Dîner du 24 décembre avec deux Salon et deux DRC samedi, 26 décembre 2020

Le gouvernement ne cesse de nous materner. « Papy et Mamie mangeront la bûche à la cuisine » est une phrase qui entrera dans les livres d’histoire. Nous allons fêter Noël à la maison avec nos deux filles et leurs enfants. Il y aura deux repas, le dîner du 24 décembre et le déjeuner du 25 décembre.

A 15 heures, j’ouvre les deux champagnes Salon qui accompagneront l’apéritif et le premier plat du dîner, un 2004 et un 2006. Les bouchons sont tellement comprimés qu’il me faut un casse-noisette pour arriver à les faire tourner. Le pschitt est relativement faible. Les odeurs que dégagent les goulots et les bouchons sont très engageantes.

A 16 heures j’ouvre les deux vins rouges, tous deux du domaine de la Romanée Conti et d’âges très disparates. L’Echézeaux 1991 a un bouchon qui vient bien et qui a curieusement déjà de la poussière noire sur sa partie supérieure, sous la capsule. Le parfum est d’une grande noblesse.

Le Richebourg 1942 a un niveau très bas dans la bouteille et à travers le verre, je vois que le bouchon est sans doute descendu un peu dans le goulot, alors que la capsule est bombée vers le haut. Quand j’enlève la capsule, je vois que le bouchon n’a pas descendu, ce qui semble lui donner une longueur inhabituelle. Je commence à tirer et ce qui sort est noir et en miettes, puis le bouchon devient très sain dans sa partie basse. Tout se passe comme si le bouchon avait secrété une bouillie de vin et de liège qui a poussé la capsule vers le haut et le bouchon vers le bas. L’odeur du vin est rebutante, aqueuse et tendance serpillière. Une telle odeur conduirait 99% des amateurs de vins à déclarer le vin mort et à l’écarter. Je ne peux pas dire que je suis optimiste, mais ayant rencontré tant de miracles, il est évident que je vais laisser toutes ses chances à ce Richebourg de pouvoir nous surprendre.

Il faut toutefois penser à un Plan B et une bouteille est repérée pour le cas où.

Avant la cérémonie des cadeaux, vers 18h30, nous trinquons avec le Champagne Salon 2004 et le Champagne Salon 2006. Pour l’instant nous ne grignotons que des chips à la truffe. Dans ce contexte, le 2004 puissant, viril, affirmé, surpasse le 2006, plus discret, laiteux, féminin. Je pressens toutefois que le 2006 a des facultés gastronomiques. Et nous le vérifions quand, après les échanges de cadeaux, arrive une tarte aux oignons. Le 2006 est beaucoup plus adapté au goût sucré de l’oignon.

A table, les deux champagnes vont accompagner des coquilles Saint-Jacques crues avec du caviar osciètre prestige de Kaviari. Il me semblait probable que le 2004 soit le plus adapté à ce plat, mais en fait les deux champagnes conviennent tous les deux, le 2004 viril et le 2006 plus séduisant. Alors que le 2004 était largement en tête sur les premières gorgées, le 2006 a maintenant ma faveur pour ses qualités gastronomiques. Ces champagnes vont évoluer avec le temps et les deux seront très grands, dans deux styles différents. Ce fut une bonne idée d’ouvrir des champagnes aussi jeunes.

Le plat principal est de deux poulets accompagnés de pommes de terre en gratin. L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991 a un parfum élégant et riche. En bouche, le vin est magnifique d’élégance et de précision. Il est long, riche en milieu de bouche. Parmi les six vins rouges historiques du domaine, l’Echézeaux est considéré comme le moins haut dans la hiérarchie. Je trouve que celui-ci a tous les attraits d’un premier de la classe, tant il est brillant.

Le nez du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 n’est pas totalement parfait mais il est très agréable. En bouche, on sent que le vin a un peu souffert, que c’est un convalescent, mais il montre une telle personnalité que l’on est conquis. On a le sel, ce marqueur si caractéristique des vins du domaine, et une richesse incroyable. C’est un solide Richebourg, guerrier, à l’intensité aromatique extrême. Plus le temps passe, plus il s’affirme avec une personnalité percutante.

Sur les fromages, les deux vins rouges brillent encore plus, sur un Saint-Nectaire fermier parfait et sur un chèvre goûteux.

Ma fille aînée a apporté une bûche de Philippe Conticini au yuzu et au kumquat. Après avoir goûté une fine entame de ce dessert, je décide d’ouvrir un Champagne Krug rosé sans année qui doit avoir au moins une vingtaine d’années. L’accord est très pertinent. Le champagne est délicat, raffiné, très consensuel. On se régale.

Nous sommes quatre à voter car l’aînée de mes six petits-enfants a une voix qui compte. Ma petite-fille vote ainsi : 1 – Salon 2004, 2 – Echézeaux 1991, 3 – Salon 2006. Ma fille aînée vote : 1 – Echézeaux 1991, 2 – Salon 2004, 3 – Krug rosé. Ma fille cadette vote : 1 – Richebourg 1942, 2 – Salon 2004, 3 – Echézeaux 1991. Je vote : 1 – Richebourg 1942, 2 – Echézeaux 1991, 3 – Salon 2006.

Le vote du consensus est : 1 – Richebourg 1942, 2 – Echézeaux 1991, 3 – Salon 2004, 4 – Salon 2006. Une fois de plus le retour à la vie d’un vin blessé est un miracle de l’oxygénation lente et peut conduire ce vin qui serait écarté à devenir le premier des vins d’un repas. Pour mon goût, les accords les plus marquants sont le Salon 2006 avec la tarte à l’oignon et le Richebourg 1942 avec le fromage de chèvre de Selles-sur-Cher.

la lie du Richebourg 1942

Papy et Mamie n’ont pas pris la bûche à la cuisine ! Que va dire notre Premier Ministre ?

A family dinner with great wines jeudi, 17 décembre 2020

We receive our son for the last dinner of his stay in France. My oldest daughter wanting to bring her Christmas presents for the family of her brother in Miami, there will be four of us at dinner. I want to compare two champagnes from 1964 and put together two wines from the domain of Romanée Conti or close to the domain.

