Latour 1907, cent ans mais fatigué, et Yquem 1962 éblouissantsamedi, 1 décembre 2007

Je suis fatigué par les deux jours de Grand Tasting, aussi je rentre assez tôt à la maison. Ma fille et mon gendre sont là. Les vins actuels, c’est bien, mais j’ai besoin de revenir sur mes terres.

J’ouvre Château Latour 1907 et le bouchon d’origine s’éclate en mille morceaux. Le nez est superbe. Presque trop superbe, aussi je recouvre le haut de la bouteille pour qu’il n’y ait pas trop d’aération. J’ouvre une demi-bouteille de Chateau d’Yquem 1962, à la couleur superbe d’acajou. Le nez est fantastique. Tout se présente bien. Ma femme va préparer une barbue et un saint-pierre pour le Latour et un faux sabayon de pamplemousse et orange pour l’Yquem. J’attends la suite avec impatience.

L’expérience a eu du bon et du moins bon. La bouteille du Château Latour avait un niveau bas, ce qui était un risque. Ma femme s’étant trompé sur l’heure de cuisson des poissons nous avons dû passer à table une heure plus tôt, ce qui fait que le vin n’avait pas eu le temps de se recomposer. Je saisis la bouteille pour servir et je vois à mon grand étonnement (quand j’ouvre un bouchon en mille pièces, je ne regarde que ça), que la bouteille est très antérieure à 1907. C’est en 1908 ou 1909 qu’on a utilisé une bouteille de réemploi. Je verse dans les verres et la couleur est assez pâle. J’ai pris de beaux et grands Riedel, et les arômes sont beaux. En bouche, ce n’est pas blessé, c’est du vin, mais c’est du vin fané. Plus je verse de la bouteille et plus le vin est concentré et foncé. Ce n’est qu’en fin de bouteille que les dernières gorgées ont été du vrai Latour.

Ce vin fatigué n’était pas devenu aigre ni sûr. Il était buvable. Mais franchement, ce n’est pas un grand vin. Sur le poisson, l’accord est brillant, car la chair du poisson seule, dans sa pureté, est extrêmement utile pour le vin. La chair du poisson a bien aidé le vin. Le meilleur des deux est le saint-pierre. Ma femme a fait une simple purée de pomme de terre légère qui ne perturbe pas le vin. En sentant le verre où restait du dépôt, plus d’une demi-heure après, l’odeur est magnifique. L’expérience s’arrêtait là.

Le sabayon tenté mêle jaune d’œuf et jus de pamplemousse. C’est absolument inadapté au Château d’Yquem 1962. Ce vin est doré comme un coing, plus doré en verre que dans la bouteille. Son parfum est enivrant et nous sommes touchés par sa perfection. Il dégage des saveurs de coing, de thé, de pâte de fruit. Sur les pamplemousses, il met en valeur son thé. Sur un petit pot de bébé pomme et banane, dont j’ai prélevé une cuiller, l’Yquem devient banane. Sur une mandarine, il est délicieux, chantant, poussant ses notes de pâtes de fruits et de thé. Et mon gendre poêlant quelques tranches de pommes Golden qu’il commença à caraméliser à peine, la mise en valeur fut agréable. Mais en fin de compte, ce fut tout seul que cet immense Yquem fut le plus brillant. Ayant encore le frais souvenir d’une verticale de 28 millésimes d’Yquem, c’est avec un seul Yquem que je prends le plus de plaisir. Ce 1962 est un très bel Yquem, puissant, généreux, joyeux, qui nous a enchanté par sa perfection qui contrastait avec la fatigue du Latour 1907.

Nous avons bu ce soir un vin de juste cent ans. Il fut l’ombre de lui-même, malgré une fugace fulgurance. L’Yquem a sauvé la mise. Ce fut un petit bonheur seulement.