le Monbazillac brille à nouveau sur un foie gras vendredi, 30 décembre 2005

Nous avions précautionneusement gardé pour le déjeuner suivant la moitié du Monbazillac Louis Bert 1962. Le chef le sent pour se remettre en tête son organigramme. Il nous sert des foies gras poêlés et coings, émulsion à la mandarine qui sont la représentation la plus exhaustive d’un vin qui aurait pu être liquoreux mais avait laissé son sucre en chemin. L’accord est éblouissant. C’est sublime. Et l’on voit à quel point une cuisine exacte permet à un vin de devenir grandiose. Le plat l’a vêtu d’habits de lumière. Ce Monbazillac 1962 fut, sur une mangue et aujourd’hui sur un foie gras, un vin de bonheur.

Hérault et Provence sur un boeuf de cinq semaines vendredi, 30 décembre 2005

Le matin, à J-2 du réveillon, j’organise un briefing pour définir les accords, les plats, les achats et les approvisionnements. Les bouteilles de ce dîner sont montrées, pour que l’on sente ce qui va leur convenir. La Mission Haut-Brion que je situe vers 1915 appelle obligatoirement une truffe, c’est le consensus unanime de notre conseil d’administration. Je suggère pour le Gilette crème de tête 1949 des mangues et des agrumes, pamplemousse rose par exemple. Notre chef ami a envie d’essayer ce soir un dessert. L’idée séduit. Je range les bouteilles, les plans sont faits. Nous voilà le soir.

Sur une pissaladière, tarte aux oignons agrémentée d’olives, anchois et autres goûts provençaux, le champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 glisse fort aimablement. Champagne agréable, sans histoire, qui se boit bien. Mieux que cela, c’est un grand champagne. Le faux-filet venu de Paris provient d’une limousine de l’Aveyron élevée en liberté. La viande a rassis cinq semaines. Des tagliatelles de courgettes au thym citronné et un jus provençal donnent à cette viande au goût intense une originalité rare. Le Mas de Daumas Gassac rouge 1999 est d’un fruit chantant. On sent le cassis et la mûre qui dansent en bouche. Mais c’est le thym citronné qui met en valeur le vin, le rendant d’une émotion qui se combine astucieusement au discours des fruits joyeux. En bouche le vin est beau. On ne peut pas imaginer à quel point le thym citronné l’a encouragé. C’eut été dommage d’essayer le vin suivant sur la viande. Des fromages dont certains étaient adaptés, mais surtout des restes de la pissaladière ont accompagné le Terrebrune, Bandol 1990, animal, intense. Le fruit n’est plus là. Le vin s’est développé, a pris une trace un peu austère. Mais quel grand vin. Il a simplifié son message, comme le graphisme d’un Gauguin qui résume la sensualité d’une femme, et il en est encore plus grand. Selon les circonstances, on jugerait l’un des rouges devant l’autre. Point n’en est besoin. En fait, le Terrebrune est plus majestueux. Mais la pétulance généreuse du vin de l’Héraut lui donne un charme rare. La mangue, qu’il fallait bien essayer avant le réveillon, tout prétexte est bon, se présente sous la forme d’un millefeuille de mangues poêlées et pamplemousses roses au miel d’acacia, coulis exotique amer. Et le Monbazillac Louis Bert 1962, bouteille d’une beauté absolue, par l’étiquette au design étonnant et la couleur intense de ce liquide doré trouve dans le plat la même exactitude que celle que l’on avait ressentie dans l’alliance du homard de Yannick Alléno avec un divin Duhart-Milon 1962. Tiens, c’est la même année ! Le Monbazillac, s’il était jugé dans des jurys froids et cliniques serait analysé comme léger, simple, limité en puissance et en trace. Là, avec ce dessert absolument divin, celui qui centré sur des goûts primaires, sait servir le message des vins, le Monbazillac devient sublime. Quand on a la bouche vide, si l’on siffle l’air avidement dans le palais, on est incapable de dire si le goût que l’on ressent est celui du dessert ou du vin, tant l’osmose est parfaite. Comme pour me narguer, comme pour afficher la fierté du créateur, mon ami déclara : je ne refais jamais deux fois le même plat. Tu auras autre chose dans deux jours sur le Gilette 1949. Je tenais une perfection. Je devrai donc attendre. Nous verrons.