For the champagnes there will be the aperitif with a foie gras terrine made by my wife, and the starter will be Kaviari Osciètre Prestige caviar served alone, with bread and butter. For red wines there will be a braised veal cooked at low temperature accompanied by a Robuchon puree.

At 4 pm I open the 1966 Romanée Saint-Vivant Marey-Monge, Leroy Négociant at a somewhat low but acceptable level. The cork comes whole and the smell emanating from the bottle is awful, putrid, and I think that smell is likely to linger, which would make the wine undrinkable. My wife, who smells the wine, is much less critical and believes that the wine will eliminate these bad smells. I don’t agree with her as only five minutes later although the scent is less excruciating, it is still strongly marked by the odor of sweat, almost dry mops and dust. The rule I have set for myself is to always give wines a chance, but I will see a potential candidate in the cellar to replace this wine. Why did I indicate at the beginning of this story « close to the domain »? Because in 1966 Geneviève Marey-Monge, the last heiress of the family, decided to rent out the plot she owned to the Domaine de la Romanée-Conti. Was the 1966 wine matured and vinified under the old or the new management, I don’t know.

The Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952 has a fairly low level, as was often the case with wines from this estate during this period. I plant my normal corkscrew and despite my best efforts I can’t lift it because it’s so hard and compressed in the neck. Once again I see the curious phenomenon that extremely tight plugs in the neck still allow liquid to evaporate, while others, less securely locked in the neck, do not cause any evaporation. This is a mystery. I remove the inoperative corkscrew and take the Durand corkscrew which combines a corkscrew and a bimetallic strip. And unlike what normally should happen, the cork rips to shreds that I pick up with the tools I have. My efforts pay off because the scent of this wine is divine. Rich in red fruits, it promises the best, because this fragrance is straight, precise and rich.

Shortly before 7 pm I open the two champagnes of 1964. For the two corks, the lunula at the bottom of the cork which is glued to the cork does not come out with the top and I have to use a corkscrew to extract these lunulae which are some five millimeters thick. In both cases there is no pschitt and the scents are encouraging.

My son is the first to arrive. We are thirsty, so I serve Champagne Lanson Red Label 1964 in the beautiful bottle in the shape of a keel. The champagne is slightly amber. The bubble is extremely rare. The champagne is divine, giving off an incredible joie de vivre and a formidable charm. The champagne is very sweet, without being able to say that it is heavily dosed. It’s so user-friendly, you can’t help but love it.

My daughter joins us and I serve Champagne Dom Pérignon 1964 to each of us. It has a color very similar to that of Lanson, with an amber which also has small notes of pink color, but it is perhaps due to the lighting and fireplace. This champagne is marked by a fairly strong bitterness which limits the pleasure. The Lanson consequently appears brighter. On the foie gras, the Lanson is imperial and the pairing is superb.

Suddenly, after half the bottle has already been drunk, the Dom Pérignon has completely lost its bitterness and I see its grandeur dawning, made of a complexity greater than that of Lanson. I am delighted because I would like the two champagnes to play an equal game, but the charm of Lanson is formidable.

At table we eat caviar with bread and butter. Dom Pérignon is the best companion for the small savory grains. He recovered part of his delay but the judgment will be final, dedicating Champagne Lanson to incomparable seduction and perfect balance, as well as its length.

I go to look for the two red wines and I announce that it is very likely that the Romanée Saint-Vivant Marey-Monge, Leroy négociant 1966 will not be up to the task. I pour the wine for my children and while I pour the other wine, their doubtful expression calls out to me. They tell me: this wine is good. I hasten to taste it and the result is amazing. The wine has no flaws both in fragrance and taste. The miracle of slow oxygenation has happened once again. My wife guessed more correctly than me.

The Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952 is absolutely sublime. Its fragrance is powerful, rich, intense and of absolute purity. In the mouth, the emotion is total, because this wine offers the most beautiful expression of what represents the magic of the domain of Romanée Conti. This wine suggests more than it imposes. It is delicate, elegant, and its mid-palate is a recital of successive complexities. It’s a story. We are in heaven, and veal at low temperature is ideal for highlighting the subtle wine.

So we forget a little the Saint-Vivant, which is a good wine but far from the emotion that the 1952 gives. But it has not said its last word. On an epoisses, a Burgundy cheese, the accord with Romanée Saint-Vivant is incredibly vibrant. They are made for each other, so much so that we’ll decide that the 1966 pairing with époisses is the best pairing of this meal. La Romanée has found with this cheese an extra soul which has made it a conqueror.

My wife made a Tonka bean applesauce topped on each plate with a candied black cherry, all accompanied by trials she made of Kouign-Amann. It is an obvious call to associate it with this alcohol which excited me, the Calvados made by the father of a truck driver of a former company that I ran more than forty years ago.

We voted for our favorite wines. My daughter put the Lanson champagne first, which touches me a lot because not so long ago, she had little interest in champagnes. My son and I have the same classification: 1 – Grand Echézeaux 1952, 2 – Romanée Saint-Vivant 1966, 3 – Lanson 1964 and 4 – Dom Pérignon 1964. Messages of thanks that I received from my children, I remember that they were dazzled as well by the dishes than by the wines we shared. The next stop in these curfew times will be Christmas.

(the pictures can be seen on the article in French, just below this one)

Dîner de famille avec des vins brillants mercredi, 16 décembre 2020

Nous recevons notre fils pour le dernier dîner de son séjour en France. Ma fille aînée voulant lui apporter les cadeaux de Noël pour sa famille de Miami, nous serons quatre à dîner. J’ai envie de comparer deux champagnes de 1964 et de mettre ensemble deux vins du domaine de la Romanée Conti ou proches du domaine.

Pour les champagnes il y aura l’apéritif avec une terrine de foie gras faite par ma femme, et l’entrée sera du caviar Osciètre Prestige de Kaviari servi seul, avec du pain et du beurre. Pour les vins rouges il y aura un grenadin de veau cuit à basse température accompagné d’une purée Robuchon.

