Sainte-Hune 1976 et Clos des Papes 1937 chez Laurentlundi, 28 juillet 2008

Un ami américain d’origine danoise vivant à Las Vegas m’annonce sa venue à Paris avec son épouse. Devant tenir le 102ème dîner de wine-dinners lors de son séjour, l’occasion se crée de déjeuner ensemble au restaurant Laurent. L’équipe est au complet en cette fin juillet. Je félicite Alain Pégouret, le talentueux chef, pour l’article élogieux que lui a consacré François Simon sur une page entière du Figaro. Philippe Bourguignon me dit que depuis cet article, plus de 90% des entrées choisies ont été le légendaire cocktail d’araignée de mer, encensé à juste titre par le plus turbulent et talentueux des journalistes de gastronomie. Je confie la bouteille que j’ai apportée à Patrick Lair et à Ghislain. Nous sommes dans le beau jardin et de notre table nous voyons la magnifique fontaine toute proche des jardins des Champs-Elysées qui projette un peu de fraîcheur en cette journée d’un soleil de plomb. Nous commandons bien sûr la célèbre araignée qui accompagne un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1976 absolument spectaculaire. Ce vin au jaune doré et vert d’une intensité rare est à un stade de perfection absolue. Ses trente deux ans ont permis un travail d’intégration de toutes les composantes pour atteindre un équilibre total. Le vin glisse en bouche avec un gras sensuel, combinant les fruits jaunes et or. Nous convenons avec mon ami que ce vin est en état de grâce, au sommet de ce qu’il serait capable d’offrir, c’est-à-dire le meilleur.

Sur un flanchet de veau délicieux, doux et suave, on me fait goûter la première gorgée du Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes Paul Avril 1937 que j’ai apporté pour faire plaisir à mon ami. Le vin n’a été ouvert qu’en début de repas. Je sens combien l’oxygénation lente manque à ce vin. Je fais la grimace, car la fatigue du vin est grande. Mon ami sourit car il perçoit que le vin est bien vivant et va revenir en forme rapidement. Il est porté par son acidité, selon mon ami, ce qui promet un réveil rapide. Je continue à regretter cette fatigue gênante, mais je perçois sous elle un goût prometteur. Et effectivement, plus le temps passe et plus l’âme d’un Chateauneuf se révèle. Ce qui me frappe, c’est que sous le voile de fatigue, le message est d’une rare jeunesse. J’en viens à reconnaître les goûts des Châteauneuf que j’aime. Les dernières gorgées, comme souvent, sont de loin les meilleurs. Le plaisir que me donne la lie est tout en velouté, en charme et en expression.

Nous sommes l’un et l’autre des amateurs de vins anciens, et nous remarquons que le plaisir que nous avons pris avec ce vin vient de notre capacité à accepter un vin tel qu’il se présente. Il est sûr que ce vin a dépassé son sommet d’expression. Mais tel qu’il est il nous a offert de beaux moments. Les palmiers du restaurant Laurent, ceux que l’on trouve dans l’assiette et non dans le jardin, sont les meilleurs du monde. Encore un beau déjeuner plein de joie en ce temple du bien manger.