L’appel du cigalonjeudi, 20 décembre 2007

Les yeux encore éblouis par le dîner au restaurant Laurent avec de grands vignerons, je mets cap sur le Sud avec mon épouse. Un coup de fil : « j’ai deux kilos de cigalons. Ça te tente ? ». La réponse fuse : « nous arrivons ». Par une journée où l’air frais est réchauffé par un soleil intense, il fait bon contempler une mer qu’un vent d’Est fait frissonner. Nous commençons par des crevettes roses qu’il faut manger avec la carapace, car le jus de cuisson d’Yvan Roux lui a donné un parfum d’herbes provençales. C’est avec des doigts tout entachés de mes décorticages que je saisis le verre du champagne Laurent Perrier Grand Siècle, indispensable outil de notre bonheur.

Ce sont ensuite des bébés seiches qui n’ont pas encore eu le temps de se fabriquer l’os plat crayeux que l’on connaît. On les croque et la sensation lorsque l’on casse leurs yeux globuleux est étrange. Il faut faire le vide dans son esprit. Le jus d’encre, d’une encre fragile, est délicat.

Lorsqu’arrivent les cigalons, c’est une véritable bouffée de bonheur. La chair est ferme, typée, subtile, d’une profondeur remarquable. Il faudrait évidemment un vin rouge. Yvan m’entend et apporte un magnum de Château Lamarque, cru bourgeois de Médoc 2002. Il arrive à me convaincre que prendre un verre n’empêchera pas de le servir le lendemain pour des clients qu’il connaît. J’accepte donc. L’accord de ce vin rouge avec les cigalons est pertinent. Mais quel vin ! Ce vin représente tout ce que Parker souhaitait et que je ne désire point. Il a en lui toutes les tendances modernes qui ne conduiront nulle part. Or c’est bon, car c’est flatteur. Mais ce vin que l’on aurait pu faire à Cape Town, à Camberra ou à Napa, c’est une forme de vin que je refuse, malgré la séduction primaire, car c’est la négation de l’histoire. Comme il n’était pas question de refaire le monde, je croque les cigalons sur de belles lampées de ce vin nommé bordelais. A la réflexion, cette chair est extrêmement typée, mais n’a pas la subtilité de la langoustine. Plus virile, plus intense, mais moins charmeuse que la princesse des crustacés.

Nous goûtons ensuite des seiches d’un calibre plus élevé dont la chair du crâne est doucereuse dans son encre prononcée. Une gousse d’ail vient attendrir le goût pour notre plus grand bonheur. Une nouvelle lampée de Lamarque se boit avec un plaisir immédiat et un dédain d’esthète.

Une daurade rose pêchée à trois cent mètres de profondeur, cuite sans aucune ajoute, juste accompagnée d’une aubergine coiffée de tomates cerise, c’est un grand plat. Le Laurent Perrier accompagne parce qu’il est poli, mais il eût été opportun d’ouvrir un rouge en mettant de côté les tomates.

Le repas se conclut par un soufflé à la lavande, subtil, romantique, beau comme l’onde qui frissonne à nos pieds. J’aime l’appel du cigalon, le soir auprès de chez moi.