A 16 heures j’ouvre la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge, Leroy négociant 1966 au niveau un peu bas mais acceptable. Le bouchon vient entier et l’odeur qui émane de la bouteille est affreuse, putride, et je pense que cette odeur a toutes les chances de persister, ce qui rendrait le vin imbuvable. Ma femme qui sent le vin aussi est beaucoup moins critique et estime que le vin va éliminer ces mauvaises odeurs. Je ne partage pas son avis d’autant que cinq minutes plus tard même si le parfum est moins atroce, il est encore fortement marqué par des odeurs de sueur, de serpillière presque sèche et de poussière. La règle que je me suis fixée est de toujours laisser une chance aux vins, mais je vais voir en cave un candidat potentiel pour remplacer ce vin. Pourquoi ai-je indiqué au début de ce récit « proche du domaine » ? Parce qu’en 1966 Geneviève Marey-Monge dernière héritière de la famille décide de mettre en fermage auprès du domaine de la Romanée-Conti la parcelle qu’elle possède. Le vin de 1966 a-t-il été élevé et vinifié sous l’ancienne ou la nouvelle direction, je ne le sais pas.

Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952 a un niveau assez bas, comme c’est souvent le cas des vins de ce domaine sur cette période. Je plante mon tirebouchon limonadier et malgré mes efforts je n’arrive pas à le soulever tant il est durci, comprimé dans le goulot. Je constate une fois de plus le phénomène curieux qui veut que des bouchons extrêmement serrés dans le goulot laissent quand même passer du liquide qui s’évapore, alors que d’autres, moins solidement enfermés dans le goulot, n’entraînent aucune évaporation. J’enlève le limonadier inopérant et je prends le tirebouchon Durand qui combine un tirebouchon et un bilame. Et contrairement à ce qui devrait normalement se passer, le bouchon se déchire en lambeaux que je ramasse avec les outils dont je dispose. Mes efforts ont une récompense car le parfum de ce vin est divin. Riche de fruits rouges il promet le meilleur, car ce parfum est droit, précis et riche.

Peu avant 19 heures j’ouvre les deux champagnes de 1964. Pour les deux bouchons, la lunule du bas de bouchon qui est collée au bouchon ne sort pas avec le haut et je suis obligé d’utiliser un tirebouchon pour extraire ces lunules de quelque cinq millimètres d’épaisseur. Dans les deux cas il n’y a aucun pschitt et les parfums sont encourageants.

Mon fils arrive le premier. Il fait soif aussi je sers le Champagne Lanson Red Label 1964 à la belle bouteille en forme de quille. Le champagne est légèrement ambré. La bulle est rarissime. Le champagne est divin, dégageant une joie de vivre incroyable et un charme redoutable. Le champagne est très doux, sans qu’on puisse dire qu’il est fortement dosé. Il est si convivial qu’on ne peut que l’adorer.

Ma fille nous rejoint et je sers à chacun le Champagne Dom Pérignon 1964. Il a une couleur très proche de celle du Lanson, avec un ambré qui lui aussi a des petites notes de couleur rose, mais c’est peut-être dû à l’éclairage et au feu de cheminée. Ce champagne est marqué par une assez forte amertume qui limite le plaisir. Le Lanson n’en apparaît que plus brillant encore. Sur le foie gras, le Lanson est impérial et l’accord est superbe.

Soudainement, alors que l’on a déjà bu la moitié de la bouteille, le Dom Pérignon a complètement perdu son amertume et je vois poindre sa grandeur faite d’une complexité supérieure à celle du Lanson. Je me réjouis car j’aimerais bien que les deux champagnes fassent jeu égal, mais le charme du Lanson est redoutable.

A table nous mangeons le caviar avec du pain et du beurre. Le Dom Pérignon est le meilleur compagnon des petits grains salés. Il remonte une partie de son retard mais le jugement sera sans appel, consacrant le Champagne Lanson à la séduction inégalable et à l’équilibre parfait, ainsi que sa longueur.

Je vais chercher les deux vins rouges et j’annonce qu’il est très probable que la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge, Leroy négociant 1966 ne sera pas à la hauteur. Je verse le vin à mes enfants et pendant que je verse l’autre vin, leur mine dubitative m’interpelle. Ils me disent : ce vin est bon. Je m’empresse de le goûter et le constat est étonnant. Le vin n’a aucun défaut aussi bien en parfum qu’en goût. Le miracle de l’oxygénation lente s’est produit une nouvelle fois. Ma femme a vu plus juste que moi.

Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952 est absolument sublime. Son parfum est puissant, riche, intense et d’une pureté absolue. En bouche, l’émotion est totale, car ce vin offre la plus belle expression de ce qui représente la magie du domaine de la Romanée Conti. Ce vin suggère plus qu’il n’impose. Il est délicat, élégant, et son passage en bouche est un récital de complexités successives. C’est un récit. Nous sommes aux anges, et le veau à basse température est idéal pour mettre en valeur le vin subtil.

Alors on oublie un peu le Saint-Vivant, qui est un bon vin mais loin de l’émotion que procure le 1952. Mais il n’a pas dit son dernier mot. Sur un époisses, l’accord avec la Romanée Saint-Vivant est incroyablement vibrant. Ils sont faits l’un pour l’autre, au point que nous déciderons que l’accord du 1966 avec l’époisses est le plus bel accord de ce repas. La Romanée a trouvé avec ce fromage un supplément d’âme qui l’a rendu conquérant.

Ma femme a préparé une compote de pommes à la fève de Tonka surmontée dans chaque assiette par une cerise noire confite, le tout accompagné d’essais qu’elle a faits de Kouign-Amann. C’est un appel évident à l’associer à cet alcool qui m’a enthousiasmé, le calvados fait par le père d’un chauffeur de poids lourds d’une ancienne société que je dirigeais il y a plus de quarante ans.

