C’est le dernier jour du court séjour de mon fils. Contrairement à ce que beaucoup de lecteurs pourraient penser, ce n’est pas ma femme qui adapte sa cuisine à mes vins. Les plus grands dictateurs sont des agneaux à la maison. Je dois jongler avec ses choix pour essayer de créer des accords pertinents. Elle m’annonce un risotto de coquilles Saint-Jacques comme seul et unique plat. Il se trouve que j’avais envie d’ouvrir un Gewurztraminer Vendanges Tardives Sélection de Grains Nobles maison Hugel 1981. C’était, je crois, un cadeau du regretté Jean Hugel et je voulais le boire avec mon fils. J’ai demandé à ma femme de ne saler ni les coquilles ni le riz.
Nous commençons d’emblée avec ce plat, sans le préalable d’un apéritif. Ma femme a mis juste un soupçon de parmesan sur le riz que l’on ne remarque presque pas. C’est d’une banalité évidente de dire que le Gewurztraminer sent le litchi mais il est impossible de ne pas le sentir. En bouche, ce vin est d’un équilibre qu’aucun sauternes ne pourrait avoir. On a une harmonie entre la sucrosité évidente, l’acidité et la fraîcheur. Ce vin est frais en permanence, donnant une impression de légèreté. Au début, le vin d’Alsace paraît plus fort que le plat, mais plus le temps passe et plus l’accord devient pertinent, le vin se mettant à la hauteur de la force du plat. Les coquilles sont divines, juste poêlées et divinement croquantes, le riz se montre civil et délicat. Et l’accord s’améliore à chaque gorgée comme si le vin voulait s’adapter à la neutralité active du plat. Il y a une précision et une fluidité dans ce vin qui sont remarquables.
Nous avons court-circuité l’apéritif alors que je voulais ouvrir un champagne. Cherchant dans le réfrigérateur avant le repas, j’avais vu une bouteille quasiment vide et rebouchée qui date d’il y a un mois, lors du dernier voyage de mon fils. Avant qu’il n’arrive j’avais goûté et le champagne ne s’est pas altéré. Quand mon fils est arrivé, il l’a essayé et lui aussi l’a trouvé sans défaut. Il y a de quoi faire un demi verre pour chacun que nous avons goûté avant l’arrivée des coquilles pour préparer notre palais. Il lui fallait une suite aussi ai-je ouvert, après le vin d’Alsace un Champagne Krug Grande Cuvée sans année du début des années 90, qui a donc un peu plus de 22 ans. Je l’essaie avec les coquilles et il est assez évident que c’est avec le Gewurztraminer que l’accord se trouve le mieux car les goûts neutres conviennent mieux à l’alsacien.
C’est avec des camemberts que nous goûterons le Krug. Il est extrêmement expressif et cet âge de plus de vingt ans magnifie ses complexités. Mais par rapport à tous ceux que j’ai bus de cet âge, je ressens une acidité particulièrement forte qui limite un peu le plaisir. Mon fils est plus tolérant à cette acidité. Mais le Krug a une telle persistance aromatique qu’elle imprime le palais d’une trace indélébile. C’est un grand champagne complexe, imprégnant et raffiné.
Des dés de mangue rafraîchissent le palais avec le sublime vin d’Alsace.
Sur le court séjour de mon fils nous avons eu l’occasion de boire des merveilles. Si l’on doit retenir deux vins, ce sera le Musigny de Vogüé 1972 et le Gewurztraminer 1981 qui marqueront nos mémoires.
la bouteille de gauche a été ouverte il y a un mois et nous avons bu le reste, encore buvable