le 257ème dîner se tient au restaurant Maison Rostangdimanche, 12 décembre 2021

Un ami fidèle de mes dîners avait invité en 2018 des camarades de classe. C’était le 227ème dîner. Il avait voulu recommencer en 2020 mais c’est le Covid qui n’a pas voulu et a fait repousser ce dîner deux fois. La troisième tentative est la bonne et ce sera le 257ème dîner qui se tiendra au restaurant Maison Rostang.

Les vins ont été livrés il y a une semaine. Le jour venu, je prends la trousse avec mes outils d’ouverture. Il se trouve que j’ai deux trousses de même forme et de même couleur. Je soupèse l’une d’elles. Au poids, au toucher elle me semble la bonne. Un taxi me conduit jusqu’au restaurant où j’arrive à 16 heures. Jérémie, le sympathique sommelier va chercher la caisse des bouteilles qu’il a mises à la verticale la veille, comme je le lui avais demandé. J’ouvre la trousse. Catastrophe, ce n’est pas la trousse avec les longues mèches mais une autre avec des accessoires utiles, mais sans mèches. Je n’arriverais jamais à lever les bouchons déchirés. Fort heureusement j’ai pris un Durand, qui est un astucieux tirebouchon qui combine la mèche d’un tirebouchon avec un bilame, qui officient ensemble. Cet outil est extrêmement pratique mais il a un défaut : ses lames latérales blessent le bouchon, ce que je ne souhaite pas puisque je collectionne les bouchons.

Nécessité fait loi, j’utilise le Durand. L’avantage de cet outil, c’est que l’on va dix fois plus vite qu’avec mes mèches, mais l’on n’éprouve pas les mêmes sensations. J’ai un petit doute sur le nez du Puligny-Montrachet qui pourrait être bouchonné. Le nez du Rayne Vigneau est absent. Au moment d’ouvrir l’Yquem 1980, je me dis que ce vin étant jeune, je pourrais l’ouvrir avec un limonadier classique alors que j’ai utilisé le Durand pour tous les autres. Patatras ! La partie basse du bouchon toute humide et imprégnée ne monte pas avec le haut du bouchon. Impossible de la rattraper. Avec Jérémie nous transvaserons le vin dans une carafe, Jérémie extirpera le bouchon « à la ficelle », technique que j’ai utilisée de nombreuses fois, ce qui permet ensuite de remettre le vin dans sa bouteille. Pendant ces opérations le parfum de l’Yquem inonde la pièce. Il est divin. Parmi les parfums les plus engageants il y a celui du Brane-Cantenac 1928, du Chambertin Clos de Bèze 1961, du Château Rayas 1988 et du Paternina Rioja 1928.

J’ai fini les opérations d’ouvertures avant 17 heures. Il me reste trois heures avant l’arrivée des convives. Jérémie m’offre une bière blonde de la Parisienne, mais je n’ai pas grand-chose à faire. Aussi j’envoie un message à Charles, l’organisateur de ce repas, lui demandant de venir plus tôt s’il le peut. Très gentiment il le fera.

Nous bavardons sur les qualités potentielles des vins ouverts et je dis à Charles qu’il ne m’étonnerait pas que le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 soit dans les premiers ou premier, car chaque fois que je l’ai mis dans mes dîners, probablement une douzaine de fois, il a été dans les premiers ou premier.

Charles m’annonce que deux amis pourraient avoir un léger retard et suggère que l’on prenne un vin de la cave du restaurant malgré le fait que j’ai prévu quatorze vins pour onze convives. Charles commande un Champagne Jacques Selosse millésimé 2007 qui a été dégorgé en novembre 2019.

Il ne paraît pas choquant que nous le goûtions avant les premières arrivées. Le champagne a un ambre très léger, une bulle active. En bouche il est extrêmement atypique. Je lui trouve un goût de vieux parchemin. Il a le charme de la visite d’une vieille église. On est face à un champagne d’un autre temps, d’une autre planète.

Les invités qui arrivent goûtent ce champagne qui ne laisse pas indifférent tant il sort des sentiers battus. Les retardataires ne le sont pas tant que cela aussi nous nous asseyons pour prendre l’apéritif, Covid oblige. Nous sommes onze dont quatre femmes.

Le Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1982 est d’un charme et d’un équilibre enthousiasmants. Il est mis en valeur par le 2007 car il rassure, fluide, large, et d’une belle sérénité. Les petits amuse-bouches de début de repas ont des goûts prononcés superbes.

Le Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1964 a un nez légèrement imprécis qui va disparaître assez rapidement. J’avais ouvert les champagnes à 19 heures. J’aurais dû les ouvrir à 18 heures. Le goût de ce champagne est d’une personnalité extrême, un pur velours. Il est large et doux, calme et subtil. Un vrai bonheur qui trouble plusieurs convives car il leur est difficile d’imaginer qu’un champagne de 57 ans puisse avoir une aussi belle jeunesse.

Le menu composé par Nicolas Baumann est ainsi conçu : langoustines pochées dans un consommé puis rôties, coques au bouillon, sarrasin soufflé, bouillon de langoustines mousseux / homard bleu laqué au barbecue, coussins de céleri et chèvre frais de chez Fabre, jus de la presse lié au corail / dos de chevreuil rôti, la gigue confite, salsifis rafraîchis à la menthe, jus d’airelles au vin de syrah / suprême de pigeon, petit chou farci et jus d’un salmis / stilton / ananas rôti et en fines lanières à cru, sorbet ananas / mignardises.

Les deux blancs sont associés à la langoustine. Le Château Haut Brion blanc 1966 est d’une couleur claire, frais et riche. Il offre une densité forte et une belle longueur. C’est un grand vin blanc noble.

