quinzième séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéojeudi, 26 mai 2011

La quinzième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo où nous avons nos habitudes. Le service est toujours attentionné et efficace. Nous sommes 42 annoncés le matin-même et 38 présents. Les jeunes sont nombreux, car des places ont été réservées à des élèves de l’école supérieure du marketing du luxe de la Fondation Cartier. Il y a au programme 50 vins (en comptant les magnums pour deux bouteilles) dont 25 vins de ma cave ce qui est une proportion inhabituelle. La qualité des apports est variée, mais comme on en jugera en lisant les listes dans l’ordre de service, il y a de vraies pépites.

A 16h30, je déballe les caisses de vins pour prendre les photos de groupe et je commence à ouvrir les bouteilles. Deux amis devaient venir m’aider mais chacun des deux m’appela pour me dire que des choses absolument urgentes l’empêchait de venir. C’est donc en solo que j’ai ouvert les vins, au rythme d’environ trois minutes par bouchon, sans chômer, avec relativement peu de batailles homériques contre des bouchons pervers. Après plus de deux heures, j’étais exténué. Une petite promenade dans les jardins du Palais Royal m’a fait du bien.

Les vins sont répartis en trois groupes ce qui permettra à chacun de goûter 16 à 18 vins et plus du fait des échanges entre les groupes :

GROUPE 1 : champagne Henriot rosé magnum 1988 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 – Champagne Moët & Chandon magnum 1962 – Champagne Dom Pérignon 1978 – Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988 – Clos Zisser Klipfel Gewurztraminer 1974 – Corton Charlemagne Rapet P&F 1950 (bas) – Côtes du Jura blanc Jean Bury # 1964 – Château Corbin Michotte 1966 – Château Gruaud Larose 1964 – Château Canon 1959 – Château Malescot Saint-Exupéry 1934 – Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 – Vouvray moelleux 1959 domaine Clovis Lefèvre – Château Maÿne-Bert Haut-Barsac 1939 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929 – Château Caillou Haut-Barsac 1921.

GROUPE 2 : champagne Henriot rosé magnum 1988 – Champagne François Giraux Brut ss A élaboré par Charles Heisdsieck – Champagne Bollinger Brut Spécial Cuvée des années 70/80 – Mesnil Nature – Blanc de blancs -vers 1935 – Vouvray sec 1961 domaine Clovis Lefèvre – Meursault Patriarche 1943 – Pouilly-Fuissé 1938 – Ph.Bouchard – Côtes du Jura blanc La Cocarde 1958 – Château Ducru Beaucaillou 1973 – Château Le Bon Pasteur 1973 POMEROL – Château Canon 1966 – Château des Jaubertes 1964-Marquis de Pontac-Graves – Château Saint-Julien Saint-Emilion 1945 – Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 – Gevrey-Chambertin Faiveley 1938 – Vinadort Rioja Bodegas Artacho 1975 – Soleil de France – Seignouret Frères – Sauternes années 1930 origine Ch.Coutet – Rivesaltes Dom Brial 1969.

GROUPE 3 : Champagne François Giraux Brut ss A élaboré par Charles Heisdsieck – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 – Champagne Moët & Chandon magnum 1962 – Mesnil Nature – Blanc de blancs -vers 1935 – Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988 – Vouvray sec 1962 domaine Clovis Lefèvre – Côtes du Jura blanc « Fleur de Marne » La Bardette Chardonnay 1964 – Pauillac Baron de Rothschild # 1980 – Chateau de Sales 1970 – Chateau Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1966 – Château Gruaud Larose 1964 – Château Respide 1956 – Gevrey-Chambertin Duroché 1957 (bas) – Vosne Romanée J. Thorin 1949 – Mercurey 1936 – Ph.Bouchard – Monbazillac 1945 château de la Fonvieille réserve du Theulet – Rivesaltes Dom Brial 1959.

Nous commençons l’apéritif debout avec le Champagne François Giraux Brut élaboré par Charles Heisdsieck sans année. C’est une belle surprise, car je ne l’attendais pas aussi serein, équilibré, carré et facile à boire. Nous enchaînons avec le Champagne Henriot rosé magnum 1988 qui frappe par sa précision et son délié. C’est un champagne élégant mais aussi agréablement rafraîchissant, lui aussi serein et facile à comprendre.

Le menu est bien adapté à la variété extrême des vins : Petits pois en velouté glacé, voile de jambon noir de Bigorre / ‘Gambas’ juste cuites & marinées, petit confit printanier / Suprême de Saint- Pierre, carottes boulgour ‘cumin coriandre’/ Noisette d’agneau aux herbes sèches, croustilles & céleri & pousses aromatiques / Fin sablé de fruits exotiques aux épices / Chocolat ‘croque’ & sirop Arabica.

Nous passons à table et le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1953 qui nous est servi me saisit par la richesse du fruit, dans la première gorgée que je bois. Il est riche, complexe et coloré, mais faute de nourriture car le service n’a pas démarré, la vieillesse du champagne va dominer. C’est dommage. On m’a dit que l’autre 1953 que j’avais apporté est encore plus marqué par l’âge. Alors que l’entrée n’arrive pas, nous allons aborder un monument, le Champagne Moët & Chandon magnum 1962 qui vient directement des caves de la maison de champagne et a été dégorgé il y a trois ans. Jamais un champagne de ma cave de cette année ne pourrait avoir la fraîcheur, la vivacité et la tension de celui que nous buvons, d’une vie joyeuse, avec un fruit plein et une mâche saisissante. Il est d’une année de grande qualité et subjugue par sa jeunesse extrême. Il est extrêmement intéressant qu’il soit suivi par le Champagne Dom Pérignon 1978, qui n’est pas d’une année classée dans les meilleures, mais qui m’a toujours surpris de ce fait. Car le saut qualitatif est réel. Nous buvons un magnifique champagne, d’une belle élégance, qui est rehaussé par le très grand Moët. Ce champagne ravit notre table. Nous succombons à son charme.

