Les printemps de Châteauneuf-du-Papesamedi, 9 avril 2011

Le lendemain matin, un samedi, s’ouvre la deuxième édition du salon "Les printemps de Châteauneuf-du-Pape". Il se tient sur deux jours et il y aura une grande salle où les vignerons feront goûter leurs vins, des stands de victuailles et à cent mètres de là, dans la maison des vignerons se tiendront quatre ateliers sur deux jours de dégustations à thèmes. La raison de ma présence est que le dernier atelier sera consacré au vieillissement des Châteauneuf-du-Pape et donc aux vins anciens. C’est Laurence Féraud qui a eu l’idée de m’inviter.

Après une nuit qui avait gardé la pesanteur de l’événement de la soirée, et après un agréable petit-déjeuner dans la grande cuisine rustique de Gaëlle, mon hôtesse, je me rends à pied au premier atelier dont le thème est : "découvrir les terroirs des Châteauneuf-du-Pape à travers des vins 100% grenache". Georges Truc, oenogéologue nous parle des différents terroirs de Châteauneuf du Pape qui vont des calcaires crétacés aux basses terrasses du Rhône en passant par des sables et des terrasses aux alluvions à accumulation caillouteuse. Je n’imaginais pas une telle diversité de terroirs. Certains bancs de grès ne disposent que de moins de 3% de terre sur une épaisseur de dix mètres, ce qui impose à la vigne de profiter de toutes les failles, travail qui leur prend des décennies.

Nous goûtons huit vins pour essayer de sentir les différences de terroirs : le Châteauneuf-du-Pape Grand Tinel grenache 2010 et le Châteauneuf-du-Pape domaine du Caillou grenache 2010, les deux sur des terroirs de sables. Puis Châteauneuf-du-Pape domaine des 3 celliers grenache 2010 et Châteauneuf-du-Pape domaine de la Gardine grenache 2010, tous deux sur des terroirs calcaires. Viennent ensuite le Châteauneuf-du-Pape domaine Jean Royer grenache 2010 et le Châteauneuf-du-Pape domaine Giraud grenache 2010 tout deux sur des versants à galets roulants. Enfin le Châteauneuf-du-Pape Clos Saint Jean grenache 2009 et le Châteauneuf-du-Pape Bosquet des Papes grenache 2010, les deux sur les hautes terrasses caillouteuses.

Il me semble que si l’intention didactique est louable, mettre des 2010 a faussé le jeu. Car ces vins sont encore ingrats et les différences de stades de développement sont plus importantes que les différences de terroirs. J’admire ceux qui ont été capables de les sentir sur ces bambins de vins. Beaucoup de vins sont élégants, certains sont doucereux. Tous promettent, mais ne montrent même pas un dixième de ce qu’ils peuvent devenir. L’atelier fut une belle occasion de découvrir des vins intéressants.

Le salon se tient dans une grande salle et 77 vignerons font goûter leurs vins de plusieurs millésimes. J’en goûte quelques uns et je déjeune à l’une des tables installées dans un petit pré attenant. Cela donne l’occasion de rencontrer des visiteurs de plusieurs nationalités. Les buffets sont tentants et de qualité. Le soir tous les vignerons et leurs familles et amis se retrouvent dans la grande salle du château de Châteauneuf-du-Pape qui surplombe la ville. Pour y accéder, la pente est rude et les marches d’escalier irrégulières coupent les jambes. De l’esplanade du château, on a une vue impressionnante. Et en regardant ces vieilles pierres, on comprend toute la relativité du mot « neuf », car ce château dit « neuf » a huit cents ans. Dans cette immense salle presque millénaire, les vignerons et leurs épouses grignotent d’un buffet de belle qualité et partagent les vins qu’ils ont apportés. C’est pour moi l’occasion d’être présenté à beaucoup de grands vignerons. La sono s’anime et les jolies femmes commencent à se trémousser, Laurence n’étant pas en reste. Le niveau sonore devenant rapidement intenable, je quitte cette chaleureuse assemblée pour un sommeil réparateur.

Le troisième atelier (j’ai manqué le second) est consacré à "accords mets et vins ‘Asie’ ". C’est une idée extrêmement originale que d’avoir voulu innover dans la façon de marier les Châteauneuf-du-Pape.

Le Châteauneuf-du-Pape domaine Juliette Avril blanc 2010 est associé à une niguiri saumon. Il est très vert, très jeune mais l’accord se fait naturellement. Le niguirri rehausse le vin. Le Châteauneuf-du-Pape domaine Jas de Bressy blanc 2005 est associé a un niguiri dorade. En bouche ce vin est élégant et racé. C’est un beau vin que le niguiri n’avantage pas particulièrement. Le Châteauneuf-du-Pape Font de Michelle blanc 1994 est accompagné d’un niguiri TNT qui ne veut pas dire explosif, mais est au thon avec une sauce épicée. Le nez du vin est hyper puissant, la bouche est généreuse faite de pêche et d’un léger fumé. Le TNT crée une opposition piquante. L’accord est trop brutal. Le Châteauneuf-du-Pape La Charbonnière rouge 2007 est associé à un niguiri anguille. Le vin est très riche, magnifique, tout en fruit, et l’accord est saisissant. Je ne peux pas m’empêcher de me souvenir que j’avais fait avec Christian Le Squer le chef du restaurant Ledoyen un accord de Châteauneuf-du-Pape Audibert & Delas 1949 rouge avec une anguille qui avait été sublime. C’était il y a deux ans. Voir que cette voie est aussi explorée me fait plaisir car cela montre l’audace des organisateurs de cet atelier.

