Mouton-Rothschild 1945 avec mon fils !vendredi, 18 décembre 2015

Il y a tellement de tentations dans les mails qui me proposent du vin que je succombe plus que de raison. Au casino, je me ferais interdire, dans l’achat des vins, je subis mon addiction. Dans un lot de bouteilles rares, j’achète une bouteille de Mouton-Rothschild 1945, d’un vin mythique qui a un pouvoir d’attraction pour les faussaires. Recevant la bouteille dans ma cave, la tentation est grande de vérifier sa véracité en la comparant à celles que j’ai dans mes casiers. La juxtaposition des bouteilles, avec un examen des capsules, des étiquettes portant le « V » de la Victoire et des étiquettes comportant de nombreuses indications, me donne une ardente conviction que mon achat de ce jour est une vraie bouteille de Mouton 1945.

Mais pendant cet examen, je constate qu’une des bouteilles que j’ai en cave a un niveau bas. On est à basse épaule. Il faudrait vite la boire. Regardant la bouteille face à une lampe, je constate que la couleur du vin est belle. Mon fils est à Paris, il va repartir dans trois jours à Miami. Pourquoi ne pas boire cette bouteille avec lui ? C’est avec mon fils que je peux faire de telles folies.

Je demande à ma femme de prévoir de l’agneau pour que la douceur de la viande mette en valeur le goût. Un accompagnement de pommes de terre participerait de la même douceur.

La veille du dîner je rapporte la bouteille à la maison, et je la redresse dans un endroit frais. Le jour venu, l’accumulation de fatigues récentes se fait sentir au point que revenant en avance de mon bureau l’envie de faire une sieste tardive (à 19 heures) se fait sentir. Je dis à mon épouse dont les préparatifs du dîner avancent à grand pas que je n’ouvre pas la bouteille, attendant de savoir si après ma sieste je me sentirai d’attaque pour ouvrir cette bouteille mythique.

Si la sieste me fait le plus grand bien, la bouteille n’est pas ouverte. Un tel vin aurait dû être ouvert beaucoup plus tôt. Mon fils arrive. Je lui explique que j’avais un doute sur ma capacité à aborder un tel vin, ce qui explique que je ne vais l’ouvrir que maintenant.

La capsule colle au haut du bouchon ce qui fait que je ne peux pas la décoller. Elle se déchire ce qui est dommage. Le haut du bouchon est dur comme du béton aussi dois-je forer un petit trou pour que la pointe du tirebouchon ne fasse pas descendre le bouchon quand je la pique. J’extirpe le bouchon et toute sa surface est d’un noir gras. Je mets mes doigts dans le goulot, et retire une sorte de boue noire qui ne sent pas mauvais qui pourrait être une combinaison de lie et de miettes de bouchon. Ça me semble très mal parti. Je me lave les mains et me reprends à plusieurs fois pour nettoyer le goulot avec mes doigts. Que va-t-il advenir ?

L’odeur du vin est marquée par une certaine acidité, mais je ne vois rien d’insurmontable et je m’en veux d’avoir fait cette sieste qui nous prive d’un temps précieux de reconstitution du vin. Quelques minutes plus tard je ressens que le vin est sur la voie d’un retour en grâce. Prions pour que cette tendance se confirme.

Mon fils nous avait offert trois boîtes de caviar comme cadeau de Noël. Ce sera l’entrée. Pour qu’un champagne accompagne un Mouton 1945, il faut qu’il soit grand. J’ai prévu un de mes chouchous, le Champagne Krug Vintage 1973. La bouteille est magnifique. Enlever le muselet est une opération ardue qui projette beaucoup de poussière et de copeaux de la cape. L’amour des vins anciens n’est pas un long fleuve tranquille ! Pendant que j’extirpe le muselet, j’entends un sifflement. C’est du gaz qui s’échappe. Le bouchon s’extirpe très facilement car il est chevillé.

Je verse deux verres, un pour mon fils et un pour moi. Nous trinquons, j’ai peur. La première gorgée est amère, ce qui me donne des poussées d’adrénaline, puis tout se met en place. La couleur du champagne est très belle, d’un or pâle légèrement rose. La bulle est bien active. Le nez est discret mais intense, vineux. En bouche, tout s’éclaire et le charme agit. C’est un champagne vif, cinglant, aiguisé comme un sabre de samouraï. Il picote gentiment et je lui sens des accents de champagne rosé.

Nous avons deux caviars, un osciètre et un caviar d’Aquitaine de la maison Prunier. L’osciètre est d’un gris plus clair. Il est assez expressif mais trop court. C’est le caviar d’Aquitaine qui se révèle parfait, iodé sans être trop salé, à la longueur parfaite. Le Krug rebondit à la perfection et trouve une jolie acidité vineuse. C’est un champagne de raffinement. Peut-être pas le plus grand Krug 1973 que j’aie bu, mais certainement un grand champagne que nous finirons au dessert.

Le morceau d’agneau a mijoté pendant des heures à basse température. Il est fondant. Le délicat gratin de tranches de pommes de terre très fines est d’une rare exactitude. Des fèves, mi entières mi en purée ont une belle mâche et aussi une discrétion qui les prédisposent à suivre le vin.

La couleur du Château Mouton Rothschild 1945 dans le verre est d’un rouge pâle magnifique, qui deviendra de plus en plus intense lorsque l’on servira la suite de la bouteille. J’ai tellement peur d’une contreperformance que j’inspecte le plus infime défaut. C’est l’acidité que je redoute. On la ressentira parfois, mais jamais au point de nuire au plaisir. Ce qui est frappant dans ce vin, c’est le velours, et la solidité d’une trame carrée. J’ai toujours aimé la sérénité de Mouton 1945, ce côté assis, carré, indestructible. On le retrouve ici, même si ce n’est pas la plus parfaite des bouteilles que j’ai bues. Par moment, j’ai réellement des fulgurances de la perfection de ce vin de légende. A d’autres gorgées, l’acidité me gêne mais en fait j’étais tellement anxieux que la bouteille ne soit pas bonne que je n’arrive pas vraiment à me décontracter. Alors que mon fils jouit pleinement du vin, me disant qu’il pensait que jamais il n’aurait l’occasion de goûter ce vin de légende et qu’il est dans un ravissement total. C’est vrai que voir sa face souriante devrait suffire à mon bonheur.

Je peux dire que ce vin est grand et que par moments il me donne les signes de ce qui en fait sa grandeur. Mais je ne suis pas assez réceptif à sa grandeur, même si j’en recueille des fruits.

Sur la tarte au pomme, le Krug 1973 se montre joyeux, combinant la vivacité d’un champagne brut blanc avec la séduction d’un champagne rosé.

Que dire de ce dîner ? Boire avec mon fils ces deux vins est un bonheur qui n’a pas de prix. Les deux vins, sans être parfaits, ont montré l’excellence pour l’un et le goût mythique pour l’autre, même si entrecoupé de petits moments de faiblesse. Je n’étais pas au mieux de ma forme pour en profiter pleinement. Mon fils était aux anges. Alors, c’est un cadeau de Noël.

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l’évolution de la couleur du vin depuis le haut de la bouteille jusqu’à la lie

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