L’amuse-bouche ayant accompagné le 1962 et le 1978, c’est entre deux plats que nous goûtons le Chablis Blanchot Grand Cru domaine Vocoret 1988. Son nez est superbe et riche, sa couleur est d’une rare jeunesse et ce Chablis plein et riche en saveurs multiples est un grand Chablis. Quel dommage qu’il fût bu sans poisson.

J’attendais beaucoup du Clos Zisser Klipfel Gewurztraminer 1974 d’un ami et à ma grande surprise, si le nez est rayonnant, le goût en bouche démarre bien, puis s’arrête quasi instantanément pour finir sur une petite amertume. C’est dommage. Dans les 25 vins que j’ai apportés, j’ai inclus deux vins en vidange. Et la démonstration qu’un vin en vidange est un vin mort est éclatante, car malgré l’oxygène de longues heures, le Corton Charlemagne Rapet P&F 1950 a rendu l’âme. Certains comme moi ont pu vérifier par leur palais que le certificat de décès est authentique.

Le Côtes du Jura blanc Jean Bury vers 1964 d’un ami jurassien est un immense bonheur. Un tel vin au goût énigmatique, qui fait voyager sur un tapis volant me transporte d’aise. Je suis heureux avec ces vins qui dérangent, qui questionnent mais donnent les bonnes réponses. Un ami m’apporte un verre du Meursault Patriarche 1943 prévu pour un autre groupe, petite merveille de bonheur avec sa couleur d’une belle jeunesse et une vivacité surprenante pour cet âge.

J’ai demandé que nous portions un toast à la Poste car c’est grâce à elle que nous buvons le Château Corbin Michotte 1966. Un de mes dîners comportait quatre vins successifs de 1966, par un pur hasard et Emmanuel Boidron m’avait expédié ce vin pour qu’il soit inclus dans ce dîner. La Poste en ayant décidé autrement, j’ai demandé à Emmanuel s’il m’autorisait à mettre son vin à l’académie. Le velours de ce vin est spectaculaire. C’est un vin de belle puissance, qui s’accompagne d’un grand raffinement. On retient surtout le velours. En revanche, le Château Gruaud Larose 1964 s’impose par sa force et sa carrure. C’est du Guesclin en armure. Ce vin d’une belle année est un grand bordeaux.

Et l’addition des expériences est intéressante, car après le velours et la puissance, c’est la noblesse que signe le Château Canon 1959 d’une magnifique prestance. Le mot « noble » est vraiment ce qui convient le mieux à ce vin d’un grand équilibre et d’une belle longueur.

Le Château Malescot Saint-Exupéry 1934 sur lequel je comptais beaucoup est moins bon que de précédentes expériences. Il est encore jeune, mais un peu timide et coincé. Il manque d’épanouissement, même si son expression est agréable pour un presque octogénaire. La grande surprise pour moi vient du Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 merveilleusement bourguignon, d’une sensualité extrême. Je dis à ma voisine : « c’est Marilyn Monroe dont la robe est soufflée par l’air chaud du métro ». Ce vin est très au dessus de mon attente.

Le Vouvray moelleux 1959 domaine Clovis Lefèvre est dans une phase intéressante entre le Yin et le Yang, car il a mangé son sucre et hésite entre des saveurs de vins secs et de vins doux. C’est une énigme à chaque gorgée, qui donne une sensation palpitante. Le Château Maÿne-Bert Haut-Barsac 1939 est une bouteille que j’ai rajoutée ce matin, comme ça, par plaisir, car elle me faisait de l’œil dans ma cave. Et elle a eu raison, car ce vin est l’exemple même du beau sauternes. Et le Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929 va lui donner une petite leçon, car l’année 1929 dope le vin d’une dose de puissance et de richesse. Mais les deux ne se détruisent pas. Ils apportent la démonstration de l’absolue pertinence des sauternes anciens.

Comme il fallait un 51ème vin pour en avoir plus que d’états aux Etats Unis, j’ai apporté le reste du Château Caillou Haut-Barsac 1921 ouvert hier avec mon frère et ma sœur. Le vin a gardé toute sa fraîcheur et sa précision inégalable le porte en tête de ces trois magiques sauternes que j’ai voulu partager avec mon groupe.

Quel sera le classement final ? Pour mon goût ce sera : 1 – Château Caillou Haut-Barsac 1921, 2 – Chambolle-Musigny Joseph Drouhin 1967, 3 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929, 4 – Champagne Dom Pérignon 1978, 5 – Château Canon 1959, 6 – Côtes du Jura blanc Jean Bury vers 1964.

Notre groupe a eu de très belles bouteilles, originales et parfois surprenantes. Dans d’autres groupes, des bouteilles un peu plus faibles ont existé, mais globalement le bilan est positif pour chacun, car les merveilles apportent le bonheur d’entrer dans le monde des vins anciens.

Cette séance de l’académie des vins anciens est très conforme à son objectif de partage et d’ouverture sur un monde souvent méconnu, celui des vins anciens. Comme je l’ai dit aux participants, la qualité d’une réunion dépend de la qualité des apports. Il faut encore travailler sur la qualité des apports pour que l’académie des vins anciens devienne le rendez-vous pédagogique incontournable permettant de vivre la vie des vins anciens. Nous sommes sur le bon chemin !