Tâche 1990 pourrait paraître de la folie. Mais la folie eût été de m’y rendre.

Que retenir de cette extravagance absolue ? Voici un groupe cosmopolite de fondus de vins qui ont les moyens financiers pour affronter les plus rares vins de la planète. Quand on a les budgets, on peut chasser l’étrange et le rare. C’est la profusion qui commande, plus que la mesure. On peut critiquer, mais René l’a fait avec une telle générosité que son sens du partage ne peut qu’être respecté.

Il y a bien sûr l’absence de la Romanée Conti 1945, qui était le motif de mon inscription. Si une autre Romanée Conti 1945 est ouverte, ce sera un plaisir de plus.

Ce qui reste pour moi, c’est surtout cette plongée unique dans l’histoire du goût de la Romanée Conti. J’ai maintenant des notes sur plus de 300 vins du domaine, en près de 70 millésimes différents. J’ai donc conforté une vision assez pénétrante des vins de ce domaine. J’en suis profondément reconnaissant aux auteurs de cet événement unique. Je ne l’aurais jamais fait comme cela. Mais vive la différence. Et vive la Romanée Conti.