Nous avons voté pour nos vins préférés. Ma fille a mis en premier le champagne Lanson, ce qui me touche beaucoup car il n’y a pas si longtemps, elle n’éprouvait que peu d’intérêt pour les champagnes. Mon fils et moi avons le même classement ; 1 – Grand Echézeaux 1952, 2 – Romanée Saint-Vivant 1966, 3 – Lanson 1964 et 4 – Dom Pérignon 1964. Des messages de remerciements que j’ai reçus de mes enfants, je retiens qu’ils ont été éblouis aussi bien par les plats que par les vins que nous avons partagés. La prochaine étape en ces temps de couvre-feu, ce sera Noël.

le tirebouchon Durand ne donne pas toujours des résultats probants. J’aime l’image de la vache à travers le Durand.

au dessert, les essais de Kouign-Amann

Dîner avec un magique Lafite 1900 samedi, 12 décembre 2020

Du fait du confinement, j’ai élaboré un projet de cinq repas à faire lors de déjeuners ou de dîners, pour six convives seulement, puisque c’est une limite évoquée par le gouvernement. Ces repas ont été construits sur papier, en consultant l’inventaire de cave. Il faut vérifier l’état des vins. Un magnum de Champagne Cristal Roederer 1979 est rangé dans son carton. En le saisissant, il me semble trop léger. J’ouvre le carton et je vois que la moitié du contenu s’est évaporée. Et cela doit être ancien, car le carton est marqué mais sec. Sur le carton une étiquette indique que j’ai acheté cette bouteille en 2001 en salle de ventes. Le vin est un peu plus foncé que ce que j’attendrais mais semble convenable. Il est exclu que je le mette dans un dîner officiel.

Je prélève pour l’un des cinq dîners un Y d’Yquem 1962. Le niveau est beau, la couleur est magnifique, mais le bouchon est descendu partiellement dans le liquide. Heureusement, tous les autres vins sont conformes à ce que j’attendais.

Il se trouve que mon fils revient à Paris pour une semaine et nous avons projeté de dîner ensemble. J’ai déjà prévu les vins, mais je vais ajouter le Cristal Roederer et l’Y d’Yquem, sachant que je pourrai remplacer des vins s’ils sont indélicats.

Le jour venu, à 15h30 j’ouvre les vins. Je coupe la capsule de l’Y d’Yquem 1962 et je verse le vin dans une carafe. Je me sers un petit verre. Bonne nouvelle, le nez du vin est pur, le vin n’a pas été dénaturé par le bouchon, ce qui semble montrer que le bouchon était encore en place et n’a baissé que lorsque j’ai pris en main la bouteille.

J’ai maintenant à ouvrir les deux vins phares de ce dîner. Le Château Lafite 1900 a une bouteille sans étiquette mais avec un écusson en verre collé sur la bouteille au verre sombre si joli. Le niveau dans la bouteille est bas comme c’est le cas pour toutes les bouteilles de Lafite 1900 que j’ai encore. Le bouchon vient normalement, en se brisant car le cylindre intérieur du goulot a des aspérités, la bouteille ayant été soufflée. Le nez est enthousiasmant. Il y a des petits fruits rouges excitants. Quel parfum ! cette bouteille est prometteuse.

J’ouvre ensuite un Pichon du baron de Longueville 1904 au niveau très acceptable et dont l’étiquette est parfaitement lisible. J’enlève des lambeaux de capsule, dévorés par le temps et quand je veux planter le tirebouchon, le bouchon me semble dur comme du roc. Il faut essayer de percer cette carapace supérieure et en faisant cet effort, je constate que le haut du bouchon reste attaché au tirebouchon, mais que le reste du bouchon tombe dans le vin. C’est la première fois je crois que je rencontre une telle situation d’un bouchon qui se déchire et tombe alors que je n’ai pas encore atteint avec le tirebouchon cette partie affaiblie qui tombe. Je suis donc obligé de carafer. J’en profite pour boire un peu. Le vin a un parfum très discret. Le vin est timide, mais il me semble qu’il va s’épanouir. Nous verrons.

Lorsque mon fils arrive, j’ouvre le Champagne Cristal Roederer Magnum 1979. Le bouchon vient facilement car son diamètre est plus petit que celui du goulot, ce qui explique l’évaporation. Il n’y a aucun pschitt. La couleur est plus foncée que la couleur qu’on peut attendre d’un 1979 et va s’assombrir beaucoup lorsque je verserai le fond de la bouteille, sans aucun dépôt. Le champagne est très agréable à boire. Il n’a peut-être pas la vivacité qu’aurait ce champagne sans évaporation, mais nous nous régalons avec lui, en goûtant du dos de saumon fumé. Même le vin plus sombre de la fin est aussi agréable à boire. C’est donc une heureuse surprise. Nous prenons aussi à l’apéritif un camembert à l’affinage parfait. Il fait apparaître un goût assez sucré du champagne, fort plaisant.

A table nous continuons à manger le saumon avec le Y d’Yquem Bordeaux Supérieur 1962 carafé du fait du bouchon tombé dans la bouteille. Le vin n’a pas de défaut. Il est fortement botrytisé et on penserait volontiers à un Yquem devenu sec plutôt qu’au vin sec d’Y. Et c’est fort agréable. Si l’on devait chercher un défaut, ce serait un léger manque de longueur. Curieusement sur l’étiquette il est indiqué : « frère jumeau de leur grand vin liquoreux ». Pourquoi « de leur », comme si l’embouteilleur n’était pas le château d’Yquem, alors qu’il est écrit : mis en bouteille au château ?

Sur un gigot d’agneau, je sers en premier le Château Longueville au Baron de Pichon-Longueville 1904. La couleur est belle et vivante. Le nez est discret mais pur. En bouche il est expressif mais comme s’il portait un masque anti-Covid. Il lui manque un peu de flamme pour être parfait. J’ai déjà bu ce vin cinq fois et les premiers avaient un peu d’acidité que je ne trouve pas en ce vin confortable.

Mais notre intérêt est monopolisé par le Château Lafite 1900 au parfum d’un charme redoutable fait de fruits rouges et de velours. En bouche, c’est la perfection absolue d’un très grand bordeaux, éternel car il n’a pas d’âge, avec une mâche truffée et de velours. Il est long, plein, équilibré et d’un charme intense. C’est le septième Lafite 1900 que je bois d’un lot où tous les vins se sont montrés parfaits.

Avec mon fils, nous repensons aux deux bordeaux inconnus que nous avions goûtés il y a un mois. L’un des deux nous avait impressionnés par sa richesse préphylloxérique. Penser que ce vin inconnu peut être placé au-dessus d’un Lafite 1900, car c’est ce que nous pensons tous les deux, montre que le vin inconnu devait être d’une immense lignée, de l’un des dix plus grands bordeaux sans doute.