Le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère 1980 est aussi très clair et il n’a pas du tout le nez de bouchon que je redoutais. Il a même un parfum plus épanoui que celui du bordeaux. La juxtaposition montre que le vin bourguignon n’a pas le coffre et la densité du bordelais qui surclasse le Puligny, même s’il est agréable.

L’association homard et bordeaux rouge est un de mes plaisirs. Le crustacé aura trois compagnons que j’ai voulu de périodes distinctes. Le Château Haut-Brion 1980 est droit, classique, bien né et construit mais manquant un peu de folie pour mon goût.

Le Château La Gaffelière Naudes Saint-Emilion 1953 a une couleur presque noire et une richesse doublée d’une énergie peu commune. Il est puissant et conquérant.

Le Château Brane-Cantenac Margaux 1928 a le charme féminin des vins de Margaux et il ajoute l’équilibre et la prestance de l’année 1928. C’est un vin élégant qui ne fait pas son âge. Pour mon goût le classement de ces trois vins irait du plus ancien au plus récent. Les votes des convives ne diront pas la même chose.

Sur le chevreuil il y a un bourgogne et un vin du Rhône. Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 a un nez d’une expressivité extrême. En bouche, son charme est infini. Il est délicat, racé, subtil. On n’arrêterait pas de boire un vin aussi équilibré et parfait. C’est un ange.

Le Château Rayas Châteauneuf du Pape 1988 est d’un millésime que j’adore pour ce vin. Son parfum fait clairement la différence avec celui du chambertin en étant résolument rhodanien. Il a beaucoup de charme, il est solide et bien fait, mais ne peut pas lutter avec le chambertin.

L’Hermitage de Boissieu 1959 est un vin solide, bien construit, mais qui manque un peu de flamboyance. Il aura quelques votes de six convives mais le vin espagnol lui fait de l’ombre.

Le Rioja Ollauri Paternina 1928 a un nez d’une rare délicatesse et je ressens des fruits roses dans son parfum. En bouche il combine élégance et puissance dans un registre très affirmé. Comme pour le Brane Cantenac on peut constater qu’un vin de 93 ans peut avoir une énergie exceptionnelle. Ce vin aura les faveurs de mon vote.

Le Château d’Yquem 1980 est un sauternes magnifique dont le parfum est le plus exubérant de tous les vins tout en étant raffiné. Il est nettement plus riche et subtil que ce qu’on lit dans les livres pour son année. L’accord avec un beau stilton est un vrai bonheur.

Le Château Rayne Vigneau 1942 souffre hélas d’un nez bouchonné. Il se pourrait qu’il disparaisse mais à ce stade du repas nous n’avons pas le temps d’attendre.

J’ai apporté un Marc de Champagne Oudinot & Fils 45° années 40 dont la bouteille avait déjà été ouverte il y a quelques mois. Il est particulièrement fort mais dès qu’on s’est habitué à sa puissance on s’aperçoit qu’il est frais, fluide, fruité et joliment ensorceleur. C’est probablement l’un des meilleurs marcs que j’aie bus.

Nous sommes onze à voter pour nos cinq préférés de 13 vins, le Selosse et le Marc ne participant pas au concours. Cinq vins seront nommés premiers, le chambertin quatre fois, le Haut-Brion blanc deux fois, comme le Haut-Brion rouge ainsi que le Rioja 1928 et l’Yquem quant à lui aura un vote de premier.

Tous les vins auront eu au moins un vote sauf le Rayne-Vigneau et il est apparu une diversité des votes qui tient à la forme de la table. La table est en longueur, Charles est en face de moi, et il y a quatre convives à ma gauche et cinq convives à ma droite formant des groupes qui vont voter différemment. Ainsi, cinq votants à ma gauche ont glorifié le Haut-Brion 1980 alors que les cinq à ma droite ne lui ont donné aucun vote. Pour le Dom Ruinart 1964 les quatre votes sont tous à ma droite et rien à ma gauche. De même l’Hermitage 1959 a eu six votes dont cinq à ma droite et un à ma gauche. Il est certain que lorsqu’il y a une table en longueur, trois conversations se forment, à droite, à gauche et au centre, et dans chaque groupe il y a un convive qui va influencer la vision des autres. C’est une constatation que j’ai déjà faite, mais peut-être pas aussi nettement que ce soir.

Le vote global est : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Château Haut-Brion 1980, 3 – Rioja Ollauri Paternina 1928, 4 – Château d’Yquem 1980, 5 – Château Brane-Cantenac 1928, 6 – Château Rayas Châteauneuf du Pape 1988.

Mon vote est : 1 – Rioja Ollauri Paternina 1928, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – Château Rayas Châteauneuf du Pape 1988, 4 – Château Brane-Cantenac 1928, 5 – Château d’Yquem 1980.

Ce n’était pas facile de servir tous ces nombreux vins à onze convives. Jérémie le sommelier s’en est très bien chargé après un démarrage un peu difficile, vite oublié. La cuisine a été pertinente et magnifiquement réalisée par un chef heureux de cuisiner et une équipe soudée. L’ambiance joyeuse créée par ce groupe d’amis a fait de ce repas un repas réussi.

Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1982

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1964

Château Haut Brion blanc 1966

Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère 1980

Château Haut-Brion 1980

Château La Gaffelière Naudes 1953

Château Brane-Cantenac 1928

Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961

Château Rayas Châteauneuf du Pape 1988

Hermitage de Boissieu 1959

Rioja Ollauri Paternina 1928

Château d’Yquem 1980

Château Rayne Vigneau 1942

Marc de Champagne Oudinot & Fils 45° années 40

le chef fait du repassage