Repas dans le Sudlundi, 3 janvier 2005

Pas de question existentielle pour le Rimauresq rosé 2003 Côtes de Provence bu sur des olives noires. C’est l’été qui ensoleille la bouche. Il y a du charme dans ce rosé sans histoire et bien fait. Mieux fait que le Domaine d’Ott Bandol rosé 2002 à la construction plus dense mais qui veut trop montrer. Le Rimauresq coule en bouche parce qu’il est facile. L’Ott montre les défauts de sa cuirasse parce qu’il est trop typé.

On ouvre une deuxième bouteille de Lafite-Rothschild 1981 de la caisse déjà explorée. Niveau très haut dans le goulot, bouchon parfait. Le vin a un beau nez et en bouche il est d’une jeunesse invraisemblable, tout dans le fruit. Le fruit est étonnant pour cet âge. Il est tellement anachronique qu’on dirait une vieille coquette redessinée au scalpel. C’est un grand vin, mais j’ai nettement préféré la première plus mûre. Comme on exploite la cave du Sud, il y a forcément des redites. Le Mouton-Rothschild 1987 a toujours un charme fou. Là aussi un niveau très haut dans le goulot et un bouchon impeccable. Un nez qui annonce ce que la bouche va être, toute de séduction. Très épais pour un 1987 c’est un vin de grande classe, qui surpasse ici cette bouteille de Lafite. J’aime Mouton et aucun de ces 1987 ne me déçoit. Une solidité de Pauillac toute particulière pour cette année que l’on n’attendrait pas à ce niveau.

Il existe parmi les érudits lecteurs de ce bulletin (ils le sont tous) des passionnés ou des spécialistes des accords mets et vins. Une épaule d’agneau à l’ail fort goûteuse est de grande évidence pour le Mouton. Mais imaginez ce qui suit : une crêpe au sucre délicatement tartinée d’un peu de confiture de fraise mara des bois, cette fraise intense au goût de fraise des bois. Imaginez en bouche l’empreinte de cette fraise enivrante, calmée par la douceur de la crêpe. Et là-dessus, une gorgée du fond fort sédimenteux du Mouton. On aurait dit qu’une compagnie de dindons avait envahi la pièce, tant la tablée glougloutait de plaisir. Voilà qui ne figurera sans doute dans aucun des livres consacrés aux accords mets et vins. Mais que c’est bon !