Ma femme a prévu des mangues crues et un Kouign-Amann. C’est l’occasion de reprendre le Y d’Yquem 1962 qui montre à quel point le botrytis l’a marqué. Il est à l’aise avec ces deux desserts. Nous avons mis un point final à ce dîner avec le calvados dont je suis définitivement amoureux.

Avoir bu deux vins de 120 et 116 ans vivants et sans âge, dont le Lafite éblouissant, c’est un rare plaisir que j’aime partager avec mon fils.

Un étonnant Pouilly-Fuissé 1947 lundi, 7 décembre 2020

Dans ces périodes de confinement où on nous dit qu’il faut fuir les réunions familiales, on ne sait à quel saint se vouer. Ma fille cadette veut nous rendre visite avec ses deux enfants. Défiance, défiance ! Les supposés experts du Covid nous dissuadent, mais ma femme dit oui.

J’ai envie d’ouvrir quelque chose qui plaise à ma fille. Elle aime les Pouilly-Fuissé, les Pouilly-Fumé, c’est l’occasion d’ouvrir une bouteille étrange de ma cave. C’est un Pouilly-Fuissé Premier Cru Richard Raymond 1947. Le nom Raymond est une supputation de ma part car on ne peut lire que « MOND » sur l’étiquette déchirée. Et la mention « Premier Cru » est un caprice de ce négociant. La bouteille est ancienne, au cul profond à boule, d’un poids incroyable tant le verre est épais. Le verre est vert ce qui empêche de voir la couleur du vin. Le niveau est assez haut dans le goulot, et la bouteille est cirée, ce qui empêche de voir le bouchon.

J’ouvre la bouteille en cassant la cire et je constate que le bouchon est tout petit tant le goulot a un verre épais. Le bouchon ressemble comme deux gouttes d’eau à des bouchons de vins du 19ème siècle, avec la face inférieure du bouchon qui s’est inclinée avec l’âge. Le nez est très timide, mais précis et délicat. Je ne touche pas à la bouteille pendant les cinq heures qui précèdent le repas.

Ma fille et ses enfants arrivent pour décorer le sapin de Noël que nous avons installé dans la salle à manger. J’ouvre un Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979. Le bouchon vient entier, parfaitement cylindrique et ne donne aucun pschitt. Le champagne versé dans le verre est incroyablement clair et des bulles sont visibles.

Le champagne est d’un charme rare, frais et racé. Ce qui me frappe tout de suite, c’est son caractère salin. Ma femme a préparé une tarte à l’oignon et le sucré de l’oignon trouve un écho magnifique avec le salin du champagne. L’accord est parfait et l’idée me vient de provoquer un jour un accord entre ce champagne et un vin de la Romanée Conti, au salin que j’adore.

Le Pouilly-Fuissé Premier Cru Richard Raymond 1947 apparaît sur un poulet. Quand je le verse, je suis surpris de voir sa couleur terreuse, sombre, très peu engageante. Quelle n’est pas ma surprise de constater que le vin se laisse boire, et ne montre pas de défaut. Bien sûr, il a perdu tous les repères de son appellation, mais il se boit. Quand j’entends ma fille me dire : « j’aime », rien ne peut me faire plus de plaisir. Car je constate ainsi que ma fille a comme moi compris que ce qui compte dans la dégustation d’un vin, c’est l’émotion. Ce vin atypique, non classable, donne de l’émotion. Il est délicat, raffiné, suggestif et par moments, je ressens du marc, car la trace alcoolique est discrète mais présente.

Ce vin est inclassable. Il n’a pas rendu l’âme, et offre de belles saveurs. Il a même réussi à accompagner un Kouign-Amann de grande persuasion. Je fais goûter à ma fille le calvados dont je suis fou, si pur si cristallin et si intense, souvenir d’un chauffeur d’une de mes anciennes sociétés. A sa suite nous goûtons la fine du 19ème siècle qui a des accents de marc, alcool noble et d’une palette aromatique large et complexe, alors que le calvados est pur et fluide comme un torrent de montagne.

Cette communion sur les saveurs inattendues d’un Pouilly-Fuissé étonnant m’a procuré un immense plaisir.

Un Gin qui sent le hareng mercredi, 2 décembre 2020

Les lions ont des plans d’eau favoris où ils aiment se désaltérer. Ce sont des haltes obligatoires. La Manufacture Kaviari est un de mes plans d’eau préférés. J’ai une commande à faire, je demande à Karin Nebot : seras-tu là ? Elle me répond oui. Quand j’arrive je vois une belle assemblée autour de la table des repas, dont le père de Karin, Karin elle-même, Christophe Bacquié, le chef trois étoiles du Castellet, son chef adjoint et d’autres convives. On me propose de déjeuner avec eux, ce que je ne refuse pas. Je commence avec des œufs de truite délicieux, des tranches de saumons fumés de différentes façons, et l’on m’abreuve de champagnes de Duval Leroy, de Lanson et d’autres provenances. Pour les caviars, je goute le Kristal, le Baeri et l’Osciètre. Une soupe de pommes de terre aux champignons se révèle un agréable et inattendu compagnon du caviar Kristal. Jacques Nebot a créé un Apfel Strudel absolument divin. Il est vendu congelé dans les boutiques Kaviari. Le clou de ce déjeuner impromptu est un Gin du Sauerland nommé Herging pour rappeler que gin a mûri dans des fûts qui ont accueilli des harengs. Et ce gin particulièrement intéressant, évoque le hareng au milieu de sa myriade de goûts d’herbes de prairies froides, et lance ses saveurs en trois salves distinctes et profondes. C’est à coup sûr un compagnon pertinent des saveurs nordiques.

