L’Arpège du 18 juin – icônes et surprisesmardi, 19 juin 2012

En ce jour, pensant à Charles de Gaulle, j’ai envie d’intituler ce compte-rendu : « l’Arpège du 18 juin« . Nous sommes huit pour un repas d’amis à apports partagés. Cinq sur huit étaient du dîner mémorable chez Michel Rostang illuminé par un Hermitage La Chapelle 1961 éblouissant.

Notre groupe est cosmopolite : Patrick est irlandais et travaille dans le commerce du vin, Amin possède à Madagascar des fermes aquacoles, Iqbal est un avocat mauricien, Freddy est restaurateur aux tendances vietnamiennes, Eric est un trader qui gère son patrimoine, Frédéric est aussi dans le commerce du vin. Jean-Pierre et moi sommes retraités. L’ambiance est joyeuse, amicale, souriante et partageuse.

Je suis venu dès 17h30 ouvrir les vins du dîner et les deux vins du Rhône de 1978, bien que de deux caves différentes, m’ont donné le même souci : bouchons très secs collés aux parois, qu’il est impossible d’extirper sans les briser en morceaux. Aucune odeur n’est suspecte. Certains parfums sont discrets. La couleur du 1973 est un signe possible de madérisation. Avec douze bouteilles pour huit convives, nous ne manquerons de rien.

Lorsque j’ai senti le Haut-Brion 1943, j’ai pensé qu’il serait dommage de l’associer à un fromage. Je m’en suis ouvert à Alain Passard qui a donné son accord pour un ris de veau de plus que celui prévu au menu, et Gaylord, fort astucieusement, a fait passer le Bâtard 1973 à cette place, pour trouver un accord brillant avec le gruyère.

Le menu conçu par Alain Passard : Tartelettes potagères (apéritif) / L’Œuf à la coque aux quatre épices / Fines ravioles potagères consommé végétal / Homard des Iles Chausey en aigre-doux miel du jardin / Asperges et couteaux à la verticale (comme ils ne sont pas venus, les couteaux ont été remplacés par des salicornes) / Turbot de la pointe de Bretagne grillé entier au savagnin / Robe des champs multicolores fine semoule à l’huile d’argan / Volaille du Haut Maine au foin / ris de veau (ajouté) juste poêlé / Ris de veau à la fève de tonka / Canard grillé entier au thé rohibos / Fromage / Tarte aux pommes bouquet de roses caramel lacté.

Le Champagne Salon 1997, comme je l’avais annoncé, est là pour se préparer la bouche au festin. Je le trouve très vert. Son vin est puissant et structuré, mais il lui manque quelques années pour trouver le charme et la plénitude d’un grand Salon.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 a un nez d’une complexité et d’un raffinement extrêmes. Le vin évoque les cèpes et la pâtisserie, mais est marqué par une empreinte florale très suggestive. Ce n’est que plus tard qu’apparaît le citron vert. Puis le champagne revient aux évocations gourmandes de pâtisserie. Pendant toute la dégustation, on ressent que l’on est face à un extra-terrestre de grandeur pure. C’est un immense champagne. Alors que 1986 n’est pas une très grande année de champagne, en le buvant, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse boire quelque chose de plus grand. L’œuf, qui est une institution de l’Arpège, n’est pas le meilleur camarade du Krug pourtant très flexible.

Le Pouilly Fuissé Cuvée Vieilles Vignes Daniel Barraud 1989 est une remarquable surprise. Son nez est opulent et sa mâche, sa plénitude sont la marque d’un grand vin. Freddy voulait nous faire découvrir de belle surprises. Ce vin en est une de première grandeur. Les ravioles aux herbes et légumes, sur un consommé à se damner créent un plat de haute gastronomie et le Pouilly est épanoui par le consommé.

Le Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002 est une bombe olfactive. Il sent le soufre. Son goût Coche-Dury se reconnaît instantanément. Il trace sa route gustative à la hache, envahit les papilles et les terrasse. C’est un vin de grand calibre, mais beaucoup trop jeune.

Voir apparaître le Château Haut Brion blanc 1990 après la bombe bourguignonne, n’est-ce pas un assassinat annoncé ? Pas du tout. Le bordelais marque son territoire. Il ne trompette pas, il convainc. Sa complexité est immense, avec une acidité citronnée bien mesurée, et une longueur extrême. C’est un vin très complexe qui ne passe pas en force, il persuade. Quelques années de plus lui feraient du bien. Les asperges ne l’aident pas beaucoup.

Le Puligny-Montrachet Les Combettes Domaine Etienne Sauzet 1986 a une couleur un peu ambrée. Il a une sécheresse que l’on trouve généralement dans les vins bouchonnés, mais ce n’était pas détectable au nez. Et le goût de bouchon s’impose de plus en plus. On sent que derrière ce goût il y a une grande matière. Mais le plaisir n’est pas au rendez-vous.

Le Domaine de Trévallon Coteaux des Baux en Provence J. Dürrbach 1983 est un vin gigantesque. A l’ouverture, il m’avait impressionné par son parfum intense. En bouche, c’est la même intensité. Il est envahissant, conquérant, avec une force de fruits difficilement soupçonnable. On reconnait un vin du sud, parce qu’on le sait, mais il est sûr qu’à l’aveugle, on ne citerait pas un vin des Baux de Provence. Il a la force, le charme convaincant, un fruit rouge épicé, du poivron, et se situe délibérément dans les grands vins. Le couscous de légumes d’Alain Passard est un plat exceptionnel, le plus grand du repas, et excite merveilleusement le Trévallon.