Deux vins vont être associés à un délicieux nem confectionné par une amie de Laurence Féraud et de Céline Sabon. Un Châteauneuf-du-Pape La Janasse blanc 2009 au nez très puissant et pur, au goût caramel, crème, beurre et poivre. Le nem donne de l’ampleur et de la longueur au vin. Le Châteauneuf-du-Pape domaine Barville rouge 2009 a un nez très riche. La bouche est plus calme que le nez; la persistance aromatique est forte. Le nem arrondit le vin. La mise en valeur est plus forte pour le rouge que pour le blanc. Les deux accords sont naturels, le plus élégant étant sur le blanc.

Le Châteauneuf-du-Pape domaine de Cristia rouge 2009 est associé à un filet mignon de porc et champignons parfumés selon une recette taïwanaise. Le vin piquote, très poivre, alors que le nez est doucereux. Le plat fait ressortir l’alcool. Il va mieux avec le Barville et pas avec La Charbonnière. Laurence Féraud présente son Châteauneuf-du-Pape domaine du Pégau rouge 2006 sur un poulet caramélisé qu’elle a préparé elle-même aux aurores. Le nez du vin est riche et sensuel, mais raffiné aussi. En bouche, il est très doucereux et fruité, pas très long. Sur le filet mignon, le Pégau ne va pas alors que sur le poulet très cuit, il devient rond et délicieux. Le Cristia devient plus tendre avec le poulet.

Cet atelier a été extrêmement convaincant, ouvrant des pistes où les Châteauneuf-du-Pape s’exprimeront avec bonheur. Ça bouge à Châteauneuf-du-Pape et c’est une bonne chose.

Le dernier atelier est un "atelier vieillissement". Nous goûterons quatre rouges et cinq blancs. Je n’en connaissais aucun avant que l’atelier ne démarre, alors qu’on m’a demandé de l’animer avec des vignerons présentant leurs vins. Pour chaque série, on va crescendo.

Le Châteauneuf-du-Pape Vieux Donjon blanc 2010 est très gourmand malgré sa jeunesse. Je le trouve profond. Le Châteauneuf-du-Pape domaine Fines Roches blanc 2004 a un nez discret. Il évoque le miel et l’acacia. Il est entre deux phases de sa vie. Le Châteauneuf-du-Pape Château La Nerthe blanc 1993 a une couleur ambrée et un nez un peu évolué. Le goût est superbe, de noix, de fumé et de fruits jaunes. Le final est superbe de fruits confits. Le Châteauneuf-du-Pape domaine de Beaurenard blanc 1982 a un nez grandiose. Le vin est grand et équilibré, avec des fruits secs. C’est un vin très agréable et gastronomique de fruits confits et noisette. La démonstration sur les blancs est très convaincante, car les plus anciens ont largement plus de complexité, liée à leurs qualités mais de façon évidente au vieillissement.

Le Châteauneuf-du-Pape La Barroche rouge 2004 fait très évolué, avec beaucoup d’alcool. La couleur tuilée au départ s’est éclaircie et le vin s’épanouit. Le Châteauneuf-du-Pape domaine Marcoux rouge 1994 a un nez évolué. Le vin est plus évolué qu’il ne devrait. La bouteille que nous avons n’est pas plaisante. Le Châteauneuf-du-Pape Les Clefs d’Or rouge 1985 a un nez fruité et un peu dévié. Il a du fruité mais caché sous la poussière. Je me dis que ça commence mal pour les rouges. Le Châteauneuf-du-Pape Clos du Mont-Olivet rouge 1976 provient de vignes plantées en 1904. La couleur est intense. C’est un vin joyeux. Il est frais et agréable et va continuer de bien vieillir. Le Châteauneuf-du-Pape Château Mont-Redon rouge 1971 est d’une belle couleur et d’un nez intense. Il est parfait, superbe et goûteux vin joyeux de grande élégance. Là aussi la démonstration est sans appel, car comme pour les blancs, ce sont les deux derniers, donc les plus vieux, qui sont de loin les plus complexes, les plus riches et les plus agréables.

Répondant à des questions, j’ai parlé de l’extrême capacité au vieillissement des Châteauneuf-du-Pape blancs et rouges. L’atelier fut une réussite. Rejoignant le salon j’ai pu constater que les visiteurs étaient nombreux. Raccompagné au TGV, j’ai pu dire à Céline Sabon, l’une des organisatrices de ce salon que "les Printemps de Châteauneuf-du-Pape" dont c’est la deuxième édition deviendra un incontournable rendez-vous des amoureux des vins de cette région. Longue vie au salon. Vive Châteauneuf-du-Pape.