J’ai fait mes emplettes, le cœur ravi de cet événement impromptu où nous avons parlé gastronomie et vins avec un chef talentueux et des hôtes exquis.

j’adore cette phrase inscrite au dessus du monte-charge de la Manufacture Kaviari

Déjeuner dominical mercredi, 2 décembre 2020

Déjeuner dominical. Dans notre petite commune de banlieue-est, un boulanger, ou plutôt une boulangère s’est décrétée comtesse. Et la quiche lorraine qu’elle propose justifie son anoblissement. Pour cette délicieuse et légère (si l’on peut dire) pâtisserie, j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1985. Le bouchon vient assez facilement. Le pschitt est plus que discret mais la bulle est présente. La couleur du champagne est d’un or magnifique, glorieux. Le champagne est magnifiquement confortable et lisible. Il est franc, direct, riche et large. Il est plein et je ressens qu’il fait une synthèse entre un champagne jeune et un champagne ancien, en gardant ce qu’il y a de mieux dans les deux. Son aisance est telle que je pense à Jean-Paul Belmondo ou à George Clooney. Tout est gratifiant dans ce beau champagne. La quiche est idéale pour lui.

J’ai connu les vins de Méo-Camuzet à la fin des années 90 et j’ai eu la chance de visiter le domaine, accueilli par Jean-Nicolas Méo, qui m’a fait l’insigne honneur de me faire goûter le Richebourg 1959 de son domaine, une pure merveille. Depuis, j’ai acquis des vins du domaine et il est possible maintenant de commencer à en ouvrir. Mon choix s’est porté sur un Richebourg Domaine Méo-Camuzet 2001. La bouteille au niveau impeccable a été ouverte à 10 heures et je l’ai carafée au moment de servir le vin.

Ma femme a prévu des filets de cabillaud recouverts de lait fumé et accompagnés de gratins de pomme de terre en timbales. J’étais un peu sceptique mais en fait le plat est parfaitement adapté à ce grand vin profond, complexe et noble. Il est raffiné et je le ressens comme une Formule 1 prête à s’élancer au moment du départ. Car dans dix ans il sera un vin parfait. On sent toutes ses possibilités. Il est une belle promesse et offre dès à présent une grande noblesse et un grand raffinement, combinant puissance et velours.

Pour le gâteau au citron, j’ai servi une bouteille de Byrrh, vin d’apéritif au Quinquina comme le Saint-Raphaël que j’avais ouvert récemment. Il est d’une bouteille qui doit dater des années 50 ou 60. Elle avait perdu du volume, ce qui fait que l’apéritif est devenu très doux avec un final fruité qui s’accorde parfaitement au gâteau.

J’avais gardé le Richebourg dans la carafe et le soir j’ai fini le vin, mais au lieu de redescendre la carafe en cave, le vin est resté un peu chaud et il a perdu de sa superbe, ce qu’il ne méritait pas. L’important est d’avoir senti sa grandeur lors du déjeuner.

Brane Cantenac 1928 mercredi, 25 novembre 2020

Lors du premier confinement, j’avais entrepris un inventaire de la cave de la maison et j’avais repéré des bouteilles qu’il faudrait boire en priorité. Une semaine après le départ de mon fils, j’ai envie d’ouvrir une de ces bouteilles. Je choisis un Château Brane-Cantenac 1928 dont l’étiquette n’est pas de la cave Nicolas. J’en ai d’autres de la cave Nicolas. Si nous avions été deux à boire j’aurais sans doute aimé comparer les deux mises en bouteille, mais étant seul à boire je me limiterai à celle-ci.

Le niveau est à mi-épaule, tendant à peine vers basse épaule. Le bouchon vient assez facilement, se brisant en deux morceaux. L’odeur à l’ouverture montre une légère acidité qui disparaît une minute plus tard. Au moment du service, quatre heures plus tard, le nez est de grande pureté et montre que le vin est puissant. Ce parfum n’a pas d’âge et si l’on disait 1985, on ne pourrait pas critiquer cette estimation.

En bouche, l’impression est mitigée. Car le vin est pur, bien construit, mais je ne ressens pas une grande émotion. Nous mangeons des poissons panés avec un pressé de pommes de terre qui accompagnent bien le goût du vin. Il aura parfois des fulgurances de charme qui montrent qu’il est d’une année légendaire. Mais globalement, malgré quelques moments de grâce, ce vin de belle structure n’aura pas offert suffisamment d’émotion pour représenter ce que l’on peut attendre de 1928, une des plus grandes années qui soient. J’espère essayer bientôt un Brane-Cantenac 1928 mis en bouteilles par Nicolas, pour retrouver – peut-être – la grandeur de ce vin qui avait été nommé premier des vins du 167ème dîner malgré une forte concurrence représentée notamment par deux vins du domaine de la Romanée Conti.

Une expérience à tenter bientôt.

Dernier repas du séjour de mon fils avec La Tâche 1956 mardi, 17 novembre 2020

(il est recommandé de lire en premier les préparatifs d’un dîner puis le dîner puis ce déjeuner, pour suivre la logique de la succession des événements)

De bon matin je me lève pour ouvrir le vin rouge qui va être la vedette de notre déjeuner dominical. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 est d’une belle bouteille. Le niveau est exceptionnellement haut, ce qui est rare pour les vins du domaine de cette année.

Le bouchon d’une grande qualité vient entier. Le parfum du vin est tout en subtilité. C’est une bonne nouvelle et une belle promesse. Je redescends la bouteille à la cave, pour lui laisser le temps de s’épanouir.

L’apéritif se présente de la même façon qu’au dîner de la veille, avec rillette de canard, Gouda truffé et quiche lorraine. Le Champagne Krug Private Cuvée années 50 ou 60 est toujours aussi noble et joyeux, large et complexe.

Le Champagne Krug Grande Cuvée 163ème édition s’est élargi depuis la veille et a gagné en souplesse. Force est de constater une fois de plus que c’est le plus ancien qui est de loin le plus agréable à boire, même si le plus jeune a des qualités extrêmes. On ne peut pas lutter contre la sagesse que donne l’âge. Et tout indique que le plus jeune sera aussi bon que l’ancien quand il aura le même âge.