Le Royal Kébir Frederic Lung 1945 me fait un plaisir immense. Depuis plus de trente ans j’apprécie ces vins algériens nobles. Celui-ci est ramassé, carré, au message direct, avec une profondeur extrême. Sa solidité est imposante. Il fait rêver à tous les bourgognes que ses congénères ont fortifiés. C’est un régal.

Oui, mais voilà, quand on prend contact avec le Château Haut Brion 1943, le silence se fait. D’abord, c’est la couleur, d’un sang de pigeon vivace. Puis le nez, noble. Enfin en bouche, c’est un festival d’élégance et de complexité. J’ai bien fait de le marier à un ris de veau délicat, qui met en valeur la finesse de sa trame. Toute la table est excitée, car on sent que l’on tient le vainqueur. L’âge est à peine visible, la sérénité est exemplaire, la classe de ce vin est exceptionnelle. Il y a évidemment des années de Haut-Brion qui sont plus grandes. Mais avec ce volume mesuré, le vin est encore plus convaincant.

Le Vega Sicilia Unico 1986, pour moi, c’est un petit bonheur. Car il est d’une immense intensité et récite le fenouil, le céleri et la menthe pour donner dans son final infini une fraîcheur inégalable. Je l’ai sans doute plus aimé que mes compères, qui eux, ont plus vibré sur le Haut-Brion 1943.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978 est manifestement un grand vin du Rhône, puissant, charnu, mais il lui manque quelque chose. J’ai bu assez souvent ce 1978, année encensée pour le vin de Jaboulet. Mais j’avoue rester un peu sur ma faim. Car le 1961 est un mythe incontestable, mais ce 1978 n’en est pas un. Il est bon, bien sûr, franc, direct. Mais il n’est une icône, contrairement au vin servi en même temps que lui.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978 ne peut s’accueillir qu’avec des courbettes er l’expression d’un total respect. Quel vin inimitable ! Ce qui est surprenant, c’est que le mot qui s’impose, c’est « grâce ». Ce vin est aérien. Bien sûr, il a une forte empreinte, mais il glisse en bouche comme le mouchoir négligemment jeté par une belle glisse dans les airs. Je suis conquis, inutile de le dire. Il est difficile de comparer avec La Mouline 1978 puisqu’il faut faire appel à mon souvenir, mais il est probable que cette Landonne est encore plus délicate que la mythique Mouline 1978.

Le Bâtard-Montrachet Delagrange Bachelet 1973 est très ambré. Il est devenu très oxydatif, et c’est le délicieux gruyère qui le sauve, provoquant un accord pertinent et joyeux.

Le Château Suduiraut 1928 est certainement l’un des plus grands sauternes qu’il m’ait été donné de boire. Celui-ci en a les promesses, mais il joue nettement en dedans par rapport à la flamboyance qu’il peut avoir. On a bien sûr la mangue et le caramel, mais sans la vibration rare qu’il pourrait avoir.

On pourrait classer les vins en plusieurs niveaux.

Le niveau 1 serait Château Haut Brion 1943, Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978 et Champagne Krug Clos du Mesnil 1986, dans l’ordre de préférence de mes amis. Mon ordre serait différent, car j’ai déjà bu de plus grands Haut-Brion : Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978, Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 et Château Haut Brion 1943.

Le niveau 2 serait Trévallon 1983, Royal Kébir Frederic Lung 1945, Vega Sicilia Unico 1986, Château Haut Brion blanc 1990, des vins au sommet de leur art.

Le niveau 3 serait Pouilly Fuissé Daniel Barraud 1989, Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002, Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978 et Château Suduiraut 1928, qui n’ont pas démérité, mais soit sont trop jeunes, soit n’atteignent pas leur sommet.

Le niveau général des vins est impressionnant et justifie que nous recommencions. Alain Passard a fait une cuisine d’un niveau très relevé avec deux perles, le couscous de légumes et le consommé et raviolis. Charlotte a joué le jeu en nous expliquant les plats en deux langues. Nous avons passé une magnifique soirée sous le signe du partage et de l’amitié.

Champagne Salon 1997

Champagne Krug Clos du Mesnil 1986

Pouilly Fuissé Cuvée Vieilles Vignes Daniel Barraud 1989

Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002

Château Haut Brion blanc 1990

Puligny-Montrachet Les Combettes Domaine Etienne Sauzet 1986

Domaine de Trévallon Coteaux des Baux en Provence J. Dürrbach 1983

Royal Kébir Frederic Lung 1945

Château Haut-Brion 1943 (la capsule m’avait fait un peu peur, comme si elle avait été enlevée puis remise, du fait de ses pliures. Il n’en était rien).

Vega Sicilia Unico 1986

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978

Bâtard-Montrachet Delagrange Bachelet 1973

Château Suduiraut 1928

photos de groupe (on remarque les superbes niveaux)

les plats

l’Opinel ne se mange pas. On l’utilise tout au long du repas, et il est offert en fin de repas.