un pavillon sec du château Guiraud 1964 brillant jeudi, 29 décembre 2005

Une idée avait pris corps. L’ami qui nous avait enseigné l’art de Marc Veyrat viendrait cuisiner dans notre maison du Sud pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. Il arrive par avion, les bras chargés de cadeaux. Il est donc opportun d’ouvrir un champagne Salon 1998. Très différent du 1985, il est d’une rare élégance. Il est évidemment puissant, mais ne le montre pas. Il préfère décliner des parfums et des saveurs de pure distinction. Un très grand champagne floral, fruits frais, charmes orientaux. L’option de la poutargue va le typer, sans lui enlever une once de charme. Seule la longueur est à peine affectée.
Une omelette au foie gras et cèpes va se marier à ravir avec un Pavillon sec du Château Guiraud 1964. L’étiquette est amusante, car son design est assez primaire. Mais elle est aussi assez gravement mensongère, car on met en avant : « premier grand cru Sauternes », alors que ce vin sec ne l’est pas. C’est un peu comme si Mouton-Cadet mettait « premier grand cru classé ». En fait ça n’a pas d’importance, car ce vin est diablement bon. Très expressif, citronné, fruits jaunes, il montre une forte empreinte en bouche et une longueur rare. Vin de grand plaisir comme le fut le Côtes du Jura blanc 1969, il émerveille par son insistance en bouche. J’aime quand de tels petits vins brillent au moment opportun.

un article sur une revue américaine mardi, 27 décembre 2005

L’avocat de la revues américaine que j’ai citée dans le titres au moment où c’est paru vient de se manifester auprès de mon blog pour qu’on supprime toute mention de la revue, et toute mention du texte. C’est assez amusant, parce que comme cela, ils sont surs que personne ne parlera d’eux.

L’article est élogieux.

Craig Copetas est venu me voir ouvrir les bouteilles du dîner de Novembre à Apicius. Il m’a interviewé. Il m’a envoyé un photographe qui m’a vu ouvrir les bouteilles du dîner de décembre. L’article en anglais est visible si vous choisissez pour ce message la langue anglaise (je viens, trois mois après de le supprimer). C’est un peu fou, un peu brouillon, mais c’est sympathique.

La Landonne 1996 au troisième soir de Noël mardi, 27 décembre 2005

Sur un chapon discrètement farci d’ail, La Landonne Côte Rôtie Guigal 1996 allait montrer toute l’intensité de son génie. Ce qui frappe, c’est l’extrême simplicité du message. Tout parait facile comme la voix précise de Frank Sinatra, qui charme sans que ce chanteur ait besoin de pousser la note. Le contraste avec les bourgognes est saisissant. On pourrait dire que certains grands bourgognes sont des Noureev quand les grandes Côte Rôtie sont des Fred Astaire. C’est simple, le message est compréhensible par tous, mais c’est parfait. J’ai reconnu la petite amertume de fin de bouche, marque d’un bois un peu austère, que j’avais ressentie comme une signature pendant la dégustation systématique lors de ma visite à Ampuis. Ce signe permet de penser que ce vin vieillira bien et sera encore plus redoutable dans une dizaine d’années.
Après trois soirs de célébrations de Noël nous n’avions toujours pas ouvert les liquoreux que j’avais prévus. La fatigue en est la cause. Il est temps de voter sur ces vins de Noël et les votes furent disparates mais concentrés surtout sur trois d’entre eux : le champagne Cristal Roederer 1993 dont l’élégance magistrale a ravi nos cœurs, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 car c’est du soleil généreux en bouche, vin de joie, et le Côtes du Jura blanc château La Muyre 1969 car c’est sans doute celui qui a la palette aromatique la plus complexe, appel d’une cuisine de folle création. Une mention spéciale mérite d’être faite de La Croix Saint-Jacques 1975 en demi-bouteille qui a étalé des sérénités de Pomerol d’une justesse rare. Si à ce stade on ne cite toujours pas Salon 1985, vin divin mais que je connais sur le bout des lèvres, c’est que les vins couronnés de votes étaient diablement bons.

le deuxième jour du réveillon de Noël lundi, 26 décembre 2005

Le deuxième dîner de Noël commence par un champagne immense. Je n’ai jamais été vraiment touché par la grâce de cette marque de champagne, mais là, ce fut vraiment une découverte. Le Cristal Roederer 1993 est d’un charme invraisemblable. Ce qui frappe immédiatement c’est l’équilibre gracieux entre toutes ses composantes. Il sait être floral, il sait être délicatement vineux, si ce concept peut exister, il a une longueur joliment mesurée. En fait, il a toutes les caractéristiques d’une Miss Monde, dont tous les attributs de la féminité sont présents, mais sans excès. Ce très grand champagne nous a ravis.
Une crème mêlant betterave et une évocation d’anchois a permis au Côtes du Jura 1969 de la veille de confirmer son insolente sérénité. Quel charme, quelle complexité gustative. On pourrait se satisfaire de ne boire que ce vin là. Les coquilles Saint-Jacques au caviar osciètre accueillent un Chablis Grand Cru Blanchot domaine Vocoret 1996 qui expose la parfaite définition du Chablis. Ce vin est précis comme un dictionnaire. Le beau Chablis, qui n’est beau que quand il est grand, est exprimé de façon généreuse, un peu sérieuse dans ce vin fort adapté au plat très expressif où se mêlent le sucré de la coquille crue et le salé intense du caviar.
Ma femme ayant copié chez Bruno sa recette de pommes de terre à la crème et à la truffe, nous dégustâmes un plat d’un charme fou. Le Petit Village Pomerol 1992 ne peut pas trahir qu’il vient d’une année assez faible. Mais Pomerol est Pomerol. Il a de la séduction à revendre. Il décochera quelques flèches de plaisir, sans vraiment créer une émotion durable.
J’avais ouvert quelque six heures avant une Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 mais nos fatigues étaient trop fortes. Nous trempâmes nos lèvres dans ce breuvage divin, sentant toutes les promesses de perfection. Mais l’heure de la retraite avait sonné. C’est demain que brillera cette icône.