Ma femme a préparé des pigeons de compétition. Elle a traité de trois façons différentes les parties en présence. Les suprêmes sont cuits à part, les pattes de leur côté et la carcasse est cuite à petit feu pendant de longues heures en un bouillon de céleri, carottes, oignons, ail et fénu grec. Les suprêmes sont accompagnés de gratin dauphinois en rosace. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 est d’une belle couleur foncée et rouge sang. Le nez est élégant, subtil, tout en suggestion. C’est un très grand La Tâche. J’ai la chance d’avoir pu boire 127 fois La Tâche, de 56 millésimes différents et je dirais volontiers que celui-ci a l’âme de La Tâche. Il n’a pas bien sûr la puissance et le caractère glorieux de La Tâche 1962, le plus mythique de tous, ni la magnificence de La Tâche 1990, mais c’est un vin tout en suggestion.

Il a la signature des vins de la Romanée Conti qui est le sel dans le finale, et l’accord avec le pigeon est majeur. Mais c’est surtout sur le bouillon que l’accord est le plus profitable à La Tâche. Le pigeon est un plat qui convient parfaitement aux vins de la Romanée Conti des années discrètes.

Il restait du vin du Bordeaux 19ème siècle capsule jaune de Cruse Fils et Frères. Je le verse maintenant et je ressens un choc brutal. Ce vin bu au dernier dîner, qui a passé la nuit en cave, a gagné en largeur et se présente de façon incroyable. Il est parfait. Il est glorieux, fruité et m’époustoufle. Je m’imagine qu’il pourrait faire pâlir le Mouton-Rothschild 1945 que je considère comme le plus parfait des bordeaux. Comment est-ce possible ? Et tout-à-coup la solution me paraît évidente : c’est un vin préphylloxérique. Je me souviens du Lafite 1878 bu au 230ème dîner qui avait une sérénité invraisemblable et du Lafite 1844 bu au château de Beaune. On est dans le même style de vin.

La question se pose maintenant de savoir quels vins étaient distribués par Cruse dans la deuxième moitié du 19ème siècle, pour espérer donner un nom à ce vin magique. Il est d’autant plus magique que je le trouve plus émouvant et grand que La Tâche qui devait être la vedette de ce déjeuner.

Pour le dessert, un Kouign-Amann, j’ai pris dans un réfrigérateur une bouteille d’un Sauternes 1922 qui était ouverte il y a un petit nombre d’années. Le vin a un joli nez indiquant une belle origine, sa couleur est très ambrée ce qui est normal pour un 1922, mais le vin est quand même assez éventé. Alors, je n’insiste pas et je verse un petit verre du Calvados dont je sens que je suis de plus en plus amoureux.

Avec mon fils nous récapitulons les vins de toutes provenances que nous avons goûtés sur les cinq repas que nous avons eus ensemble pendant son séjour. Mon fils met en tête La Tâche 1956 car pour lui c’est une magistrale démonstration du talent de la Romanée Conti. De mon côté je mets en premier le Bordeaux inconnu du 19ème siècle capsule jaune marquée Cruse, car il y a pour moi une prime à la découverte, suivi de La Tâche 1956 et du diabolique Sancerre 1951.

Notre fils nous a annoncé qu’il reviendra dans un mois. Quelle joyeuse nouvelle !

évolution de la couleur de La Tâche 1956

couleur du bordeaux à capsule jaune

le sauternes 1922 sans étiquette

Dîner avec mon fils avec un vin inconnu éblouissant mardi, 17 novembre 2020

J’ai demandé à mon fils d’arriver avant 16 heures pour que nous choisissions les vins du dîner et du déjeuner du lendemain. Ayant dans un réfrigérateur un Krug Grande Cuvée 163ème édition, je propose à mon fils que nous ouvrions en même temps le Krug Grande Cuvée et le Krug Private Cuvée des années 50 ou 60 pour que nous puissions les comparer, ce que je n’ai jamais fait jusqu’alors. Les deux champagnes couvriront les deux repas du weekend. Cette proposition est acceptée.

Un choix va être à faire entre trois vins rouges et je mets mon fils face à un lourd dilemme. Il y a deux Bordeaux sans étiquette, de bouteilles sûrement du 19ème siècle, aux culs extrêmement profonds. Le cul de la bouteille à capsule rouge est profond de 6 cm et celui de la bouteille à capsule jaune est de 7,2 cm, ce qui est très rare. La bouteille à capsule rouge n’a aucune indication et un niveau entre mi-épaule et haute épaule. La bouteille à capsule jaune n’a pas d’étiquette mais on lit clairement sur la capsule le nom de Cruse Fils et Frères négociant avec un blason contenant des lettres entrelacées, dont un C et d’autres lettres difficiles à lire. Le niveau de cette bouteille est proche du niveau vidange.

A côté de ces deux bouteilles il y a une bouteille de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 au niveau exceptionnel. Il se trouve que j’ai bu 21 vins du domaine de la Romanée Conti de l’année 1956 et les niveaux sont le plus souvent bas. Cette bouteille est donc exceptionnelle.

Je propose à mon fils de choisir entre les bordeaux et le Bourgogne. Ses yeux sont attirés, comme un moustique l’est de la lumière, par La Tâche, car c’est un vin qu’il a peu l’habitude de boire. Mais comme nous avons deux repas devant nous, je lui propose de commencer ce soir avec les deux bordeaux et de réserver La Tâche au déjeuner. Mon fils accepte.

Je dis à ma femme que le bœuf Angus sera pour ce soir avec les bordeaux et les pigeons demain avec La Tâche. J’avais apporté, sans aucune illusion, une demi-bouteille de Mazy-Chambertin Thomas Bassot 1961 au niveau très bas, que j’avais isolée debout depuis plusieurs années. Elle est un peu dépigmentée. Donnons-lui sa chance, encore une fois sans y croire.

J’ouvre les bouteilles. Le Mazy-Chambertin a un parfum qui n’est pas déplaisant mais assez neutre et plat. Ce n’est pas une surprise. J’ouvre d’abord le bordeaux à étiquette jaune et bas niveau. Le bouchon est incroyablement serré dans le goulot et je suis obligé d’utiliser le tirebouchon Durand, qui combine un bilame avec un tirebouchon. Le bouchon bien sain dans sa partie basse sort entier. Le parfum est ahurissant. Il est fort, puissant, avec un fruit rouge tenace. Ce parfum est exceptionnel et m’évoque instantanément le nez de Château Margaux 1928 qui est l’un des plus beaux parfums possibles de vins de Bordeaux. C’est quasi sûrement un premier grand cru classé.

