Un Grands Echézeaux émouvantsamedi, 2 mars 2019

La compensation des désagréments de la veille n’étant pas suffisante, je réserve une table au restaurant L’Ecu de France où nous avons nos habitudes. Je vais saluer en cuisine Peter Delaboss l’exubérant chef. Ce qu’il m’annonce comme programme me fait peur et malgré ses promesses de portions raisonnables, je redoute le pire.

Dans la très intelligente carte du restaurant je commande un Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 2011. Comme l’amuse-bouche sera à l’huître, je commande une bière qui jouera les utilités. Le menu conçu par le chef et recommandé par lui est : huître, mousseline de ratte et haddock / pressé de lapin cuit à basse température et foie gras, gelée de jus de syrah / velouté truffé, Saint-Jacques rôties, émulsion de parmesan / poularde de Culoiseau truffée, tempura de langoustines, marmelade de rose / sablé au citron meringué, glace menthe.

Le Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 2011 est juste sorti de cave et ouvert par le maître d’hôtel. Ma première gorgée est donc dans l’immédiateté. Le nez du vin est d’une délicatesse infinie et expose des petits fruits très fins et intenses. Ce parfum est noble. En bouche je suis envahi par l’émotion, car tout en ce vin est délicat, précis, juste. Le fruit est très présent et le vin est assez doux. Mais surtout il m’émeut car on sent qu’il a été fait avec amour, pour que tout soit dosé et suggéré. C’est du travail d’orfèvrerie ou de haute couture. Je ressens une émotion intense. Je ne cherche pas d’accord particulier avec les plats excellents mais compliqués, je cherche plus à m’imprégner de l’émotion romantique d’un vin qui ne cherche ni la puissance, ni à convaincre mais juste à suggérer. Et je l’adore. Cette sensation intense va durer pendant le premier tiers de la bouteille où le plaisir vient de l’éclosion raffinée des saveurs.

Lorsque le vin quitte sa température de cave et s’élargit, l’amertume survient, agréablement bourguignonne, qui ne s’était pas montrée auparavant. Et le vin devient plus notable, plus bourgeois, plus attendu. Je l’aime toujours, mais l’émotion de l’éclosion n’est plus là. Il rejoint le camp des vins de son âge, c’est-à-dire en devenir, sans perdre de sa noblesse. Je continue à le boire avec plaisir mais j’ai perdu l’émotion de l’ingénuité. Il reste un tiers dans la bouteille que je terminerai à la maison.

Le restaurant l’Ecu de France est toujours aussi plaisant. Peter Delaboss cuisine avec talent et spontanéité, mais il gagnerait à simplifier ses recettes et à les rendre plus lisibles. C’est un restaurant où nous sommes toujours heureux.

Le lendemain à la maison, je suis allé faire des courses simples pour finir le vin de la Romanée Conti. On commence par d’excellents feuilletés au jambon qui conviennent à tous les vins tant ils sont généreux. C’est l’occasion de finir le Champagne Dom Pérignon 1966. J’avais remis le bouchon écourté de sa lunule sur le goulot et le pschitt en ouvrant la bouteille est suffisamment puissant, trente-six heures après l’avoir goûté. La plénitude de ce champagne est fascinante. Il est glorieux, impérial et indestructible comme la pyramide de Chéops. Ceci confirme s’il en était besoin que ce champagne est immense. Un chef-d’œuvre.

Le Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 2011 a un nez beaucoup plus riche et l’alcool se ressent dans le parfum. En bouche il a gagné en maturité et se montre très plaisant. Il est carré, solide, plus affirmé qu’hier. Sur une Epoisses de bel affinage le vin devient plus long, plus fluide et particulièrement plaisant. Sur un saint-nectaire, il est moins fantaisiste que sur l’Epoisses, mais toujours agréable. Je me recueille sur la dernière gorgée bue sans aucun accompagnement et ce dernier moment confirme combien ce vin mérite mes amours. J’ai autant de plaisir sur cette gorgée qu’avec la première. C’est une très belle rencontre avec un vin que jamais je n’ouvrirais de ma cave mais que j’ai trouvé là, sans besoin ni de comparer, ni de hiérarchiser par rapport aux autres vins du domaine, car il me suffit qu’il m’ait plu, et tant ému dans son éclosion.

De plus en plus pour les vins jeunes, je me délecte de leur éclosion.