Lafite 1987 dimanche, 25 décembre 2005

Le lendemain, le Lafite 1987 était vraiment redevenu Lafite et vraiment 1987.
Pas de doute possible.
Etrange différence entre les deux aspects. Un chaudement brillant le 24 décembre et l’autre plus strict, comme l’année le justifie.

le réveillon du 24 décembre dimanche, 25 décembre 2005

Le réveillon de Noël allait me donner l’occasion de redonner une chance à Salon, et il l’a saisie de façon magistrale. Cette bouteille du même carton, un Salon 1985, a un nez discret mais expressif. En bouche, ce n’est que du bonheur. La puissance est là, comme dans la précédente bouteille, mais cette fois-ci, le champagne parle. Il y a des évocations de fruits roses, de fraises des bois, de pêches fraiches, ce qui, par opposition à la force vineuse, crée des sensations proprement excitantes. Sur des petits toasts aux anchois assez doux ou aux tomates confites, c’est un vrai plaisir. Les rouges avaient été ouverts à l’avance, bien sûr, et pendant l’apéritif, j’ouvre un Côtes du Jura blanc, château La Muyre 1969. La cire est extrêmement dure. Dès que je l’ai enlevée, le bouchon encore en place est traversé par des senteurs capiteuses où la noix abonde. La force évocatrice de ce vin traverse le bouchon ! Sur un amuse bouche, petite omelette aux cèpes, le blanc s’échauffe, il explose de saveurs magiques de complexité. Que j’aime ces vins du Jura ! Ma bru n’aime pas, parce que c’est spécial. Mais quelle animalité énigmatique. J’adore. Et sur deux foies gras l’un frais et l’autre cuit, quelle merveilleuse excitation de goûts infinis. Un bonheur.
Les beaux pavés de biche sont agrémentés de deux purées. L’une de pommes de terre, l’autre de betterave et truffe, ce qui réjouit la chair de la biche. La Croix Saint Georges, Pomerol 1975 en demi-bouteille est strictement adapté à cette chair. Et les voyants d’un accord parfait s’allument : le vin a capté la chair de la biche grâce à la discrète betterave. Magnifique accord. J’ai ouvert aussi château Lafite-Rothschild 1987 d’une bouteille dont j’ai oublié l’origine. Pourquoi cette bouteille n’a-t-elle ni étiquette ni capsule, le vin se lisant sur le bouchon ? S’agit-il d’une réserve personnelle que j’aurais achetée ? Je ne sais pas. Toujours est-il que le vin explose en bouche d’une puissance bien inhabituelle pour ce millésime. Le vin est chaud, lourd, capiteux, velouté, avec un bois fort expressif. Manifestement un grand vin. On me dirait que c’est Opus One, je n’en serais pas étonné. Le Pomerol se mariait mieux à la biche. Le Lafite se buvait pour lui-même, vin de grand charme très réussi. Il accompagna le fromage et le dessert avec justesse.
Pendant que le repas se déroulait, je pensais à tous les comptes-rendus que je lis sur des forums. C’est la débauche, l’orgie, avec l’accumulation d’étiquettes plus prestigieuses les unes que les autres. Dans de tels marathons, La Croix Saint-Georges 1975 en demi-bouteille serait complètement ignoré. Pas un cil, pas une papille ne repèrerait cette incongruité. Or lors de ce repas, je vais classer en tête le Côtes du Jura 1969, suivi du La Croix Saint-Georges 1975, devant Salon 1985 et Lafite 1987, sachant que la valeur intrinsèque est en faveur du Salon, mais le bonheur de ce soir est en faveur du blanc du Jura. On se procure plus de plaisir quand on cherche à profiter des vins que quand on cherche à les hiérarchiser comme on le fait dans ces exercices de dissection où l’analyse prime sur la jouissance. Ces quatre vins de divers niveaux étaient là au bon moment. C’est tout ce qu’on leur demande pour qu’un réveillon soit réussi.

Dom Ruinart rosé 1990 vendredi, 23 décembre 2005

Chez des amis au bord de la mer, nous jouons aux cartes.
Nous essayons un foie gras assez cru sur de belles lamelles de truffe.
Le Dom Ruinart rosé 1990 servi assez frais est toujours aussi splendide.
Découvert chez Dom Ruinart, il m’avait enthousiasmé.
Celui-ci confirme.