Mon fils avait les yeux de Chimène pour le bordeaux à capsule rouge et au beau niveau. Lorsque je veux découper la capsule je sens une résistance. J’insiste et chose invraisemblable, je lève ensemble à la main la capsule et le bouchon qui a une forme de champignon, car le haut a la largeur du goulot, voire un peu plus car il a débordé sur le haut de la bouteille et le bas, cylindrique, est complètement comprimé, pressé. Le nez est élégant, sans défaut mais discret. Il est d’une belle promesse mais moins belle que celle du bordeaux à capsule jaune.

Une fois de plus je fais une constatation qui est une énigme : la bouteille au bouchon extrêmement serré a perdu beaucoup de volume, alors que la bouteille dont le bouchon sort à la main a gardé la quasi-totalité de son volume. Pourquoi cette situation contraire à la logique ? Je ne sais pas.

A l’heure dite commence l’apéritif. Le Champagne Krug Private Cuvée années 50 ou 60 a un bouchon qui vient facilement et sans pschitt. La couleur est d’un ambre léger et l’on devine quelques rares bulles. Le nez est intense et plein de charme. En bouche tout est soleil. Ce champagne est joyeux mais noble et complexe. C’est un très grand champagne.

Le Champagne Krug Grande Cuvée 163ème édition a un bouchon qui saute en sortant, avec l’énergie d’une fusée spatiale. Sa couleur est claire et sa bulle très active. Il sent divinement bon et son énergie est incroyable. Il est tranchant comme un sabre de samouraï et sa trace ondule comme la trajectoire d’un noble serpent.

Les deux champagnes sont si différents qu’il est difficile de les hiérarchiser à ce stade. Nous avons pour l’apéritif une rillette de canard, un gouda à la truffe et une quiche lorraine de goût parfait. Cette quiche pourrait s’associer avec tous les vins mais ici, avec les champagnes, l’accord est merveilleux. Et plus le temps passe, avec ce que l’on mange, plus la comparaison est en faveur du plus vieux des deux, le Krug Private Cuvée, car il développe des complexités plus grandes et se montre d’un charme inégalable.

J’ai voulu mettre mon fils en face d’une énigme. Pour que mon fils ne voie pas la bouteille, je suis allé verser en cave deux verres du Saint-Raphaël Quinquina années 50 plus probablement que 60. Comme il ne restait qu’un fond de bouteille, un des verres offre une couleur jaune dorée alors que l’autre est franchement marron car on est dans la lie. J’ai remonté les deux verres, le plus clair pour mon fils, et je lui ai demandé de deviner le vin qui accompagne le foie gras. Sa démarche a été bonne et sa proposition finale a été un Constantia, ce qui fait sens (comme on dit aujourd’hui). Le Saint-Raphaël est un régal car la force alcoolique s’est largement estompée, et le côté amer du quinquina est joliment intégré. C’est un régal que ce vin. Il se trouve que lorsque je faisais des achats en salles de vente, il y a plus de quarante ans, il y avait des lots disparates avec de vieux alcools, comme des Byrrh, des Dubonnet, et tant d’autres dont j’avais pu mesurer que l’âge leur donne une douceur extrême. J’en ai acheté beaucoup. L’accord avec le foie gras est idéal.

Nous avons ensuite du boudin blanc parsemé de copeaux de morilles et poêlé et je sers le Mazy-Chambertin Thomas Bassot ½ bt 1961. Le verdict est sans appel, après une gorgée, il est évident qu’il ne faut pas continuer à boire ce vin qui était de toute façon condamné.

C’est l’heure de l’entrée en piste des deux bordeaux inconnus du 19ème siècle, sur le boudin blanc et sur le bœuf Angus. Le Bordeaux 19ème siècle à capsule rouge est manifestement un grand vin, précis, cohérent, assemblé, mais nous le laissons de côté tant le Bordeaux à capsule jaune19ème siècle marquée Cruse Fils et Frères est impressionnant. Nous restons sans voix, car il est d’une perfection telle que cela paraît irréel. Le nez explose de fruits rouges, parfum envoûtant. En bouche on retrouve ces fruits rouges, riches et pénétrants. Le vin est raffiné, long, à la trace profonde, mais surtout, tout est assemblé, organisé, cohérent, immense. Que dire d’un tel vin qui atteint le sommet du vin ? Nous cherchons quels sont les vins distribués par Cruse Fils et Frères. Ce serait intéressant de le savoir car nous buvons ce qui se fait de plus grand. Ma mémoire me suggère un Château Margaux vers 1880 – 1890. Je ne garantis pas cette réponse, mais c’est celle qui me paraît cohérente du fait du caractère assez féminin de ce vin exceptionnel.

C’est une tradition familiale que de prendre au dessert des boules de meringues saupoudrées de minuscules pépites de chocolat, dont l’appellation historique a été sacrifiée au nom du vivre ensemble. Je conserve dans un réfrigérateur des bouteilles très anciennes maintes fois servies dont un Madère vers 1760 et un Tokaji 1860. Les deux alcools sont suffisamment forts pour supporter le sucre de la meringue.

Le Madère semble totalement indestructible et éternel avec les couleurs changeantes d’une pierre précieuse noire. Le Tokaji 1860 me trouble beaucoup par un côté salin que l’on ne trouve jamais dans des Tokays. Cette bouteille a été authentifiée par Christie’s à Londres. Si ce n’était pas le cas, j’émettrais un doute certain sur la région d’origine de ce vin.

L’ambiance créée par le vin de Cruse nous portant sur des nuages de félicité j’ai conclu ce repas de grand bonheur avec le diabolique Calvados fait par le père d’un des chauffeurs de camions de mon ancienne société, bouteille que le chauffeur gardait sous son siège à l’époque où les alcotests n’existaient pas. Je ne sais pas pourquoi mais je suis fasciné par le charme de ce Calvados, si frais et si fort.

Demain est un autre jour, avec La Tâche 1956.

la couleur des verres de Saint-Raphaël, au service, puis le dépôt du verre le plus sombre

le bordeaux à capsule rouge

le bordeaux à capsule jaune