Repas d’amislundi, 1 mars 2004

Peu après, dîner en terrain ami quand par hasard seul un soir, je vais tromper un possible ennui. On m’accueille avec un Meursault  Génot Boulanger 1985 qui est assez intéressant. Il a le nez caractéristique de Meursault, et l’âge a enlevé toute forme de rudesse sans effacer les preuves de jeunesse. C’est fort agréable à boire, sans flamboyance, mais rassurant à souhait. J’avais apporté un vin pour faire plaisir et je crois avoir atteint mon but.

Le Côte Rôtie La Turque de Guigal 1993 est un vin passionnant. Il a la force, un nez qui en raconte, une couleur de forte densité, et il s’amuse à jouer sur de multiples terrains de jeu. Du bois, mais pas trop, du fruit, mais à deux niveaux, le fruit primaire et classique mais aussi le fruit de dessert. Ce qui me plait le plus, c’est ce robuste équilibre dans la production de saveurs de plaisir. On est bien avec ce vin là. Le vin rouge qu’avait prévu mon hôte allait provoquer une comparaison intéressante. Le Pommard Génot Boulanger 1985 est de couleur pâle de vieux rose, a un nez frêle et en bouche il a tout le charme délicatement féminin du Pommard. C’est en effet la combinaison de la séduction et du refus : l’âpreté dit non quand le gouleyant dit oui. Très féminin cette attitude là. Et on se plait à se demander lequel satisfait le mieux ? Car on a deux vins opposés. La merveilleuse structure puissante du Guigal et la frêle séduction du Pommard. Je ne trancherai pas car ça n’a pas de sens. L’un est infiniment plus racé que l’autre. Mais sur table, on se plait avec la générosité de l’un et l’énigme de l’autre. C’est cela qui pousse à explorer tous nos terroirs et à ne pas se contenter d’un type de vins.

Si j’avais dû choisir entre les deux vins, c’eût été bien vain car arrivait une bouteille que j’avais apportée qui allait rendre toute autre réflexion inutile : un Banyuls Grand Cru Domaines et Terroirs de France 1959. Quand on a ce vin dans son verre, la Terre s’arrête de tourner. On ne peut pas imaginer un plaisir gustatif plus grand. Pour le définir, je dirais : « c’est un vin qui fait parler ». On le sirote et les conversations deviennent chaleureuses comme lui. Je suppose que c’est un vin d’assemblage de vins de cette année. C’est diablement bon. Il y a à la fois du bois, d’un bois mâché comme un bâton de cannelle, il y a du fuit, d’un pruneau qui aurait mariné pendant des lustres, il y a surtout cette suavité invraisemblable qui emplit le palais. Je l’ai essayé sur une tarte à l’abricot qu’il domine et sur du chocolat à la noisette à qui il sourit. Mais sur un chocolat au café il est gigantesque car c’est le bois du vin qui colle au café pour une fusion magique. Il me semble que tous les médecins qui traitent les maladies de l’âme devraient commencer leur consultation en administrant un petit verre de ce Banyuls. L’avantage, c’est que les patients guériraient. L’inconvénient, c’est que cela sonnerait le glas de cette profession. Utiliser le Banyuls pour résoudre le déficit de l’Assurance Maladie me semble un programme qu’il faut imposer sans tarder. Cela me rappelle toutes ces liqueurs apéritives anciennes dont j’ai fait collection. A croire leurs étiquettes il suffirait de les boire pour guérir de tout. C’est un conseil à suivre sans modération.